Felix texto : "Ce que je préfère quand je fais des cabanes c’est surtout quand je les installe etc. et c’est surtout quand tout est fini pratiquement etc. parce que je me sens à l’abri et etc.. Je me sens très bien à l’abri et donc je pourrais même dormir dedans. Ce que j’aime beaucoup aussi dans les cabanes c’est surtout quand je fais la construction parce que c’est à la fois rigolo, marrant et super surtout quand on met des fougères, enfin, bon, c’est mon plaisir de faire une cabane."
La cabane donc, une maison d’intimité absolue, lointaine, perdue. Ma cabane sur roue est une cabane onirique, le premier abri.
"Ce n’était qu’un réduit. Mais j’y dormais tout seul. Je me blottissais là, j’avais comme un frisson quand j’entendais mon souffle et c’est là que je connus Le vrai goût de moi-même."
J’imagine la maison de la Walkyrie. Un frêne la traverse et en est le pilier. Les murs tiennent aux branches. Le feuillage est un toit.
J’aime la précarité de ma cabane et surtout quand Najda vient de la ville en voiture jusqu’au hameau situé un kilomètre plus bas. J’entends toujours sa vieille voiture monter. Après, une fois les victuailles mises dans le sac à dos, nous montons à pieds à travers les bois. Il fait nuit quand Najda vient dans les montagnes.
Puis nous arrivons dans la cabane. Il fait très chaud. Dans les yeux de l’autre, nous pouvons voir chacun notre propre regard. C’est très beau. On ouvre une bouteille de Gewurst qu’elle a emportée.
Je savoure ces moments-là. Je ne les oublie pas.
Nature, cabane, amour.
Puis. Présent. Seul, la nuit. Je prends conscience que je suis abrité. Ma bougie donne un air d’île à ma cabane. Un îlot de lumière dans la nuit.
Vu personne depuis quelques jours.
Couper du bois. Enlever des ronces.
Brûler des feux. Je fais beaucoup de feux ici. J’aime cela. C’est mon père qui m’a appris à aimer ces longs moments de rêverie où l’on surveille les feux et où l’on rêve. Mais je ne fais pas que rêver. Je prépare l’endroit. J’ai des projets. Faire une vraie cabane (la vraie cabane c’est celle qu’on construit). Un nid.
La nuit tombe. Une neige de feuilles mortes.
Cette roulotte. J’ai commencé à l’habiter les étés de mon adolescence. Elle était à l’abandon, et je me la suis appropriée. C’est là que j’emmenais mes petites amies. C’était mon nid d’amour. Le 28 décembre 2000, j’y suis revenu. J’avais longuement préparé ce retour y emportant une bâche pour le toit, en préparant du bois, des bougies, des livres, des cahiers, des stabilos : tout un attirail pour imaginer mon prochain film. Il faisait 0° dehors, et la neige tombait. J’ai posé des tapis par terre, car le sol était encore humide. Je voulais expérimenter la cabane, jouer avec son idée. Si la cabane n’est ni dedans, ni dehors, où est-elle ? A la fois reliée et séparée, elle propose, elle imagine, elle refuse.
J’ai écrit. Sur un cahier :
me laver les dents avec du dentifrice et de la neige.
prendre la neige pour faire du thé dans une casserole.
entendre le bruit du bois et se lever la nuit pour entretenir le feu.
une jeune femme connaissant la cabane et capable de prendre la route de nuit pour me rejoindre. La buée qui sort de sa bouche à cause du froid lorsqu’elle parle le matin.
lire La cuisine paléolithique de Delteil et rêver aux escargots que je pourrais trouver au printemps pour les faire cuire.
prendre une douche nu, l’été, sous une pluie d’orage.
écrire dans des carnets, expériences de la vie créatrice, idées, foules d’idées dans ce lieu sans règles.
relire Walden de Thoreau.
Walden. Il tient une place importante. C’est un livre que je relis et surligne. Thoreau resta deux ans dans sa cabane qu’il construisit au bord de l’étang Walden, réduisant ses besoins à l’essentiel. Il étudia soigneusement les moyens de subsister sans aliéner sa liberté. Cet ascétisme n’avait d’autre volonté qu’un hédonisme épuré. Il vivait au rythme de la nature, aspirant à une union avec elle ; il observait la faune et la flore de Walden. Thoreau vécut une existence de pionnier, défrichant à la fois le sol et son âme. Il y est resté deux ans. Pas besoin de plus. Ce n’est pas la durée qui fait la richesse de l’expérience mais l’expérience qui fait la richesse de la vie.
En fait la cabane de Thoreau, comme les cabanes des mythes ou celles qu’évoque la littérature, est un dispositif à rêver, à imaginer, à faire, à être, à penser - avec ce que le rêve peut nous offrir de merveilleux et de divin.
Je. Ma cabane à moi est plus qu’un rêve ; elle est une maison de rêves, ma maison onirique, ce lieu d’intimité absolue. Elle ressemble à la maison lointaine et perdue que je n’habite plus. Elle joue avec l’absence. Je souhaite raconter cette magie active, l’approfondir, ici.
Un livre. Je relis le Léopard des neiges de Peter Matthiessen, qui, si peu connu aujourd’hui, finira par devenir un écrivain incontournable. Considéré comme un reporter et un défenseur de l’environnement, on a encore du mal à voir en lui un très grand romancier. Dans le Léopard des neiges, il raconte un voyage "hors civilisation", vers la liberté.
"Délivrance, liberté ! Sans savoir pourquoi je pense à une femme à qui j’avais parlé chez un shiphandler, où elle achetait de la corde. Le lendemain, en compagnie de son jeune mari et d’un camarade anglais, elle est montée dans un ballon dans la campagne de Long Island ; avec de grands signes d’adieu à la foule qui l’acclamait, ils s’étaient éloignés vers l’est dans l’intention de traverser l’Atlantique et de gagner l’Angleterre. On ne les revit jamais. En ce moment je me sens ému, non par la disparition de cette jeune femme [...] mais par le nom qu’ils avaient choisi pour leur aventure : Le Ballon de la Vie Libre."
Plus loin Matthiessen rajoute : "Libre car sans attitude défensive, non de la manière de l’adolescent qui refuse les contraintes, mais dans le sens de la folle sagesse du bouddhisme tibétain, du "saut dans l’absurde" de Camus, qui peut se produire dans une existence limitée ?"
Liberté. Je sens la cabane comme un petit lieu de liberté. Je peux me soustraire du monde quand je veux, disparaître, me retrouver, être face au monde.
Pluie, feu, écriture, méditation. J’aime cela. Ce journal est celui d’une initiation. Celui du recours aux forêts à travers l’une de ses formes.
J’aime y monter à pied depuis le village, être dans un lieu presque perdu (malgré la présence pas lointaine de la maison de mes parents), y faire chauffer du thé. J’ai aimé la liberté de la cabane mais j’aimerai un peu l’installer :
l’isoler plus,
avoir de l’eau à côté pour se laver et un sauna pour se réchauffer,
avoir des réserves de bois.
Il pleut énormément. L’automne passe. Il fait nuit à 17h20. Demain, je pense que le ruisseau dominera par sa sonorité toute la vallée car la neige fond et le vent chaud souffle.
Le premier janvier j’écrivais.
un film cabane
une gestuelle propre à la cabane (le bois, se laver),
une vision du monde et de ce qui m’entoure (paysages, arbres) : les subjectifs,
une sonorité douce et forte,
une rêverie liée aux livres, à un choix de vie (le off du film),
des rencontres possibles (in situ).
Il y aurait mon propre regard et mon expérience de la cabane, et l’expérience d’autres personnes sur leur cabane.
J’apporterai moi, mon expérience de ma cabane, mon regard subjectif et mes impressions en off qui seraient comme un leitmotiv, revenant entre les autres personnages du film. Ce serait de l’ordre de la rêverie filmique. Gros plans (gestuelle), plans très larges et en mouvements (subjectifs), pouvant accompagner le off filmique, et, in situ, le regard différent et complémentaire des autres personnages. Des personnages que je rencontre à cause de mon expérience de la cabane. Par exemple à Strasbourg, un soir devant le porche de Saint pierre le vieux, un homme pourrait me parler de son expérience à lui, dans la précarité (in situ).
Je suis connecté à internet de ma cabane. Elle est reliée au monde et j’ai découvert sur internet que des gens faisaient des cabanes contre des autoroutes. On les appelle les éco-guerriers et ils m’ont envoyé par la poste leur guide du parfait saboteur. Raconter cela. Partir de ma cabane pour les rencontrer (in situ). Près de ma cabane des enfants construisent aussi des cabanes. Les suivre à leur hauteur, à leur échelle (in situ). Ma cabane serait donc le centre de ce film me permettant d’aller ailleurs, de rencontrer d’autres expériences.
Najda a fait des photos de la cabane en noir et blanc et en couleur. Elle est restée ici deux jours. Un après-midi alors que je faisais des feux, je l’ai vue arriver, au fond de la petite vallée. Les chiens ont aboyé.
Ce soir. Opérations de défrichage, feux, bois. La pluie continue à tomber. Les bâches tiennent. Pas d’infiltration. Réserves de bois. Le son du ruisseau devient de plus en plus imposant.
Aujourd’hui. J’ai recouvert la cabane d’une nouvelle bâche. Coupé du bois. Une dizaine de morceaux de pins et de chêne que j’ai ensuite fendus.
Arno S. dans Miroirs noirs, le roman où il décrit la vie de l’unique homme ayant survécu à une guerre nucléaire, Arno Schmidt, montre un homme construisant une cabane. Ici, avec ce geste archaïque et spontané, prend place une rêverie universelle dont on pourrait égrener les stations à l’infini : la maison d’Adam, les kiosques des jardins chinois, l’isba des contes de la forêt russe.
Un lieu où habiter le temps, en posant en lui des points immobiles, des points où il pourrait ralentir, être écouté. Rien de solennel à cela, tout au contraire. Une cabane comme un mouvement lointain, comme un mouvement d’enfance. Non pas la propriété privée mais un découpage de l’espace qui est un retrait dans le temps. Ni la maison, ni la chaumière, mais un lieu échappant à l’inconnu, un lieu dans une partance immobile, suspendue.
Révolution. La révolution joue à chat perché et les nouveaux terroristes font des cabanes dans les arbres. On les appelle les ecowarriors, les écolos guerriers. Nouveaux rebelles avec cause, actions directes, actions d’éclats, théâtrales, inédites. Nouvel engagement citoyen dans les cabanes. Cabanes citoyennes et engagées.
Lettre d’après Winnicott à Najda. Un mouvement, un processus en train de s’effectuer, une capacité et non le produit fini. Il n’y a pas de produit fini. Ce qui nous fait nous sentir vivant, la créativité primaire, plus fondamentale que la sublimation. Nous nous trouvons dans une cabane, dans l’entre deux du dehors et du dedans, un terrain de jeu aux frontières mouvantes qui fait notre réalité. Quelque chose qui donne la certitude d’exister : peu de chose, moins que rien, simplement ce qui m’arrive quand je peux l’accueillir.
Une aire intermédiaire d’expérience selon Winnicott, un espace potentiel qui met en relation la réalité du dedans et du dehors. Le jeu de la cabane est extraordinairement excitant. Précarité du jeu, précarité de la magie. On manipule des objets extérieurs, on les met au service du rêve, on investit ce rêve. On a la liberté de formuler ses idéaux, d’avoir des idées, d’agir. Il faut maintenant mettre tout cela en image, en sons, trouver la matière qui va investir les mots. Je t’embrasse, pleins d’idées, de vitalité.
Hiver. Il est là. Dernier feu de bois. Fumée. Les bâches claquent. Jeu et bruit de l’eau. Musique de la cabane. Les carnets se remplissent. Dans le grondement. La montagne. Le papier. Le feu s’éteint. Je ferme la porte de la cabane. Il neige. la cabane disparaît.