le dimanche suivant, et jusqu’au suivant.
Et si, comme le disait Hugo Chavez et le répète maintenant Donald Tusk, premier ministre polonais en charge de la présidence du conseil de l’union européenne, [1] la guerre civile en Libye n’était qu’un coup du Pentagone (substitution de la formule "les américains") pour clôturer les prétentions des révolutions arabes à l’autonomie politique et économique, l’autonomie causant la différence et par conséquent le désordre, et pour en finir avec la propriété nationale du pétrole libyen, concluant ainsi le programme de libéralisation des ressources du lobby néocon revenu en force au Congrès, toujours aux commandes du pouvoir militaire des USA, et majeur au Royaume Uni ? Pourtant, le peuple de la Libye et son histoire sont plus complexes et éprouvés d’avoir subi ou résisté aux guerres de la colonisation et aux dictatures, ainsi qu’à leurs répressions impitoyables, qu’un plan de pouvoir stratégique le mieux armé du monde contre l’énergie populaire, désinformation, armement, et nombre paradoxal de partenaires néo-libéraux aux côtés des dernières grandes puissances qui pourraient encore être assimilées à leurs précédentes dictatures socialistes ainsi que les petits États demeurant entre les mains propriétaires de quelque lignée épargnée de constitution, pût escompter résoudre de les maîtriser durablement, dans l’ambiance d’une culture héroïque du martyr. C’est-à-dire, en politique, au-delà de gagner son paradis, une culture de l’insoumission au prix du sacrifice héroïque de la vie pour la cause nationale sur terre — s’agissant d’une culture de la résistance dans un territoire unifié, déjà attribué par les vieilles Nations. — Enfin, on peut douter que Bernard-Henri Lévy intervenant directement pour la cause dans un geste autant incongru que spectaculaire mais suivi, ait été commandé par le CIA pour déclencher la guerre de Cléopâtre. Entre la chèvre diabolique et le nez de Cléopâtre (lui) séduisant Antoine (Sarkozy) et César (Hilary Clinton), on peut lui attribuer le papillon du chaos en outre, car il laisse la chance entre probabilité et improbabilité (c’est la même chose) de la situation en faveur des insurgés. Les français ayant commis l’aventure de reconnaître le comité national provisoire, de lui avoir envoyé le premier diplomate officiel en place, l’arabophone Antoine Sivan, certes volontaire mais à travers lequel s’est confirmée l’alliance avec le Qatar, qui a également reconnu Benghazi, comme Sivan y avait été ambassadeur aussi, on peut dire commerce ou pas, campagne électorale ou pas, que les premières frappes françaises contre l’armée libyenne marquèrent le lien d’un engagement concret, radical donc sans équivoque, pour la défense de la ville insurgée.
Comme la Turquie revendique à la fois le soutien du Colonel Kadhafi et la vengeance contre la présidence française — qui l’a maltraitée à plusieurs reprises, (mais l’inverse n’aurait rien changé à savoir l’influence militaire majeure de la Turquie dans la zone de l’OTAN maîtrisée par le Pentagone à proximité de l’Irak), — paraît avoir retourné la position des britanniques (vexés par le tapage médiatique des actes français prenant la priorité spectaculaire sur le terrain), en toute cohérence de la direction américaine de l’OTAN au-dessus de la Libye. Mais jamais William Hague n’a déclaré vouloir reconnaître le CNT de Benghazi, bien au contraire émettant des doutes sur la capacité représentative et exécutive de ce leadership. Après une rencontre exclusive entre Erdoğan et Cameron à Londres suivant la conférence internationale du 29 mars on se demande ce qu’il serait advenu de la petite existence du gouvernement provisoire de l’insurrection, le seul qui ne soit pas secret, s’exprimant en nom collectif contre la partition, qui puisse s’opposer à la réinstallation du clan Kadhafi sous un faux projet démocratique. Au grand dam de la supériorité militaire de ses adversaires et de la pression de l’OTAN, c’est l’existence diplomatique où la France a servi de passeur qui les a aidés à convaincre, et le Qatar qui maintenant soutient la résistance à la fois financièrement et militairement contre les embargos frappant la Libye, qui ont permis aux représentants du CNT d’être enfin invités à la table de la discussion internationale sur la Libye à Doha, le mardi 12 avril, plutôt que dans un couloir ou dans une chambre d’hôtel attenants comme à Paris et à Londres, les deux fois précédentes. Qu’en restera-t-il réellement le jour J ?
Pour autant, le dénouement logique selon dernières heures pourrait bien être celui-ci : l’aide militaire va tourner court dans la mesure où l’embargo sur les armes des "rebelles" est concrètement exigé et organisé sur le terrain par l’OTAN, qui a principalement centré son rôle politique sur son agression dissuasive en trois bombardements principaux de leurs convois déjà fragiles, des 5 au 8 avril, faisant une trentaine de morts dont collatéraux civils (une femme et deux enfants) qui les accompagnaient lors du premier choc à Brega, et d’autre part les britanniques bombardant les puits de pétrole qui alimentaient le port de Tobruk, puis en toute cohérence faisant geler les avoirs financiers susceptibles d’être débloqués, contrairement à ce qui avait été admis une semaine avant par le Département d’État américain, pour payer les quatre cent tanks attendus livrés par le Qatar, et pour créditer la restauration des services collectifs, la poste par exemple. Autant dire si le désarmement de l’insurrection prend la forme d’une sanction multi-directionnelle assimilable à un blocus concret — qui n’est pas sans rappeler le blocus infligé à Gaza après l’élection du Hamas, — pour leur faire accepter le maintien du cercle des Kadhafi et leur pouvoir durable à travers un nouveau gouvernement de transition unifié. Dans ce cas d’hypothèse la partition, à un certain moment suggérée par Saïf et envisagée par les britanniques et les américains, mais de toutes façons refusée dans son principe par Benghazi en dépit d’un clash entre deux dirigeants, ne serait plus significative de l’état des positions sur le terrain, les rebelles étant militairement dominés, ainsi le progrès des concessions faites secrètement aux négociateurs alliés, par la dynastie et ses clercs au pouvoir (pour la plupart des agents doubles consentis), pourrait avoir convaincu de les laisser en place dans le processus de démocratisation. Du moins est-ce l’idée pacifiste publiquement déclarée de Erdogan, le premier ministre turc qui se présente en intermédiaire qui dialogue avec les deux protagonistes, pensant qu’il est en situation de les arbitrer et les convaincre..
Dans l’hypothèse de la trahison de la rébellion par ses représentants officiels, pour agréer la proposition ne pouvant pas être refusée de maintenir les Kadhafi au pouvoir, telle qu’elle a été édifiée par les différentes parties de l’OTAN et du régime libyen en stratégie de soumission des insurgés, on comprend que la proposition turque de la feuille de route n’est qu’un leurre. Non pas un leurre pour le CNT, puisque secrètement négocié par la force des choses avec le CNT arraisonné par la récession de l’armement et la fermeture des sources de financement, comme en d’autres temps Daladier signa la paix avec Hitler à Munich, mais un leurre organisant réellement la trahison de la population soulevée, un coup d’État de la famille proche de Kadhafi et des alliés élaboré par la Turquie en quelque sorte, qui négocie la suite de son influence en Libye contre celle du Qatar, et sans lequel rien ne pourrait se produire en terme d’union nationale libyenne pour maintenir les monstres au pouvoir et les délier de la pénalisation internationale. Cela n’est possible qu’en absorbant la rébellion désarmée pour la contraindre à collaborer dans le cadre d’un gouvernement de transition compromis (corrompu dès l’accord, d’avoir fait silence sur l’accord au lieu d’en faire l’aveu en informant les conditions). [2]. Le tout sur fond de concession de la libéralisation du pétrole libyen pour rendre les alliés quittes de la donne régionale sécurisée par la Turquie représentant l’OTAN, carte de la privatisation financière du pétrole que le comité transitoire national avait eu la négligence de ne pas jouer dans son projet pour trouver des ressources. C’est le plus mauvais scénario de la paix dont nous évaluerons les réalités après la rencontre de Doha. Et cela fait penser à l’innovation possible d’un régime de la colonisation néo-libérale — mise en œuvre par l’OTAN et ses acteurs électifs selon les régions, telle la Turquie en Libye, plutôt que par les nations elles-mêmes — et de la corruption tels qu’on put en connaître par exemple au Viet Nam.
Et bien non, au 23 avril, les choses ne se sont pas passées de cette façon, au contraire. Sauf le pétrole, toujours indécidable. L’OTAN est rentrée dans l’ordre de la première coalition et le Pentagone a cessé d’en appeler à Al Qaeda. Les feuilles de route diplomatiques de l’Union Africaine et de la Turquie se sont avérées sans objet puisqu’elles auraient supposé le maintien des Kadhafi au pouvoir, alors que l’arrogance de Saïf-al-Islam les efface. Deux grands du photo-journalisme qui ont connu les honneurs du Pulitzer sont morts sous les tirs de mortier Kadhafistes à Misrata : le britannique Tim Hetherington, auteur du film Restrepo (plusieurs fois primé), et l’américain Chris Hondros. Tout s’inverse. Les trois premiers coalisés ont récidivé en signant un pacte commun d’engagement réciproque avec le gouvernement révolutionnaire provisoire jusqu’au départ des Kadhafi, les dignitaires du gouvernement de Benghazi sont allés à Washington discuter avec les dignitaires et experts du Département d’État, la participation américaine revient en force avec des drones de combat, pour crédibiliser les treillis bottes et téléphones, même pas des casques ni des gilets pare-balles, de quoi rire (sauf les drones) puisque le refus de livrer des armes aux insurgés persiste, en souvenir des talibans armés par les américains contre les russes, et finalement retournés contre leurs armateurs (le premier discours des représentants américains de l’OTAN), et le moins qu’on puisse dire est que la situation de faiblesse de l’armement des insurgés est une raison durable pour les coalisés de s’infiltrer "en protection", d’en haut pour bombarder avec la puissance de précision et d’impact des alliages radioactifs, et d’en bas pour "organiser" militairement la résistance. On ne pourvoit pas les rebelles avec des armes trop dangereuses, disons égales à celles de leur adversaire, on parlait de quatre cent blindés par les soins du Qatar, ils n’ont pas apparu. Du moins si les experts coalisés ont maintenant les pieds dans l’état-major, n’est-ce pas contre le gré de ceux qu’ils "secourent" en ne comptant plus leurs blessés et leurs morts.
Arrivée des blindés et répression mortelle à balles réelles contre les derniers manifestants restés sur la place Tarhir dans la nuit du 9 avril, après le rassemblement de masse du vendredi pour réclamer le procès des leaders du régime en Égypte. Les généraux et les soldats qui s’étaient joints à la manifestation en dépit de l’ordre donné de ne pas y participer ont été sévèrement visés. "Ce n’est plus l’armée d’Égypte c’est l’armée de Tantawi", publie Zeinobia, une jeune intellectuelle du mouvement du 25 janvier, sur Twitter.
Barhein, Syrie, Yemen, Gaza, Égypte, partout sauf en Tunisie où l’armée si influencée par les États-Unis fut-elle prit ses responsabilités indépendantes en amont contre Ben Ali, responsable de la répression de deux généraux au long de sa longue carrière, la violence radicale s’abat contre les manifestants de la révolution démocratique arabe qui se sacrifient sans relâche. Mubarak n’est pas mort le Pentagone et le programme Extraordinary Rendition non plus, les néocons liberticides sont de retour par la violence contre tout changement du monde, la guerre de Kadhafi victorieuse contre le peuple désarmé par l’OTAN fait mal à ses voisins, et Obama privé de ses ressources est devenu un vieillard.
Rappel de la chronologie de l’insurrection libyenne dans fr.wikipédia et dans en.wikipedia (on percevra les différences de point de vue entre les deux articles). Le Conseil Transitoire National de la république libyenne (document officiel). Les figures clé du Comité National Transitoire (BBC News, Africa, du 28 mars 2011). Le blog Live sur la Libye et le Moyen Orient sans langue de bois dans le journal The Guardian du 9 avril, celui de Al Jazeera lle même jour et celui du 10 avril.
Bientôt deux mois... Le 24 mars, le libyen Khalifa Belqasim Haftar, éminent membre de la CIA émigré aux USA et vivant en Virginie depuis 2001 réappatrié à Benghazi au début du soulèvement, s’est vu confier par le responsable des affaires militaires du Comité National Provisoire, Omar al-Hariri, le commandement de l’armée des insurgés, afin de rassurer les alliés occidentaux les plus concernés par la guerre. L’enjeu était de coordonner en convaincant les milices respectives des différentes ville d’en référer à Benghazi, et de filtrer les combattants éventuels d’Al Qaeda ou Djihadistes. Ce fut le commencement de la débâcle des insurgés qu’on attribua à tort à l’inorganisation du mouvement volontaire des combattants, libertaire et divers, face à une armée hyper-entraînée par les britanniques et les américains, avec son matériel de guerre majeur, son commandement intraitable exécutant les objecteurs et les déserteurs, sans compter le renouvellement perpétuel des effectifs tombés au cours des batailles, par des milices mercenaires africaines et biélorusses intégrées à l’armée régulière. Le 20 mars les frappes de la coalition à trois commencèrent et jusqu’au 29 mars avec le meilleur succès escompté quant aux cibles militaires, et sans morts collatéraux parmi la population civile et les insurgés ; le gouvernement libyen lui-même devant les journalistes invités ne parvint pas à faire la preuve des victimes civiles dues à ces frappes, des blessés et des morts disparus des hôpitaux dans les semaines précédentes ayant été reconnus parmi les cadavres exposés et peut-être des morts militaires et administratifs de Kadhafi résultant du crash de l’avion suicide contre le complexe militaro-résidentiel de Bab al-Aziziya à Tripoli, héroïquement retourné par son pilote lors du départ d’un raid de l’aviation contre une ville insurgée. La reprise en main du commandement général par les forces de l’OTAN à partir du 29 mars et ses bombardements contre la résistance (trois fois dans la même zone de Brega — et par conséquent par la même participation nationale occidentale attribuée à cette zone dans le cadre de l’OTAN — entre les 1er et 8 avril), font l’événement du changement politique signifiant leur entrée en action, dont on ne voit d’autres effets majeurs, sinon l’impact sur les économies nationales croyant aider les insurgés, quand au contraire on découvre que l’OTAN était à l’œuvre de les rendre négligeables, au prix lourd des budgets nationaux respectifs des pays engagés par la reconnaissance de l’insurrection (trois seulement à ce jour, dont un seul des trois coalisés). Vient la rage de l’amertume... Des Kadhafi multi-blindés aux retournements diplomatiques pluri-coalisés ce sont des villes et des villages en armes rendus martyrs par les missiles et les mortiers, pétrole perdu des palmiers tristes, fracas des orgues de Staline.
On découvre alors que Christopher Stevens le négociateur envoyé par le département d’État américain pour négocier, dans les conditions d’une réunion sans observateur, avec le gouvernement provisoire de Benghazi, prié de garder secrète l’information résultant de la rencontre, et par conséquent dans une exigence qu’il trahisse son pacte de transparence avec la population insoumise qu’il est sensé représenter, est le n°2 de la diplomatie de Bush à Tripoli qui prépara la visite de Condoleezza Rice en 2008, après avoir agi pour la réintégration internationale de la Libye avec Moussa Koussa, éminence grise des services secrets britanniques dans le gouvernement de Kadhafi et dernièrement repenti à Londres, dans le cadre des alliances internationales pour la sécurité après le 11 septembre 2001.
Sur une population native de 6.500.000 habitants (8.000.000 avec la population étrangère des travailleurs et des petits commerçants immigrés), parmi laquelle environ 1.682.000 habitants à Tripoli, 1.180.000 à Benghazi, et 400.000 à Mis(u)rata, la Grande Jamahiriya Arabe Libyenne Populaire Socialiste a clairsemé sur l’autel de son pouvoir une génération entière de jeunes libyens assassinés ou morts des suites de leurs blessures ou sous la torture, la plupart étant des classes moyennes, techniciens, étudiants, intellectuels, artistes, artisans, paysans, âgés de 16 à 35 ans. Absents ou détenus soit 12 000 disparus [3], une trentaine de blogueurs activistes enlevés dans la rue ou à leurs domiciles (comptant plusieurs ingénieurs), auxquels il faut ajouter le nombre connu des morts et des blessés résultant des combats entre les forces de Kadhafi et les insurgés (1000 morts cités par le Foreign Office dès le matin du 19 mars). Sans compter les "victimes civiles" (on peut considérer que ne s’agissant pas de militaires mais d’une population de résidents en arme veillant sur leurs cités ou se déplaçant solidairement d’une ville à l’autre, les insurgés font partie des civils), clamées par le pape sous la pression du premier ministre Berlusconi — grand ami de Kadhafi devant l’Éternel, si l’on en croit la Presse italienne — dues aux frappes aériennes de la coalition *. On ne compte pas davantage le nombre des habitants de Misrata ou d’autres villes tués par l’occupant mercenaire les délogeant de leurs domiciles pour s’installer à leur place, ni les civils en pleine rue atteints par des tireurs embusqués sur les toits dans toutes les agglomérations insurgées [4]... Ni le nombre de l’exode.
Parmi les héros de la bataille médiatique de la révolution libyenne Mohammed Nabbous est exemplaire de l’autonomie interconnectée autant que de l’activisme vivant non violent qui anima les jeunes manifestants inspirés par les révolutions pacifiques tunisienne et égyptienne, avant la violente répression qui clairsema leurs rangs dès la première semaine, exemplaire de la solidarité, de la passion radicalisée par l’esprit dissident arraché à une dictature aux influences étrangères multiples, au pouvoir bureaucratique décentralisé pour laisser le tyran régner sans menace de son cercle proche, plus complexes que dans les pays voisins. Mais d’abord, pour ceux qui avaient suivi son évolution depuis le mois de février et son attitude vue par les autres cameramen, son élégance et sa culture le caractérisaient particulièrement. Ingénieur en télécommunications et blogueur activiste influent dans les réseaux sociaux il créa puis restaura grâce à une connexion par satellite, quand le pouvoir de Tripoli coupa les communications, la première chaîne de radio et TV libre en streaming, à Benghazi : Libya Alhurra TV Live Streaming. Journaliste citoyen il se constitua lui-même en témoin majeur du soulèvement et de la répression, informant par le web et par skype les journalistes occidentaux qui n’étaient pas encore sur place (les pouvoirs officiels libyens n’autorisèrent l’entrée des journalistes étrangers qu’au début du mois de mars, sur invitation, et les rassemblant à l’hôtel Rixos pour les contrôler depuis Tripoli), puis il devint l’ami de ceux qui réussissant à entrer librement par la frontière égyptienne passèrent le saluer. Tué, délibérément visé alors qu’il filmait l’irruption des tanks aux abords de Benghazi le 19 Mars 2011, le jour où les premières frappes françaises devaient s’abattre sur les troupes qui encerclaient la ville. Il avait vingt huit ans. Sa jeune veuve est enceinte. Elle a déclaré qu’elle assumerait l’héritage activiste fondé par son compagnon, qu’elle poursuivrait la mise à jour du canal en live streaming pour défendre les libertés en Libye avec leurs amis. En plus de l’hommage rendu à Mohammed Nabbous par les médias alternatifs et les réseaux sociaux régionaux et internationaux, les grands supports de la Presse anglophone et francophone lui consacrèrent des articles d’adieu. [5]
" Mohammed Nabbous was one of the courageous voices from Benghazi broadcasting to the world from the beginning. Smart, selfless, brave." Ben Wedeman, CNN reporter, tweeted on March 19 (wikipedia).
L’auto-reportage à trois topologies connectées en miroir, filmé par Nabbous pendant son interview en direct par CNN, la veille de sa mort : http://www.wat.tv/swf2/245943nIc0K115719209
Parmi toutes les victimes médiatisées il y a encore Eman al-Obeidi, étudiante en post-diplôme de droit, enlevée avec deux juristes à un check point sur la route d’une ville insurgée, par des militaires des forces armées et des brigades de Kadhafi. Battue, torturée et violée, elle a surgi à l’heure du déjeuner dans la cafeteria de l’hôtel Rixos, montrant aux journalistes les traces des coups qu’elle avait reçus sur le corps, au risque de sa vie, puis maîtrisée par le personnel espion de l’hôtel, elle a été emportée puis de nouveau arrêtée et détenue, finalement libérée sous la pression internationale des journalistes. Elle vit un calvaire de souffrances, d’humiliations, de diffamation, mais l’informe avec un incroyable courage, sauvant ainsi son honneur, et citant pour mémoire toutes celles qui ne peuvent pas l’exprimer, mortes ou toujours incarcérées. Il est possible que la femme présentée comme Eman à Nic Robertson, journaliste de CNN resté sur place à Tripoli, par Saadi el-Kadhafi, pétendant à la succession de son père dans le cadre de la transition démocratique, pour répondre à une interview à vocation de la chaîne américaine, ne soit pas la véritable Eman apparue à l’hôtel Rixos deux semaines auparavant. [6]
Que s’est-il passé ? [7] Le 17 février, "jour de la colère", relais des premières démonstrations des 15 et 16 février à l’appel du mouvement de la jeunesse libyenne pour l’anniversaire des victimes de la répression de 2006, à propos des caricatures de Mahomet, des manifestations non violentes contre le régime dans plusieurs grandes villes furent attaquées à balles réelles et au mortier, faisant de nombreux morts et blessés, évacués des hôpitaux par l’armée pour des destinations inconnues, et un grand nombre de manifestants fut arrêté — disparus depuis. À partir de ce moment chaque jour connut des enlèvements et des arrestations sine die. Mais c’est à Benghazi [8], ancienne ville insoumise aux traditions ottomanes et capitale de la Cyrénaïque, région la plus proche de la frontière égyptienne — et aussi par le dialecte, — parmi les trois partitions traditionnelles qui structurent la Libye, que la brutalité du pouvoir se dévoila avec une violence destructrice systématique (avant de poursuivre se en ratonnades meurtrières à Tripoli, le lendemain, jour de la prière, tandis qu’à Benghazi on prenait les armes). [9] À Benghazi, la population rassemblée sur la place Maydan-al-Shajara fut réprimée avec des armes lourdes et pourchassée dans les rues par des milices policières ne parlant pas la langue libyenne, attribuées à des mercenaires. Cent morts d’emblée parmi les manifestants, troués, mutilés, puis encore cent des suites de leurs blessures le lendemain et les après-lendemain, parmi plus de mille blessés survivant. Les militaires d’une caserne refusant de tourner leurs armes contre les manifestants furent cruellement fusillés (liés entre eux avant d’être exécutés).
Personne n’a pu empêcher cette armée indépendante de tuer sans réserve, alors que l’armée égyptienne dépendant des américains avait pu être retenue grâce au département d’État et au président de se livrer à une répression de masse place Tarhir — bien que sous les ordres de Tantawi, toujours au pouvoir aujourd’hui, elle procédât à des enlèvements en marge des rassemblements et torturât en coulisses, notamment au musée du Caire, avec la bénédiction d’un envoyé du CIA auprès de l’ambassadeur. Les contradictions américaines présentes balançaient alors pour les révolutionnaires de la démocratie.
À Benghazi, les manifestants durent s’armer pour poursuivre, au gré des arsenaux des casernes libérées. Si l’arsenal de Benghazi finit par exploser au défaut des insurgés (leur aurait-on attribué une maladresse accidentelle elle les laissa démunis), pourtant on ne peut s’empêcher de relier les faits à une déclaration publique par la voix de Saïf-Al-Islam anticipant l’accident (fils désigné pour la succession de Kadhafi et déjà actif à ce poste, lorsqu’il déclara que si les "rebelles" ne se rendaient pas ce serait la guerre civile), selon laquelle ils allaient détruire les arsenaux pour empêcher les manifestants d’y recourir, ni de relier les mêmes faits à la dernière interview en grandes pompes de Kadhafi, où il annonçait la reprise de Benghazi par différents moyens, dont des "messagers" cachés parmi la population et des actes de terrorisme (le mot a été dit).
Ce qui évoquait les pires massacres de l’histoire des cités.
Ce n’est pas une armée du peuple, comme au Viet Nam, c’est un peuple en armes qui résiste à la répression, des activistes qui ont pris les armes spontanément pour pouvoir continuer à manifester, dans l’espoir de parvenir à réaliser le renversement politique qui leur permette de construire la société comme ils la désirent. Quant à l’OTAN faux reflet de l’Europe, on ne voit pas vraiment par quel miracle des États et un commandement notoirement et respectivement réactionnaires, telle la majorité des gouvernements européens, pourraient respecter des insurgés en général, a fortiori les insurgés libyens armés en particulier, forts des saisies dans les arsenaux du pouvoir pour les retourner contre celui-ci. Sinon le clin d’œil narcissique des pays aux sources des droits humains, aux derniers révolutionnaires de la démocratie universelle. On a commencé par glorifier les insurgés libyens, mythologie méta-révolutionnaire et lutte armée obligent. Au premier repli on les a chaperonnés à coup de bombes maternisées, foudres sur l’armée verte aux effectifs sans cesse renouvelés, soldats arrivant comme des marchandises envoyées par les pays voisins ou d’autres plus lointains, que le nombre diminué des insurgés leur faisant face, faute de combattants indemnes, n’était donc pas en mesure de vaincre par lui-même. Maintenant on ne cesse de les humilier, leur masse désordonnée — qui s’éclaircit au fil des jours tant elle compte ses morts, — qui répugne à se plier aux ordres des militaires retournés (peu enthousiastes, d’après les témoignages évasifs de certains journalistes), alors que ces activistes martyrisés par les circonstances incontournables, (mais qu’ils assument en héros, et s’ils se protègent on leur reproche de fuir), désemparés par l’absence de moyens de communication pendant leurs déplacements et leurs combats, (les connexions par téléphone portable utilisées lors des premières victoires étant désormais coupées, depuis trois semaines), ne savent plus ce qu’ils trouveront devant eux, ni derrière s’ils se replient, certains errant dans le désert sans trouver leurs groupes ou ce qu’il en reste, et ne dormant que quelques heures sur des tissus à même le sable. Évidemment il faut avoir la foi nationale ou le cœur du martyr, alors on imagine le Hamas en eux, oubliant les milliers de chrétiens qui allèrent se sacrifier dans les arènes des tyrans. Maintenant on parle de mines antichars et de mines anti-personnelles déposées par l’armée gouvernementale sur des fragments de route et dans le désert. Du moins était-ce le paysage d’une mobilité confuse, découragée et désespérante, reportée par divers journalistes dont l’envoyée de France 24 à Benghazi, Pauline Simonet, de retour du Front, le 30 mars.
Enfin, la "machinerie" (ce sont les porte-paroles du Département d’État américain qui le disent) de l’OTAN débarque en tête de l’affaire, une machine qui a pris le pouvoir politique total de ses combats militaires depuis la guerre de la terreur, dans le plus grand malentendu sur la l’impossibilité politique de maintenir l’engeance des tyrans ou des corrompus, les opposants devraient-ils en mourir jusqu’au dernier plutôt que de négocier avec ceux qu’ils contestent. Négocier, on se demande avec qui, sinon avec les puissances impérialistes, qui cette fois revendiquent en toute indécence le pouvoir alternatif contre ce qu’ils considèrent comme la défaillance technocratique du gouvernement provisoire, avancée pour les diffamer, mais que tout le monde s’arrache. Défaite des insurgés annoncée par les arbitres d’acier de la vue d’en haut, dans tous les sens du terme, puisque la plupart des exécutifs de l’action militaire alliée n’ont jamais posé les pieds sur le sol libyen. L’amiral américain James Stavridis qui dirige les forces des États-Unis dans l’OTAN et l’OTAN Europe, et le lieutenant général canadien Charles Bouchard qui dirige les opérations en Libye depuis l’Italie (d’où le Calvaliere réconforte son haut ami fournisseur de services en tous genres, en suppliant le pape de hurler aux morts civils pour protéger la défense durement frappée par la coalition (cela n’a pas duré). Deux fiers à bras de la guerre de Bush toujours active en Afghanistan [10], qu’ils ne cessent de réactualiser comme si c’était leur raison d’être, dans toutes les instances politiques et médiatiques : Al Qaeda et le Djihad inflitrés parmi les "rebelles" ("quoiqu’en quantité non significative"). L’un de ces militants maudits, formé aux armes en Afghanistan par les américains contre les Russes, et ayant dirigé des combats insurrectionnels victorieux à Brega, nie faire partie de ces mouvements aujourd’hui. Ainsi ont-ils repris textuellement l’argumentation des derniers discours de Kadhafi, et bientôt pourquoi pas celle des drogués concernant ceux qui ne porteraient pas de barbe. Certains rebelles barbus aux bérets enfoncés sur le crâne n’évoquent pas d’autres images que celles fameuses et multi-reproduites du Che photographié par Korda, qui firent les heures chaudes de la Sorbonne en 1968 ; on peut d’ailleurs reconnaitre les signes de la 4e internationale, dont il est une des icônes, dans certains sigles des mouvements de la jeunesse qui signent y compris les exploits les plus pacifiques et démocratiques de la révolution arabe.
Nous sommes au XXIe siècle, l’histoire nous revient ainsi dans le désordre, avec tous ses clichés et les signes arborés ou désinformés, dans le plus grand anachronisme du sentiment de déjà vu. Ainsi s’inventent les livres qui ne sont pas encore écrits. Quant au Djihad libanais, autre contradiction des apparences, son chef avait ouvertement pris parti pour le "socialisme" du Guide au drapeau vert, l’action de la coalition étant à peine annoncée. Ainsi peut-on dire qu’on a vu s’ouvrir puis se refermer la révolution démocratique en Libye, à l’horizon de la propagande des coalisés — il dit "les croisés", expression reprise par le gouvernement russe, — et des armes programmées par la désinformation des faits. Lui, un chef de guerre qui ricane d’y avoir trouvé par le passé sa propre impunité, et d’y avoir négocié non seulement l’installation de ses affaires mais celles de son clan. L’environnement du Guide ce sont les échanges des marchés gagés par les services secrets des plus grandes puissances qui l’ont armé et encadré, peut-être même "organisé". L’ennemi imaginaire qu’il était censé écarter est bien protégé, (alors que lui-même n’a pas cessé de l’instrumenter, encore aujourd’hui, et qu’il pourrait donc en être une manifestation incarnée). Le réseau de pouvoir des Kadhafi d’autant plus qu’ils sont financièrement puissants est large et divers, et il paraît à son comble en ses fils, quatre d’entre eux attribués d’une fonction clé dans la structure à régner.
Et ce détail : ayant appris dans un livre d’investigation incontesté sur la scientologie [11] que la première épouse du président, intelligente, exécutive, et mystique, tiendrait dans cette église une place hiérarchique élevée, on se prend à penser qu’il pût exister, entre les ouvrages d’occultisme contemporains en anglais trouvés dans le palais d’été de Benghazi et l’épisode spectaculaire de la libération des infirmières bulgares, un rapport à la mesure de l’admiration que Kadhafi vouait à celle qu’il appelait sa fille, quand s’étant présentée comme intermédiaire privilégiée pour répondre aux conditions exigées, elle réussit à les embarquer avec elles. Rien de grivois dans cette rencontre à l’issue plutôt sportive, suivant un revirement de dernière minute. On peut soudain se demander si le soutien qu’il paraît trouver aux États-Unis jusqu’au Pentagone même, dont la politique de dénonciation d’un islamisme radical dans les rangs des rebelles et du gouvernement provisoire par les cadres militaires représentatifs, auprès du congrès et des commissions sénatoriales, reprend sa propre désinformation de l’insurrection. Depuis le milieu républicain des néocons réactivés par la majorité républicaine au Congrès, et dans certains milieux bancaires et financiers, comme s’agissant d’une campagne montée de toutes pièces en réseau depuis que l’OTAN a pris les commandes totales en Libye. Ce qui précéda d’un jour la déclaration de la candidature présidentielle de Barack Obama à sa propre succession. [12]
Cependant le FBI grand exécuteur du Patriot Act a entrepris une investigation de tous les libyens émigrés sur le sol américain. [13] Du complot dénoncé possible par certaines nations de l’OTAN contre la résistance (selon un membre sous anonymat du gouvernement de Benghazi, à un journaliste), jusqu’au bombardement des insurgés qui sortaient victorieux de Brega pour rallier solidairement Ajdabiya, ce qui permit à l’armée de Kadhafi de reprendre ses positions dans ce lieu clé de l’exploitation du pétrole, alors que des pays de l’OTAN et les britanniques commençaient à informer avec Tripoli une partition possible de la Libye — mais ce fut refusé par le CNT, — on suit un fil logique d’événements pour le moins contradictoires avec le premier engagement de la coalition dans le sens des résolutions de l’ONU, jusqu’aux signes d’un complot infra-américain de déstabilisation de la politique du département d’État et notamment d’Hilary Clinton (soudain mutique sur la Libye) par rapport aux révolutions arabes, au moment où la force fasciste revient aux actes de la sécurité et de la torture contre les activistes pro-démocrates en Égypte, jusqu’à une campagne islamophobe contre la nouvelle candidature d’Obama aux USA, dont Kadhafi avait bien articulé le nom complet à la télévision libyenne pour signifier un arabisme musulman : Barack Hussein Obama.
Le comble de la couverture militaire internationale en Libye était de transférer au commandement de l’OTAN la responsabilité d’exécuter les résolutions 1970 et 1973 votées à l’ONU. Car l’OTAN, dès que ses membres politiques sont en accord pour lui donner les rennes comporte une direction soumise au Pentagone particulièrement rigide et doctrinale et inchangée depuis le 11 septembre 2001, et relativement exclusive. En sorte qu’on pût considérer à travers tout ce qui a du être observé des contradictions au sein du pouvoir américain, depuis le commencement de la révolution arabe, que le Pentagone un moment éclipsé par le département d’État à propos de l’armée égyptienne, priée de se retenir, ait depuis rebâti sa puissance, ce qui paraît déchiffrable dans les diverses déclarations parfois contradictoires plutôt que paradoxales à propos de la Libye, parce qu’au contraire de l’Égypte on lui a demandé ici d’intervenir. En refusant de soutenir militairement la zone d’interdiction de vol sans la sécuriser par la destruction des équipements au sol, le Pentagone a monté de toutes pièces la stratégie des frappes qui ont modifié le profil du soutien en participation à la guerre, dans une situation où pendant ces décisions le temps et les pertes subies par le corps défendant avaient transformé en antagonisme rival son autodéfense du soulèvement. Alors qu’une reddition du régime agressif avait pu paraître à un moment possible. S’il est logique de considérer que la nomination de Leon Panetta à la tête de la CIA ait pu favoriser l’alternance de quelques projets de paix entre les guerres, en tous cas visant à prescrire à terme les scénarios de la guerre éternelle de George H. W. Bush, le père de George W. chargé d’en exécuter quelques uns délégués par son père, on pourrait penser aujourd’hui, à avoir observé l’attitude américaine face aux soulèvements en Tunisie et en Égypte, qu’Obama visant un prochain mandat présidentiel essentiellement consacré à la résolution des problèmes nationaux (budgets et réformes), posés par une économie intérieure en déroute, ait testé l’évolution d’une épargne pacifique en matière de politique étrangère (la clôture de la guerre d’Afghanistan est annoncée pour 2014), tournée vers le développement démocratique des pays soulevés contre les conséquences dommageables aux peuples du programme délocalisé de la sécurité américaine, Extraordinary Rendition, à travers la mise en œuvre des démocraties arabes aux mains non violentes des populations exaspérées par les décennies de dictatures et de leurs héritiers.
En attendant 2014, il reste la contradiction active que la direction du Pentagone soit restée entre les mains des faucons de Bush en toute cohérence de poursuivre la guerre en Afghanistan et au Pakistan, et par conséquent le Patriot Act et ses annexes. Si les révolutions tunisienne et égyptienne étaient non-violentes, l’innovation de la résistance populaire armée en Libye, serait-elle spontanée, désorganisée et non planifiée, pourrait faire école dans les nations qui refusent tout changement, soutenues par l’Arabie saoudite et Israël (qui commence à compter ce qu’il pourrait lui rester de chance de ne pas devoir évoluer en matière palestinienne, la fabrication méthodique du terrorisme n’y suffisant plus à force de l’avoir rendue dissuasive, sauf à effacer le rapport Goldstone par prudence — mais il restera encore le Tribunal Russel en Palestine, — vu ce qui paraît attendre les dictateurs arabes ayant infligé des violences équivalentes à celles subies par les palestiniens à leurs propres peuples, qui maintenant réclament justice de la terreur subie.
La médiatisation du général danois Anders Fogh Rasmussen avait pu laisser croire que les américains ne seraient pas concernés par la direction de l’OTAN opérationnelle en Libye. Le commandement politique alloué à un groupe de contact qui devait comporter les trois parts engagées par les premières frappes aériennes, finalement ne rassembla pas moins d’une quarantaine de pays comprenant ceux opposés aux engagements, à Londres le 29 mars. La Turquie vexée comme un partenaire séduisant auquel on se serait soustrait, seconde armée en importance de l’OTAN régionale, s’est vengée d’être tenue à l’écart de la candidature européenne et d’avoir refusé une invitation officielle qui aurait prolongé de quelques heures la visite à propos de la présidence du G20 ; au début aidée par l’Allemagne [14], elle n’a pas tardé à trouver un partenaire de taille à rivaliser par rapport aux USA dans le Royaume-Uni, particulièrement septique et intriqué de longue date avec le régime Kadhafi, services du renseignement, politique, finances et économie malgré les grandes déclarations de principe de Cameron pour convaincre qu’il fallait faire fuir le clan des dictateurs. Réduire les prétentions soudaines des français dans leur virage en épingle vers les insurgés en mouvement, et la recherche d’influence parmi les territoires méditerranéens, en intéressait certainement quelques uns. De sorte que maintenant chacun joue sa partition. On en arrive à se demander s’il reste des avions français dans les forces qui interviennent sous le commandement général.
Surprise, peut être visant à inverser la configuration électorale due aux anciennes erreurs de Sarkozy, en matière de politique étrangère en Tunisie et d’évaluation de la révolution égyptienne, mais ce n’était pas la mauvaise carte pour Benghazi que sauver la possibilité de l’innovation libyenne en admettant de reconnaître une émergence souveraine, et par conséquent n’aurait-elle pas encore accompli le cycle du clonage des modèles du passé de l’occident (ce qui conviendrait davantage à l’Establishment). Il y a aussi des enjeux d’intérêt internationaux donc une recherche d’hégémonie par l’ancien partenaire quasiment exclusif de la Libye que fut le Royaume Uni avant l’ombre italienne auprès du Guide, alors que ces deux pays s’étaient disputé le pays avant l’entrée en scène de Rommel. Et maintenant au lieu de reconnaître le gouvernement de Benghazi le Royaume Uni tente d’y trouver des factions, ou de les structurer, pour le diviser ou lieu de l’unir pour le renforcer, après avoir mené une négociation familiale et l’avoir transmise au partenaire américain pour réinstaller les Kadhafi en Libye.
Mais en vain (nous verrons). Parce que l’empire britannique qui a infiltré d’agents doubles le gouvernement libyen en échange du silence sur Lockerbie, [15] est fort en arguments pour réinstaller Kadhafi, face à l’Europe méditerranéenne en mal des contributions libyennes qui l’aidaient à rester dans la zone euro. Quand d’autre part la mesure allemande a trouvé un écho exécutif dans la vengeance de la Turquie humiliée par le président non seulement mal conseillé par des islamophobes mais encore suffisamment grossier pour ne pas avoir honoré une invitation officielle en tant que président français, lors de sa dernière visite à Istanbul au titre de l’actualité de sa présidence du G20. [16]
Mais bien plus important, peut-être, pour la révolution libyenne et par quoi son sort n’est pas jeté et lui appartient, à la périphérie des pays occidentaux qui l’environnent, est la situation américaine... Le Pentagone, est la voix de la guerre néo-libérale à la place de la politique sociale, aussi bien au nom de la sécurité des USA que contre les résistances nationales à son impérialisme — impérialisme supra-national du marché est devenu un intérêt considéré comme globalement partagé, il est censé être l’idéologie universelle de référence succédant aux droits de l’homme — et au-delà même les guerres contre l’Islam en Asie et au Moyen Orient confèrent au traumatisme mémorable laissé par la guerre du Viet Nam. Armer les insurgés pour les américains suppose un pas historique consistant à dépasser le symbole de la peur du 11 septembre 2001, en finir avec la guerre impérialiste fossile et la diabolisation sécuritaire de l’islam, reprendre confiance dans la démocratie symbolique elle-même et s’en donner le nouveau miroir narcissique pour un nouveau New Deal. Ce n’est pas par hasard si le 5 avril Bill Clinton relève le défi politique contre la direction de l’OTAN en insistant sur le principe de ne pas écarter d’armer une révolution pour l’empêcher de se faire écraser, si elle se défend elle-même pour exister en fournissant les preuves de son pragmatisme et de son entêtement ; loin des talibans instrumentés contre l’URSS il ne s’agit plus d’en finir avec la guerre froide, éventuellement il resterait la question de l’épice, à entendre comme les drogues, plutôt l’empêcher, même pas les marchés, ni même conquérir le pétrole (cela reste le problème éventuel des européens dans la zone mais pas celui des USA) ni se défendre, mais d’échanger l’avenir de son propre renouvellement en contribuant d’aider un pays à s’inventer lui-même. C’est un retour symbolique à la fondation démocratique américaine elle-même, non pas de la reproduire mais de la faire renaître sur son propre sol.
Un miroir narcissique ne vaut de s’y mirer que s’il est celui tendu par les autres. Ce n’est pas l’Europe en pleine régression et réaction qui fera le pas assez vite, tandis que le temps des dégradations de l’économie et de la société internes presse le renouvellement idéologique des USA. Seules les révolutions démocratiques annoncées dans leur spontanéité et leur différence avec les plus vieilles démocraties et républiques modernes du monde, les révolutions arabes si elles se poursuivent, peuvent contribuer à réinventer le monde... Cependant, on compte les points entre les deux camps et leurs tendances à Washington DC.
Après la généreuse bavure du faux diplomate et vrai agent secret exécutif du programme des drones au Pakistan, Raymond Davis, à Lahore, et les fuites des archives de la sécurité en Égypte, Obama a concédé la reconduction de Guantanamo, ce qui accompagne nécessairement une régression de la politique étrangère. Il y a encore la proximité des intrigues israéliennes alliées avec l’Arabie saoudite restées dans le pacte de l’ancienne tendance néocons dans la région. Ce ne sont pas deux pays qui cesseront parmi les premiers de résister au changement, on le sait. Il faudra bien qu’ils glissent sur la pente douce qui mène à la plage, entre deux bombardements. Il faut relire l’article de Ilan Pappé à propos des démocraties arabes et de la Palestine.
" I am not afraid do die, I am afraid to lose the battle ! " Mohammed Nabbous, Benghazi, février 2011.
Il savait bien, Mohammed Nabbous, comme il était nécessaire de ne pas laisser passer l’occasion, une chance difficile à prendre, à mériter, plus qu’une chance collective peut-être un destin en commun. Et ils savent bien, les américains, comme jamais depuis la seconde guerre mondiale, que tout interfère dans les destinées politiques toujours hasardeuses des humains comme les cellules dans l’organisme, au grand dam des projets qui avaient été pensés pour eux ou de ceux qu’on avait pensés pour le monde. Gagner la bataille pour réinventer le monde c’est maintenant que ça se passe, en temps réel, en Libye ; ou elle pourrait bien être durablement perdue, ici et ailleurs, en même temps que là-bas, et à côté.
Pourtant la voici, la sale guerre, aux Etats-Unis comme en Libye avec ses victimes collatérales : L’Égypte et peut-être la Tunisie ? La guerre du peuple a fait long feu : une classe moyenne de jeunes activistes décimée, les déserteurs et les vieux soldats ressortant les casques anglais qu’avaient connus leurs pères, morts à leur tour, les pères de famille croyants venus les relayer, bannis, une guerre révolutionnaire infiltrée par les services secrets tandis que La Libye sous embargo sert de caution aux vendeurs de biens et de services, et même de services guerriers d’organisations para-militaires, pour un peuple en révolution auquel on refuse la souveraineté. Pas d’embargo des armes pour Kadhafi : on lui livrerait de l’essence par la Tunisie, des ares par l’Algérie, d’autres armes viendraient d’Israël par la mer. Rumeurs ? On note le 7 avril que les puits de pétrole bombardés dans le sud et désormais inactifs, certains d’où venaient les approvisionnements jusqu’à Tobruk, ne seraient pas le résultat d’actions de l’armée de Kadhafi, comme le crurent d’abord les insurgés, mais d’après le ministre de l’information de ce dernier, de la Royal Air Force ; atteinte aux insurgés ou à Kadhafi ? Atteinte à la Libye. Le commencement de la fin des ressources récupérables. [17] Royaume uni qui décidément mettrait beaucoup de mauvaise volonté auprès du gouvernement de Benghazi, qu’il cherche à diviser plutôt qu’à reconnaître, disant qu’il existe d’autres représentants de l’opposition auprès desquels il négocie, tout en proposant d’introduire des organisations para-militaires privées en Libye, britanniques, achetées par les pays arabes pour se payer sur les ressources libyennes — obéissant à qui ? Mercenaires contre mercenaires, comme en Irak, [18] et accroissement de la confusion civile. Paupérisation du peuple libyen. Bravo les Nations Unies, la coalition divisée, l’OTAN tampon. Dictatures des coups tordus et coups tordus sans dictature.
Échec et mat à la guerre.
Louise_D
Voir l’article du 12 mars 2011 sous la même signature :
Désarmer Kadhafi est-ce possible ? ;
et celui par Régis Poulet remis à jour jusqu’au 31 mars :
Fukushima sous les yeux - Tchernobyl en tête.
[SAVE-LIBYA] Libyan Revolution - Take Whats Yours