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Avignon, le silence des femmes est une machine de guerre 

Retour du Festival d’Avignon 2015

mercredi 15 juillet 2015, par Mohamed Kacimi



Mohamed Kacimi — TGV Avignon-Paris. Texte publié grâce au soutien de la SNCF : 2 heures de retard.


Avignon a bien changé. La rue de la République ressemble désormais à la rue du Commerce du quinzième arrondissement. Propre, piétonne, elle sent la Terre d’Hermès.
Les Sdf qu’on voyait, jadis, avec leurs chiens loups et leurs bières, ont disparu. Déportés sûrement à Marseille, où ils passeront inaperçus, se fondront dans le passage de la Porte d’Aix ou des Arnavaux.
Reste-t-il des pauvres ? Oui, mais ils sont au delà des remparts, les immigrés. Pareils aux « Gentils de l’Église » ; ils ne sont pas touchés par la grâce du Festival, car ils ne connaissent rien au théâtre, et que le Théâtre, par essence, ne blaire pas les immigrés.
Place des Corps Saints, le ménage a été fait. Les rades et les kebabs ont cédé place à des boutiques bios, où l’on vend du vin sans sulfite, des tomates cerises et des huiles essentielles. Époque de foutaise, où il ne reste d’essentiel que les huiles.
Tous les murs, les façades, les gouttières, les poteaux, les grilles, les volets de la ville sont recouverts par les affiches du OFF. Un immense patchwork. Impossible de deviner la couleur des façades et même celle des platanes.
Mais là aussi les temps ont changé. L’affichage n’est plus artisanal, ce ne sont plus des jeunes comédiens et comédiennes qui s’y collent, mais des entreprises. Résultat, les spectacles des troupes friquées sont affichés en guirlandes, ou en chapelets. La même affiche se répète sur une corde de vingt mètres. Au cas où les badauds manqueraient de concentration.
Au fil des années, le Off se transforme en caisse de résonance de TF1 ou de M6. À l’affiche, Nicolas Bedos, Smaïn, Sophia Aram et Majax. Il ne manque plus que Drucker au « Chien qui fume » et Patrick Sébastien au « Chêne Noir ». Pour boucler la boucle.
Le Catalogue du Off a pris des couleurs. Il ressemble désormais à celui d’Ikea. Il est loin le temps d’Alain Léonard où la brochure du Off ressemblait à un tract d’une organisation trotskyste clandestine, tiré sur une machine à polycopier dans une cave de Montfavet ou de la Courtine. Le « Plus grand théâtre du monde » propose cette année pas moins de 1336 spectacles. Quelle orgie ! A vos bons cœur, camarades ! Singulier pays où l’offre des spectacles augmente à mesure que les moyens baissent et que le public fond, comme neige au soleil.
On ne sait toujours pas comment les compagnies font pour sortir vivantes de ce guet-apens.
Le moindre, théâtre, ou placard à balais, coûte 10 000 euros de l’heure. Ajoutez à cela le logement, les défraiements, les transports, et le café à 3 euros, et vous comprendrez pourquoi beaucoup de compagnies s’échouent à Avignon comme les dauphins sur la plage. Ici, le suicide a un prix, et il faut avoir des couilles en or pour pouvoir crever, la bouche ouverte, place Pasteur ou rue des Teinturiers.
Face à ce Off qui enfle d’année en année, comme la grenouille de la fable, il y a le In qui ramollît de jour en jour.
Comme le théâtre français a toujours un train de retard, ses lieux officiels sont atteints du syndrome du nouveau roman depuis quelques années. C’est la folie ou la maladie de l’expérimental. On découvre en 2015, les conneries de Robbe-Grillet et de Ricardou, et on croit faire table rase du passé : « à mort le texte, l’histoire et l’auteur », en réchauffant des théories médiévales.
Les béotiens ne pourront jamais comprendre la différence qui existe entre les deux festivals et pourquoi les deux ne communiquent jamais. Pour faire vite, disons que le In et le Off c’est comme Jérusalem-Ouest et Jérusalem-Est. A l’Ouest les « nantis » et à l’Est les « pauvres ». Il ne manque plus qu’un check-point entre la Chapelle du Verbe incarné et le Cloître Saint-Louis.
Alors quelle est la différence entre un metteur en scène du In et du en Off ? Aucune. Le premier est subventionné pour montrer sa quéquette à guichets fermés, à des bobos vieillissants que la vue d’une quéquette n’émerveille plus depuis qu’ils ont vu celle de Julien Clerc en 68 ; et le second, paie de sa poche, pour supplier les gens dans la rue afin qu’ils viennent le voir jouer, par exemple, un texte de Jonas Hassan Khemiri, un auteur génial que tous les théâtres du monde s’arrachent, sauf les théâtres français.
Si les quéquettes sont légion dans le In, question foufoune, c’est le Ramadan. Nada. Ce n’est pas pour rien qu’Olivier Py a vidé un rouleau de scotch sur la gueule de Cordelia dans son « Lear ». Tout un manifeste. Tout un programme. Histoire de dire vos gueules les nanas ! On est pas à la Cité des Papes pour rien ! En effet, le silence des femmes est une machine de guerre !


M.K.

P.-S.



Source Facebook Mohamed Kacimi.

 Iconographie :
En logo : La gare de pont d’Avignon, Villeneuve-lez-Avignon, 1900 (Fête de Saint-Marc).
En paraphe : Stylo porte-mine en bakélite, Cimex, 1900 (ebay).

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