La Revue des Ressources

Photsoc 2011 

lundi 2 mai 2011, par Xavier Zimbardo

" Nous ne sommes pas dans les mains du destin, mais nous n’avons pas non plus le destin dans nos mains. Nous sommes plutôt les mains du destin".
Romain Panikkar

« Et si la beauté pouvait sauver le monde ? » C’est le titre d’un site remarquable, inspiré d’une phrase célèbre du grand écrivain russe Dostoïevski. Sur la page d’accueil, on lit : « La prophétie de Dostoïevski « La beauté sauvera le monde » prend tout son sens aujourd’hui. A l’heure où le matérialisme, l’absence de sens, la négation de l’être, montrent leurs effets dévastateurs à l’échelle de la planète, la petite voie de la beauté fait sourire. Et si ce sourire était justement la réponse ? »

photographie de Vincent Boisot

Sarcelles, une vie
Les membres de PhotSoc sont des photographes amateurs et des bénévoles nés à Sarcelles ou dans des cités identiques. La plupart de ces jeunes que nous accueillons dans nos ateliers vivent dans ce qu’on appelle aujourd’hui « les quartiers ». C’est la première de nos motivations. En effet, ces jeunes sont trop souvent regardés comme des malchanceux, mais ce regard compatissant peut aussi les rendre vulnérables. Naître et grandir dans ce que l’on appelle une banlieue défavorisée, dans les HLM de Sarcelles, nous fut au contraire une chance. Cela nous apprit à transformer toute épreuve en une chance, en tirant de la traversée de chaque passage le meilleur de ce qu’il nous permettait de vivre et de créer. Ainsi nous avons eu la « chance » de ne pas pouvoir nous payer des écoles de photographie ni même d’en avoir l’idée ou le rêve. Cela ne faisait pas partie de notre monde.
Cette manière d’avancer nous a fait prendre de nombreux détours, mais ces errements sont souvent devenus la source de notre réflexion. Au point que nous en sommes venus à cultiver l’erreur, à la susciter presque, à lui souhaiter la bienvenue : elle apportait avec elle l’inattendu, l’imprévu.
Cette ardente curiosité, cette joie de vivre et de créer, cette confiance en eux et en ceux qui les entourent, voilà ce que nous souhaitons transmettre.

Partager avec ces élèves et ces jeunes des « quartiers » cette recherche et ce rêve, susciter en eux la passion de la découverte, la foi en leur capacité à devenir des auteurs, à mettre au monde des univers, est une perspective formidablement attractive et motivante.

photographie de Franck Boucher
photographie de Gaëlle Girbes

Des engagements

Nous avons fondé en 2006 à Sarcelles le Festival International de la Photographie Sociale et l’association PhotSoc dont les buts déclarés sont, selon nos statuts :

- « témoigner de notre identité, de notre environnement, d’oser être soi-même créatif et se revendiquer créateur par la découverte en profondeur d’un art ouvert sur notre temps et ancré dans notre mémoire, notre patrimoine commun et notre histoire.

  Une attention particulière et soutenue est portée aux publics scolaires, aux enfants, adolescents et jeunes adultes des quartiers de façon à leur permettre d’acquérir une confiance durable en leur capacité de construire des univers et par là même de structurer le leur. »

En 2010, nous avons créé PhotSoc Junior, tourné essentiellement vers les scolaires et les jeunes des quartiers. Le travail réalisé par ces enfants et ces adolescents trouve aujourd’hui à s’exposer dans l’édition 2011 du festival parmi les œuvres des artistes de talent (et pour certains, de renommée internationale) que nous y accueillons.

Pistes et perspectives pour des enfants : l’aventure de l’art vécue au quotidien
Il faut, avec le même sentiment d’être un explorateur, aller à l’aventure et parcourir les formes, les détails, les couleurs qui nous environnent.
Développer un regard curieux, mêlé de rêverie et de vigilance, sur l’environnement quotidien où vivent ces enfants, puis suivre le même périple de chercheurs de trésor visuels. Y découvrir parfois des univers oniriques et mystérieux, simplement par la manière dont on les regarde, en fonction de l’angle choisi, par la distance de prise de vue ou par le rapport d’agrandissement.

Alterner cheminement attentif pour entrer dans la perception, quête de la création, projection des réalisations et mise en commun, observations critiques et commentaires autour des divers travaux effectués, retour au cheminement et à la création.

Admettre que la perle rare est en nous autant que dans l’œuvre, dans le regard que nous posons sur elle, dans la manière dont nous acceptons de la recevoir en notre for intérieur. Souffrir que notre richesse intérieure se constitue au travers de ces rencontres furtives ou profondes qui nous fondent.

Permettre aux enfants de se lancer à la recherche d’idées poétiques, troublantes, de détails amusants, étranges, bizarres. Percevoir de petites choses inattendues à photographier. Distinguer l’infinie variété des approches possibles. Contempler, simplement, avec ce plaisir intense et sans pareil que l’on éprouve lorsque, en silence, on pénètre en l’œuvre d’art.

Réfléchir ensemble sur la constitution de l’œuvre au travers du dialogue entre les œuvres et entre les artistes par-delà les lieux et les époques. Ce chemin que nous empruntons nous-mêmes, dans le moment présent, en cet instant où nous créons, c’est le même chemin suivi par des générations d’artistes au travers de toute l’histoire de l’art.

photographie de Lizzie Sadin
photographie de Bernard Demenge

Transmettre des valeurs

Nous voulons susciter un désir de partage et créer du lien social, porté par des valeurs fortes. La beauté, la bonté, la justice et la vérité. La beauté qui jaillit pure et transparente derrière tous les maquillages. La bonté bien au-delà de la simple tolérance, au sens profond de bienveillance. La justice qui ne saurait être aveugle parce qu’elle ne peut naître que de l’amour, seul capable de voir l’invisible en nos cœurs. La vérité enfin, qui dessine le chemin de la juste Voie, entre le jour et la nuit, entre ces myriades de soleils qui s’allument et s’éteignent sous les horizons multipliés, à chaque seconde que nous accorde la vie, du levant au couchant.

Les immenses forêts de Russie brûlent comme des torches et partent en fumée de mauvais songe mais … nous ne sommes pas en train de rêver : le cauchemar devient notre quotidienne réalité. Nous observons avec une stupeur d’irradiés les réacteurs nucléaires japonais s’embraser, vulcanisés, tandis que la mer a déjà tout emporté. Les apprentis sorciers du pétrole pourrissent les océans. Les gros nounours blancs de notre enfance dérivent squelettiques à la merci des vents, sur de pauvres miettes de banquise, entre le gris du ciel et le noir de notre fin prochaine. Les espèces se raréfient au lieu de se diversifier. Il est de plus en plus de terres où plus aucun oiseau ne chante. Il reste une chance, peut-être, une toute petite et fragile lueur d’espoir, mais elle existe… en nous tous, en chacun.

photographie de Sanja Knežević

"L’acte de voir est la seule vérité. Il n’y en a pas d’autre. Si je sais regarder un arbre, un oiseau, un beau paysage ou le sourire d’un enfant tout est là. Je n’ai plus rien à faire de plus. Mais cette vision de l’oiseau est à peu près impossible à cause de l’image que l’on a construite non seulement quand il s’agit de la nature, mais aussi quand il s’agit de nos semblables. Et toutes ces images nous empêchent véritablement de voir et de ressentir."

Que ceux qui ont des yeux voient, et que ceux qui ont des oreilles entendent. Les artistes photographes, militants de la beauté, nous offrent leurs regards déchirés ou émerveillés, à l’orée de cet imaginaire qui nous habite, nous effraie ou nous éblouit.
Nous sommes tous des artistes, nous sommes tous restés des enfants, mais souvent nous avons étouffé la voix de l’enfance en nous. Sachons à nouveau nous mettre à son écoute. Les enfants ont beaucoup à nous réapprendre de ce que nous avons perdu avec une persévérance dérisoire. Encore une fois, PhotSoc essaie avec eux, avec vous, de faire surgir des sources d’eau claire au cœur des brasiers de la colère.

photographie de Rocco Rorandelli
© Rocco Rorandelli, TerraProject & PictureTank
photographie d’Andrea Vamos

« L’essentiel… le bonheur ! »

PhotSoc a cinq ans et n’est plus un bébé. Il court, il rit avec tout le dynamisme de sa jeunesse. Mais c’est un enfant encore très fragile : il aurait dû nous rendre visite en 2010 pour sa troisième édition. Hélas la crise économique et financière qui secoue le monde entier lui a porté sur les bronches. Le manque d’air a bien failli l’emporter. En clair, plusieurs de nos partenaires ont dû jeter l’éponge : pléthore de festivals et formidable créativité partout, mais budgets de plus en plus dérisoires… Et les difficultés administratives se sont accumulées.

Réaliser un festival digne de ce nom dans une banlieue aussi défavorisée, c’est tenir la barre d’un trois-mâts dans la tempête... et garder le cap ! Nous vous épargnerons le récit des récifs, des écueils et autres naufrageurs rencontrés. Pénurie de lieux, pénurie de grilles, pénurie de finances… mais volonté indéfectible des artistes !

L’essentiel, entre nous, c’est que tout l’équipage a décidé de relever le défi et de mettre les bouchées doubles au lieu de baisser les bras ! Debout et en avant ! En innovant ! Non seulement PhotSoc va survivre, mais nous doublons la mise : il n’est plus une biennale, nous le retrouverons tous les ans. Et nous mettrons au monde, une année sur deux, un Festival différent, PhotSoc Junior, avant tout consacré aux enfants et aux adolescents. Ils sont particulièrement nombreux et vulnérables dans nos grandes cités.
Mais ce sont souvent eux qui, dans le désarroi des familles déchirées par le chômage et la misère, se lancent dans l’aventure de l’art avec une formidable capacité d’invention. Et ce sont aussi eux qui vont amener leurs parents là où l’art se déploie… surtout si cet art est le fruit de leurs efforts passionnés.

Voici donc PhotSoc Junior. Moitié moins d’auteurs adultes que lors des PhotSoc précédents mais quatre-vingt jeunes artistes en herbe mobilisés à nos côtés dans un très pacifique combat au service de la beauté du monde ! Ne soyons pas triomphalistes, il reste beaucoup à faire… Mais le train est lancé sur les rails et ce ne sera pas un p’tit train-train de la routine !

Les interventions dans les classes et avec les jeunes des quartiers, nous vous en parlerons aux tables rondes organisées par les photojournalistes de FreeLens. Et vous admirerez sur nos cimaises improvisées avec les moyens du bord les œuvres conçues dans nos ateliers, encadrés par un artiste exceptionnel, Franck BOUCHER : que du bonheur pour les enseignants, les animateurs, les intervenants, et bien sûr les heureux participants !
Ce que nous avons vécu, il faudra l’entendre au travers du témoignage des animatrices de quartier, des institutrices, des jeunes eux-mêmes. Des bandes de filles qui se chamaillaient avant le stage ont enterré la hache de guerre et ont repris le dialogue. Les gamins hauts comme trois pommes manipulaient avec le plus grand soin les appareils énormes confiés par l’auteur.

Non que tout se soit passé comme à la parade. Nous nous sommes lancés avec seulement un financement, accordé par la mission Images et cinéma du département du Val d’Oise, pour notre première résidence d’artiste, le cœur du dispositif ! Puis la SAIF qui est venue à la rescousse, et au fil des mois de nouveaux partenaires nous ont rejoints : Val de France, l’hôtel Ibis, l’imprimeur Delta Color, le laboratoire Colorpix… Et des anciens de la première heure sont demeurés fidèles aux postes, comme le laboratoire Dupon, les écrivains de la Revue des Ressources, mais aussi et bien sûr la Ville de Sarcelles !

Et puis et puis et puis… il y a tous les autres, celles et ceux qui seront au premier rang, comme ils le furent durant des mois de préparatifs, pour partager avec nous tous des œuvres originales. Elles émerveillent souvent ou dérangent parfois, mais ne laisseront personne indifférent : elles nous élèvent !

La formidable volonté de témoigner portée par le regard de Lizzie Saddin nous entraînera dans les prisons du monde au travers d’une odyssée déroutante : une jeunesse perdue nous contemple avec une terrifiante amertume derrière les barreaux d’un univers qui vacille.

Rocco Rorandelli nous ébranle avec ces yeux d’enfants exténués où la vie n’affleure plus qu’à peine sous le fardeau des besognes harassantes. Il nous étrille le cœur avec ces jeunes corps soumis à la torture, sous un soleil de plomb, dans un paysage d’apocalypse fracassé.

Sanja Knezevic et Gaëlle Girbes nous permettent de découvrir ces espaces improbables où tentent de survivre de petites filles et de petits garçons rejetés, comme leurs familles, sur une planète sédentarisée où les nomades ont de moins en moins droit de cité. Comme tous les gosses, ils dessinent surtout… des maisons.

Heureusement, il n’y a pas que la défaite. Il faut savoir être ensemble, et d’abord avec soi-même. Comme celles et ceux qui croient encore à la grandeur des hommes même dans le dénuement et malgré lui. Comme ces incroyables musiciens africains photographiés par Vincent Boisot : en un message d’espoir, ils ont non seulement créé un orchestre symphonique mais aussi leurs propres instruments ; ils ont enchantés leurs voisins, leurs amis, des milliers d’inconnus fascinés juste par… la musique et ses silences.

A l’époque où nous devrions, paraît-il, nous questionner sur une insaisissable identité nationale, Bernard Demenge s’interroge et nous interroge sur NOTRE propre identité au quotidien avec des autoportraits caustiques. Il y détourne les objets ordinaires pour se grimer sur un mode tragi-comique. Après tant d’autres artistes au cours de l’Histoire, il demande simplement : qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ? Au-delà des masques et des apparences, essayons de nous connaître.

Ne serions-nous que des reflets, comme ces frissons dans l’eau des mares noirâtres captés en récréation par le regard bienveillant et tendre d’Agnès Desfosses ? Et sinon, quoi ?

Nous qui, au fond, sommes si seuls, il nous faudra peut-être redevenir des enfants, rejouer à la poupée, ressusciter nos nounours cassés. Peut-être cette redécouverte étonnée du monde par les yeux de l’enfant contribuera-t-elle à exorciser l’adulte laissant crever les espèces qui ont le tort de ne pas appartenir à l’espèce humaine.

Espèce qui se croit reine, élue des Dieux, mais risque, à force de jouer à l’apprenti sorcier, de finir elle-même par s’éteindre. Alors Christine Bergougnous a recueilli un renard empaillé qui semble étrangement vivant. Ils se sont apprivoisés, et Arthur l’accompagne désormais dans tous ses voyages… Au-delà de l’anecdote, voici une troublante amitié à méditer…
Andrea Vamos, elle, accompagne sa grand-mère vers son dernier voyage avec une tendresse qui renouvelle avec audace le portrait le plus difficile, parce qu’il est entre tous l’ultime et le dernier.

Et puis il y a… enfin… Franck Boucher. Un grand, un très grand bonhomme qui a pris le temps, avec patience et surtout un infini talent, de se mettre à l’écoute des enfants. Il a su leur offrir le meilleur de lui-même pour leur permettre à eux aussi de nous confier à leur tour l’essentiel : toute cette merveilleuse et unique part invisible, blottie précieusement tout au fond de Toi, de Moi, de Nous, et qui s’appelle… le bonheur.

A bientôt ! A PhotSoc !!!

photographie de Christine Bergougnous
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