Un soir, nous faisions l’amour lorsque sur ton dos je l’ai remarquée, cette petite tache, bleue et dorée sur le pourtour. Je l’ai touchée avec le doigt, te caressant je la caressais, elle n’était guère plus large qu’une bille.
On aurait dit un bleu sur le point de s’effacer.
Souvent le matin lorsque tu dormais encore je la caressais toujours. Ni ma langue qui l’effleurait ni ma main n’auraient voulu la faire disparaître et pourtant, dans le soir ou le matin, je la voyais s’estomper, sans rien te dire de mon dépit.
Puis elle est revenue ou plutôt, cessant de pâlir, son bleu est devenu plus vif et a mordu sur le doré. Te faisant l’amour je la regardais bouger autant que toi.
Lorsque que tu passais nu devant moi, je la cherchais des yeux, et lorsque je t’attrapais, que je te prenais dans mes bras, je voulais la toucher.
Tu ignorais mes regards posés là, à cet endroit de ton corps où la lumière dévoilait la profondeur de son bleu. C’était un secret. A ton insu, les heures devenaient joyeuses.
Ce n’était pas un grain de beauté mais une tache. A son lieu ta peau restait aussi lisse qu’auparavant, aussi lisse qu’autour, et dans le noir je ne la retrouvais que de mémoire. Je la retrouvais aussi parce que mon bras, t’enserrant, déposait naturellement ma main là où elle grandissait, puisqu’elle s’est mise à grandir, cette tache, si lentement que je ne l’ai d’abord pas remarqué.
A l’endroit où tous les soirs ma main se posait, la tache s’est tout d’abord étirée puis a repris de la rondeur, bien plus large qu’auparavant.
Après de longs mois d’attente où elle ne semblait plus grandir, elle s’est à nouveau étirée puis, comme précédemment, a repris de la rondeur, mais beaucoup plus large désormais.
Te faisant l’amour, je pouvais d’autant moins détacher mon regard et ma main que je la sentais, cette tache, hésitante à franchir le cap de ton omoplate qui, en fonction de nos mouvements, lui faisait de l’ombre ou la plaçait sous cette lumière près de notre lit qui me révélait la sombre profondeur de son bleu.
Je ne t’ai toujours rien dit. Comme de l’encre sur un papier buvard, la tache s’étalait désormais en tous sens, grignotant ton omoplate et dépassant la frontière de ta colonne vertébrale. Il fallut encore des mois avant que tu ne te rendes compte de la couleur bleue de ton dos. Des mois durant lesquels, te faisant l’amour, j’ai appris à aimer ce moment où, tournant la tête vers moi, tu tentais de me regarder et de me sourire alors que derrière toi je jouissais.
Un matin tu m’as simplement dis, « tu as vu, j’ai une énorme tache dans le dos ». Au médecin qui t’examinait et te demandait depuis combien de temps cette tache existait, tu as répondu, « je ne sais pas », et tu ne m’as rien demandé.
Dans l’attente des résultats de l’examen, tu ne voulais pas que nous fassions l’amour. Tu ne voulais pas non plus que je te caresse le dos. Blotti entre mes bras, toi seul avais le droit de me toucher.
Une semaine plus tard le médecin nous a dit qu’il s’agissait d’un cancer et qu’il était en phase terminale. Lorsque tu es entré à l’hôpital la tache, t’enserrant, grignotait tes flancs et commençait à lécher ton ventre. Tu es mort ce matin avant que ne se rejoignent à ton nombril les deux langues bleues.
C’est ici que j’ai déposé mon dernier baiser pendant que ta main, dans ma main, une dernière fois se contractait.