Il laisse notamment derrière lui un livre provocant, La pêche de la truite en Amérique, où il n’est question ni de cannes ni de moulinets, mais d’amour et d’alcool, de road et de bars, de solitude, d’incompréhension, de douleurs, d’angoisses. Brautigan raconte son foutu pays, le magnifique, l’impossible.
Ses poèmes sont méconnus. Il est à la fois surréaliste, farceur, tragique. Sa poésie nous déroute car il nous fait le coup de la prose naïve, mais ce n’est pas si simple. Chez Brautigan, l’autobiographique est presque partout présent. Brautigan a également été influencé par le surréalisme : influence à laquelle on peut peut-être attribuer le fait que son écriture évoque souvent des styles très différents, sans exclure une profonde tendresse.
Biographie
Né le 30 janvier 1935 à Tacoma, dans l’État de Washington. Son enfance est mal connue, il n’aurait jamais connu son père. En 1955, il fut hospitalisé au Oregon State Hospital après avoir lancé une pierre dans une fenêtre d’un poste de police. Diagnostiqué comme schizophrène paranoïaque, on lui administra les électrochocs. Il quitta la maison peu après son congé de l’hôpital. Il publie son premier poème en 1956, et durant cette période s’installe à San Francisco où il se mêle au mouvement Beat. Il épouse Virginia Dionne Adler à Reno le 8 juin 1957. Sa fille Ianthe naît le 25 mars 1960. En 1964, on le retrouve avec les hippies du district de Haight-Ashbury. Il distribue ses poèmes dans la rue. En 1966-67, il est poète en résidence au California Institute of Technology. Il divorce de Virginia le 28 juillet 1970. Vers 1972, il s’établit à Pine Creek, près du parc national de Yellowstone. En 1984, Richard Brautigan, vadrouilleur de grands espaces, poète, romancier, pionnier de la Beat Generation, se flanque une balle de 44 Magnum dans la tête. C’en est fini de sa vaine recherche de l’Homme et de la Nature par l’écriture.
Des livres qui vous feront du bien :
La pêche à la truite en Amérique (Trout fishing in America) suivi de Sucre de pastèque (In watermelon sugar)
"Nous sommes rentrés à Pensemort à pied, en nous donnant la main. Les mains c’est très gentil, surtout quand elles reviennent de faire l’amour..."
Il y a beaucoup de sucre de pastèque, de truites qui en savent long, de types sympas et plein d’autres choses tendres encore mais il ne s’agit nullement d’un guide pour pêcheurs, plutôt d’une parodie de ce type d’ouvrage, écrite par un esprit farfelu. Aucun fil directeur donc sinon, au détour d’une page, l’éclat fugace d’une truite entr’aperçue. Ce livre se situe aux antipodes des valeurs traditionnelles de l’Amérique bien-pensante des années 60.
Deux récits magiques, une mosaïque d’anecdotes courtes, où nous allons de surprise en surprise. Brautigan nous propose ainsi son univers où tout est possible grâce aux deux formules que sont "le sucre de pastèque" et "la pêche à la truite en Amérique". Un livre qu’il faut lire car il ne peut se raconter, un grand bain de pure poésie.
L’avortement (The abortion : an historical romance 1966)
"L’avortement est un conte d’amour ingénu et saugrenu comme du Saroyan. Entre la tendresse et le canular perce l’angoisse d’une génération trop gâtée... Brautigan y saisit parfaitement les nouveaux accents du désarroi américain" (Jacques Cabau, La prairie perdue). Ce livre met en scène le surveillant d’une bibliothèque qui ne contient que des livres refusés par tous les éditeurs : les auteurs peuvent enregistrer eux-mêmes leur livre et le placer où ils veulent dans la bibliothèque : A toute heure du jour et de la nuit, des "écrivains" arrivent pour y déposer leur roman, recueil de poésie, autobiographie, ou manuel de jardinage... Le héros accueille chaleureusement ces quidams, vieille dame, adolescent, petite fille, jeune femme, et inscrit religieusement dans son grand registre chaque livre avec son descriptif (ce qui donne lieu à des scènes cocasses, burlesques, tendres...).
Un Privé à Babylone (Dreaming of Babylon)
Avis aux amateurs, ceci n’est pas un polar comme les autres. Le privé est un looser de la plus belle eau. Exemple : quand il est engagé pour un boulot où il faut un flingue, il n’a même pas de quoi se payer les balles pour ce flingue. Et quand ça va mal, il s’évade dans ses rêves où il est un héros à Babylone. Il a une mère possessive, une cliente blonde avec des formes ... il ne maîtrise rien de rien, ne comprend rien à ce qui se passe. Autant dire que le genre, privé à la Bogart, est quelque peu détourné. C’est poétique, magique si on accepte de rentrer dans le jeu de l’auteur. Ce livre pastiche le roman policier au point que son héros baigne dans une intrigue presque inexistante. On a l’impression que Brautigan règle ses comptes avec la sacro-sainte mythologie du roman noir américain : Chandler, Hammett nous paraissent tout d’un coup fades !
Cahier d’un retour de Troie (An unfortunate woman)
En 1983, Brautigan laisse un manuscrit à son traducteur Marc Chénetier. Au fur et à mesure qu’il avance dans la rédaction de ce qui sera son dernier roman, Brautigan voit son projet initial - "écrire un livre qui suivrait les événements de ma vie comme une carte-calendrier" - lui échapper. C’est que Cahier d’un retour de Troie n’est pas un "livre normal" : il fait preuve de "malice chronologique et se plie de plus en plus à la façon dont la vie se déroule". Ce que veut Brautigan, c’est faire un livre plein, continu, sans rupture : "Je crois que j’ai compté les mots des premières pages de ce livre parce que je voulais éprouver le sentiment de sa continuité".
Please plant this book
En 1968, Richard Brautigan conçoit un livre-objet bien singulier : une boîte livrant huit poèmes imprimés sur autant de sachets de graines, Please plant this book. Pour ce début de siècle, les éditions Les Carnets du Dessert de Lune le republient, bilingue, en feuilles volantes, sous sachet plastique, sans les graines. Intemporelle, mais tombant comme à point nommé, la douce voix du poète revient murmurer un message d’accueil et de désir renouvelé au monde. "Il est temps de planter des livres, de les faire passer dans le sol, afin que fleurs et légumes puissent croître de ces pages". Filant la métaphore d’un livre voulu organiquement lié à la terre, ces poèmes, voeux ou prières rêvés, restituent pleinement la "main verte" de Brautigan. Peintures naïves, ces huit petits croquis sont autant de mots jetés vers des vents prénommés espoir, confiance, renaissance, qui s’en vont battre la digue de l’inquiétude d’un monde désastré. Une perle.