La Revue des Ressources

partir - cabane d’hiver 

mercredi 30 janvier 2013, par Fred Griot

cabane d’hiver

 

21.01.13
Paris. Causse du Larzac.
départ.
la neige a légèrement fondu.

arrivé sur le Causse.
en l’espace de 8 à 9h : neige relativement abondante dans Paris, les rues restant blanches — chaleur-teeshirt à Montpellier — pluie-neige dès émergé sur le plateau, au Caylard — courses — arrivée dans la yourte un peu avant 16h, et là-soudain tempête de neige qui a tout blanchi en l’espace de 4 à 5 minutes… — suivie, une demie-heure après d’un grand coup de pinceau de soleil jaune sur la neige fraîche tombée.
vent d’ouest.
et puis aussi, 3 arcs-en ciel dans la même journée. ça ferait presque le quota pour un an…

aménager la yourte, lancer le poêle tout d’abord, étanchéifier au maximum contre les courants d’air et quelques légères fuites d’eau, puis installer le coin bureau, ça en premier toujours, enfin le coin lit, sortir mes petites affaires, sortir les livres, ranger la bouffe.
gérer le très peu d’électricité solaire, a garder au moins pour faire tourner l’ordi. le reste ce sera à la bougie et ça suffira.
se faire un café et un whisky pour fêter ça.
écrire…
déjà, écouter le vent.

quasi euphorique.

le speed redescend peu à peu. se rendre compte très vite que le bureau est un peu loin du poêle… mais je sais d’expérience comme l’on s’accoutume au froid.
entendre le vent.
dans mon dos, derrière la cloison de feutre et de toile, l’immense espace.
lancer les suites pour violoncelle de Bach, à tout petit volume.
écouter le vent, qui a eu une absence de quelques secondes.
entendre.

tout ça exactement ce que je voulais.

déjà quelque chose se pose.

vivre un mois là.

se concentrer sur écrire. méditer, marcher.
sur vivre.

sortir les manus. que j’ai imprimés avant mon départ.

quasi pas de connexion. une barrette par satellite. et c’est tant mieux que ce tuyau-là soit tout petit.
juste arrivé à communiquer aux plus proches que bien arrivé, heureux.

écrire ce qui se passe.
écouter.

devenir muet. peut-être.

fonctionner dans une économie du peu.

dire ce qui se passe. dire claire.
écrire.

respirer.

aller voir dehors avant la toute nuit.
la neige revient.

ce que je nomme luxe.
(l’étymologie viendrait-elle de « lumière » ?)

rentrer du bois, qu’il sèche.
pisser dehors dans la neige.

 

plus tard.
après la soupe, quignon de pain, soc, fromage, vin. la cabane commence à chauffer. finir par un petit café et un carreau de chocolat.
oui le luxe.

rallumer l’ordi, chargé au solaire, enfin ce qu’il y en a eu aujourd’hui…
essayer de prendre de suite le rythme de fond pour l’écriture. s’y pencher.
déjà quelques corrections, et ce sont, j’aurais pu m’y attendre, des réductions.

tenir le feu.
les menus gestes.
vivre avec très peu de lumière, le soir.

tout bruit semble fort.

écouter.

 

bref  :
d’abord relire ce que j’ai imprimé, le manus complet. après, bosser par parties. les nourrir. les écrire en fait tout simplement.
ai, somme toute, déjà accumulé pas mal d’éléments, de matière. quantité que je n’avais pas véritablement mesuré.

 

longtemps que j’attendais tout ça.

2h du mat : la fatigue tombe, la journée a été longue. belle.
le sommeil va être lourd.

 

22.01.13
Causse.
levé tard, la bouche fume, mais je m’attendais à plus froid, ça viendra peut-être. l’huile a figé tout de même.
grand beau sur la neige fraîche.
ciel bleu, neige blanche, arbres noirs, roches jaunes (la dolomie).
premier geste : le poêle un peu récalcitrant.
s’occuper du bois, en rentrer plus, il y en a trop peu de sec, le reste était mal abrité sous la neige, pas aéré.
thé. méditation. mange un bout. écrire.
2ème jour donc.
j’entend la neige goutter sur le toit, la face ouest a fondu.
l’intérieur de la yourte baigné d’une lumière claire par les ouvertures transparentes.

tenir le journal.
oui pour bref, je ne sais pas pourquoi mais avant d’écrire du neuf, relire… peut-être.

fin de journée. nuit tombée. cassé pas mal de bois, balade en vélo dans la neige.

cuit. 3 h du mat. trop tard.

 

23.01.13
Causse.
3ème jour.
ciel couvert, gris, un peu foncé.
6, 7 degrés dans la yourte au réveil. une heure plus tard 16-17 degrés. commence à apprivoiser ce poêle un peu difficile.
passer une partie de la journée à­­ bricoler pour préparer, optimiser la yourte. avant que le temps vire au mauvais, probablement en fin de semaine, à la pluie.
casser, rentrer du bois, étanchéifier mieux le toit à la sortie du tuyau de poêle, isoler.

méditation très courte mais profonde, qui a un peu essuyé la fatigue de la nuit trop courte : couché à 5h du mat avec l’ami Steph, en n’ayant pas consommé que de l’eau claire et de la fumée de poêle.

écriture du matin, suis comme un prince, le café chaud.
rentrer peu à peu dans le calme, le silence, le temps lent. ça va venir. peu à peu.

 

au soir.
commencer à perdre un peu les dates.
minuit.
claqué. me suis pas arrêté, fou va.
à bricoler, arranger la yourte.

la lune au-dessus, visible par la partie transparente dans la toile du toit.
cuit.
va bientôt être largement nécessaire de passer à l’horizontal.

allongé

 

24.01.13
Causse.
zéro degré au réveil. 17 une heure et demie après.
avec le Steph.
grand beau. juste quelques larges nuages peu épais qui passent.
matin.

encore un peu speed, dans la charnière encore pour se poser véritablement. trouver le rythme, de fond.

balade aux Rancarèdes et vers l’aven du bateau.
deux très beau renards, bien touffus.

au soir
19h30 
m’asseoir enfin. l’heure du café, d’une petite clope, d’écrire, sous la lampe.
ai passé une grosse partie de l’après-midi à réparer la sortie du tuyau de poêle sur le toit, l’étanchéifier en prévision des pluies possibles, et souvent violentes ici, sans parler de la glaise quand elle s’y met et ne lâche plus les basques.
ai refait tous les tas de bois, il avait été stocké en dépit du bon sens, au sol, pas aéré, versant pas favorable. suis allé en glaner partout dans les ruines d’anciennes constructions qui trainent un peu partout ici. des « tas ». je collecte. vis, crochets, bouts de ferrailles aussi, ficelles, planches, toutes choses utiles…
mon coin atelier se constitue peu à peu.
bref, organiser un peu les conditions, non pas tant de survie que de vivre pas trop mal… un type de luxe, luxe du simple.
ai ensuite à nouveau cassé du bois, de toutes tailles, le plus possible. en ai rentré pas mal encore, plusieurs tas selon grosseurs, à sécher, ou à utiliser de suite.

cette yourte n’a pas été très bien aménagée, ni entretenue, et n’est utilisée que l’été.
l’entrée en face nord. la neige qui disparaît peu à peu partout reste là, et tassée, se glacifie. je l’aurais mise au sud cette face, cette entrée.
elle fait par contre dos au vent dominant d’ouest, qui peut-être fort, judicieusement, mais posée sur la ligne limite, la lisière du causse nu et du boisé, elle fait contre.
je l’aurais volontiers installé un peu plus en retrait de ce fronton violent, après les arbres, qui l’auraient protégée.

suis desséché, et les mains deviennent calleuses.
4ème jour.
il faut que je cherche un peu déjà pour le savoir, ce nombre de jours.

demain je me fais un dimanche. me laver, méditer.
balade, bricolage, bouquiner, écrire.

 

sentiment d’heureux.
je ne me bouffe plus les doigts. sans commentaire.

l’ordi tourne depuis 4 jours sur le soleil, ainsi que la lumière, sommaire mais largement suffisante. plus quelques bougies.
de quoi écrire, écouter de la musique, regarder quelques films, voir la nuit…

écouté Bergounioux, conf à Nantes sur le langage, le style : à 7’ et 15’30 particulièrement.
le scribe, par sa place décontextualisée, ce qui lui permet de nous dire.

3h du mat.
cuit. vais aller prendre l’horizontale.

 

25.01.13
Causse.
grand beau. ciel pur.
levé très très tard, j’en avais besoin. pas trop froid au matin. mais je m’en sors un peu mieux avec ce poêle, difficile qui tient trop peu, et celui d’appoint à essence. j’améliore l’isolation.
je me rends juste compte au fur et à mesure combien cette cabane était abîmée, mais aussi peu pensée peut-être, par celle qui me la prête, ou tout du moins peu construite en écoute avec son environnement.
mais c’est un art subtil, savant, assez jouissif aussi en vérité de reconstruire en partie, améliorer, en glanant et en remontant quelque chose de ce qui était en train de se ruiner.
me reposer donc un peu aujourd’hui, profiter aussi du grand beau pour collecter, abriter, casser, rentrer du bois… il en faut encore en fait beaucoup pour tenir le mois, et surtout avec du bois potable. du tout petit, quelques belles buches de chêne, ou pin, du sec. il y en a trop qui avait été laissé à pourrir.
la chaleur, le sec, le manger… sont les priorités donc. j’éprouve une assez grande satisfaction à revenir à la gestion de ces choses premières. point de boutons ici.
les rapports ont déjà changé depuis plusieurs jours : rapports au froid, à la propreté, à la lumière.
le bureau le soir, à peine éclairé, mais tellement suffisant.

ce matin, après avoir lancé les poêles, me suis lavé, entièrement, à la bassine, à l’eau tiède, et rasé, de petits luxes là aussi.

je vais aller me promener tout en collectant du tout petit bois très sec : du pin, peut-être du buis, du cade. vers les Baumes, les grandes roches ruineuses de dolomie, au sud, qui prennent le soleil ocre. l’herbe rase aussi.
puis casser du bois, continuer à réorganiser les tas.

la neige est annoncée demain, puis la pluie après demain, avec d’assez grosses rafales de vent pour ces deux jours. le beau temps de nouveau ensuite a priori.
il me reste donc encore aujourd’hui pour que la cabane, la yourte puisse me protéger efficacement.
après je pourrais améliorer l’intérieur.

 

soir :
première journée seul complètement aujourd’hui.
petit coup de mou en après-midi, ce que je prévoyais, laisser passer, baisser la tête. ça va ouvrir, ensuite… c’est la porte, le sas à passer.

 

pleine lune.
quasi.
je n’ai pas mon calendrier lunaire gravé sur un os de renne.
l’humour, même seul, m’aide.
manque d’entendre des voix amis.
dormir tôt ce soir, et aucune toxines sauf thé et tabac.

l’immense plaisir de bosser dehors la nuit. empierrage du sol devant l’entrée à l’extérieur.
-9 dehors. j’arrive à monter à 17 à l’intérieur. avec l’isolation précaire, que j’améliore, la température interne est trop directement dépendante de celle de l‘extérieur.
5ème jour donc.

hier ai commencé à relire les ébauches de bref, imprimé pour avoir un peu de recul dans la lisibilité, la relecture.

 

26.01.13
Causse.
ça y est j’arrive à n’avoir pas trop froid au réveil.
il a neigé 5, 10 cm tard dans la nuit. à midi ça fond sur le toit de la yourte.
j’écris le matin après les tâches assez longues suivant le réveil : poêle, toilette, méditation (elle est brève, peu centrée ici pour l’instant, comme si elle se jouait ailleurs, tout le long du jour).

le soleil ou la lune presque pleine, éclairent l’intérieur de la yourte par la partie transparente de la toile de toit, au sud.
le soleil ne monte pas plus que haut que 45°, voire moins.

j’écris dans le journal le matin, et le soir. l’après-midi se sont les travaux et balades dehors.
le soir, je reviens à l’écritoire.

6ème jour, tout va bien.
petit coup de mou hier, jamais agréable mais qui était prévisible, que je savais devoir arriver sans doute. le palier de changement de rythme, de vie.
mais ici je retrouve aussi, et vit sur ce que l’on m’a appris gosse, vivre dehors, le goût de l’effort, et puis les longues périodes de vie en montagne, en bergerie, etc…
je retrouve le passif des gestes des générations qui ont vécues dehors.

j’écoute le silence, le vent léger. ou, pour tenter d’être plus exact, il est là, tout contre ma peau. il me baigne.
ce n’est pas à proprement parler un silence, seulement un moins de bruit, mais au travers de ce voile de sons, le vaste bain du silence de notre univers. cela ne m’angoisse pas. c’est ainsi, nous sommes là, parmi.

 

je bois énormément. on se dessèche vite dans ce pays : vent, froid, terrain karstique.

qu’est-ce qui change de vivre ici ? probablement le fait que l’on recentre : on se recentre, et sur les choses essentielles pour vivre, les choses essentielles parmi lesquelles nous sommes.
certaines des agitations des schémas sociétaux aujourd’hui extraordinairement complexes semblent un peu illusoires, futiles. et pas seulement quand imaginées, regardées d’ici.

 

écrire en parole claire.

18h30 : retour de balade dans les landes et bois. encore un renard, et belle doline.
poêle, préparation thé, café
19h : écrire.
relire le journal, que Hunzinger m’a gentiment proposé de publier en ligne, ça tombe bien car je n’ai pas les moyens ici de le faire.
ce soir finir de relire la partie 1.1 de bref, qui me va moyen, sauf le tout début. puis relire tous les morceaux, afin d’attaquer vraiment à écrire la partie 1.2 que je veux écrire ici.

bouffe chez L et A, mes amis. retour dans la nuit, sous la lune, sur la neige, le vent souffle. il fait assez froid, je pense peu loin des moins 10, en particulier avec l’effet du vent.

le silence de fond ici, même quand le vent souffle. il imprègne, doucement.
on entendrait les papillons.

ce silence c’est le fond du cosmos.
ce n’est pas une image, mais une réalité. tangible, éprouvée, prouvée.

ce que l’on nomme espace.

 

23h
à écrire.
et tenir le feu, et le thé au chaud.

 

écrire en parole claire.
ça revient ça.

6 jours.
6 jours de coulés.
ce goût, fascination de regarder, contempler couler le temps, et, aussi, dans le même moment, cette angoisse fondamentale, ontologique qu’il produit. le poids de « la grande temporalité (die grosse Zeitlichkeit)  » écrivait Hegel, me l’a appris hier P. Bergounioux.
et c’est le temps maintenant, après l’espace.

ai emporté de Kerouac Desolation angels, pour le relire peut-être. ses quelques mois, perdu là-haut, au pic, une expérience comparable.

minuit passé
plus de vent.
du tout.
tombé.

bref  : je ne sais pas si je l’écrirai ici, ou si ici ça charge seulement.
en tout cas, c’est bien « l’essentialité » du lieu, du vivre ainsi, qui va nourrir.

trop fatigué pour relire bref ce soir, demain.

1h30.
cuit. je vais me coucher.
la grande roue, les cycles.

 

27.01.13
Causse.
7ème jour.
mes mains se sont profondément modifiées : calleuses, sèches, brunies, quelques crevasses que je soigne à la crème fraiche.
c’est peut-être idiot mais j’ai comme un plaisir à retrouver les mains de mes ancêtres terriens. cette veine qui me coule. celle non seulement de mes ascendants directs mais aussi des quelques 1 300 générations depuis Chauvet, et avant encore…

la pluie annoncée n’est encore pas là, mais je sais à quelle vitesse ça peut changer ici. casser, encore, du bois, avant.
pousser aussi un peu plus mes écritures, les différents projets en cours que je veux vraiment avancer.

je souhaite les anniversaires des proches, de loin…

15h30 : après avoir été dehors, je reviens à l’écriture.
chiotte sèche monté, ça m’évitera d’aller chez les voisins, bois fait, pavage avancé pour éviter la mare de glaise devant l’entrée où subsiste encore de la neige, grand ménage…
pourquoi noter ici ces menus gestes ? pas que j’eusse besoin de parler du fait d’être seul, mais il y a dans ce commun-là des petits gestes quelque chose qui dit ce que nous sommes, comment l’on vit, comment nos journées coulent, qui me touche.
nettoyer sa cabane c’est habiter, c’est faire, comme les bêtes, œuvre de terrier, de provisions. vivre avec. non pas avec l’environnement, c’est ici encore une idée anthropocentrée, comme avant Copernic, pensant l’homme et puis autour « l’environnement », mais c’est être dedans, pas plus important, avec, parmi. encore une fois.
nous en sommes comme à une vision qui serait pré-copernicienne où, depuis l’avènement de l’agriculture et de l’élevage, l’homme a commencé à se représenter lui-même, après ces grottes où il ne se figurait jamais, il s’est plu aussi à créer des divinités anthropomorphes, c’est qu’il s’était mis à se croire hors de la nature, à croire à sa supposée supériorité, à son apparente maîtrise. il s’est vu, sans doute par le fait de son intelligente conscience, source de la vue, de l’appréhension et de la saisie du monde, de son monde, il s’est vu au centre. alors que rien n’est moins vrai, ça ne tourne pas autour de nous. une grande illusion a démarré là, qui perdure dans cette notion toute moderne qui se développe de « l’environnement ».
il n’y a pas d’environnement, il n’y a que du ici, du maintenant, avec tout, en même temps.

 

les journées passent vite. ce qui ne veut rien dire, si ce n’est une sensation.

18h : la pluie arrive avec la nuit.
ai préparé une énorme plâtrée de légumes.
19h : je reprends à écrire.
chaleur à crever dedans entre les 2 poêles et la cuisine, et il fait nettement moins froid dehors.

resté toute la journée autour de la yourte, demain je sors, vais aller explorer un peu plus loin…

bref  : finir cette relecture de la partie 1.1 qui me pèse et attaquer à écrire vraiment la 1.2… si ça se fait ici, si ici ça ne fait pas que charger.
sinon j’aurai toujours un autre chantier à « tenir ».

ça y est j’ai fini de relire cette partie 1.1, difficile à extraire, pas grand chose à en garder : quelques éléments essentiels seulement, ceux qui résistent, ce qui reste. tout le reste à virer. réduire.
attaquer enfin la 1.2, que je veux nourrir ici.

 

me lever plus tôt les autres jours. ai besoin de voir plus de jour aussi.

les températures ont quitté les négatives.
à partir de demain normalement quasi beau pendant plusieurs jours, et les températures devraient continuer à rester presque dans les positives. entre -2 la nuit et 8.
L. me dit qu’à cette période les pluies sont en général peu abondantes. à la différence de l’été, où elles sont parfois lassantes et fortes entre les durées de cagniard à faire bouillir les pierres (je connais). et l’automne où elles durent longues et violentes.
sais pas si j’irais sous terre cette année ici. à une période j’avais beaucoup fouiné dans les beaux avens du secteur.
on est ici sur un plateau karstique, dolomitique. l’eau ne reste pas, elle file, dessous, jusqu’aux grandes gorges entre chaque Causses (jusqu’à près de 600 m de profond par endroit) : Tarn, Jonte et Dourbie principalement.
cette eau, et le vent de peu d’obstacles, façonnent dressées des roches comme des clochers, des chapelles épaisses, des totems, des clochetons, des trapèzes inversés le plus souvent, la base étant plus fine que le sommet. ces roches on les nomment « ruineuses ».
la terre est rare, parfois à peine 10 cm d’épaisseur, sauf aux endroits d’accumulation, dans le sens d’écoulement des eaux : les fonds de dolines en sont un bon exemple, mais aussi les fond de vallons. c’est là que l’on va tenter de cultiver. ailleurs ce sera pour paître, brebis, des black faces parfois. quelques vaches, robes rases brunes, parfois blanches avec masque noir et cornes en lyre… mais la vache n’est pas l’animal qui convienne parfaitement ici.
la glaise elle, traîne presque partout, au moins en petite quantité. elle se rappelle souvent à vous, les jours de pluie, vous suçant les pieds. mais la plus grande partie est plus bas sous les/sous nos pieds justement, sous terre, dans les réseaux karstiques.
les bois, clairsemés, ou d’un seul grand tenant. les arbres sont des individus peu grands : 15, 20 m pour les plus costauds vraiment, mais le plus souvent ils font entre 5 et 10-12m. ils sont quasiment tous issus de la main de l’homme.
et puis il y aussi ce que l’on nommes les bartasses  : sous-bois serrés, difficilement pénétrables, fouillis d’arbustes de toutes sortes. un verbe, une expression a même été inventé, ce qui en dit long sur l’action : « bartasser comme des sangliers ».
et puis, dans les vastes parties landeuses, steppiques, les buis, les cades, en compétition avec l’herbe, l’herbe qui joue du pinceau.
l’herbe parfois aussi rase, serrée, épaules rentrées, têtue.
les lichens.
les bêtes. furtives.
(je n’ai encore vu aucun vautour, d’habitude souvent présents ici l’été.)

la pluie a cessé. silence.

œufs à la coque, ratatouille, pain beurré. le bonheur.

affleure parfois la question « qu’est-ce que je fous là ». le seul, l’angoisse. mais ne pas la nourrir. passer de suite à autre chose. savourer, et sourire de soi. cela me sauve de plus en plus de beaucoup.
la question du seul : nous y sommes tous différemment sensibles. je sais jusqu’à quel point j’aime ça, et lorsqu’il me faut aussi voir des semblables, des autres. aujourd’hui par exemple j’ai eu 4 moments où j’ai échangé quelques mots avec quelqu’un d’autre : et ça aura fait toute ma vie sociale aujourd’hui.

23h.
le soir avance.
l’égouttement de la pluie joue du tom basse juste derrière moi, et de la caisse-claire partout ailleurs sur le toit.

presque minuit.
vais pas tarder à aller m’allonger. écouter la pluie.

partir marcher demain, un bon coup.

 

28.01.13
Causse.
ciel uniformément gris. plus de pluie. vent.
4 degrés dans la yourte au réveil. me suis levé assez tôt, ouvert.

une semaine a passé.
3 encore.

tâche récurrente mais encore agréable : casser du bois, j’en consomme quasi autant que j’en rentre.
de nombreux petits gestes passent ainsi de la récurrence à l’habitude.

vais relire UUuU aussi, pour sa version papier.

des embruns reviennent par intermittence. ça oblige à aller pisser avec un ciré.

je suis un peu plus habitué au silence, que j’ai toujours trouvé apaisant, reposant, touchant. en fait de silence c’est surtout un silence d’hommes, mais il a ceci qu’au travers des bruits de la nature, entre ses mailles, on entend le grand silence de fond.

le vent de nord-ouest, très dominant ici, semble amener du ciel plus clair.
premier tout timide rayon de soleil, à midi.

manger.
écrire.
du bois, encore.
prendre des temps pour lire aussi un peu.

 

17h30 : retour de balade avec L. coins perdus, labyrinthe de roches ruineuses faisant penser au bois de Païolive. ferme perdue au bout, brebis, gros cochon noir, bric à brac de ferme… pas vu le gars, Jules, on voulait lui montrer une pierre percée que j’ai trouvée, probablement par une main d’homme. l’intérieur de la section du trou n’est pas poli comme l’extérieur du caillou, par les eaux, les frottements divers. le trou doit donc être plus récent que la pierre. on peut y rentrer deux pouces.
une face claire, qui était à l’air, une face plus sombre, côté terre.
qu’attachait-on là ? et quand ?
elle a aussi le profil d’un lièvre.

dans le bric à brac, sur l’angle d’entrée de la ferme, un crâne de vache aux cornes en lyre, vous accueille, nous les mortels.
c’est la ferme du Tournet.

la sensation d’être rentré tôt dans la cabane, dès la nuit. pourtant déjà elle ne se pose qu’à 18h. le soleil n’est encore pas bien haut, mais l’on doit gagner peut-être 4 à 5 minutes par jour.
la lune tarde à monter.
elle arrive énorme, la brioche pleine.
le ciel est magnifique.

je ne sais pas si je suis calme ici, je le suppose, quelque chose me dépasse. probablement le fait d’être face à soi, avec les peurs et les forces. sans doute alors que le fait de faire corps, faire rythme, se fondre, être avec, être en écoute, accepter, permet d’y vivre posément. je saurai ça plus tard.
je ne sais pas non plus si c’est un retrait. « retraite » qu’est-ce que ça signifie ? et être là est-ce que ça signifie ça aussi ? je n’en sais rien. ça doit faire sens, comme l’on dit. mais ça n’est pas pour autant que ça fait signe.

23h30 : aller se coucher bientôt.
demain on va couper du bois. pour changer.

 

11 Messages

  • partir - cabane d’hiver 30 janvier 2013 09:41, par Laurent Margantin

    pas oublier d’aller dire bonjour au Cun du Larzac (si existe toujours)

    mon propre séjour (6 mois) en 92... beaux souvenirs des baignades dans la Dourbie et plein d’autres choses, l’objection de conscience

    un salut

    Laurent Margantin

  • partir - cabane d’hiver 31 janvier 2013 10:26, par Jean-Marc Undriener

    tiens, une réaction dans mon propre journal. je l’ai mis un peu entre parenthèses parce que ça s’est mis à résonner assez fort avec ce que je vivais en ce moment. sauf que ça résonnait pas très juste. pas sûr donc que ça plaise à tout le monde, mais bon. c’est juste un avis sur la question du partir et des conditions dans lesquelles on part. et peut-être aussi du décalage entre les paroles et les actes. à+

    • partir - cabane d’hiver 2 février 2013 20:31, par thibault

      "ça sent la contradiction à plein nez", justement, et c’est mieux ainsi, ça sent très bon. ce qui m’intéresse dans ce journal, ce n’est pas le rêve, l’idéal de quoi que soit, mais la tension qui le tient, la lutte contre le froid, la galère, l’humour (oui oui), ce qui rate, et le contraire. et pourtant la solitude...? comme toujours chacun est seul avec tous, écoutez moi je suis vous, O my sweeet solitude

      • partir - cabane d’hiver 3 février 2013 18:40, par Jean-Marc Undriener

        “la lutte contre le froid, la galère, l’humour (oui oui)”

        quelle lutte contre le froid ? quelle galère ? et surtout, quel humour ? j’ai dû passer à côté sans le voir. alors vraiment, non non, l’humour ce n’est pas ce qui saute aux yeux depuis le début de « l’aventure ». espérons que les prochaines livraisons soient moins affectées et moins caricaturales parce que là, pour l’instant, on est plus près du journal d’un scout ou d’un vacancier que de celui d’un Kerouac ou d’un McCandless. or les ambitions affichées penchent clairement plus du côté des seconds que des premiers. je crois surtout qu’il manque surtout à tout ça une petite, une toute petite dose d’humilité.

        • partir - cabane d’hiver 3 février 2013 19:43, par Robin Hunzinger

          Je crois que vous n’avez pas du tout compris le travail proposé par Fred Griot.
          Fred nous raconte ici une expérience de cabane, de besoin de solitude et de ressources. Il n’a pas choisi de partir sur la route à pied, il choisit de s’intaller dans une yourte et d’écrire. Dans une cabane, oui on a froid, surtout dans les Causses l’hiver et Fred nous raconte cela. Il nous parle de la proximité de la nature et le voyage immobile qu’il a choisi de nous faire partager. Vous , vous en devenez méchant. Drôle d’ami.

        • partir - cabane d’hiver 3 février 2013 20:57, par fgriot

          A J-Marc : l’incompréhension est une chose, l’agression une autre... et puis ce que tu dis est tellemet, tellement loin de ce que je sens, crois....
          j’avais décidé de ne pas répondre, mais là, pas besoin de ça ! surtout où je suis.
          alors il y a une solution très simpl, et qui apaisera tout le monde : tu arrêtes de me lire, et tu retires de ton site stp les textes que tu m’avais demandés.
          cordialement, quand même.
          f

        • partir - cabane d’hiver 4 février 2013 07:16, par Jean-Marc Undriener

          bon, désolé. je ne voulais pas déraper dans la polémique. mea culpa. c’est sans rapport avec les textes passés, fred, je critique le texte là-haut. je ne veux pas faire de procès d’intention, je regarde ce que ça produit sur le lecteur que je suis. juste que oui, la solitude c’est un sujet sensible et je ne dois pas comprendre certaines choses comme ce hiatus pour moi insolvable entre le besoin/désir de solitude et le (besoin/désir de) partage de cette solitude.

          ça n’a rien à voir, pour répondre à Robin, avec les modalités ou les formes que prend le voyage. on peut bien être seul n’importe où. on peut aussi ne pas choisir d’être seul et avoir à subir ça. mais si on fait le choix de partir en quête de solitude, on n’emporte pas le "monde" avec soi, comme média, public ou témoin. il faut juste accepter que ça peut provoquer un effet de mise en scène, même si je sais bien que ce n’est pas délibéré.

          • partir - cabane d’hiver 4 février 2013 12:19, par Louise

            Je ne vois même pas en quoi la mise en scène s’il y en a pourrait vous gêner s’agissant d’une performance poétique fondée sur des conditions expérimentales d’art vivant. Je ne vois pas où la mise en scène enlèverait l’expérience réellement vécue ni son résultat émergent en terme de production. C’est vraiment un procès d’intention que vous faites là ou alors comme d’autres décidément en ce moment vous jugez en termes de communication quelque chose qui n’est pas situé dans ce langage. D’autant plus si vous connaissez l’auteur et si vous le publiez je ne comprends pas du tout la cohérence de ce que vous lui reprochez. Il n’y a pas que les poètes qui sont ou se mettent des conditions difficiles demandez un peu au romancier Sylvain Tesson dans quel état il est revenu de Sibérie, c’était pourtant une mise en scène délibérée mais elle a été vécue — et ça s’écrit de façon passionnante pour certains intéressante pour d’autres.

            • partir - cabane d’hiver 4 février 2013 21:23, par Jean-Marc Undriener

              « vous jugez en termes de communication quelque chose qui n’est pas situé dans ce langage. »

              tout cela est peut-être un peu trop technique pour moi. mais juste pour répondre à ceci, ce (le) langage n’est que communication. pas de communication sans langage, aucun besoin de langage si aucun besoin de communication. c’est de là qu’il vient, c’est d’ailleurs un thème cher à fred, autrement dit, ce qui est écrit au-dessus a essentiellement pour objet de communiquer à autrui l’expérience en question. c’est sa principale finalité. dans le cas contraire, il ne serait pas publié. or il est écrit dans le but d’être publié. rendu public. c’est précisément cette communication qui m’interroge.

              je ne parle pas, dans mon propos, de la performance, de la production, de l’expérimentation pour reprendre plus ou moins vos termes. je ne parle que d’une chose depuis le début : du rapport à la solitude et du décalage paradoxal qu’il y a entre être seul et être vu étant seul.

              pour en finir vraiment avec ça, je n’ai rien à reprocher à personne. je livre un ressenti sur un texte. cela n’implique que le texte, que ce texte. je comprends que ça puisse fâcher l’auteur et ceux qui le mettent en ligne d’autant que j’ai été un peu sarcastique et polémique au départ. pure rhétorique. quoi d’autre ? sur le fond, la question demeure.

              bien cordialement.

          • partir - cabane d’hiver 4 février 2013 13:10, par Jean-Marc Undriener

            ah tiens, j’ai écrit “insolvable”. bon. je voulais dire “insoluble”, bien sûr.

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