Voyager. Se dégager pour s’approcher, se défaire de soi-même pour essayer de comprendre, et connaître enfin. En quête d’univers, celui qui voyage pour sentir son rapport au monde se modifier, au contact de la grandeur de la terre et de la diversité des hommes. D’emblée l’imaginaire s’emballe tant l’affaire peut se montrer passionnante. Mais que peut-il se passer au juste dans l’acte de voyager, pour que de telles alliances entre les termes puissent prétendre parler à juste titre de la réalité d’une expérience ?
Afin d’y voir plus clair, je me suis mis en quête de pratiques voyageuses, de trajectoires sensibles et intellectuelles ; parfois même spirituelles. J’ai cherché leur puissance d’émancipation, de connaissance aussi, leur capacité à initier un autre rapport au monde.
Aujourd’hui le voyage se voit relégué au range de chose négligeable, de "loisir" comme on dit. Devenu tourisme, le déplacement est converti en un produit de consommation. J’entends par le terme de "loisir" le sens qu’on lui attribue d’ordinaire : celui d’un temps, mort pour les uns ou gorgé de vraie vie pour les autres, qui ne semble posséder d’autre importance que de permettre la reprise du travail auquel il s’oppose par son improductivité. Toutefois celle-ci est relative, elle sert en effet la productivité des divers prestataires intervenant dans le cours de ce loisir devenu une industrie d’envergure planétaire.
Le voyage, c’est-à-dire la recherche de l’altérité, est de nos jours entré dans le domaine fermé des vacances et de l’économie touristique. Dès lors il devient de bon ton de ne plus se préoccuper de l’expérience qu’il implique, tant le phénomène paraît manquer de sérieux. Pourtant l’évasion qui accompagne l’imaginaire du voyage n’est pas un vain mot. le terme n’appartient pas qu’aux publicitaires et aux agences de tourisme, il contient dans ses profondeurs une charge remarquable d’écart absolu.
Le voyage n’est donc pas ici soupçonné d’être intégralement vendu à l’époque ; cette confiance sous-entend l’existence possible de voyageurs choisissant de plutôt la contemplation (en mouvement) que la consommation, la méditation (dans l’action) que la relaxation, l’action que l’accumulation. pourquoi ? Peut-être parce qu’ils désirent trouver derrière l’horizon de leurs habitudes ce que, de facto, ils ne trouvent pas dans leur entourage immédiat : davantage de profondeur et de grandeur, c’est-à-dire de sens à l’existence. Toutes choses relatives, certes. L’essentiel se tient dans le changement de perspective, comme pour donner plus de matière à la vie en l’observant à l’œuvre sous d’autres cieux, chez d’autres mœurs, ou bien en la cultivant sous une forme différente sans forcément aller très loin.
Extrait de Rodolphe Christin, Anatomie de l’évasion, Éditions Homnisphères.
Du même auteur, Le manifeste du saumon sauvage, publié par les Éditions de la Revue des Ressources, En vente sur ce site.
Paru le 17 janvier 2011.
Prix : 8 euros.
ISBN : 978-2-919128-04-4
Modèle : Ascanio des Bouleaux, Panthère urbaine.