En Mongolie, peut-être trouverais-je quelques signes d’appartenance traces fugaces que le vent de la modernité n’aurait pas encore effacées. Vite, faire vite.
Le sens de mon voyage ? Me rendre face au monde et me fondre dans ses lointains, me recréer dans ses isolements, intégrer ce point crucial où l’intérieur et l’extérieur sont en parfaite concordance, ce point qui vous laissera revenir en sachant que rien ne sera plus jamais pareil. Bouleversé pour toujours. Vous ne serez plus vraiment de ce mode, et pourtant vous aurez vécu une nouvelle appartenance ; celle-ci vous aura mis en phase avec l’universel que vous aurez senti en vous. Vous aurez fait connaissance avec de l’inconnu. Vous retoucherez terre définitivement agrandi.
Dans mon esprit, la steppe mongole représentait l’archétype de l’étendue nomade, même si Ulaanbaatar avait, semble-t-il, rompu avec les traditions. À cette époque pourtant, on pouvait encore y repérer un cavalier perdu au milieu d’un flot de Hyundai aux diesels mal réglés. L’exception venue confirmer la règle. Gengis Khan existait toujours, mais il avait été recyclé en effigie commerciale : on le trouvait en représentant posthume et rafraîchissant d’une marque de bière. Il ornait les tables des bars, signe qu’il existait encire un peu, un tout petit peu dans les mémoires. sur les billets de banque également. Voici le grand Gengis recyclé par le commerce.
Je m’interrogeais : la Mongolie avait-elle encore une vocation conquérante ? Il lui fallait déjà se recomposer elle-même. L’observateur de l’an 2002 se demandait si sa capitale, Ulaanbaatar, était parvenue au bout de course, ou si elle s’occupait à se reconstruire un avenir. Les deux sans doute. Ainsi vont les changements. Partout les impacts des multiples chantiers étaient visibles dans la ville. Lorsque soufflait le vent, une poussière suffocante caressait cet univers minéral sur lequel s’agitaient des hommes sous un soleil de plomb. Des tourbillons opaques menaçaient les bronches et les yeux. On aurait pu alors porter un foulard plié en pointe autour du cou, qu’on aurait relevé sur son nez à la manière d’un bandit de western. Des investisseurs devaient se tenir derrière ces travaux. On parlait des Russes. Des Japonais aussi, qui finançaient des "projets de développement". Se développer. Il fallait faire comme tout le monde. Des ONG européennes œuvraient auprès des populations provinciales assaillies par les hivers impitoyables qui décimaient les troupeaux.
La steppe est d’une grande rudesse, mais elle permet la vie depuis des millénaires. Dès les limites de la ville franchies, la steppe commence.
C’est ainsi que le voyage a débuté.
Le manifeste du saumon sauvage, publié par les Éditions de la Revue des Ressources, En vente sur ce site.
Paru le 17 janvier 2011.
Prix : 8 euros.
ISBN : 978-2-919128-04-4