La Revue des Ressources
Accueil > Création > Nouvelles > Petite mort

Petite mort 

lundi 3 octobre 2005, par Nicolas Bonneau

Elle m’embrasse. Marina.
Nous sommes allongés sur le lit. Après. Tard dans la nuit. J’ai envie de me lever, fumer une clope, boire un verre d’eau.
Je sens sa peau humide, devient froide sa peau, colle à la mienne.
Pas envie de parler.
J’écoute sa respiration.
Mon nez enfoui dans la peau de son cou.
J’avale.
Ma respiration maintenant. Me concentrer dessus.
Comme un vertige.
Je m’éloigne.
Idiotes pensées.
Celles d’une mort.
La toute petite.
Sûrement qu’elle donne un aperçu de la grande, celle qui viendra plus tard, ou pas beaucoup plus tard, faut voir. Moment d’abandon après l’éjaculation, de rejet de soi, de jet qui exprime à la sortie de soi, de corps qui expulse, en veut plus le corps, veut en finir, sursaut, ultime effort, mais le sexe qui essaye d’y aller encore, en dedans, au-dedans, au plus profond et en même temps que finir, de vouloir continuer et se retenir. Ce moment là où la mort happe, aspire, attire, donne le vertige, le tournis, ce moment-là qui précède. Moment miraculeusement choisi.

Claquement de ventouse entre nos deux ventres humides. Marina se lève. Ramène un verre d’eau. Je prends mon paquet de clopes.

J’avais dix ans et je lisais dans mon lit, avec la lumière tard, enfant qui n’a pas peur de ne pas assez dormir. Sur la première page de ma BD, couverture déchirée, page ouverte sur une planète froide et terrifiante, avec un clair de terre bleu et noir, et sur la page, sur cette planète, un super héros jaune et rouge, masqué, happé par une araignée, énorme l’araignée, velue et visqueuse, froide aussi comme sa planète terrifiante et le héros jaune et rouge se débat, combat du mieux qu’il peut l’araignée, mais elle l’aspire, lentement, lentement, elle le suce, prend son temps la salope, et lui là, le super héros qui n’en est plus un (sur la première page, le super héros meurt, l’histoire s’arrête là, c’est pas banal), lui là, paralysé par la salive de la bête, sens ses yeux qui deviennent pareils aux yeux de la bestiole dégueulasse, ronds, noirs, énormes et globuleux, humides, il voit son reflet dedans, voit la mort en face, qui l’aspire, l’engloutit, s’empare de son visage ; il s’abandonne entre ses pattes et sa salive, il crie, un cri énorme, retentissant, qui remplit tout l’espace bleu et noir... Voilà. Je me masturbais devant cette page. Je ne devais pas être si enfant que ça. Douleur fascinée du plaisir. Le sperme mêlé au sang. La peur d’y aller sur mon sexe levé, là entre mes mains.

Plus tard, j’ai revu l’araignée dans mes rêves. J’ai crié, allumé la lumière.

- Michka, à quoi tu penses ? elle demande.

Je ne répond pas.
Je termine ma cigarette.
Elle boit. Me tend le verre d’eau.
Merci.
Les corps se rapprochent.

C’est elle maintenant qui tient mon sexe entre ses mains. Je guide sa main, lui ordonne de serrer, presser fort, tordre le sang qui afflue, j’aime quand le sang cogne, fait mal. Mon sexe rouge qui entre et sort, entre en elle, veut rentrer encore, plus vite, plus fort, faire mal, se faire mal, sentir qu’on pourrait se faire mal et que c’est ça qui nous fait du bien, nous rend ensemble, perdus vers le même désir, je lui agrippe les cheveux, je serre les racines et je tire, comme si je voulais lui démonter la tête, bien sûr que je ne veux pas, je ne tire pas si fort que ça, mais la surprise est là, je ne sais pas si elle aime ça, j’imagine que oui, au petit cri qu’elle pousse, son petit cri qu’elle est seule sait pousser, cette aspiration, moment ultime où je choisi de jouir moi aussi. Je m’abandonne, m’affale contre elle et son cri, moment intense de solitude retrouvée, solitude qui ne fait que commencer... Déjà, je ne veux plus être là.
Un cri pour expier.
Je m’écroule.
Tombe.
Sens sa sueur qui dégouline, me dégoûte de transpiration, mon sperme collé à son ventre, les peaux qui s’imprègnent l’une de l’autre. La peau. J’aime la peau par-dessus tout. Particulièrement la sienne. Son sexe aussi. Je n’aime pas tous les sexes.
Le tien si !
Donc je tombe.
Le vide m’attire. Court instant où je perçois le souffle de son ventre qui se dégonfle. Le néant. Nevermore. Mes yeux sont révulsés, certainement enfoncés au fond de leur orbite, retirés en eux-mêmes, mon regard est ailleurs, à l’intérieur. Petite et étrange mort. L’envie d’en finir. Être seul. Vouloir être seul, te quitter, te laisser, te dire de partir, t’en aller maintenant, non, tout de suite, pars, être seul, je veux mourir seul, crever ici, me sens lourd tout à coup, te quitter oui, quitte moi, je n’ai plus besoin de toi, ça me dégoûte ce sperme collé à nos deux ventres, le froid glisse sur moi, donne-moi les couvertures, connasse, tu ne vois donc pas que j’ai froid, que je m’enfonce, veux en finir, finir tu entends ! Cette évidence, soudain, que nous n’avons rien, absolument rien en commun, rien à faire ensemble. Vain. Notre rapport est vain, vide, creux, stupide. Forcément vain. Ridicule et exténuant. Ta main, ta main qui glisse sur mon dos, ta main qui cherche la tendresse, l’amour encore, enlève cette main putain, main qui cherche à dire quelque chose. Tu ne vois donc pas que je ne suis plus là, parti, enfui, parti, loin, parti loin, loin de toi, ailleurs. Mon corps n’existe plus, mort mon corps, le sexe me révulse, j’ai envie de dégueuler, là, tout de suite, vomir dans le lit, cracher mon sang, détruire, j’ai envie de pleurer devant cette lucidité nouvelle et effrayante.
Jamais rien ressenti de tel depuis mon araignée.
Le vide.
Nous tombons et nous comblons le vide. Que dalle ! Du vent. Il n’y a rien entre toi et moi que du vent, seul tu entends, être seul ! Allez, laisse-moi maintenant, j’ai eu tort de te vouloir, d’avoir envie de ton corps, de tes seins, ta peau, tes hanches, tes fesses contre mon sexe, de tes lèvres sur mon sexe rouge.
J’ai envie de te tuer, de voir ton sang inonder les draps.
- Michka ?
- Oui.
- Ça va ?

C’est elle. Mon amour. C’est toi qui me parle.

- Ça va ?
- Oui
- Tu as froid ?
- Un peu
- Viens. Viens dans mes bras, mon amour.
- Oui.
J’aime tes bras, j’aime ces bras-là. Son corps chaud. Tes lèvres. Ta langue surtout qui me met dans tous mes états. Son sourire qui me fait sourire. Le sourire qu’elle a quand elle joui. Il faudra que je lui demande si c’est bien à ce moment-là qu’elle joui... Quand elle sourit... Il faudra que je lui demande si elle joui bien avec moi... Si c’est mieux qu’avec les autres. Mon amour. Son amour qui me rempli.
- Oui. Je viens.
- Tu pensais à quoi là ?
- À toi
- Ah !
- Oui
- Et alors ?
- Je pensais que j’aimais faire l’amour avec toi.

J’ai chaud. Mon corps retrouve sa place, redevient lui-même. Je la serre. Fort. Je reviens à la vie. Goûte à la vie. Je suis ressuscité. J’ai envie de lui dire, de parler, l’embrasser. Je me jette dans ses bras.
Elle rit.
Ses dents blanches quand elle rit.
Le jour se lève à travers les rideaux de la chambre blanche.
Je guide sa main pour qu’elle me sente.
Son visage change. Se transforme en désir.
Je pousse un cri. Sec, étouffé.
Ça recommence.

© la revue des ressources : Sauf mention particulière | SPIP | Contact | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0 | La Revue des Ressources sur facebook & twitter