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La Vérité 

mardi 25 décembre 2012, par D.A.F. de Sade

« En 1782, Sade écrit le Dialogue entre un prêtre et un moribond : il n’est aucun athée de ses contemporains qui ne pourrait s’en réclamer. En 1787, Sade écrit le poème La Vérité, d’inspiration tout aussi matérialiste : il n’est pas un seul athée de ses contemporains qui pourrait s’en réclamer. (...) Bien sûr, entre ces dates, il y a, en 1785, l’apparition des Cent vingt journées de Sodome qui figure la rupture définitive de Sade avec le monde, avec le monde de son temps, mais encore avec notre monde. » (Annie Le Brun)


Quelle est cette chimère impuissante et stérile,
Cette divinité que prêche à l’imbécile
Un ramas odieux de prêtres imposteurs ?
Veulent-ils me placer parmi leurs sectateurs ?
Ah ! jamais, je le jure, et je tiendrai parole,
Jamais cette bizarre et dégoûtante idole,
Cet enfant de délire et de dérision
Ne fera sur mon cœur la moindre impression.
Content et glorieux de mon épicurisme,
Je prétends expirer au sein de l’athéisme
Et que l’infâme Dieu dont on veut m’alarmer
Ne soit conçu par moi que pour le blasphémer.
Oui, vaine illusion, mon âme te déteste,
Et pour t’en mieux convaincre ici je le proteste,
Je voudrais qu’un moment tu pusses exister
Pour jouir du plaisir de te mieux insulter. [1]
Quel est-il en effet ce fantôme exécrable,
Ce jean-foutre de Dieu, cet être épouvantable
Que rien n’offre aux regards ni ne montre à l’esprit,
Que l’insensé redoute et dont le sage rit,
Que rien ne peint aux sens, que nul ne peut comprendre,
Dont le culte sauvage en tous temps fit répandre
Plus de sang que la guerre ou Thémis en courroux
Ne purent en mille ans en verser parmi nous [2]
 ?
J’ai beau l’analyser, ce gredin déifique,
J’ai beau l’étudier, mon œil philosophique
Ne voit dans ce motif de vos religions
Qu’un assemblage impur de contradictions
Qui cède à l’examen sitôt qu’on l’envisage,
Qu’on insulte à plaisir, qu’on brave, qu’on outrage,
Produit par la frayeur, enfanté par l’espoir [3],
Que jamais notre esprit ne saurait concevoir,
Devenant tour à tour, aux mains de qui l’érige,
Un objet de terreur, de joie ou de vertige
Que l’adroit imposteur qui l’annonce aux humains
Fait régner comme il veut sur nos tristes destins,
Qu’il peint tantôt méchant et tantôt débonnaire,
Tantôt nous massacrant, ou nous servant de père,
En lui prêtant toujours, d’après ses passions,
Ses mœurs, son caractère et ses opinions :
Ou la main qui pardonne ou celle qui nous perce.
Le voilà, ce sot Dieu dont le prêtre nous berce.


Mais de quel droit celui que le mensonge astreint
Prétend-il me soumettre à l’erreur qui l’atteint ?
Ai-je besoin du Dieu que ma sagesse abjure
Pour me rendre raison des lois de la nature ?
En elle tout se meut, et son sein créateur
Agit à tout instant sans l’aide d’un moteur [4].
A ce double embarras gagné-je quelque chose ?
Ce Dieu, de l’univers démontre-t-il la cause ?
S’il crée, il est créé, et me voilà toujours
Incertain, comme avant, d’adopter son recours.
Fuis, fuis loin de mon cœur, infernale imposture ;
Cède, en disparaissant, aux lois de la nature
Elle seule a tout fait, tu n’es que le néant
Dont sa main nous sortit un jour en nous créant.
Évanouis-toi donc, exécrable chimère !
Fuis loin de ces climats, abandonne la terre
Où tu ne verras plus que des cœurs endurcis
Au jargon mensonger de tes piteux amis !
Quant à moi, j’en conviens, l’horreur que je te porte
Est à la fois si juste, et si grande, et si forte,
Qu’avec plaisir, Dieu vil, avec tranquillité,
Que dis-je ? avec transport, même avec volupté,
Je serais ton bourreau, si ta frêle existence
Pouvait offrir un point à ma sombre vengeance,
Et mon bras avec charme irait jusqu’à ton cœur
De mon aversion te prouver la rigueur.
Mais ce serait en vain que l’on voudrait t’atteindre,
Et ton essence échappe à qui veut la contraindre.
Ne pouvant t’écraser, du moins, chez les mortels,
Je voudrais renverser tes dangereux autels
Et démontrer à ceux qu’un Dieu captive encore
Que ce lâche avorton que leur faiblesse adore
N’est pas fait pour poser un terme aux passions.


Ô mouvements sacrés, fières impressions,
Soyez à tout jamais l’objet de nos hommages,
Les seuls qu’on puisse offrir au culte des vrais sages,
Les seuls en tous les temps qui délectent leur cœur,
Les seuls que la nature offre à notre bonheur !
Cédons à leur empire, et que leur violence,
Subjuguant nos esprits sans nulle résistance,
Nous fasse impunément des lois de nos plaisirs
Ce que leur voix prescrit suffit à nos désirs [5]
.
Quel que soit le désordre où leur organe entraîne,
Nous devons leur céder sans remords et sans peine,
Et, sans scruter nos lois ni consulter nos mœurs,
Nous livrer ardemment à toutes les erreurs
Que toujours par leurs mains nous dicta la nature.
Ne respectons jamais que son divin murmure ;
Ce que nos vaines lois frappent en tous pays
Est ce qui pour ses plans eut toujours plus de prix.
Ce qui paraît à l’homme une affreuse injustice
N’est sur nous que l’effet de sa main corruptrice,
Et quand, d’après nos mœurs, nous craignons de faillir,
Nous ne réussissons qu’à la mieux accueillir [6]
.
Ces douces actions que vous nommez des crimes,
Ces excès que les sots croient illégitimes,
Ne sont que les écarts qui plaisent à ses yeux,
Les vices, les penchants qui la délectent mieux ;
Ce qu’elle grave en nous n’est jamais que sublime ;
En conseillant l’horreur, elle offre la victime
Frappons-la sans frémir, et ne craignons jamais
D’avoir, en lui cédant, commis quelques forfaits.
Examinons la foudre en ses mains sanguinaires
Elle éclate au hasard, et les fils, et les pères,
Les temples, les bordels, les dévots, les bandits,
Tout plaît à la nature : il lui faut des délits.
Nous la servons de même en commettant le crime
Plus notre main l’étend et plus elle l’estime [7]
.
Usons des droits puissants qu’elle exerce sur nous
En nous livrant sans cesse aux plus monstrueux goûts [8]
.
Aucun n’est défendu par ses lois homicides,
Et l’inceste, et le viol, le vol, les parricides,
Les plaisirs de Sodome et les jeux de Sapho,
Tout ce qui nuit à l’homme ou le plonge au tombeau,
N’est, soyons-en certains, qu’un moyen de lui plaire.
En renversant les dieux, dérobons leur tonnerre
Et détruisons avec ce foudre étincelant
Tout ce qui nous déplaît dans un monde effrayant.
N’épargnons rien surtout : que ses scélératesses
Servent d’exemple en tout à nos noires prouesses.
Il n’est rien de sacré : tout dans cet univers
Doit plier sous le joug de nos fougueux travers [9].
Plus nous multiplierons, varierons l’infamie,
Mieux nous la sentirons dans notre âme affermie,
Doublant, encourageant nos cyniques essais,
Pas à pas chaque jour nous conduire aux forfaits.
Après les plus beaux ans si sa voix nous rappelle,
En nous moquant des dieux retournons auprès d’elle
Pour nous récompenser son creuset nous attend ;
Ce que prit son pouvoir, son besoin nous le rend.
Là tout se reproduit, là tout se régénère ;
Des grands et des petits la putain est la mère,
Et nous sommes toujours aussi chers à ses yeux,
Monstres et scélérats que bons et vertueux.


Projet de frontispice

En nous livrant sans cesse aux plus monstrueux goûts.

Ce vers sera au bas de l’estampe, laquelle représente un beau jeune homme nu enculant une fille également nue. D’une main il la saisit par les cheveux et la retourne vers lui, de l’autre il lui enfonce un poignard dans le sein. Sous ses pieds sont les trois personnes de la Trinité et sous les hochets de la religion. Au-dessus, la Nature, dans une gloire, le couronne de fleurs.

P.-S.

En écho au frontispice souhaité par Sade, une photographie de Guido Mocafico, Chrysaora quinquecirrha, © 2002, extraite de son site.

Notes

[1Note de la RdR (les notes sont de Sade sauf mention contraire) Ce qui n’est pas sans rappeler au lecteur le fameux mot de Stendhal repris par Nietzsche dans Ecce homo : "La seule excuse de Dieu, c’est qu’il n’existe pas."

[2On évalue à plus de cinquante millions d’individus les pertes occasionnées par les guerres ou massacres de religion. En est-il une seule d’entre elles qui vaille seulement le sang d’un oiseau ? et la philosophie ne doit-elle pas s’armer de toutes pièces pour exterminer un Dieu en faveur duquel on immole tant d’êtres qui valent mieux que lui, n’y ayant assurément rien de plus détestable qu’un Dieu, aucune idée plus bête, plus dangereuse et plus extravagante ?

[3L’idée d’un Dieu ne naquit jamais chez les hommes que quand ils craignirent ou qu’ils espérèrent ; c’est à cela seul qu’il faut attribuer la presque unanimité des hommes sur cette chimère. L’homme, universellement malheureux, eut dans tous les lieux et dans tous les temps des motifs de crainte et d’espoir, et partout il invoqua la cause qui le tourmentait, comme partout il espéra la fin de ses maux. En invoquant l’être qu’il en supposait la cause, trop ignorant ou trop crédule pour sentir que le malheur inévitablement annexé à son existence n’avait d’autre cause que la nature même de cette existence, il créa des chimères auxquelles il renonça dès que l’étude et l’expérience lui en eurent fait sentir l’inutilité.
La crainte fit les dieux et l’espoir les soutint.

[4La plus légère étude de la nature nous convainc de l’éternité du mouvement chez elle, et cet examen attentif de ses lois nous fait voir que rien ne périt dans elle et qu’elle se régénère sans cesse par le seul effet de ce que nous croyons qui l’offense ou qui paraît détruire ses ouvrages. Or si les destructions lui sont nécessaires, la mort devient un mot vide de sens : il n’y a plus que des transmutations et point d’extinction. Or la perpétuité du mouvement dans elle anéantit toute idée d’un moteur.

[5Rendons-nous indistinctement à tout ce que les passions nous inspirent, et nous serons toujours heureux. Méprisons l’opinion des hommes : elle n’est que le, fruit de leurs préjugés. Et quant à notre conscience, ne redoutons jamais sa voix lorsque nous avons pu l’assouplir : l’habitude aisément la réduit au silence et métamorphose bientôt en plaisir les plus fâcheux souvenirs. La conscience n’est pas l’organe de la nature ; ne nous y trompons pas, elle n’est que celui des préjugés : vainquons-les, et la conscience sera bientôt à nos ordres. Interrogeons celle du sauvage, demandons-lui si elle lui reproche quelque chose. Quand il tue son semblable et qu’il le dévore, la nature semble parler en lui ; la conscience est muette ; il conçoit ce que les sots appellent le crime, il l’exécute ; tout se tait, tout est tranquille, et il a servi la nature par l’action qui plaît le mieux à cette nature sanguinaire dont le crime entretient l’énergie et qui ne se nourrit que de crimes.

[6Et comment pourrions-nous être coupables quand nous ne faisons qu’obéir aux impressions de la nature ? Les hommes, et les lois qui sont l’ouvrage des hommes, peuvent nous considérer comme tels, mais la nature jamais. Ce ne serait qu’en lui résistant que nous pourrions être coupables à ses yeux. Tel est le seul crime possible, le seul dont nous devions nous abstenir.

[7Aussitôt qu’il est démontré que le crime lui plaît, l’homme qui la servira le mieux sera nécessairement celui qui donnera le plus d’extension ou de gravité à ses crimes, en observant que l’extension lui plaît mieux encore que la gravité, car le meurtre ou le parricide, quelque différence qu’y établissent les hommes, sont absolument la même chose à ses yeux. Mais celui qui aura commis le plus de désordres dans l’univers lui plaira toujours bien davantage que celui qui se sera arrêté au premier pas. Que cette vérité mette bien à l’aise ceux qui lâchent la bride à leurs passions, et qu’ils se convainquent bien qu’ils ne servent jamais mieux la nature qu’en multipliant leurs forfaits.

[8Ces goûts ne sont vraiment utiles et chers à la nature qu’autant qu’ils propagent, qu’ils étendent ce que les hommes appellent le désordre. Plus ils coupent, sapent, détériorent, détruisent, plus ils lui sont précieux. L’éternel besoin qu’elle a de destruction sert de preuve à cette assertion ; détruisons donc ou empêchons de naître, si nous voulons être utiles à ses plans. Ainsi le masturbateur, le meurtrier, l’infanticide, l’incendiaire, le sodomite, sont des hommes selon ses désirs et ceux que nous devons par conséquent imiter.

[9S’imposer des freins ou des barrières dans la route du crime serait visiblement outrager les lois de la nature qui nous livre indistinctement tous les êtres dont elle nous entoure sans jamais motiver d’exception, parce qu’elle méconnaît nos chaînes et nos liens, que toutes ces prétendues destructions sont nulles à ses yeux, que le frère qui couche avec sa sœur ne fait pas plus de mal que l’amant qui couche avec sa maîtresse et que le père qui immole son fils n’outrage pas davantage la nature que le particulier qui assassine un inconnu sur le grand chemin. Aucune de ces différences n’existe à ses yeux : ce qu’elle veut, c’est le crime ; n’importe la main qui le commet ou le sein sur lequel il est commis.

4 Messages

  • La Vérité ? 25 décembre 2012 12:32, par Anastasia

    Le mal c’est l’idiotie. Je ne vois que ça. Atteint d’idiotie. A ce stade, je vous dis, le mal c’est l’idiot. C’est pas possible. Mais c’est ignoble. L’idiot. Mais on va se taper des textes sur Sade jusqu’à l’idiotie. LE MOUVEMENT n’est pas LA PIERRE ROULEE DU VENT. LE MOUVEMENT. L’absence de valeurs ? L’incapacité de discernement ? La nature ? La nature du crime ? Et la nature de la connerie ! Mais c’est pas possible. Mais quelle humanité voulez vous construire ?

    • 25 décembre 2012 12:57, par RP

      Votre message plein d’imprécations n’est pas bien clair... Vous n’aimez pas l’idiotie. Soit. Ensuite c’est assez embrouillé. A part l’idée finale de construire l’humanité.

      Deux remarques à ce propos : l’état présent de l’humanité ne vous fait-il pas frémir ? D’autre part, ceux qui veulent le bonheur de l’humanité (une abstraction) ont toujours été - religieux, idéologues, sectaires de tous genres - responsables des plus grands crimes contre celle-ci. Et ce n’est hélas pas fini...

      • La vérité ? 25 décembre 2012 20:47, par Anastasia

        Faut-il reprendre le texte mot à mot ?
        Si on appelle ça un texte.
        "Et la conscience sera bientôt à nos ordres " ?
        Et je ne parle pas ici des lois de la nature.
        Les lois de la nature ?
        Et vous me traitez d’idéologue ?
        Frappons-la sans frémir ?
        Sans frémir, vraiment ?
        "L’homme, universellement malheureux, eut dans tous les lieux et dans tous les temps des motifs de crainte et d’espoir, et partout il invoqua la cause qui le tourmentait, comme partout il espéra la fin de ses maux. En invoquant l’être qu’il en supposait la cause, trop ignorant ou trop crédule pour sentir que le malheur inévitablement annexé à son existence n’avait d’autre cause que la nature même de cette existence, il créa des chimères auxquelles il renonça dès que l’étude et l’expérience lui en eurent fait sentir l’inutilité."
        "Universellement malheureux ?? "
        "La crainte fit les dieux et l’espoir les soutint"
        L’espoir que quelques-uns se réveillent. L’espoir que d’autres se lèvent. Déconditionnés. Libérés. L’espoir des Tsiganes à Buchenwald, l’esprit de résistance. Oui, l’espoir les soutint !
        "Et comment pourrions-nous être coupables quand nous ne faisons qu’obéir aux impressions de la nature ?"
        "Les impressions de la nature" ?
        Les êtres de nature et les êtres de la culture ?
        "L’éternel besoin qu’elle a de destruction sert de preuve à cette assertion ; détruisons donc ou empêchons de naître, si nous voulons être utiles à ses plans. Ainsi le masturbateur, le meurtrier, l’infanticide, l’incendiaire, le sodomite, sont des hommes selon ses désirs et ceux que nous devons par conséquent imiter."
        Tu parles d’une assertion.
        Empêcher de naître ?
        Servir la nature ?
        Et non celles du devenir ?
        "L’éternel besoin qu’elle a de destruction sert de preuve à cette assertion"
        C’est la libération du monde ce soir ?
        Quelqu’un se détruit. C’est qu’il en a besoin. PREUVE : Detruisons-le.
        Quelqu’un se détruit. Détruisons-le ?
        Il manque une ligne au clavier ? Un étroit défilé ? C’est la pensée qui a fondu dans la bûche ?
        Quelqu’un se détruit. C’est qu’il traduit une histoire. Aidons-le à produire de la création ? Aidons-le à devenir ? Parlons-lui du mouvement ?
        Mais non, détruisons-le !
        "Ainsi le masturbateur, le meurtrier, l’infanticide, l’incendiaire, le sodomite, sont des hommes selon ses désirs et ceux que nous devons par conséquent imiter."
        Bien sûr laissons la société se bâtir sur les lois de nature, ce que je nomme les conditions sociales, laissons les êtres exploités, s’exploiter, si c’est leur désir. Et même tiens. Exploitons-les, ça deviendra le nôtre. Supprimons les écoles. Supprimons les livres. Supprimons l’écriture. Supprimons la connaissance. Supprimons la transmission de la connaissance. La transmiquoi ?
        Je ne suis pas juge, et je ne juge personne sur son désir.
        Mais je vous dis moi qu’on ne construit pas une société sur de la résignation aux lois de la nature !
        Les lois de la nature ?

        • Lire Sade 26 décembre 2012 07:56, par RP

          S’il y a bien un auteur à propos des écrits duquel il ne faut pas s’emballer, c’est bien Sade. J.-B. Jeangène Vilmer l’explique très bien dans son article :

          « Les lecteurs peuvent, et même doivent, être perplexes. (...) Tous doivent comprendre qu’il est extrêmement complexe, non pas de lire Sade, mais de savoir ce qu’il pense. S’exprimant la plupart du temps par la fiction, derrière le masque des personnages, on trouve une multitude de thèses, souvent contradictoires. (...) la confusion est commune : la plupart des études sur « la pensée » de Sade exposent en vérité « la pensée-des-libertins-criminels-des-romans-de-Sade ». C’est même de là qu’est né le mot sadisme en 1834 : d’une erreur, d’un amalgame entre un auteur philosophe et ses héros qui, eux, sont sadiques. »

          Il en va de même pour la nature, qu’il valorise temporairement pour moucher l’orgueil de l’homme :

          « Il n’y a pas, chez Sade, de déification pure et simple de la nature. C’est une dialectique complexe qui comporte trois couches. Dans un premier temps, comme les autres matérialistes athées de son époque, Sade idolâtre la Nature, qui devient un Dieu de substitution. Mais, alors qu’elle est chez d’Holbach une sorte de « déesse » bienfaisante, la nature sadienne est destructive – d’où la naturalité du mal, sans cesse brandie comme un argument par les libertins-criminels. Dans un second temps, on réalise que son omnipotence la place comme une rivale du libertin, qui par sa liberté défie sans cesse le déterminisme que la nature dominatrice voudrait lui imposer. Le libertin hait la nature, « j’abhorre la nature ; et c’est parce que je la connais, que je la déteste » [55] s’écrie-t-il, comme on peut haïr une mère dont on voudrait s’arracher, ou un dieu qui prendrait trop de place. On comprend que remplacer Dieu par la nature n’est pas une solution. Dans un troisième temps, on atteint l’indifférence : la nature n’est plus méchante, elle n’a aucune intention, aucune finalité.
 Dieu et la nature sont donc renvoyés dos à dos, ils sont niés l’un l’autre au profit de l’Homme, l’homme souverain de Bataille, le surhomme de Nietzsche, le citoyen de Hegel et le libertin de Sade, c’est-à-dire celui qui a survécu à la mort de Dieu. La nature sadienne n’est pas déifiée, ou du moins ne l’est-elle que temporairement, et elle ne vise pas à remplacer le Dieu des croyants, dont elle est très différente, en premier lieu parce qu’elle ne crée pas, mais lance : la nature a produit l’homme par un élancement originel, et « une fois lancé, l’homme ne tient plus à la nature ; une fois que la nature a lancé, elle ne peut plus rien sur l’homme » [56]– qui n’est désormais que le résultat involontaire des lois aveugles de la nature. » (lire l’intégralité de l’article ici)

          Lire Sade aujourd’hui est beaucoup plus facile étant donné que nous disposons de ses Oeuvres complètes éditées par J.-J. Pauvert et Annie Le Brun. Nous disposons également d’études solides. Il ne faut évidemment pas s’en tenir aux clichés ni aux légendes qui le concernent. Ni réagir à chaud comme c’est souvent le cas sur internet. Le but de ce dossier sur Sade est de permettre aux lecteurs de penser avec lui. Et se mettre à sa hauteur n’est pas la moindre des gageures. Bonnes lectures.

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