Le lundi 22 mai 2017 à Paris, Maison des auteurs de la SACD, 17 rue Ballu, dans le 9è arrondissement de Paris, à 19h, le texte de la pièce de théâtre Tous mes rêves partent de la gare d’Austerlitz de Mohamed Kacimi est mis en espace par Marjorie Nakache.
« Si le théâtre oublie le monde, le monde finira par oublier le théâtre. » Bertolt Brecht
Depuis quelques années j’anime, durant les fêtes de fin d’année, un atelier d’écriture à la maison d’arrêt des femmes de Fleury-Mérogis. Et ceci à l’initiative de l’association « Lire c’est vivre » qui gère plusieurs bibliothèques et dirige des cercles de lecture pour les détenues.
Passés les sas et les grilles s’ouvre un autre monde. Un monde qui grouille de silence. Des murs recouverts de fresques enfantines, des couloirs déserts, une odeur de lentilles et de détergents, des surveillantes en bleu qui croisent des bonnes sœurs en blanc ; et des nuées de corbeaux perchés sur les tours de surveillance.
L’atelier se déroule dans la bibliothèque. Aux murs, l’affiche du film de Nadine Labaki, Caramel. Sur la table des piles de livres, Soljenitsyne, Primo Levi, Stephan Zweig.
Les « filles », comme elles s’appellent toujours, arrivent fatiguées de leur travail dans les ateliers. Pour écrire, le réel, il faut être à un pas, à côté de la réalité. Écrire ici c’est creuser un chemin de traverse. Là, j’ai découvert, pour la première fois, la force inouïe des femmes face à l’adversité. J’ai vu comment la prison réagit sur les hommes, elle les broie, les écrase et en fait des monstres. Elle les fait monter, de plusieurs crans, dans la hiérarchie de la virilité. Elle est tout le contraire pour les femmes, elle les éteint, elle nie leur féminité, leur corps et même leur maternité.
Ainsi rayées de la carte, les femmes détenues se dessinent d’autres visages, d’autres parcours, d’autres vies pour pouvoir exister encore. Quelles que soient leurs peines, leurs délits, on sent comment, quand elles touchent le fond, très souvent, elles cherchent à échapper à leur condition carcérale par tous les moyens : le rêve, le délire, le rire, la folie ou, parfois, la mort.
Entre Noël et le jour de l’An, je prenais le bus 109 à la Porte d’Orléans. Tout le monde descend à la maison d’arrêt des hommes, et je continuais seul vers la « MAF », où l’espace d’accueil des familles est souvent vide. Les femmes ne sont pas censées aller en prison, aussi personne ne leur rend visite. Aux yeux de leurs familles, elles n’existent plus. Aux yeux de la société, elles ne sont pas à leur place.
Durant cet atelier, conçu comme une école buissonnière, j’ai connu des larmes, mais tellement de fous rires. Je me souviens du témoignage de Florence. Après avoir longuement évoqué les paysages de son enfance dorée à Berlin, elle raconte son arrivée à Fleury avant d’avouer aux filles qu’elle a trouvé, auprès d’elles, une humanité qu’elle n’avait jamais connue dehors. Elle travaillait dans l’un des grands cabinets de restauration pour les antiquaires de Londres, Paris et New York. J’ai découvert aussi les prisons d’Europe avec Sophie ; l’histoire de la musique dans les camps de concentration avec Hélène, le goût des livres avec Flora et Amélie, l’intelligence des corbeaux qui piquent tout aux détenues avec Marie, et la dérision avec Clara qui assurait, contre vents et marées : « Les murs, on s’en branle, nous les femmes ».
J’oubliais que j’avais en face de moi des personnes privées de leur liberté, tant elles semblaient libérées de tout.
Cette pièce se veut un hommage à ces femmes recluses, enfermées dans la plus haute des solitudes, souvent, trop souvent même, victimes de la violence des hommes, et qui, privées de tout, parviennent tout de même à réinventer un monde où elles jouent à ne manquer ni de liberté ni d’humanité.
M. K.
Avec l’aimable autorisation de l’auteur.
Source FB.