Vox tacuit, periit lux, nox ruit et
et ruit ombra, vir caret in tumba
quo caret effigies...
Inscription sur une ancienne pierre
tombale, sculptée d’une statue
sans tête.
Les considérants, d’un ordre très élevé, au nom desquels un projet de loi sur les exécutions à huis-clos vient d’être rejeté par la Cour d’appel de Paris m’encouragent à livrer aux méditations du public (à simple titre de « documents humains ») les quelques notes suivantes, crayonnées place de la Roquette, sous les fumeuses lanternes de notre instrument de supplice, au cours de la dernière exécution : celle d’un anonyme.
* **
A cet angle de la rue, au coin d’une guinguette en lumières, se boucle, d’un poste, la ceinture de gardes à cheval qui enserre la place. Quelle foule depuis minuit ! L’inspecteur de service prend nos cartes : - Nous entrons.
Autour de nous la place est déserte et obscure. Sous les arbres, là-bas, passent des lueurs, des ombres humaines. Je m’approche. Entre deux rangs d’uniformes noirs, sorte d’allée vivante, un intervalle de vingt mètres est laissé libre ; il s’étend depuis le portail de la prison jusqu’au dallage de l’endroit pénal. Aux alentours, une centaine de publicistes causent à voix basse. L’heure tinte : on dirait les pleurs sonores du glas.
A ma gauche je vois des sabres briller : c’est un gros de gendarmes à cheval, massé dans l’ombre.
Traversons. Mais, qu’est-ce que ceci ? Je me trouve auprès d’un objet isolé qu’éclairent, d’en haut, la lune et, d’en bas, deux falots posés à terre.
La chose est d’un brun rouge : elle éveille l’idée d’un haut prie-Dieu moyen âge. C’est placé là de plain-pied. Entre les montants de cette cathèdre je distingué, accrochée au sommet, une suspension de fonte, noircie, carrée comme un sac de soldat - et sous laquelle s’emboîte, au centre, le biais terne d’un hachoir.
C’est la « louisette ».
Quoi ! plus d’échafaud ?... Non. Les sept marches sont supprimées. Signe des temps. Guillotine de progrès dont on ne se range que... comme de la courroie de transmission d’un moteur. En vérité, ce meuble pourrait servir à couper le pain chez les grands boulangers. Où donc est la simple dignité de la Loi, l’indémodée solennité de la Mort, la hauteur de l’exemple, le « sérieux » de la sentence ? Phrases, paraît-il, tout cela...
C’en est une, aussi, de dire cela : car on ne sort pas des phases sur la terre. Les uns se traduisent en phrases viles, les autres en phrases nobles : - chacun son choix : et l’on est pas libre de choisir : c’est fait en naissant, de quelque sourire que l’on essaie d’en douter.
- Passons. - Pendant que je regarde flotter sur le miroitement de la large lame l’ombre des feuillages environnants, cette lame disparaît tout d’un coup. J’entends un choc sec et lourd, amorti par des ressorts, - pareil à celui d’une demoiselle enfonçant un pavé. Je comprends. C’est un essai. La planche mortelle s’est couchée sur sa coulisse, comme une rallonge de table, plagiant ainsi le chevalet du classique Procuste. Rien de nouveau sous la lune ! Donc l’on répète, ici, le drame pour les accessoires. - Ah ! j’aperçois, soudain, à côté de moi, le metteur en scène lui-même, qui échange un coup d’oeil oblique avec ses deux régisseurs. - En face de l’instrument se tient quelqu’un (M. le chef de la Sûreté, je crois) devant la censure duquel on a fait jouer le tragique mécanisme. Il approuve de la tête en silence, - puis tire sa montre dont il essaie de distinguer l’heure.
Ayant résumé l’outil du regard, il se dirige vers le seuil de la prison pour les derniers ordres, car le petit jour blanchit peu à peu l’espace, les choses, les silhouettes ; lanternes et réverbères jaunissent. Le moment approche.
Chacun pense : Dort-il ?
Le geôlier-chef, qui passe, affirme que « oui, et profondément ».
A l’entrée, auprès d’un fourgon, je vois une forme noire, un prêtre : c’est l’aumônier. Je viens à lui. Sa voix est fort émue, ses yeux sont en pleurs ; il a le frisson. Il est tout jeune ; long et blond. C’est sa première tête. Mais on l’appelle à voix basse. Il est temps de réveiller le dormeur. Il entre, suivi des cinq ou six témoins d’ordonnance. L’exécuteur et ses seconds ferment la marche.
Leur réapparition, augmentée d’un nouveau personnage, se produira, désormais, sous trente ou trente-cinq minutes au plus.
Je m’éloigne donc et me promène dans une allée, vers la foule lointaine.
Les étoiles pâlissent : on commence à s’entrevoir.
* **
Je suis un peu pensif, je l’avoue. De cette guillotine moins l’échafaud, - de cette chute un peu trop basse, en vérité, du couteau légal (qui a l’air de s’abîmer dans une souricière) se dégage, pour tout esprit, l’impression d’on ne sait quelle grossièreté dérisoire, commise envers la Loi, la Nation, l’Humanité et la Mort. Ce sans-façon trivial, cette exagération dans le terre-à-terre de l’instrument justicier n’est ici que de la plus choquante inconvenance. Guillotine d’un peuple d’hommes d’affaires. - L’aspect de l’appareil semble, en effet, nous dire, avec une prud’homie spécieuse :
- « Tel individu a tué. Soit. Nous l’expédions donc à son tour, de la manière la plus brève, la moins cruelle possible, c’est-à-dire en gens pressés, pratiques AVANT TOUT et peu soucieux du théâtral, du déclamatoire. Pour lui épargner quelques secondes d’angoisses inutiles, NOUS avons supprimé des marches d’un moyen âge aujourd’hui démodé, ce qui réduit la peine au strict nécessaire ».
* **
- Nous ?... Qui cela ?
Tout d’abord cette mesure doit être illégale, car une loi, quelque ancien décret, un droit de coutume française, au moins (que la Révolution, elle-même adopta mille et mille fois), ont dû prescrire l’échafaud, stipuler sa hauteur approximative et son ensemble formel, comme condition expresse, réglementaire, du fonctionnement normal de la peine de mort. Or, cette loi, ce décret, n’ayant pas été rapportés par les Chambres, nul particulier, se couvrît-il d’un assentiment tacite ou verbal quelconque, n’a licence de les abroger ni de les modifier à mesure et au gré de son fantaisisme.
Quant à la prétendue philantropie de cet « adoucissement », 1° le condamné qui s’évanouit durant la toilette, anesthésié par sa syncope, ne ressentira nul surcroît d’horreur pour quelques marches qu’on l’aide à monter ; d’ailleurs, se laisser porter en cette circonstance, c’est mériter d’être porté ; 2° Celui qui, d’une conscience enfin réveillée, peut-être, par l’expiatoire agonie quotidienne qu’il a subie depuis l’heure de son arrêt, tient, maintenant, à bien montrer que, sans exagérée terreur ni vile forfanterie, il meurt du moins mieux qu’il n’a vécu, a droit, en toute éventualité, à ce que son désir prévaille ici. Les marches de l’échafaud sont en effet, la propriété de tout condamné à mort, et c’est le frustrer d’une illusion quand même sacrée que de lui ravir, avec elles, l’occasion de sauvegarder en nous (s’il y tient) sa triste mémoire d’une aggravation d’opprobre imméritée.
Bref, en abaissant à ce point son instrument de mort avec des allures d’une obséquiosité déplacée, d’une sensiblerie louche, la Loi n’a pas à donner à celui qu’elle punit l’exemple du cynisme.
Il ne peut que trop se passer, la plupart du temps, de cet encouragement-là.
Quand au « théâtral » et au « déclamatoire », on ne l’évite pas. On conserve les mille fantasmagories d’un cérémonial suranné, les hermines et les robes rouges de la Cour d’assises, le ton solennel de la sentence, le déploiement nocturne des troupes, le salut funèbre des sabres, l’embrassement du prêtre, (qui ne doit plus sembler à d’aucuns qu’une dernière concession au moyen âge, une perte de temps), toute cette antique mise en scène de mystérieux symboles, on la tolère, - mais en éludant comme oiseux celui de l’Echafaud qui, seul, les conclut, les sanctionne et en rétracte l’intime réalité ; l’on dément le respect (dès lors douteux !) dont on feignait de les honorer jusqu’à lui ; l’on compromet ainsi le sérieux de tout le reste de la Loi, ce qui ne peut qu’inquiéter gratuitement les dernières consciences.
On ne peut supprimer un anneau dans la chaîne des symboles de la loi sans infirmer les autres et faire douter de leur gravité.
Au dire de quelques-uns, la presse qui entoure la guillotine, aujourd’hui, suffit à la publicité de l’exécution : la plate-forme ne ferait plus que double emploi. - Mais c’est le fait unique de tuer au grand air qui constitue la publicité donnée par la Loi ! La presse n’est là que pour constater cette publicité même, dont elle fait partie, et pour la divulguer ensuite à la foule, comme le vent qui passe emporte un cri.
La Plate-forme notifie tout autre chose ! En effet, l’Etat s’arrogeant, ici, froidement, un attribut d’un caractère extra-vital, absolu, divin, pour ainsi dire, l’Echafaud, dans son figuré, ne doit être élevé au-dessus du niveau moyen des têtes humaines que parce qu’il représente et matérialise le terrain supérieur de la Loi - qui, au-dessus de toute vengeance individuelle ou sociale avertit et préserve SEULEMENT au moyen de l’expiation même, - et qui, ne pouvant en aucun cas, descendre jusqu’au criminel, l’élève jusqu’à elle pour ne le frapper qu’à hauteur d’Humanité.
La guillotine, en un mot, n’est qu’un billot perfectionné, lequel n’a de raison d’être que sur sa plate-forme officielle. Elle et lui sont d’ensemble. Une même dénomination sombre enveloppe leur oeuvre commune. Aux yeux de la foule, les marches de l’Echafaud sont impressionnantes pour le même motif que les gradins d’une estrade sur laquelle on distribue des récompenses sont honorifiques. Car ce n’est pas sur un échafaud d’où l’on puisse descendre, ni sur un tel échafaudage, que monte ici le criminel : être monté sur l’Echafaud signifie que l’on y est mort - et ce qui constitue l’exemple, bien plus que le spectacle restreint du fait, c’est la tradition d’effroi de cette parole autour d’un nom. Avoir été guillotiné n’est qu’une locution elliptique sous-entendant, quand même, sur l’Echaffaud. De telle sorte que soustraire celui-ci de l’exécution, c’est faire mentir la Loi, c’est avouer qu’on ne l’ose plus qu’à demi, ce qui est d’une timidité indigne d’une jurisprudence respectée.
Concluons. - Si, comme on nous l’affirme, cette étrange modification n’est due qu’à l’imaginative de feu l’exécuteur précédent, je trouve qu’il a excédé, ici, son mandat. Qu’il ait amélioré l’économie de la machine, rien de plus louable ! Mais qu’il ait touché à ce qui doit la supporter... ceci n’était plus de son ressort. Ce fut là du zèle, et l’esprit de la Loi ne saurait s’inspirer, dans l’espèce, des uniques lumières de ce conseiller. Or, cette guillotine tombée, sournoise, oblique, dépourvue de l’indispensable mesure de solennité qui est inhérente à ce qu’elle ose, a simplement l’air d’une embûche placée sur un chemin. Je n’y reconnais que le talion social de la mort, c’est-à-dire l’équivalent de l’instrument du crime.
Bref, on va se venger ici, c’est-à-dire équilibrer le meurtre par le meurtre, - voilà tout, c’est-à-dire commettre un nouveau meurtre sur le prisonnier ligotté qui va sortir et que nous guettons pour l’égorger à son tour. Cela va se passer en famille. Mais, encore une fois, c’est méconnaître ce qui peut seul conférer le droit de tuer dans cet esprit-là, de cette façon-là ! L’ombre que projette cette lame terne sur nos pâleurs nous donne à tous des airs de complices : pour peu qu’on y touche encore d’une ligne, cela va sentir l’assassinat ! Au nom de tout sens commun, il faut exhausser, à hauteur acceptable, notre billot national. Le devoir de l’Etat est d’exiger que l’acte suprême de sa justice se manifeste sous des dehors mieux séants. Et puis, s’il faut tout avouer, la Loi, pour sa dignité même, qui résume celle de tous, n’a pas à traiter avec tant de révoltant dédain cette forme humaine qui nous est commune avec le condamné et en France, définitivement, on ne peut saigner ainsi, à ras de terre, que les pourceaux ! La justice a l’air de parler argot, devant les dalles ; elle ne dit pas : Ici l’on tue ; mais : Ici l’on rogne.
Que signifient ces deux cyniques ressorts à boudins qui amortissent sottement le bruit grave du couteau ? Pourquoi sembler craindre qu’on l’entende ? - Ah ! mieux vaudrait abolir tout à fait cette vieille loi que d’en travestir ainsi la manifestation ! Ou restituons à la Justice l’Echafaud dans toute son horreur salubre et sacrée, ou reléguons à l’abattoir, sans autres atermoiements homicides, cette guillotine déchue et mauvaise, qui humilie la nation, écoeure et scandalise tous les esprits et ne fait grand’peur à personne.
Cependant, l’on a regardé comme inopportune, paraît-il, la réclamation présentée à ce sujet par divers notables écrivains de la presse française, - et l’on a prétendu, même, que cette question ne la regardait pas.
Nous ne voulons répondre à cette fin de non-recevoir que par l’exposé du raisonnement suivant dont l’évidence est, à nos yeux, tout à fait indiscutable.
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Les juges de la Cour d’assises ne font que traduire en langue légale l’arrêt prononcé par notre délégué social, le chef des jurés.
Or, en dehors de la direction des débats pour la mise en lumière exacte du crime, on ne saurait contester l’influence quand même sourde, secrète, que les froids commentaires de la presse font peser, pendant le cours du procès, sur l’opinion souvent indécise, mal formée et un peu insoucieuse de la foule, - partant sur la détermination des membres mêmes de ce jury, lequel, en son ensemble, n’est que le mandataire de la conscience publique.
Inconsidérées ou profondes, ils ont LU nos paroles : elles ont eu, quand même, à leurs yeux, un poids - dont celui du couteau n’est souvent que l’incarnation, l’ensemble incorporé. La main que nous appuyons sur la balance est dangereuse, elle décide, parfois, - on nous l’a reproché ! - la chute du plateau mortel, si bien que telles de nos plumes en gardent un reflet de sang.
- « Tant pis pour vous », nous dit, en notre conscience, la Loi, « si vous n’êtes pas à la taille de vos paroles, si, ne leur accordant que peu de portée, vous n’en pesez pas les conséquences - et si, enfin, vous ne savez pas ce que vous dites !... Moi, j’agis, en silence, d’après leur sens intrinsèque et leur impression sur la foule ».
Le Chef de l’Etat, lui-même, en dernier ressort, non seulement ne peut se soustraire tout à fait à l’influence de ces paroles qui ont moulé l’opinion sur elles comme les brins de neige deviennent l’avalanche, mais n’étant, lui-même, que l’expression du suffrage de la foule, il DOIT en tenir un compte des plus graves, presque définitif, - sans quoi la grâce ou la mort ne dépendant plus que de son arbitraire isolé, son droit suprême d’en décider serait un apanage en contradiction avec le principe qui lui confère le pouvoir exécutif.
Et il n’est d’ailleurs pas fâché, le bon vieillard (1), de rejeter autant qu’il le peut, sur nous seuls, la plus lourde part de cette responsabilité.
Il ne faut donc pas nous le dissimuler : nous sommes loin d’être étrangers à la plupart des sentences dont s’ensuit une tête : nos propos conseilleurs, parfois persuadeurs, ont été d’une pesée obscure sur cette tête ; - nous aurons beau nous en laver les mains, ces ablutions seront vaines. Et la presse est si bien mêlée à la sentence qu’il semble tout naturel que, mêlée aussi à la force publique, elle entoure la machine aux heures fatales, et fasse, pour ainsi dire, partie intégrante, complémentaire de l’exécution.
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Si donc la presse est, à ce point, prépondérante en ce qui, moralement, touche à l’application de la peine de mort, comment n’aurait-elle pas qualité pour se préoccuper du mode physique de l’application de cette peine ! Il nous semble qu’elle a le droit d’être écoutée, ici, attendu qu’elle peut, ici du moins, conclure en connaissance d’une cause qu’elle eut souvent le loisir d’étudier de près.
C’est pourquoi, si les marches de l’échafaud sont jugées convenables par la presse, c’est qu’au fond l’opinion publique, aussi, les juge convenables, pour ne pas dire plus : et que, par conséquent, cette revendication doit être prise au sérieux lorsque la presse en vient à la formuler.
Oui, tout le monde s’écoeure, depuis longtemps, des impressions de boucherie que cause cette guillotine absurdement embusquée au ras du sol !
Quelque positif que puisse être le raisonnement, - si, toutefois, il y eut raisonnement, - en vertu duquel tel ou tel personnage a pris sur lui de soustraire les marches légales de l’échafaud, (est-ce qu’on les aurait vendues, aussi, en sous-main ?) nous prétendons que cette guillotine de basse-cour est choquante pour notre humanité.
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Comme j’achève ces réflexions moroses, j’entends un cri lointain, suivi d’une rumeur. Un « curieux » (on dirait que c’est toujours le même), vient de se laisser choir d’une échelle, d’où il voulait « mieux voir », et, dans sa chute, s’est, au dire d’un gardien, « fracturé la boîte osseuse ». On l’emporte agonisant. - Tout à l’heure, il eût traité de farceur celui qui lui eût chuchoté à l’oreille : « C’est toi qui passes le premier ». - Ah ! quel rêve, cette vie ! Quel feu de paille attisé par des ombres !... Cependant, la foule n’accorde aucune attention à ce décès : l’incident n’est, pour elle, qu’une sorte de lever de rideau. Ce défunt banal vient d’essuyer la planche. - Pourquoi son trépas n’intéresse-t-il personne ? N’est-ce donc pas mourir qu’on est venu voir ?
Non. Pas précisément, puisque tête brisée vaut tête coupée. D’ailleurs, derrière ces arbres, ces chevaux, à cette distance du drame, la foule sait bien qu’elle ne verra pas « couper la tête ». - Alors pourquoi vient-elle passer la nuit, ici, debout dans le froid et les ténèbres ?... Pour communier moralement et du plus près possible avec l’horreur d’un homme qui, seul entre les humains, est averti de l’instant où il va mourir. C’est, jointe à la célébrité sinistre de cet homme, la seule solennité de SA MORT qui fascine la foule et l’épouvante ; c’est, enfin, ce qui reste de l’échafaud dans l’imagination de cette foule qui impressionne, la moralise peut-être et lui donne à réfléchir ! Et non point la mort en soi, laquelle n’est qu’un fait secondaire, qu’elle voit tous les jours, pour lequel elle ne se dérangerait pas - attendu, vous le constatez, que le phénomène en est si insignifiant à ses yeux qu’elle vient d’y demeurer complètement indifférente..
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Rapprochons-nous. C’est pour... dans quelques instants.
Me voici tout auprès du sombre instrument : j’ai pris place dans une sorte d’éclaircie de l’allée vivante dont il a été parlé. Il faut examiner jusqu’à la fin tout cet accomplissement.
Quatre heures et demie sonnent. Les formalités du réveil et de la hideuse toilette sont terminées. A travers la petite porte, scindée dans le portail même de la prison, je vois qu’on lève la grille de l’intérieur : le condamné est en marche vers nous, déjà, sous les galeries - et... avant un instant... Ah ! les deux vastes battants du noir portail s’entr’ouvrent et roulent silencieusement sur leurs gonds huilés.
Les voici tout grands ouverts. A ce signal, vu aux lointains, de tous côtés, on se tait ; les coeurs se serrent ; j’entends le bruissement des sabres ; je me découvre.
L’exécuteur apparaît, - le premier, cette fois ! - puis, un homme, en bras de chemise, les mains liées au dos, - près de lui, le prêtre : - Derrière eux, les aides, le chef de la sûreté publique et le directeur de la prison. C’est tout. - Ah ! le malheureux !... - Oui, voilà bien une face terrible. La tête haute, blafard, le cou très nu, les orbites agrandis, le regard errant sur nous une seconde, puis fixe à l’aspect de ce qu’il aperçoit en face de lui. De très courtes mèches de cheveux noirs, inégales, se hérissent par place sur cette tête résolue et farouche. Son pas ralenti par des entraves, est ferme, car il ne veut pas chanceler. - Le pauvre prêtre, qui, pour lui cacher la vue du couteau et lui montrer l’au-delà du ciel, élève son crucifix qui tremble, est aussi blanc que lui.
A moitié route, l’infortuné toise la mécanique :
- Ça... ? C’est là-dessus ?...dit-il d’une voix inoubliable.
Il aperçoit la grande manne en treillis, béante, au couvercle soutenu par une pioche. Mais le prêtre s’interpose et, sur la licence que lui en octroie celui qui va périr, lui donne le dernier embrassement de l’Humanité.
Ah ! lorsque sa mère, autrefois, le berçait, tout enfant, le soir, et, souriante, l’embrassait, heureuse et toute fière, - qui lui eût montré, à cette mère, cet embrassement-ci au fond de l’avenir !
Le voici, debout, en face de la planche.
Soudain - pendant qu’il jette un coup d’oeil presque furtif sur le couteau - la pesée d’un aide fait basculer le condamné sur cette passerelle de l’abîme ; l’autre moitié de la cangue s’abaisse : l’exécuteur touche le déclic... un éclair glisse... plouff ! - Pouah ! quel éclaboussis ! Deux ou trois grosses gouttes rouges sautent autour de moi. Mais déjà le tronc gît, précipité, dans le panier funèbre. L’exécuteur, s’inclinant très vite, prend quelque chose dans une espèce de baignoire d’enfant, placée en dehors, sous la guillotine...
La tête que tient, maintenant, par l’oreille gauche, - le bourreau de France - et qu’il nous montre - est immobile, très pâle - et les yeux sont hermétiquement fermés.
Détournant les regards vers le sol, que vois-je, à quelques pouces de ma semelle !...
La pointe du Couteau-glaive de notre Justice Nationale effleurer piteusement la sanglante boue du matin !