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La paix commence où Israël finit la Nakba  

dimanche 20 mai 2018, par Ilan Pappé, Louise Desrenards (traduction de l’anglais au français)


Ilan Pappe, sur son mur Facebook, le 17 mai à 19h 37 a écrit : « Je dois dire que j’ai été invité à la discussion du Conseil de tutelle de l’ONU. Sur la Nakba ». Plus bas en commentaire : « Nous devrons travailler dur même vis-à-vis des Etats membres qui soutiennent les Palestiniens. Sur trois questions : une croyance religieuse en une solution à deux États ; leur peur des États-Unis, et leur discours continu de l’occupation au lieu de l’apartheid et de la colonisation. »


Lundi, l’administration Trump a rompu avec plus de 70 ans de politique américaine officielle et la position de la communauté internationale en déplaçant son ambassade en Israël de Tel Aviv à Jérusalem. Comme pour frotter du sel dans les blessures, elle allait être inaugurée le jour avant la commémoration palestinienne du 70ème anniversaire du Nakba, quand presque un million de Palestiniens furent déplacés et devinrent des réfugiés pendant l’établissement d’Israël. En Israël, le Nakba est non seulement ignorée, elle est franchement niée ou même justifiée. Pourtant si la paix doit se faire dans cette région — et je pense que c’est possible — elle commence par la reconnaissance de la Nakba, la comprendre, et faire en sorte de la renverser.

La purification ethnique israélienne des Palestiniens en 1948, qui a vu la conversion de la moitié de la population de la Palestine en réfugiés apatrides, n’est pas un simple événement historique : elle a persisté, inchangée, jusqu’à aujourd’hui. Depuis 1967, des centaines de milliers de Palestiniens ont été ou expulsés ou interdits de rentrer après avoir voyagé à l’extérieur de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza. En attendant, à l’intérieur des frontières reconnues d’Israël, la politique de « Judaïsation » au sud et au nord du pays aboutit souvent à un transfert tranquille par l’expropriation et la démolition des villages des Palestiniens, comme cela est en train d’arriver à Umm Al-Hiran [i.e. ce village bédouin du Neguev] aujourd’hui, où une communauté palestinienne entière est en train d’être détruite en sorte qu’une ville pour des Israéliens juifs puisse être construite à la place.

Aujourd’hui plus de six millions de Palestiniens sont sans abri en raison de Nakba de 1948 et de ses épisodes ultérieurs. Le défaut de reconnaître leurs droits mènera non seulement à l’instabilité continue dans la région, mais empêche aussi n’importe quel arrangement de paix durable. En reconnaissant Jérusalem comme la capitale d’Israël, le Président Trump est en train d’encourager Israël à accélérer la dépossession des Palestiniens dans la ville et ailleurs.

C’est seulement en revoyant les événements de 1948 qu’il est possible de comprendre l’essence du conflit en Israël et en Palestine, ainsi que les raisons de l’échec à le résoudre. Même s’il y a toujours aujourd’hui des gens qui refusent de reconnaître la responsabilité d’Israël dans cette catastrophe, au grand dam de la preuve archivistique claire et de la démolition de la moitié des villes de la Palestine ou encore l’exode de 750 000 personnes des villages, personne ne nie que les réfugiés n’aient pas été autorisés (dans une violation claire des décisions de L’ONU et du droit international) à revenir.

Les raisons de l’expulsion et du refus de permettre le rapatriement sont les mêmes. Dès le début du projet Sioniste en Palestine, l’obstacle principal pour l’établissement de l’État hébreu était la population natale de la Palestine. Ceci reste toujours le problème pour les Israéliens qui se considèrent comme des Sionistes, qu’ils soient des libéraux, des socialistes ou des nationalistes. Les groupes politiques divers en Israël diffèrent sur la tactique de la façon de surmonter la réalité démographique d’un pays palestinien arabe. Ils sont néanmoins d’accord pour considérer les Palestiniens autochtones comme une menace démographique existentielle simplement parce qu’ils ne sont pas juifs.

Depuis les années 1980 les dirigeants palestiniens étaient enclins à accepter un compromis sur la configuration territoriale d’Israël, mais ils n’ont jamais pu, et ne donneront jamais leur consentement sur la « judaïsation » globale de leur patrie. Les lois israéliennes qui interdisent aux Palestiniens d’Israël de commémorer le Nakba, et les demandes Israéliennes que les Palestiniens acceptent de reconnaître Israël comme un « Etat juif » — en dépit du fait que plus de 20 % de sa population soit palestinienne — sont une insulte ajoutée à une blessure. Israël est un fait établi, mais tout comme les circonstances de son établissement sur les ruines de la Palestine. Pour les Palestiniens le compromis territorial n’inclut pas une licence pour une amnésie mondiale ni l’acceptation de fabrications historiques israéliennes.

La Nakba cerne de nombreux Palestiniens qui ont été totalement exclus par le « processus de paix ». Cela est particulièrement vrai pour les jeunes générations. Que ce soit en Israël, dans les camps de réfugiés ou dans les communautés en exil à travers le monde, à travers le cyberespace ou des réunions réelles, ces jeunes Palestiniens créent une nouvelle vision pour la Palestine. Il y a un double message frappant, bien qu’il ne soit pas encore complet ou articulé en tant que programme politique : une solution pour la Palestine doit inclure tous les Palestiniens et couvrir toute la Palestine historique, et elle doit rectifier la pire conséquence de la Nakba en mettant en œuvre le Droit de Retour.

La Grande Marche du Retour à Gaza, initiée et dirigée par des jeunes, a suscité beaucoup d’excitation et d’enthousiasme. Beaucoup d’autres sont engagés dans des projets d’histoire orale, interrogeant leurs grands-parents et leurs aînés sur les horreurs de 1948, construisant des modèles de villages et de quartiers détruits, imaginant à quoi ressembleront ceux reconstruits dans l’après retour au pays.

Les conciliateurs américains de la paix, qu’ils soient cyniques ou sincères dans leurs efforts, ont toujours échoué à comprendre l’essence du conflit en Palestine. S’ils veulent jamais le résoudre, ils doivent revoir la dépossession des Palestiniens qui arriva en 1948 et comprendre sa signification et le fait que, 70 ans plus tard, Israël poursuive systématiquement de déloger les Palestiniens de leurs foyers.

Avec l’effondrement de la solution à deux États, aborder la Nakba et les événements de 1948 devrait devenir l’axe d’un programme de paix. Ceci est le péché originel du conflit en Israël / Palestine et il doit être traité honnêtement et dans une juste façon si nous devons jamais aller de l’avant.

Et nous devrions laisser cette jeune génération nous guider sur cette voie. Pour eux, rectifier ce qui s’est passé en 1948 et ensuite est une question de droits humains et civils et non pas de représailles, et leur vision de l’avenir est un endroit où la vie humaine normale peut être reprise où elle a été refusée depuis soixante-dix ans.

Source texte et iconographie : Ilan Pappe, « Peace begins with Israel ending Nakba » Mondoweiss, May 17 2018.


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P.-S.

Article associé :
Haidar Eid, « Pourquoi j’ai marché le 14 mai à Gaza suivi de Réflexions personnelles sur la Nakba »
@ La Revue des ressources 18 mai 2018.

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