Les germes de l’écologisme, le temps des inspirateurs
Une horde de villageois s’oppose aux soldats qui abattent des arbres, c’était en Inde, en 1720. Se réclamant des droits du citoyen, Benjamin Franklin et ses voisins de Philadelphie déposent une pétition à l’assemblée de Pennsylvanie pour mettre un terme à une décharge de déchets de tanneries, c’était en 1739. Quelle honte pour ceux qui, presque trois siècles après, assistent sans broncher, ou pire participent, à la décomposition des écosystèmes et au déclin du Vivant.
Quand on constate l’affligeante désinvolture, voire le dédain, de certains de nos contemporains et de bien des nations à l’égard de notre maison du Quaternaire, on reste pantois devant la clairvoyance des précurseurs des XVIIIe et XIXe siècles.
Parmi ces visionnaires, figurent l’illustre savant allemand Alexander von Humboldt (1769-1859) et plus tard, le naturaliste américain John Muir (1838-1914), tous deux grands explorateurs et chantres pionniers du patrimoine naturel. Par la qualité de ses observations et son nouveau regard conservationniste, Humboldt est le fondateur des explorations scientifiques modernes, plus animées de préservation que de pillage. Grâce à son influence sur le président Théodore Roosevelt, John Muir fut l’initiateur des parcs nationaux américains. Nous sommes au temps de l’exploration du monde et de l’essor des sciences naturelles, facilités par des voyages maritimes plus accessibles. Mais, concomitamment, nous sommes aussi au temps des prémices de la révolution industrielle et de ses premières pollutions qui, à l’époque, n’étaient qu’insalubrités. L’extension des possessions coloniales et le succès de l’alpinisme ouvrent timidement le champ sur les richesses des paysages. Romantisme dans la littérature et la peinture, darwinisme dans les sciences, portent à l’émoi les classes cultivées. 1872 est une date emblématique, celle de la proclamation du parc de Yellowstone, première figure mondiale de conservation de la Nature. L’empire britannique donne l’exemple et poursuit l’expérience en créant des réserves naturelles en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Afrique du Sud et au Canada. L’Europe, aux paysages moins grandioses et abritant une flore et une faune plus discrètes, se tient quelque temps à l’écart. Il faut attendre la fin du même XIXe siècle pour que soient préservés les premiers paysages paléarctiques, sous l’impulsion de grands écrivains s’exaltant pour la cause, mais dans l’indifférence générale de l’opinion publique.
La Grande-Bretagne témoignait alors d’un développement privilégié de ses sciences naturelles, doublé d’une prise de conscience environnementale, attitude résultant tant de sa forte expansion coloniale, que d’une industrialisation précoce ayant déjà porté atteinte à son biopatrimoine. Aux alentours de 1880, la nation anglaise comptait déjà quelque 100 000 amateurs de Nature, fédérés dans des clubs et des sociétés savantes d’histoire naturelle, notamment dans le sillage d’un certain Gilbert White, pasteur et naturaliste de renom. On découvrait et étudiait plus qu’on ne protégeait, mais l’intérêt était déjà polarisé. C’était la mode, aujourd’hui discutée et discutable, des collections de spécimens (herbiers, insectes piqués, batraciens en alcool, oiseaux et mammifères empaillés, etc.). Si elle ne vise pas à réunir des échantillons comparatifs pour l’étude, notamment taxinomique, la collection atteste d’une très contestable manie toute philatélique aux dépens du Vivant. Mais la dérive offre le mince avantage de conserver jusqu’à nos jours et à l’état mort, ce que la croissance économique aveugle n’a pu laisser en vie. C’est ainsi que nos musées sont les tristes vitrines d’une biodiversité en grande partie posthume, d’espèces à tout jamais disparues. Le revers de la médaille de ces aventures d’exploration à l’anglaise fut que dans la tendance, l’accessibilité à la vie sauvage des territoires d’outre-mer occasionna aussi le carnage que l’on sait par le biais de safaris aux hécatombes effroyables. Un carnage rituel figurait à chaque étape de la croisière noire (expédition Citroën 1924-1925) et un tableau de chasse de grands animaux signait l’arrivée triomphante de l’homme blanc. C’est ainsi que l’effectif des grands carnivores s’effondra en des contrées majoritairement habitées par des peuples non chasseurs ! Lorsqu’on en prit conscience, c’était déjà trop tard, notamment en bien des contrées d’Afrique.
Survinrent bien heureusement les premiers débats au sujet des trophées et des fourrures, et plus particulièrement sur le trafic international des plumes d’oiseaux qu’impliquait alors la mode féminine. C’est en 1900 que naquit la convention pour la préservation des animaux d’Afrique, signée à Londres par six nations. Cette première mondiale en matière de conservation était due au ministre britannique Lord Salibusby, sous la pression, non seulement des protecteurs de la Nature, mais aussi des chasseurs et premiers intéressés. Cet accord pionnier traitait notamment du contrôle de l’ivoire exporté depuis l’Afrique orientale. C’est aussi à cette époque et toujours chez les Anglais que naissent les premières mobilisations à l’encontre de la cruauté envers les animaux. L’environnementalisme britannique émergeant s’intéresse aussi à sauvegarder la beauté des paysages, démarche non vraiment éthique et surtout motivée par la qualité de la vie du citadin, voyant là un antidote au mode d’existence dans les grandes villes et aux premières pollutions, telle celle causée alors par les industries de l’ammoniaque. Quelques autres nations européennes emboîtent le pas. C’est par exemple le cas de la France, des Pays-Bas, de l’Allemagne et des pays scandinaves dont ce sont les balbutiements en matière de protection de certains animaux et des plus vieilles forêts. Dans la vieille Europe déjà trop façonnée par son agriculture et empoisonnée par des industries peu regardantes en matière de dégâts collatéraux, l’humeur de conquête s’en donne à cœur joie sur les terres nouvelles américaines, australiennes et africaines. La création des premiers parcs nationaux suffit à donner bonne conscience au massacre du reste qui, dans ces infinis décors, pouvait sembler inépuisable.
L’écologisme implique un amour universel pour la Nature et tout éthicien environnemental fait montre du plus grand respect pour les animaux. Alors n’oublions pas de rendre hommage au député Jacques de Grammont, un général (comme quoi…) qui aimait les animaux jusqu’à en inspirer la loi qui porte son nom, adoptée le 2 juillet 1850 par l’assemblée nationale législative. La loi Grammont punissait d’une amende de cinq à quinze francs, ainsi que d’une peine de un à cinq jours de prison, « les personnes ayant fait subir publiquement des mauvais traitements aux animaux domestiques ». Cette loi sera bien plus tard abrogée par le décret du 7 septembre 1959 qui sanctionne la cruauté envers les animaux, y compris dans le cadre privé. La même période voit la création le 2 décembre 1845, par le docteur Étienne Pariset, de la société protectrice des animaux (S.P.A.). Quant à la déclaration universelle des droits de l’animal, toute inspirée de celle des droits de l’homme et proclamée solennellement le 15 octobre 1978 à la maison de l’UNESCO à Paris, elle fut initiée dès 1939 par le philosophe André Géraud et son ouvrage du même nom. Celui-ci s’en prenait légitimement à tout comportement humain entravant la vie sauvage et naturelle du monde animal, et tout particulièrement les zoos et les ménageries : « Les ménageries constituent un degré supérieur d’incarcération animale ». Le préambule de la déclaration officielle est magnifique : « Considérant que la Vie est une, tous les êtres vivants ayant une origine commune et s’étant différenciés au cours de l’évolution des espèces ; Considérant que tout être vivant possède des droits naturels et que tout animal doté d’un système nerveux possède des droits particuliers ; Considérant que le mépris, voire la simple méconnaissance de ces droits naturels provoquent de graves atteintes à la Nature et conduisent l’homme à commettre des crimes envers les animaux ; Considérant que la coexistence des espèces dans le monde implique la reconnaissance par l’espèce humaine du droit à l’existence des autres espèces animales ; Considérant que le respect des animaux par l’homme est inséparable du respect des hommes entre eux… ».
Le temps des pionniers
« L’homme a assez de raisons objectives pour s’attacher à la sauvegarde du monde sauvage. Mais la Nature ne sera en définitive sauvée que par notre cœur. Elle ne sera préservée que si l’homme lui manifeste un peu d’amour. »
Jean Dorst
La guerre de 1914-1918 fait qu’on ne se préoccupe plus des valeurs biopatrimoniales. Il faut attendre 1923 pour trouver une date fondatrice, celle du premier congrès international pour la protection de la Nature qui se tient au Muséum national d’Histoire naturelle de Paris. Les initiateurs en sont le Néerlandais Pieter van Tienhoven et le Suisse Paul Sarasin. Il en sortira l’Office international pour la protection de la Nature, fondé à Bruxelles en 1928. En 1926, on s’inquiète pour la première fois du milieu marin, lors d’une conférence qui traite à Washington de l’impact néfaste des navires marchands. Dès 1933, le régime nazi promulgue sa loi du 24 novembre sur la protection animale, événement qui permet à certains d’énoncer jusqu’aujourd’hui que l’écologisme est un éconazisme. Entre 1934 et 1937, des centaines de nuages de poussières voilent la moitié des grandes plaines américaines réparties sur seize États, conséquences néfastes de pratiques agricoles trop agressives se manifestant lors des années de sécheresse. Les agriculteurs fuient le million de km2 érodé par leur abus d’usage et le pays se voit contraint d’importer du blé. C’est une leçon, l’homme moderne peut déjà entrevoir que la Nature n’est pas exploitable à merci, que les façons culturales trop brutales sont préjudiciables et que si l’on détruit l’environnement, l’environnement nous détruira. En matière de conservation, peu avant la seconde guerre mondiale, plusieurs traités, tant américains qu’africains ou européens sont signés, dont des conventions concernant la flore, la faune, les oiseaux migrateurs en particulier, ainsi que des sites paysagers pittoresques. La fin de la guerre marque la création, dans le cadre des Nations unies, d’entités à vocation de soutiens économiques et d’aides spécialisées comme l’UNESCO, la FAO et l’OMS, lesquelles perdurent toujours. En 1945, Hiroshima et Nagasaki inaugurent l’ère nucléaire, un pas considérable dans le pouvoir de destruction de la biosphère, euphémiquement nommé maîtrise de l’énergie atomique. 1948 voit la fondation de l’Union Internationale pour la Protection de la Nature, signée à Fontainebleau, sous l’impulsion de l’UNESCO et de la France, à l’initiative de Roger Heim, de Harold Coolidge, de Pieter van Tienhoven et de beaucoup d’autres. Très prévoyante, l’UIPN avait comme objets non seulement de promouvoir la sauvegarde de la vie sauvage, mais aussi de favoriser l’éducation et l’information inhérentes, la recherche scientifique et la législation. Souvent décriée, moquée, accusée d’une vision rétrograde du monde, l’UIPN change de nom en 1956 et devient alors l’UICN (International Union for Conservation of Nature and Natural Resources), formule plus pragmatique où la conservation des ressources se voit associée à l’effort de développement. Pour le meilleur et le pire, les considérations esthétiques et éthiques ont été minimisées au profit d’une mission plus orientée dans l’axe des ressources [1].
En 1948 (déjà !), paraît le premier ouvrage sur le possible épuisement des ressources, signé William Vogt : La faim dans le monde. L’étude anticipe les prophéties probabilistes des années 1960 quant à l’issue fatale d’une gestion environnementale sans discernement. Dans la foulée, pareille mise en garde émaille le livre de Fairfield Osborn : La planète au pillage. Détérioration d’une Terre surpeuplée, interdépendance de tous les êtres vivants, penchant de l’homme à dominer et à détruire les sources vitales, prise en compte du respect de la Nature dans les luttes contre la sous-nutrition et contre le désarmement. Ces visions, alors d’avant-garde, ne sont pas trop entendues, l’euphorie du contexte favorable dont bénéficie alors l’Amérique du Nord fait que Vogt et Osborn prêchent dans un désert. Mais la question démographique était de nouveau posée en guise de pierre angulaire. En 1798 et bien avant l’avènement de l’argument environnemental, dans son Essai sur le principe de population, le pasteur anglican et économiste Robert Malthus avait déjà postulé qu’il existait un écart croissant entre une population qui augmente en progression géométrique (1, 2, 4, 8, 16, etc.) et des ressources, notamment alimentaires, augmentant moins vite, en progression arithmétique (1, 2, 3, 4, 5, etc.), et que la conclusion inévitable d’une telle inéquation ne pouvait qu’être une catastrophe démographique. Cette réponse argumentée aux idées optimistes de l’époque (William Godwin, Condorcet, etc.) fut paradoxalement mal reçue et le malthusianisme étiqueté d’hostile aux classes inférieures fatalement enclines au lapinisme. La menace démographique restera inscrite au cœur des débats, au fil des assemblées successives de l’UICN. Dès les années 1960, la population mondiale passe le seuil et s’accroît inexorablement, inégalement avec les ressources alimentaires.
Les Sixties de la pensée verte
« Le peu qu’on peut faire, le très peu qu’on peut faire, il faut le faire, pour l’honneur, mais sans illusion. »
Théodore Monod
« Nous ne sauverons pas tout ce que nous aimons, mais nous aurons sauvé beaucoup plus que si nous n’avions jamais essayé. »
Peter Scott.
La décolonisation, processus irréversible, conduit à l’apparition d’une nouvelle notion, celle de tiers-monde. Les conservationnistes européens ont l’impérieuse sensation qu’il faut assister les jeunes États afin de les accompagner sur une voie de conciliation entre leur développement et la parcimonie des ressources. La leçon des pays du Nord voulant faire de ceux du Sud de gentils jardiniers sera mal entendue par le fait que l’héritage colonial se ressentait cruellement du pillage et du mauvais traitement dont ils furent victimes. En septembre 1961, le manifeste d’Arusha voit de nombreux pays africains prendre en compte la préservation de leur capital naturel, notamment par une gestion de leurs parcs nationaux, et c’est en septembre 1968 que l’UICN parvient à faire adopter par les 33 pays de l’Organisation de l’unité africaine sa version d’une convention africaine de la conservation. Stewart L. Udall (États-Unis) s’adresse ainsi à la VIIIe assemblée générale de l’UICN réunie à Nairobi en septembre 1963 : « Le bourgeonnement des populations menace l’idée de conservation tandis que grandit l’obsession d’une surexploitation, qui ne serait autre chose que l’illustration de la politique du « pillez d’abord, vous paierez ensuite ». L’expansion démographique, manifestée de toutes parts, rend d’autant plus nécessaire une sage politique de conservation. La conservation n’est pas un luxe, c’est une nécessité ». Par sa perspicace clairvoyance, le discours est novateur. Nonobstant cet avertissement et bien d’autres, rien n’a pu endiguer l’inévitable tendance de gestion minière de ces pays (et des autres), et le niveau de vie n’a fait que se dégrader au fur et à mesure d’une gestion déviante et tyrannique, a fortiori par des dictatures avides et corrompues, bien épaulées par un certain paternalisme néocolonial.
En 1963, l’UICN inaugure la publication de sa liste rouge des espèces botaniques et animales considérées comme menacées. Elle désigne alors un premier inventaire d’aires terrestres et marines qu’il convient de préserver, tant pour leur diversité sauvage que pour les ressources naturelles et culturelles associées qu’elles représentent.
À l’aube des années 1970, l’éventail potentiel pour la dégradation de la biosphère est réuni : poussée de la technologie militaire, essor du nucléaire, triomphe de l’agrochimie, américanisation de la planète, culte de la croissance à tous crins, envahissement des déchets, espaces et espèces en péril, les riches d’autant plus prospères que les pauvres sont appauvris. Les penseurs et, dans une moindre mesure, les scientifiques avertissent contre la tentation de l’apprenti sorcier. Épris de matérialisme, saoulé par l’avènement d’une incontournable religion consumériste qui l’aiguillonne mode après mode, le monde s’en gausse ouvertement. Révolutionnaire et visionnaire, l’anthropologue Paul Shepard (1925-1996) s’inquiète dès 1969 de la tournure des choses : « N’est-il pas permis d’être sceptique devant le désamorçage complet de l’écologie science subversive ? » Depuis la prise de conscience, ces incessantes tentatives de reléguer le débat écologique ont fait perdre un temps précieux. On doit évidemment cette attitude négative à la classe conservatrice, laquelle dès l’aube du XXIe siècle et devant les faits accomplis de dégradation planétaire, récupère allègrement la cause écologique, s’empare du sujet et roule dans la farine les acteurs « Verts » qu’elle avait auparavant dénigrés. Il est à noter que, dans la majorité des cas, ces derniers tombent dans le panneau.
Né en 1961 dans le giron de l’UICN et avec l’objectif initial de contribuer au soutien budgétaire de celle-ci, le WWF voit le jour à Morges, en Suisse. Le World Wildlife Fund prend vite la tangente, animé de sa propre stratégie de protection de la diversité biologique et de l’environnement, mission complétée par la lutte contre toutes les formes de pollution, puis plus tard notamment axée sur la préservation des milieux forestiers et aquatiques. Loin de se contenter de collecter des fonds, l’organisation veille à collaborer avec des équipes d’écologues scientifiques et de militants écologistes. Les premiers budgets sont voués à la création de la station de recherche Charles Darwin aux Îles Galapagos, puis à des projets en faveur des derniers rhinocéros de Java et de la protection du tigre du Bengale, de la création d’un sanctuaire pour les baleines dans l’océan sud-Antarctique, sans oublier l’action très médiatique et de concert avec le gouvernement chinois de sauvegarde du panda. Le sauvetage de la Doñana fut aussi à l’origine de la création du WWF et en demeure l’un des symboles. Depuis la fondation de ce parc en 1969, il a absorbé 80 % des budgets de conservation en Espagne et est reconnu par l’UNESCO comme réserve de la biosphère. Au sud de l’Andalousie, sur la rive droite du Guadalquivir au niveau de son estuaire sur l’Atlantique, 77 000 hectares sont chaque année le paradis d’hivernage de 500 000 oiseaux d’eau et abritent, entre autres, les derniers lynx pardelle. C’est l’un des trésors naturels d’Europe. Avec la création de 2 millions de kilomètres carrés de parcs nationaux et de réserves naturelles, le WWF s’est affirmé en moins d’un demi-siècle comme la première entité privée de sauvegarde mondiale des sites et des espèces. Soutenue par 5 millions de membres et de donateurs, collaborant à plus de 12 000 projets de terrain dans 140 pays, la fondation emploie quelque 3 000 collaborateurs.
Les années 1960 s’achèvent sur un fond de catastrophes qui font prendre conscience que le capitalisme débridé est le mal du siècle, que le système le plus séduisant jamais inventé s’autodévore, et que la mise au pas des récupérateurs du marxisme ne vaut guère mieux dans son traitement des citoyens et des sols. La révélation consternante de la maladie de Minamata (contamination mercurielle masquée depuis longtemps, ayant provoqué des milliers de morts et devenue depuis une maladie congénitale), les marées noires du Torrey Canyon sur les côtes bretonnes (30 000 tonnes de pétrole et une gestion déplorable de la catastrophe) et celle causée par la rupture d’un puits en couche friable à Santa Barbara en Californie (suintement quotidien de 150 000 m3 de gaz et de 20 tonnes de pétrole), alertent l’opinion publique. De telles calamités sont probablement les éléments fondateurs des prémices du catastrophisme écologique, attitude souvent reprochée aux écologistes. Mais il y a peut-être de quoi ! Dès lors, ces types de drames n’ont cessé d’endeuiller les écosystèmes et les hommes. Des savants lèvent le bouclier, publient des pamphlets prescriptifs et des billets d’humeur, font de véhémentes déclarations, exhortent à un meilleur respect, mettent en garde contre l’excès d’imprudence. C’est, par exemple, les cas de Georg Borgstrom, géographe, économiste et nutritionniste suédois, qui démontra le premier que la production de viande engendrait une grande pollution ; de Barry Commoner, biologiste américain, auteur notamment de Quelle Terre laisserons-nous à nos enfants ? ; de René Dubos, agronome et écologue français, corédacteur du premier sommet de la Terre des Nations unies ; de Paul Ehrlich, universitaire américain, auteur de La bombe P, ouvrage prédisant la bataille perdue pour la nourriture mondiale et précédant ainsi le célèbre Halte à la croissance ? du club de Rome ; de Jean Rostand, biologiste français, libre-penseur, pamphlétaire, pacifiste ; de Gunther Schwab, essayiste autrichien, auteur de La danse avec le diable où il parle déjà de l’augmentation de CO2. Mais c’est Rachel Carson, zoologiste nord-américaine, qui, dès 1962 et avec Le printemps silencieux, sonna pour la première fois le tocsin à propos des antiparasitaires (à l’époque le funeste DDT faisait des ravages), en dénonçant leur impact écologique et sanitaire, et en appelant au principe de précaution. Elle mit en évidence le lien possible entre le cancer et les pesticides. Elle mourut d’un cancer.
Naissance de l’écoconscience
« La santé de l’homme est le reflet de la santé de la Terre. »Heraclite (v.550 - v.480 av. J.-C.)
« Je suis sûr que l’on pourrait supprimer 30 % des envies sans que personne n’en souffre vraiment. »
Paul-Émile Victor
« Notre survie est entre les mains de la prochaine génération. »
Paul-Émile Victor
Où l’on va se rendre compte, tout d’un coup, que la locomotive économique n’ira pas bien loin sans wagons écologiques…
À la fin des années 1960, un immense mouvement naturaliste réactif émerge des campus américains et se propage comme une traînée de poudre dans la société occidentale, contre-culture à la petite bourgeoisie consumériste. C’est un nouvel état d’esprit qui porte en lui les bases de l’écoconscience. Il s’illustre par la mouvance beatnik rejetant les tabous des squares (personnes rigides ne profitant pas de la vie), par les hippies prônant la vie communautaire et le retour aux champs, par le Mai 68 français s’insurgeant d’abord contre le système éducatif, par la vague Sozialistischer deutscher studentenbund en République fédérale allemande, par le Printemps de Prague, par l’Automne de Mexico, par les actions nord-américaines contre la guerre du Vietnam et par bien d’autres répliques informelles de contestations du monde étudiant qui vont peu ou prou changer, au moins momentanément, la donne et faire souffler un air moins vicié que celui de l’embrigadement, de la soumission et du sacro-saint travail-famille-patrie. La comédie musicale Hair reste un emblème de cette époque. D’abord créée off en 1967, elle fut jouée à Broadway plus de quatre ans sans interruption et gagna toutes les scènes du monde occidental. Hair et sa mode psychédélique décoiffe alors une société figée et décape, à coups d’inconvenances (cheveux longs, nudité, amour libre, pacifisme, etc.) la couche sédimentaire de fourberies sur laquelle est fondé le système dominant. Hair entraîna une colossale levée de boucliers contre la guerre au Vietnam, une prise de conscience universelle et éthique dont notre présent et sa guerre en Irak n’ont pas eu leur pareil. Par sa contestation du dogme, ses références à la cosmologie et son appel pour un retour à la Nature, l’œuvre fut fondatrice en matière d’écoconscience. Elle fut évidemment raillée par tous ceux qui, aujourd’hui, cheveux ras et complets vestons anthracite, se targuent de ces valeurs récupérées au profit de leurs nouveaux stands néolibéraux de vente à la criée. Ces révoltes pacifistes contre le matérialisme, l’hypocrisie, l’ennui et la frivolité visaient à réinventer la société sur des sentiments simples et débarrassés des préjugés. C’est aussi la naissance du citoyen du monde. Dans la foulée, d’autres mouvements militants ou associatifs, tous plus ou moins situés à la gauche de l’échiquier politique, se constituent dans la foulée du mouvement écologiste : défense du consommateur, incitations au boycott de produits, féminisme, contrôle des naissances, pro-avortement, pacifisme et non-violence, ... On parle aussi de plus en plus des énergies alternatives et de l’agriculture biologique. Tout est lié ! Parallèlement, des conférences et des congrès sur les thèmes environnementaux, toutes tendances confondues (de la pollution citadine à la protection de la biodiversité) sont organisés un peu partout (plusieurs centaines entre 1960 et 1970). En 1968, la conférence intergouvernementale Man And the Biosphere (MAB) de l’UNESCO, visant à concilier environnement et développement, fut la plus fondatrice et engagea le programme du même nom. Le 22 avril 1970, 20 millions de Nord-américains se mobilisent pour l’environnement, c’est le fameux Earth Day, qui anticipe l’actuelle Journée Internationale de la Terre célèbrée chaque année à l’équinoxe de printemps (le 20 ou 21 mars). Cette année-là, Ralph Nader, le défenseur des consommateurs états-uniens, sort son rapport sur la pollution de l’air dans les métropoles.
S’adossant à l’idée d’écologie politique, c’est à l’orée des seventies que politiques et marchands commencent à récupérer l’idée écologique dans leurs effets d’annonce. Tout en criant au scandale lorsqu’en 1972 le club de Rome remet en cause les croissances économique et démographique dans son ouvrage cardinal Halte à la croissance ?, tout un chacun peut convenir que les limites de l’impact écologique de la civilisation industrielle occidentale sont maintenant discernables et peuvent être remises en cause, pour le moins contestées dans leur excès. C’est dans cet esprit que sort en Grande-Bretagne Blueprint for Survival (publié en France sous le titre de Changer ou disparaître), œuvre d’un collectif de chercheurs dirigé par Edouard Goldsmith, l’un des fondateurs de cette écologie politique et éditeur depuis 1969 de la revue phare The Ecologist.
Dans les années 1970, Serge Moscovici (La société contre nature) prône un naturalisme plus subversif et échafaude un naturalisme hétérodoxe pour réenchanter le monde, ensauvager la vie. Proche de Moscovici, Robert Jaulin fait l’apologie de la culture tribale et popularise la notion d’ethnocide. Brice Lalonde et Les Amis de la Terre se réclament alors de Moscovici. L’entrée au Bundestag de quelques députés Vert (Grünen) et les thèses du biologiste Barry Commoner marquent le virage vers l’écologie politique.
Des accords
1971 est l’année de la fondation, à Vancouver (Canada) de l’ONG Greenpeace, dont Bob Lorne Hunter et David Mc Taggart furent deux des initiateurs les plus connus. L’objet premier était l’opposition aux essais nucléaires, mais l’organisation prit vite sa vitesse de croisière avec un panel très fourni de combats environnementaux et écologiques. Les pôles de luttes électives de Greenpeace regroupent la préservation des mers, de son milieu (et notamment à l’encontre de la pêche baleinière), la sauvegarde des forêts anciennes, la promotion d’un modèle de développement durable, le réchauffement climatique, les pollutions chimiques, la sortie du nucléaire et l’interdiction de l’immersion des déchets radioactifs ou l’abandon des OGM dans l’agriculture. L’association est active dans 160 pays, soutenue par 2,5 millions d’adhérents dont les cotisations sont l’unique source d’un financement qui en garantissent l’indépendance, et compte plusieurs milliers de militants bénévoles. Le bureau central est situé à Amsterdam. Les actions directes non-violentes, toujours très médiatisées, ont fait le succès de Greenpeace. C’est encore en 1971, lors d’une réunion en Iran, que l’UICN élabore la convention de Ramsar, laquelle entrera en vigueur en 1975. Il s’agit d’un traité international pour la conservation et l’utilisation durable des zones humides, visant à enrayer la dégradation et la perte progressive de celles-ci, en reconnaissant leurs fonctions écologiques fondamentales, ainsi que leurs valeurs économique, culturelle, scientifique et récréative. Plus de trente ans après, la liste des zones humides d’importance internationale, ratifiée par 150 nations, comporte 1200 sites représentant une surface d’environ 1 119 000 km2.
Un an plus tard, une mobilisation mondiale pour l’environnement est organisée en juin 1972 à Stockholm par les Nations unies, premier sommet de la Terre et conférence intergouvernementale sur l’homme et l’environnement, dont l’objectif est d’arrêter les décisions utiles et de définir les actions politiques adéquates. Les conclusions sont décevantes mais les questions écologiques se voient pour la première fois placées au rang de préoccupations internationales. Il en résulte le programme des Nations unies pour l’environnement, ainsi que la naissance dans bien des pays avancés d’un ministère de l’Environnement. La voie est maintenant grande ouverte aux conventions multilatérales. Signée en présence de 80 pays à Washington en 1973, entrée en vigueur dès 1975 et amendée à Bonn en 1979, la convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) est créée. Sa rédaction a donné suite à une résolution adoptée dès 1963 lors d’une session de l’Assemblée générale de l’UICN. On estime que le commerce international illégal des espèces sauvages, mortes et vivantes, représente 5 milliards d’euros par an et qu’il porte sur des centaines de millions de spécimens de plantes et d’animaux. Cette convention confère une protection aux espèces, apparaissant dans le commerce sous forme de plantes ou d’animaux vivants, de manteaux de fourrure ou d’herbes séchées. L’achat des végétaux et des animaux menacés de disparition est donc interdit ou réglementé par la CITES. Cette convention rassemble aujourd’hui 171 pays signataires qui se réunissent tous les trois ans pour statuer sur le sort des espèces concernées. La CITES protège actuellement 5 000 espèces animales et 28 000 espèces végétales. Hélas et par un effet pervers, ces interdictions stimulent aussi le commerce, notamment durant la trop longue période séparant la proposition de réglementer une espèce et son entrée en vigueur. En étudiant les chiffres, des experts ont constaté que durant cette période les volumes d’échanges légaux augmentent beaucoup. Ainsi, le prix de la corne de rhinocéros a grimpé de 400 % sur les marchés coréens durant les deux années précédant l’interdiction.
La crise pétrolière qui se déclare en octobre 1973 met de l’huile sur le feu. Les menaces de pénuries font comprendre la dépendance et la fragilité du dessein industriel et de l’American way of life, dont s’emparera pourtant la Chine trente ans après…
Dès 1974, certains cercles scientifiques états-uniens débattent de la dégradation de la couche d’ozone. Sa divulgation médiatique mondiale attendra cependant de nombreuses années, tout comme l’effet de serre dont il ne sera question qu’en 1979, lors de la première conférence mondiale sur le climat. On doit la notion moderne de l’effet de serre au savant suédois Svante Arrhenius (1859-1927), prix Nobel de chimie, qui dès 1895 explique à ses collègues de l’Académie des sciences que la vapeur d’eau et le gaz carbonique jouent un rôle majeur dans l’équilibre thermique de la Terre. Il en déduit logiquement que l’utilisation intensive des énergies fossiles pourrait augmenter l’effet de serre. Ce n’est qu’un siècle plus tard que sa mise en garde atteindra la sphère politique internationale.
En février 1976 est signée à Barcelone la Convention sur la protection de la mer Méditerranée contre la pollution.
En 1978, l’UICN publie son rapport sur la catégorisation des figures de protection (réserves scientifiques, naturelles, intégrales ou dirigées, parcs nationaux, monuments naturels, réserves de la biosphère, biens patrimoniaux mondiaux, etc.), nomenclature établie par Ray Dasmann, professeur à l’université de Santa Cruz (Californie). Dasmann est par ailleurs l’auteur de cette dichotomie entre l’homme d’écosystème (de son écosystème) et l’homme de biosphère, ce dernier statut souhaité étant la clé du comportement pour une société durable.
Professeur de Sciences économiques à la Sorbonne, René Passet doit sa notoriété à son livre L’économique et le vivant, paru en 1979 et suivi de nombreux autres sur le même thème. Il sera plus tard l’un des fondateurs du mouvement ATTAC (« Le monde n’est pas une marchandise »), où il cèdera en 2001 sa place au conseil scientifique du mouvement à Dominique Plihon.
Les États-Unis, jusque-là leaders de la cause environnementale et détenteurs d’une législation très avancée en la matière, seront mis en retrait par les deux mandats de Ronald Reagan. En Europe occidentale, on assiste à une fusion entre les militants écologistes et les pacifistes luttant pour le désarmement.
1979 est marqué par la publication de L’arche en perdition (« 40 000 espèces vivantes disparaissent chaque année, soit 109 quotidiennement »), œuvre du scientifique Norman Myers, membre de l’université d’Oxford.
En 1980, l’UICN, le WWF et le PNUE publient leur stratégie mondiale de la conservation, laquelle propose la notion de développement durable (ou mieux dit supportable), mode de conciliation (et de réconciliation !) de nos civilisations avec les ressources naturelles. Le développement durable doit répondre aux besoins des générations actuelles sans compromettre la possibilité de répondre à ceux des générations à venir, sur un mode « économiquement justifiable, techniquement possible, socialement désirable et écologiquement sain » (agenda 21). C’est jusqu’à ce jour et pour l’essentiel une déclaration d’intention, un vœu pieu et l’on peut regretter que la formule incantatoire serve désormais de cache-sexe a un comportement qui n’a pas changé d’un iota, ou qui empire.
Toujours en 1980, la FAO (Food and Agriculture Organisation) lance l’Année mondiale de la forêt et l’attention est portée sur les forêts tropicales pluviales, leur riche biodiversité (deux tiers des 250 000 taxons botaniques connus) et leur perte annuelle enregistrée de 11 millions d’hectares.
C’est peu avant la fin de cette décade que l’information circule à propos des biotechnologies (génie génétique) et le monde s’inquiète de l’absence de rempart éthique pour maîtriser de telles manipulations génétiques.
1982 est l’année d’un sommet de la Terre oublié, celui de Nairobi, au Kenya. Ronald Reagan y délègue sa fille pour représenter les États-Unis… C’est aussi l’adoption de la Charte mondiale de la nature, lors de la 36e assemblée générale des Nations unies.
1985 voit naître la convention de Vienne pour la protection de la couche d’ozone. Mais le 7 juillet 1985, à Auckland en Nouvelle-Zélande, les services secrets français procèdent au plasticage du Rainbow Warrior, navire amiral de l’organisation Greenpeace. Fernando Pereira, membre d’équipage et photographe officiel est mort noyé alors qu’il tentait de récupérer de l’équipement photographique dans sa cabine. L’action de Greenpeace, contrée par le terrorisme de l’État français, ne visait qu’à protester contre les essais nucléaires de Mururoa. En 1987, la France versera 8,16 millions de dollars d’indemnités à Greenpeace.
Çà et là en Europe, la période voit se constituer de nombreux partis verts. Ils vont cristalliser leurs revendications à l’occasion de la catastrophe de Tchernobyl, événement fondateur dans l’apparition de la conscience écologique comme contre-pouvoir à la folie des temps.
Alors que les staliniens prônaient une même exploitation de la Nature que les sociétés capitalistes du sillon monothéiste, le dogme va s’effriter. Déjà, dans les années 1960, un front d’intellectuels mène une croisade en faveur de la préservation du lac Baïkal, perle de la Sibérie (aujourd’hui sous la menace d’un nouvel oléoduc). Puis en 1980, un mouvement vert s’oppose à un aménagement trop ambitieux des fleuves sibériens tendant à perturber leurs cours au profit de l’irrigation de l’agriculture intensive. D’avril 1985 à décembre 1991, l’influence, parfois souterraine, des mouvements écologiques n’est pas négligeable dans le processus de démocratisation impulsée par la Perestroïka et l’effondrement subséquent du bloc communiste.
Les trois dates suivantes vont symboliser trois étapes essentielles dans l’émergence légitime de l’écologisme et de son influence croissante dans l’arène politique. Avril 1987 : parution de la conclusion de la commission mondiale sur l’environnement et le développement (Notre Avenir à Tous), dit rapport Brundtland, définissant la politique la plus judicieuse pour parvenir à un développement durable. Septembre 1987 : signature du protocole de Montréal visant la réduction et l’élimination à terme des substances appauvrissant la couche d’ozone (interdiction la production des chlorofluorocarbones, dits CFC). Octobre 1991 : seconde stratégie mondiale de la conservation, publiée par l’UICN.
Aujourd’hui, l’UICN fédère 48 États, compte 114 agences gouvernementales, réunit environ 800 ONG et 10 000 experts scientifiques appartenant à 180 pays travaillant sur un demi-millier de projets.
Le 22 mars 1989 est signée la convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontaliers de déchets dangereux et sur leur élimination. Elle entre en vigueur en mai 1992.
1990 voit la création du Fonds pour l’environnement mondial (FEM), chargé de fournir des ressources financières supplémentaires pour traiter les questions environnementales des pays en développement et des économies en transition. Restructuré en 1994, le FEM fournit environ un quart des fonds d’intervention du PNUD et plus de 65 % de ceux du PNUE.
En juin 1992, c’est un nouveau sommet de la Terre, déjà le troisième. Beaucoup de gens pensent que c’est le premier ! Selon Maurice Strong, secrétaire général : « Le développement durable est le seul qui ait un sens ». Les spécialistes de la conservation doivent désormais guider le monde vers des stratégies fondées sur une croissance réfléchie. Lors de ce CNUED (conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement) majeur, les 27 principes de la Déclaration de Rio et les 2 500 recommandations de l’Agenda 21 sont adoptés, et les conventions sur la biodiversité et le climat sont acceptées. De tels sommets de la Terre réuniront désormais tous les dix ans les dirigeants mondiaux afin de définir les moyens stratégiques pour stimuler au mieux le développement durable.
L’après-Rio est le temps du grand écart entre le paradigme d’une écologie raisonnable et le projet expansionniste. Les ONG piaffent derrière les portes des gouvernements assoupis et inertes. Les proclamations sont incantatoires, l’action est figée. Les deux conventions du CNUED, l’une à propos du climat, l’autre de la biodiversité, n’obtiendront pas les ratifications. La France est un mauvais exemple : elle se fait tirer l’oreille pour porter à 0,7 % de son PNB l’aide vouée au développement et rechigne à l’adoption de l’écotaxe européenne sur les émissions de C02. L’Agenda 21 reste lettre morte et ne réunit que 2 des 125 milliards requis chaque année. Les instances mondiales comme le GATT, le FMI, le G7, la Banque mondiale, continuent de tenir un discours qui brille par l’absence de concertation avec les pays les plus démunis.
Lors de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, une conférence, dite Mandat de Berlin, tente en 1995 de lancer une nouvelle série de négociations tendant à rendre plus rigoureux les engagements souscrits par les parties contractantes des pays développés
Du 23 au 27 juin 1997 se tient à New York un nouveau sommet de la Terre. Cette 19e session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations unies, dite Rio + 5, fait le point sur les engagements pris à Rio de Janeiro en 1992 et constate déjà le désaccord entre l’Union européenne et les États-Unis sur la réduction des gaz à effet de serre.
En décembre 1997, 160 nations sont invitées à participer à Kyoto à une conférence climatique internationale, sous l’égide de l’ONU. Plusieurs camps se forment. Le Carbon Club, formé du JUSCANZ (Japon, États-Unis, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande) et des pays de l’OPEP, tous opposés à l’instauration de quotas, rejoints par la Russie et la Norvège. Un second camp pour qui la montée des eaux est une menace commune, réunit les Pays-Bas, les îles et archipels du Pacifique. L’Union européenne se montre la plus favorable aux mesures de défense environnementale. Enfin, le G7 et la Chine fédèrent la grande majorité des pays émergents. Noyées dans un marchandage international, les décisions les plus préoccupantes sont finalement reportées sine die. On remettra postérieurement le couvert sur l’effet de serre à Buenos Aires en 1998, à Bonn en 1999, à La Haye en 2000, à Bonn en 2001, à Marrakech encore en 2001, pour parvenir au récent processus de Montréal. Pour qu’un protocole entre définitivement en vigueur, il doit être ratifié par un minimum de 55 pays, dont les émissions combinées représentent 55 % du total des émissions de 1990. 34 pays industrialisés, dont le Canada, le Japon, les pays de l’Union européenne et la Russie, ont déjà signé, s’engageant à réduire conjointement d’ici 2012 leurs émissions de gaz à effet de serre de 5,2 % par rapport à leurs niveaux de 1990. Une centaine de pays en développement, dont la Chine, l’Inde, le Brésil, la Corée du Sud, l’Indonésie et l’Afrique du Sud, sont exemptés d’objectifs pour le moment. Ils sont seulement conviés à contrôler leurs émissions de gaz à effet de serre et à établir des inventaires.
La convention de Rotterdam sur le commerce de produits chimiques et pesticides dangereux est signée le 11 septembre 1998 par l’Union européenne et 57 pays. Elle n’entrera en vigueur que le 24 février 2004. Cette convention dite à consentement préalable (PIC) concerne vingt-deux pesticides et cinq produits chimiques, sur lesquels les pays exportateurs doivent fournir toutes les informations avant exportation.
En janvier 2000, c’est l’adoption à Montréal du protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques, lequel sera effectif en septembre 2003. Il permet aux états importateurs de manifester leur volonté d’accepter ou non les importations de produits agricoles contenant des organismes génétiquement modifiés (OGM).
Le sommet du millénaire de l’ONU se tient à New York du 6 au 8 septembre 2000. Les 189 états membres des Nations unies adoptent une déclaration finale fixant les objectifs du millénaire pour le développement (OMD) en huit points, afin de réduire de moitié la très grande pauvreté d’ici à 2015, et ce, dans le respect du développement durable.
Le 13 mars 2001, coup dur pour l’écoconscience planétaire, le nouveau président des États-Unis, G.W. Bush, annonce que son pays ne ratifiera pas le protocole de Kyoto et qu’il renonce à une politique de limitation des émissions de gaz à effet de serre.
En mai 2001 est signée la convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants (POP). La prohibition progressive de douze d’entre eux est son objectif, tels le DDT, les PCB ou la dioxine, principalement utilisés dans les pays en développement. Son application entrera en vigueur en mai 2004.
Dix ans après le sommet de Rio de juillet 1992, le Sommet des Nations unies sur le développement durable se tient du 26 août au 4 septembre 2002 à Johannesburg. Il s’achève par l’adoption d’un plan d’action ne comportant que des déclarations générales, jugé très décevant par les ONG.
C’est le 16 février 2005 qu’entre en vigueur le protocole de Kyoto, après sa ratification par 141 pays. Durant la période 2008 à 2012, les pays industrialisés devront réduire de 5,2 % en moyenne par rapport à 1990 leurs émissions de CO2 et de cinq autres gaz réchauffant l’atmosphère. Les États-Unis et l’Australie qui comptent pour plus d’un tiers des gaz à effet de serre du monde industrialisé n’ont pas ratifié ce protocole. Les 107 pays en développement l’ayant fait n’auront que de simples obligations d’inventaire d’émissions polluantes.
En mars 2005, le rapport d’évaluation des écosystèmes pour le millénaire (Millenium Ecosystems Assessment) est remis aux Nations unies. Selon ses conclusions, les changements des écosystèmes sont plus rapides depuis 50 ans que dans toute l’histoire de l’humanité, ont entraîné des évolutions qui vont s’aggraver au cours des 50 prochaines années et empêcheront la réalisation des objectifs du millénaire des Nations unies pour le développement. Fruit de quatre années de travail, il a été rédigé par 1 360 experts de 95 pays, sous l’égide du PNUE (programme des Nations unies pour l’environnement).
En janvier 2006, la CNUCED (conférence des Nations unies sur le commerce et le développement) accouche d’un nouvel accord international sur les bois tropicaux. Négocié par 33 pays producteurs et 62 pays consommateurs, il vise à remplacer l’accord de 1994 qui arrive à expiration fin 2006. Il encourage les parties à mettre en place des mécanismes de certification, pour promouvoir une exploitation durable des forêts tropicales.
2007-2008 fut le temps de tous les Grenelle, de tous les faux-semblants et d’une grande désillusion quant à un ressaisissement écologique de figure hexagonale. En cas de succès, c’eût été une gloriole bleu-blanc-rouge, au mieux de quoi inspirer l’Europe, mais que fait-on des trois-quarts de l’humanité ? Une révolution durable ne peut-elle être qu’une prise de conscience d’un pays, d’un continent et non planétaire ? Le lecteur retrouvera plus loin, au chapitre de l’électoralisme français, les tribulations du Grenelle dit de l’environnement, où triompha l’art de siphonner les forces vives d’une écocitoyenneté tout aussi naissante que naïve. Il y a péril écologique en notre demeure du Quaternaire, mais l’heure est toujours au jeu politico-économique. En décembre 2007 une nouvelle conférence de l’ONU sur les changements climatiques se tient à Bali, la treizième du genre. La feuille de route devait déboucher deux ans plus tard, à Copenhague, sur un nouveau traité engageant l’ensemble des nations à lutter contre l’effet de serre. Les travaux s’achevèrent par un accord mièvre, démuni de mesures courageuses, ne répondant pas aux impératifs scientifiques pour contenir la hausse moyenne des températures en dessous d’un seuil périlleux pour la vie sur Terre. Deux semaines de négociations devaient convenir d’une stratégie et décider de l’après-Kyoto, qui expire en 2012. Principal motif de discorde : les objectifs chiffrés. Le rapport des minima revient à dire que les émissions allaient « culminer d’ici 10 à 15 ans pour être ensuite réduites à des niveaux très bas, bien en dessous des niveaux de 2000 ». Comme aux sommets de La Haye en 1998, de Marrakech en 2001, de Johannesburg en 2002, les mêmes formules creuses ont été ressassées par les moins pessimistes assurant que : « nous sommes sur les bons rails ». Dans le dernier rapport du GIEC de novembre 2007, il était préconisé que les pays industrialisés devaient diviser par vingt leurs émissions de gaz à effet de serre. La présidence indonésienne a soumis une nouvelle proposition d’accord qui ne fait plus aucune référence aux travaux du groupe d’experts intergouvernementaux sur l’évolution du climat, ni à une réduction de 25 à 40 % des émissions de gaz à effet de serre des pays industrialisés d’ici 2020. L’Europe qui n’est pas un exemple fit bonne figure. Heureuse nouvelle, l’Australie de Kevin Rudd, nouveau premier Ministre, adhéra enfin au protocole de Kyoto. Les États-Unis s’affirmèrent toujours autant retors et farouchement opposés à toute référence chiffrée ou à tout engagement de réduction et sont accusés, avec le Japon, le Canada et la Russie. Ces nations bloquèrent les discussions. Il était illusoire de croire que les pays en voie de développement s’engageraient à fournir des efforts, sans nouvelle contrepartie forte des pays industrialisés, pour contrer un réchauffement dont ils ne sont pas les responsables. La Chine, qui tourne au charbon pour servir son boom économique, est en passe de devenir le plus gros pollueur planétaire. Dans cette course à la pollution, l’Inde n’est plus très loin derrière. Le Brésil, l’Indonésie et bien d’autres pays sacrifient leurs forêts primaires, pièges à carbone, à l’exploitation et aux cultures industrielles. Cette énième lecture minimaliste faite à Bali se traduisit dans les propositions du dispositif technique à mettre en œuvre : elles sont de manière criante en deçà des mesures nécessaires. Les objectifs fixés avant Bali étaient déjà insuffisants : pas plus de deux degrés de hausse des températures d’ici à la fin du siècle, diviser par deux les émissions mondiales de gaz à effet de serre, le pic doit culminer d’ici à 2020. Ces propositions se fondent sur un diagnostic erroné, les scientifiques assurent qu’il faut mettre la barre plus haut. Le face à face de deux mondes souligne bien l’existence d’un apartheid climatique évident. La lutte contre l’inégalité face au changement climatique est engagée. Les pays pauvres ne doivent pas payer le contrecoup de la croissance économique des états industrialisés. Leurs moyens précaires ne leur permettent pas de contrer les dommages causés par les bouleversements liés au changement climatique. La pénurie d’eau a déjà fait près de deux milliards de victimes, principalement en Asie. Dans de nombreuses régions africaines (Afrique du Sud, Mali, Niger, Tchad), les populations vivant de l’agriculture souffrent de la sécheresse. Les inondations et les tempêtes tropicales au Bangladesh, au Vietnam, et en Égypte, ont conduit au déplacement forcé de 322 millions de personnes. L’ONU et le GIEC s’accordent sur les conséquences à venir. Entre 150 millions et plus d’un milliard de réfugiés climatiques sont prévus d’ici 2050.
En mai 2008 à Sao Paulo, une Internationale Verte fédérant 88 mouvements écologistes tient congrès pour la seconde fois. Non exempte de contradictions, la famille écologiste défend bille en tête le développement soutenable. Elle se distingue ainsi de l’offre productiviste classique des partis conservateurs, démocrates-chrétiens, sociaux-démocrates ou d’extrême gauche. Le changement climatique était au cœur d’une rencontre dont l’objectif, atteint ou pas, était la redynamisation.
À la fin du même mois, 191 nations envoient 4000 délégués, vrais et surtout faux amis de nos espèces compagnes, à Bonn pour la 9e conférence sur la diversité biologique. Il faut être d’une naïveté rare pour imaginer qu’un système marchand fondé sur l’autodestruction puisse se montrer apte à réduire l’appauvrissement de la biodiversité, à mettre un terme à une déforestation qui met la planète en danger, à s’inquiéter du déclin vertigineux des populations de pollinisateurs, et autres préoccupations déjà disqualifiées puisque reléguées au rayon subsidiaire de l’environnement et non de celui prééminent de l’écologie. Chasse, productivisme et agroterrorisme poursuivront leurs méfaits, mais avec un zeste de bonne conscience.
Début juin 2008, sur fond de flambée du baril du pétrole, d’autres amis de la Terre appréhendent plus qu’ils n’espèrent du Sommet mondial de la FAO sur les biocarburants qui se tient à Rome. Qualifiés de « crime contre l’humanité » par Jean Ziegler, ancien rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit de l’alimentation, leur fabrication est en plein essor. Les lobbyistes les présentent comme une énergie verte, mais c’est pourtant bien l’exploitation intensive de l’huile de palme qui vient de placer l’Indonésie au troisième rang des pays les plus pollueurs de la planète. À l’heure où toute la planète traverse une crise alimentaire, où près de 50 pays ont déjà été secoués par des émeutes de la faim, est-il vraiment raisonnable de développer des biocarburants ? Oui, répond par exemple le président Lula, grand défenseur de ces agrocarburants dont son pays est le second producteur d’éthanol après les USA. La controverse a dominé cette rencontre où le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon a rappelé que la production alimentaire devait augmenter de 50 % pour faire face aux besoins d’ici à 2030. La conclusion sera oiseuse : « Nous demandons aux organisations intergouvernementales compétentes, et notamment la FAO, dans le cadre de leur mandat et de leur domaine de compétence, et avec la participation des gouvernements nationaux, des partenariats, du secteur privé et de la société civile, de stimuler sur la question des biocarburants un dialogue international cohérent, efficace, fondé sur les résultats et ce, dans le contexte de la sécurité alimentaire et des besoins en matière de développement durable. »
La déception de la Conférence sur le climat de Poznan, en Pologne, signe en décembre le tableau peu enchanteur des évènements qui, pour 2008, prétendaient remédier un tant soit peu à la piètre acuité écologique du genre humain. En réponse à la redoutable force d’inertie des pays du Nord, les pays du Sud se sentent bernés et leur amertume est grande. Les mécanismes financiers et les transferts de technologie promis depuis plusieurs années pour les aider à adapter leur mode de vie au changement climatique dont ils sont les premières victimes n’ont toujours pas pris forme. 12 000 personnes et les ministres de 192 pays furent mobilisés durant quinze jours pour aboutir à d’infimes avancées, compréhensibles par les seuls spécialistes des traités sur le climat. Chacun des deux camps fourbit ses armes pour la conférence de Copenhague, censée écrire l’accord qui remplacera celui de Kyoto.
Il y a finalement fort à parier que l’événement écologique majeur de l’an de grâce planétaire 2008 (voir les terreurs de l’an 2000…) aura été l’éclipse totale de lune, visible le 21 février depuis l’Europe…
2009, ou en attendant Copenhague… Les espoirs déçus sont évidemment réinvestis (« Yes, we can »). Beaucoup de pays ont signé avec retard l’accord de Kyoto contre les émissions de dioxyde de carbone. Pire, les États-Unis ont toujours refusé de le ratifier. Magnanime, le traité a accordé un laissez-passer aux grands émetteurs du monde en développement comme la Chine et l’Inde. L’avènement de Barak Obama, comme nouvelle figure de proue de la galère capitaliste, autorise certains à fonder des espoirs pour en finir avec le front du déni étatsunien en matière de péril climatique. L’administration des États-Unis pourrait ainsi plaider pour une réduction d’ici 2020 des émissions de GES de 14 % à 15 % par rapport à leur niveau de 2005, une diminution qui pourrait être portée à 20 % par le Congrès américain. Ce que l’Union européenne juge encore insuffisant. Assez exemplaires en la matière, 15 États membres de l’Union Européenne partagent l’objectif commun au titre du protocole de Kyoto (UE-15) et ont réduit de 2,7 % leurs émissions de gaz à effet de serre entre l’année de référence et 2006. Mais les politiques et mesures actuellement en place ne suffiront pas pour que l’UE-15 atteigne son objectif de Kyoto dans la mesure où elles ne devraient, entre 2006 et 2010, contribuer à réduire les émissions que de 3,6 % en moyenne par rapport à leur niveau de l’année de référence. Pour l’UE-15, l’objectif global de Kyoto (–8 %) correspond à différents objectifs d’émissions pour chaque État membre. En 2006, quatre États membres de l’UE-15 (France, Grèce, Royaume-Uni et Suède) avaient déjà atteint un niveau inférieur à leur objectif de Kyoto. Huit États membres supplémentaires (Allemagne, Autriche, Belgique, Finlande, Irlande, Luxembourg, Pays-Bas et Portugal) prévoient qu’ils atteindront leurs objectifs, ce qui, à en croire leurs projections, n’est pas le cas des trois États membres restants (Danemark, Espagne et Italie).