La Revue des Ressources

Sapho 

lundi 11 juillet 2011, par Renée Vivien

En traduisant et adaptant des textes de la poétesse grecque Sappho, Renée Vivien, qui prit le surnom de Sapho 1900, composa ce recueil, dont voici quelques textes, pour chanter ses amours lesbiennes.

Vous trouverez également le recueil entier sous format ebook dans la version qu’en donne Gallica de même qu’un article (en anglais) sur le lesbianisme dans la littérature française, essentiellement.

Ode à l’Aphrodita



Accueille, immortelle Aphrodita, Déesse,
Tisseuse de ruse à l’âme d’arc-en-ciel,
Le frémissement, l’orage et la détresse
De mon long appel.

J’ai longtemps rêvé : ne brise pas mon âme
Parmi la stupeur et l’effroi de l’éveil,
Blanche Bienheureuse aux paupières de flamme,
Aux yeux de soleil.

Jadis, entendant ma triste voix lointaine,
Tu vins l’écouter dans la paix des couchants
Où songe la mer, car la faveur hautaine
Couronne les chants.

Je vis le reflet de tes cheveux splendides
Sur l’or du nuage et la pourpre des eaux,
Ton char attelé de colombes rapides
Et de passereaux.

Et le battement lumineux de leurs ailes
Jetait des clartés sur le sombre univers,
Qui resplendissait de lueurs d’asphodèles
Et de roux éclairs.

Déchaînant les pleurs et l’angoisse des rires,
Tu quittas l’aurore immuable des cieux.
Là-bas surgissait la tempête des lyres
Aux sanglots joyeux.

Et toi, souriant de ton divin visage,
Tu me demandas : « D’où vient l’anxiété
A ton grave front, et quel désir ravage
Ton corps tourmenté ?

« Qui te fait souffrir de l’âpre convoitise ?
Et quelle Peithô, plus blonde que le jour
Aux cheveux d’argent, te trahit et méprise,
Psappha, ton amour ?

« Tu ne sauras plus les langueurs de l’attente.
Celle qui te fuit te suivra pas à pas.
Elle t’ouvrira, comme la Nuit ardente,
L’ombre de ses bras.

« Et tremblante ainsi qu’une esclave confuse
Offrant des parfums, des présents et des pleurs,
Elle ira vers toi, la vierge qui refuse
Tes fruits et tes fleurs.

« Par un soir brûlant de rubis et d’opales
Elle te dira des mots las et brisés,
Et tu connaîtras ses lèvres nuptiales,
Pâles de baisers. »




Ode à une Femme aimée


L’homme fortuné qu’enivre ta présence
Me semble l’égal des Dieux, car il entend
Ruisseler ton rire et rêver ton silence,
Et moi, sanglotant,

Je frissonne toute, et ma langue est brisée :
Subtile, une flamme a traversé ma chair,
Et ma sueur coule ainsi que la rosée
Apre de la mer ;

Un bourdonnement remplit de bruits d’orage
Mes oreilles, car je sombre sous l’effort,
Plus pâle que l’herbe, et je vois ton visage
A travers la mort.




Voici maintenant ce que je chanterai bel-
lement afin de plaire à mes maîtresses

Atthis aux cheveux de crépuscule, blonde
Et lasse, Eranna, qui dans l’or des couchants
Ranimes l’ardeur de la lyre profonde
Et des nobles chants,

Euneika trop belle et Gurinnô trop tendre,
Anectoria, qui passais autrefois,
Lorsque je mourais de te voir et d’entendre
Ton rire et ta voix,

Dika, dont les mains souples tissent les roses,
Et qui viens offrir aux Déesses les fleurs
Neigeant du pommier, ingénument décloses,
Parfums et pâleurs,

Pour vous j’ai rythmé les sons et les paroles,
Pour vous j’ai pleuré les larmes du désir,
J’ai vu près de vous les ardentes corolles
Du soir défleurir.

Triste, j’ai blâmé l’importune hirondelle ;
Par vous j’ai connu l’amer et doux Eros,
Par votre beauté je deviens immortelle,
Vierges de Lesbos.





Envers vous, belles, ma pensée n’est point
changeante

Je ne change point, ô vierges de Lesbos !
Lorsque je poursuis la Beauté fugitive,
Tel le Dieu chassant une vierge au peplos
Très blanc sur la rive.
Je n’ai point trahi l’invariable amour.
Mon cœur identique et mon âme pareille
Savent retrouver, dans le baiser d’un jour,
Celui de la veille.

Et j’étreins Atthis sur les seins de Dika.
J’appelle en pleurant, sur le seuil de sa porte,
L’ombre, que longtemps ma douleur invoqua,
De Timas la morte.

Pour l’Aphrodita j’ai dédaigné l’Eros,
Et je n’ai de joie et d’angoisse qu’en elle :
Je ne change point, ô vierges de Lesbos,
Je suis éternelle.

John Reinhard Weguelin (1849-1927) - Lesbia







Source : Gallica.



Article d’Elaine Marks, Lesbian Intertextuality, à télécharger ci-dessous ; disponible également à cette adresse.

(NB : tous les articles de cette rubrique sont accessibles en cliquant sur le mot-clé Love en haut de page à droite, ou ici.)

P.-S.

Dernière édition du recueil Sapho, publiée chez A. Lemerre en 1909.
En survol du logo : John Reinhard Weguelin (1849-1927) - Lesbia - The Bath.

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