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[ AMY GOODMAN : Nous sommes à Albuquerque, Nouveau-Mexique, sur la route de notre « tournée des 100 villes » [1]. Consultez notre site tour.democracynow.org ]
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AMY GOODMAN : Nous commençons le show du jour par la distinction de l’Union Européenne lauréate du Prix Nobel de la Paix, pour son rôle historique d’unification du continent. Thorbjoern Jagland, le Président du Comité Nobel norvégien [2], a salué l’UE pour sa transformation de l’Europe « d’un continent de guerres en continent de paix. » [3]
La sélection pour l’Union Européenne en a surpris plus d’un, comme elle arrive à un moment où une grande partie de l’Europe est confrontée à une crise économique qui menace l’avenir de l’UE. La semaine dernière, des milliers de Grecs ont manifesté à Athènes contre la visite de la chancelière allemande, Angela Merkel, qui a poussé la Grèce, l’Espagne et l’Irlande à adopter de profondes mesures d’austérité.
Pour en savoir plus sur cette distinction du Nobel de la Paix, cette année, nous allons à Londres, où nous sommes rejoints par Tariq Ali, commentateur politique, historien, activiste et rédacteur en chef de la New Left Review. Il est l’auteur de plus de 20 livres, dont The Duel : Pakistan sur le Flight Path of American Power. Il nous rejoint dans le flux vidéo de Democracy Now !
Bienvenue à Democracy Now !, Tariq.
TARIQ ALI : Salut, Amy.
AMY GOODMAN : Lorsque vous vous êtes levé ce matin pour entendre la nouvelle selon laquelle le Comité Nobel norvégien avait honoré l’Union Européenne en lui attribuant le Prix de la Paix, cette année, qu’en avez-vous pensé ?
TARIQ ALI : Amy, ma première réaction fut d’éclater de rire, parce que ce Comité Nobel norvégien qui attribue le Prix de la Paix, essentiellement géré par d’anciens politiciens éculés en Norvège, ne manque jamais de décevoir ni d’amuser. Je veux dire qu’ils ne cessent de se comporter de cette façon. Les Prix de leurs choix au cours des 20 dernières années ont été risibles, et dans certains cas monstrueux.
Donner la récompense à la Communauté Européenne, alors qu’effectivement sur le plan économique elle promeut le chômage, créant en même temps la réalité d’une division de classe dans pratiquement tous les pays d’Europe, au moment où elle a présidé à une énorme violence dans les rues de la Grèce en raison des politiques poussées par l’Union Européenne, démocratiquement : c’est un énorme déficit. Les suffrages exprimés dans l’ensemble de l’Europe, des pays membres de l’Union, ont baissé de 40 pour cent au cours des 20 dernières années, c’est-à-dire que la population électrice est environ de 43 pour cent. Et en moins grand nombre, la jeunesse ne se préoccupe pas du tout de voter. La constitution a été adoptée à toute vitesse, il y a plusieurs années, alors que même les politiciens qui l’ont signée ne l’avaient pas lue. Et le tiers politique de l’UE, qui n’est pas beaucoup évoqué, c’est que maintenant il est quasiment un devoir pour tous les pays adhérant à l’UE de devenir automatiquement membres de l’OTAN. Donc, donner le Prix à l’UE est aussi gratifier l’OTAN. Or il faut se rappeler que presque tous les grands pays de l’UE ont des troupes en Afghanistan. Tous les grands pays de l’UE ont soutenu et ratifié l’occupation de l’Irak, même si certains s’étaient opposés à la guerre.
Donc, c’est entièrement une blague, absolue, surtout en ce moment, quand il y a un trouble total dans les rues au sud de l’Europe. Et cela montre simplement que ces anciens politiciens norvégiens qui composent le comité sont complètement hors du coup. Et je suis sûr qu’il y aura de la colère en Norvège même, comme il y en a en général quand ils annoncent le Prix de la Paix.
AMY GOODMAN : Le Conseil norvégien pour la Paix [4] appelle à la démission de la tête du Comité Nobel norvégien, après que le Prix de la Paix ait été attribué à l’Union Européenne. Le Conseil norvégien pour la Paix a déclaré : « L’octroi à l’Union Européenne, du Nobel de la Paix pour 2012, indique sa dimension éminemment politique, en l’attribuant à un projet qui pour la dernière année ouvrable s’est avéré représenter le contraire de la paix. L’UE souffre d’un vaste déficit démocratique, avec des violations des Droits de l’Homme selon une inégalité sociale croissante. » Telle est la déclaration du Conseil norvégien pour la Paix, Tariq Ali.
TARIQ ALI : Le Conseil norvégien pour la Paix avait déjà critiqué le Prix de la Paix dans le passé, Amy. Car Alfred Nobel avait précisé que le Prix de la Paix ne devait être donné qu’à ceux qui faisaient activement la promotion de la cause de la paix, ce que l’UE ne fait pas, que ce soit au Moyen-Orient par exemple, où elle a soutenu et cautionné tout ce que les Israéliens ont fait — partout où l’occupation de la Palestine est concernée. Elle a essayé d’isoler le gouvernement palestinien élu dans le passé. Elle a endossé de soutenir l’OTAN — dont elle est une part — et la guerre en Afghanistan. Donc, la question est, — est, plutôt celle du Nobel de la Paix sur la voie du suicide [inaudible], parce que cette décision ne sera pas populaire, même parmi beaucoup, beaucoup de norvégiens — et de suédois — membres du parlement. J’étais là-bas il y a quelques années quand ils donnèrent le Prix à Obama, 10.000 personnes environ avaient manifesté contre, parce que M. Obama venait juste de dire qu’il allait intensifier la guerre en Afghanistan et au Pakistan.
Ainsi, le Comité de la Paix [le Comité Nobel norvégien] lui-même, est maintenant devenu une version de l’UE. C’est antidémocratique. Il s’est auto-désigné. Ce n’est nullement responsable. Et quelque chose doit être fait pour changer ça. S’agissant du Comité des Prix, il devrait être internationalisé. Il ne peut pas être simplement constitué par ces politiciens sur les rotules.
AMY GOODMAN : Panos Skourletis, le porte-parole de Syriza, le principal parti d’opposition de la Grèce, a déclaré : « Je ne peux pas comprendre le raisonnement derrière ça. Dans de nombreuses régions d’Europe, mais surtout en Grèce, nous faisons l’expérience de ce qui est vraiment une situation de guerre sur une base quotidienne. Bien que s’agissant d’une guerre qui n’a pas été officiellement déclarée, il n’y a rien de pacifique à ce sujet », at-il dit... Tariq ?
TARIQ ALI : Eh bien, la Grèce est, bien sûr, un cas d’école tout à fait à propos, Amy, parce qu’ils [l’UE ou la Commission Européenne] ne se sont pas contentés de créer une situation par leurs exigences, les banques allemandes, en particulier, soutenues par les banques françaises et les politiciens qui défendent le système, cela a rendu misérable la vie de pratiquement tous les grecs, jusque dans les classes moyennes, sauf les très riches. Je suis allé souvent en Grèce depuis un an et demi, et maintenant la situation est vraiment mauvaise. Et davantage il y a ce fait, lorsqu’il y eut une chance que le chef de Syriza, Alexis Tsipras, puisse être élu, qu’ils soient intervenus en proximité, tous les hommes politiques de l’UE, y compris le tout juste élu de la France, François Hollande, qui est allé à la télévision grecque pour interpeler le peuple grec : « Si vous votez pour Syriza, vous serez écrasés. C’est un choix suicidaire. La Grèce sera détruite. » Ces menaces ont travaillé, et les personnes âgées, en particulier, n’ont pas voté pour Syriza, mais les jeunes l’ont fait. Et oui, cette ingérence ouverte, anti-démocratique, dans les élections grecques — pays de l’Union européenne — a eu un impact très négatif.
Amy, la question est : pourquoi ce Comité se comporte-t-il comme ça ? Et la réponse c’est qu’il est totalement déconnecté de la réalité. Il ne fait pas attention. Il estime qu’il peut faire éternellement partie du Comité des Prix... Ils se nomment les uns les autres. Et je pense que cette fois, comme nous le disions plus haut, ils sont allés trop loin, les populations vont être très en colère.
AMY GOODMAN : Le président de la Commission Européenne Barroso a loué la décision du Comité Nobel norvégien. Voici ce qu’il a dit :
JOSÉ MANUEL BARROSO : Nous ne devons jamais oublier que, à ses origines, l’Union européenne réconcilia des nations surgies des ruines de la Seconde guerre mondiale dévastatrice et les réunit dans un projet pour la paix construite sur des institutions supranationales qui représentaient un intérêt européen commun. L’Union Européenne, puis la Communauté européenne, ont réunifié des pays divisés par la Guerre froide et l’ont fait autour des valeurs de respect de la dignité humaine, de la liberté, de la démocratie, de la justice, la primauté du droit et le respect des droits de l’homme.
AMY GOODMAN : Tariq Ali, c’était le Président de la Commission Européenne.
TARIQ ALI : Amy, lors de la guerre en Irak M. Barroso était le leader du Portugal [5] et décida de soutenir la guerre, contre la volonté de la majorité du peuple portugais. Pour lui, se lever et parler de la défense des droits de l’homme, quand il a participé à une guerre qui a conduit à la mort de plus d’un million d’habitants, est tout simplement scandaleux. Non seulement en dehors de l’Union européenne, mais à l’intérieur de l’Union européenne, M. Barroso, ainsi que les autres dirigeants de l’UE ont approuvé de nouvelles lois qui ont suspendu l’habeas corpus [6], qui ont limité les droits civils et les droits fondamentaux des citoyens européens, qui ont participé à des « extraditions spéciales » pour envoyer des citoyens européens se faire torturer dans d’autres parties du monde ou être envoyés à Guantanamo. Donc, tout ceci et cela, sonne très creux.
Quant à la remarque absurde que l’Union Européenne ait uni l’Europe après la guerre, c’est un non-sens total. L’Union Européenne n’existait pas dans l’après-guerre. Ce qui a réellement aidé l’Europe occidentale, pas Europe de l’Est, ce qui a aidé l’Europe occidentale après la Seconde Guerre mondiale n’a rien eu à voir avec l’Europe. Ce furent les États-Unis. Ce fut le plan Marshall, qui versa de l’argent pour construire l’Europe occidentale, comme part de leur contribution, de ce côté de l’Europe par rapport à l’est, qui était sous le contrôle soviétique. Alors, pourquoi mettre de l’UE dans l’après-guerre, alors qu’elle n’existait pas ? Elle a été avancée en grande partie après la Guerre froide pour essayer efficacement de garder l’Europe sous une certaine forme de contrôle. Et ça ne marche pas. L’Europe entière sait maintenant qu’elle a été largement déplacée dans un prolongement au-delà de la guerre froide pour essayer effectivement de garder l’Europe sous une certaine forme de contrôle. Mais ça ne marche pas. L’ensemble de l’Europe sait cela aujourd’hui, et les citoyens européens dans les différentes parties de l’Europe vont rire de cette déclaration.
AMY GOODMAN : Je tiens à vous remercier d’avoir été avec nous, Tariq Ali, commentateur politique anglo-pakistanais, historien, activiste, cinéaste, romancier, rédacteur en chef de la New Left Review, auteur de plus de 20 livres, dont The Duel : Pakistan on the Flight Path of American Power.
[ AMY GOODMAN : C’est Democracy Now ! Quand nous reviendrons, nous élargirons le débat. Nous amènerons deux candidats de partis tiers à la vice-présidence dans le débat vice-présidentiel qui eut lieu hier soir, dans le Kentucky. Restez avec nous. ]
Tariq Ali : L’Union européenne reçoit le Nobel Peace Prize. Malgré ses liens avec l’OTAN et les coupes de l’austérité invalidantes :
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Le logo est un portrait de monsieur Barroso à la tribune de la Commission Européenne ; c’est une citation extraite du site jolpress.com (Jol Press).