Ça commence par une question posée par un internaute anonyme sur le forum Yahoo Answers : « N’y avait-il pas un film au début des années 90 où l’humoriste Sinbad jouait un génie semblable à celui de Aladin, mais en bon à rien ? Aidez-moi à le retrouver, ça me rend dingue. »
Nous sommes en 2009. Pendant deux ans, aucune réaction. Et puis, en 2011, un autre internaute pose la même question sur le site Reddit. Puis un autre s’y met. Puis un autre. Et encore un autre. Cinq ans plus tard, ce sont des centaines de gens qui recherchent le film avec Sinbad, qui ne le retrouvent pas et que ça rend dingue. Ils ont le souvenir d’une même intrigue et revoient encore l’affiche du film : elle est violette avec le titre Shazaam en lettres jaunes. Mais, plusieurs fois interrogé, Sinbad, de son vrai nom David Adkins, dément avoir joué dans un film pareil. Il y a bien eu un film nommé Kazaam dans les années 1990, avec le basketteur Shaquille O’Neal dans le rôle d’un génie, mais les spectateurs de Shazaam n’acceptent pas l’idée d’une confusion ou d’une confabulation. Parmi les témoignages, on peut lire une fille qui déclare : « Mon mec vient du Pérou et je lui ai demandé s’il connaissait Sinbad. Il a répondu directement : Le mec du film avec le génie ? Je l’ai vu au Pérou quand j’étais petit. » Et quelqu’un d’autre : « Ca me donne le vertige. Je me souviens précisément d’avoir vu ce film et que le film avec Shaq ne m’intéressait pas du tout, parce que je me disais : Ils ont copié l’original avec Sinbad ». Soit Shazaam existe dans une réalité alternative, soit il s’agit d’un complot pour nous cacher la vérité. Ca ressemble à un épisode des X-Files.
Ca ressemble tellement à un épisode desX-Files que c’en est devenu un : le 4e épisode de la saison 11, « The Lost Art of Forehead Sweet », écrit par Darin Morgan et diffusé il y a seulement quelques semaines. Dans celui-ci, Fox Mulder est contacté par un certain Reggie qui l’informe que quelqu’un — une organisation ou un savant fou — est en train d’effacer de larges pans de la mémoire collective pour contrôler le passé et diriger le futur. La preuve, c’est un épisode de The Twilight Zone, « The Lost Martian », épisode qui décida du destin du jeune Fox, et qui a déjà été effacé de la réalité. L’histoire se densifie, oscille entre le comique et l’angoisse. Dans une scène venue d’un passé oublié ou imaginaire, Mulder, Scully et Reggie assistent à la visite d’un extraterrestre qui leur explique que les humains sont tellement merdiques que son peuple va construire un mur invisible séparant la Terre des autres galaxies.
- « The Lost Art of Forehead Sweat », 4è épisode de la XIe saison de la série TV The X-Files
Capture d’écran / Source http://x-files.wikia.com
Le problème des X-Files c’est que la réalité a fini par dépasser leur fiction. X-Files ont eu l’intuition de la réaction principale de l’humanité à l’ère de l’information et de la transparence : une recherche individuelle de la vérité qui peut toujours basculer dans la paranoïa face à une classe dirigeante dont la folie industrielle, financière et militaire menace les populations, les appauvrît tout en détruisant objectivement la planète. Alors que s’oppose dans le champ politique les « théories du complot » et la chasse aux « Fake News », le caractère limité et conditionné de notre réalité apparaît dans toute son évidence et toute son absurdité. L’Histoire n’est pas « un cauchemar dont j’essaie de m’éveiller » comme disait Joyce : L’Histoire est une fake news.
Le terme utilisé pour définir ces faux souvenirs collectifs qui se multiplient depuis une dizaine d’années est l’« effet Mandela ». Il a été créé en 2005 par une blogueuse, Fiona Broome, alors que, persuadée que Mandela était mort en prison dans les années 90, elle apprit qu’il était encore vivant, pour s’apercevoir ensuite que beaucoup de gens autour d’elle avaient également le souvenir de cette mort, et même du discours de sa veuve, Winnie Mandela, à l’annonce de celle-ci. Parmi les exemples les plus connus d’« effets Mandela », on trouve les personnes qui se souviennent d’avoir vu Dark Vader dire « Luke, je suis ton père » dans L’Empire contre-attaque (alors qu’il dit : « Non, je suis ton père »), le petit personnage du logo de Monopoly portant monocle (il n’en a pas), enfin « Miroir, mon beau miroir » prononcé par la Reine dans Blanche Neige, et non « Miroir magique au mur », comme on peut le vérifier quand on revoie le dessin animé.
Nelson Mandela est un étrange nom associé à cet effet, car, s’il y a un événement historique qui ne recoupe aucune des intrigues géopolitiques résumables sous les formes du complot, c’est bien la fin de l’apartheid. Sinbad était un nom plus approprié : il renvoie à une déjà vieille histoire d’interpolations et de confusions. Tout d’abord, en Occident, nous avons connu les voyages de Sindbad le Marin à l’intérieur des Mille et une Nuits. Or, de plus récents recherches montrent que les aventures de Sindbad ne faisaient initialement pas partie de celles-ci, et qu’elles leur sont même postérieures et intégrées ultérieurement. Ensuite, dans cette histoire de faux souvenirs collectifs, le nom de Sinbad est mystérieusement associé au conte d’Aladin et du génie, un élément intégré également très tardivement aux Mille et une Nuits mais renvoyant à un motif très antérieur, lui, et encore plus approprié à l’effet décrit ici. Il correspond au type AT 331 dans la classification folklorique Aarne-Thompson. On appelle ce motif : L’« Esprit dans la bouteille ». Ce qu’on décrit comme un « effet Mandela » est un récit d’« esprit dans la bouteille ». Pour tout lecteur des Mille et une Nuits, il n’est ici question que de la possibilité de rencontrer quelqu’un capable de transformer le passé.
Nous continuons à partager un même monde, pourtant. Nous continuons d’y naître, vivre, mourir. Nous rêvons d’être en possession de la lampe d’Aladin mais nous ressemblons surtout au Vizir d’un autre conte persan, celui qui vient voir le Calife de Bagdad et lui explique qu’il vient de rencontrer la Mort sur la place du marché et qu’elle a fait un geste dans sa direction : « Puisque la Mort me cherche ici, permets-moi de fuir pour me cacher à Samarkand. En me hâtant j’y serai avant ce soir ». Le Calife sort alors du Palais, rencontre la Mort sur la place du marché et lui demande pourquoi celle-ci a effrayé son vizir. « Je n’ai pas voulu l’effrayer, répond la Mort, mais en le voyant dans Bagdad, j’ai eu un geste de surprise, car je l’attends ce soir à Samarkand. »
Derrière cet « effet Mandela » qui devrait être rebaptisé avec plus de justesse « syndrome d’Aladin » peut se lire la quête collective d’une libération magique d’un monde dans lequel nous vivons dans une souffrance et une désolation qui ne font, jour après jour, que s’accentuer, et qui se concrétise dans la recherche désespérée d’un homme providentiel officiant comme « génie ». Sinbad incarne ici le sempiternel « Et si c’était Lui ? » dont nous abreuvent les couvertures de magazines et qui peut définir indifféremment Macron, Trump ou même le dernier chroniqueur bête comme ses pieds à avoir ouvert la bouche. Aladin ne sera libéré de l’esprit de la bouteille que lorsqu’il se rendra compte que David Adkins et Shaquille O’Neal sont interchangeables. C’est à lui, et à lui seul, qu’il revient de transformer le monde. Comme disent les Tantra : « Le problème n’est pas d’affirmer ou non que ceci ou cela est « irréel » mais bien de savoir jusqu’à quel point vous êtes capables de rendre « irréel » ne fût-ce qu’un seul brin d’herbe. »
Nous sommes tous des Aladin et nous ne naîtrons à nous-mêmes que lorsque nous comprendrons que nous sommes toujours, à la fois, l’enfant, la lampe et le génie. Tant que nous continuerons à l’ignorer, nous ne ferons que fuir à Samarkand une réalité qui nous attend toujours déjà là-bas. La mort viendra et elle aura nos yeux.
Avec l’autorisation de l’auteur
Source FB
http://www.pacomethiellement.com
« L"événement Pacôme Thiellement, », Centre Pompidou
Contribution participative de La RdR pour l’auteur
envoyée dans le fil des commentaires de Facebook
synchrones avec l’événement vivant ↑
Trop long pourtant... j’aurais dû l’envoyer dans l’après midi.... : ça parle bien de X-Files je trouve (traduction automatique non révisée) - L.D.
"Cette citation de l’Ecclésiaste / Baudrillard est-elle exacte ? 10 novembre 2008 14:07 L’épigramme de Simulation et Simulacre (Baudrillard) est : : "Le simulacre n’est jamais ce qui cache la vérité - c’est la vérité qui cache le fait qu’il n’y en a pas, le simulacre est vrai", et il est attribué à l’Ecclésiaste. Cependant, je ne trouve aucune preuve que la citation est réellement là. Alors quoi ?Je veux utiliser la citation comme une introduction à la section de mon mémoire sur mon modèle mathématique (hah), donc je l’ai cité, et puis, comme je suis profondément dans la vérification des faits et le référencement, j’ai essayé de trouver la référence originale dans l’Ecclésiaste. (Baudrillard ne donne pas plus de précision dans la citation.)
Je ne suis pas très alphabétisé / bible, donc il est possible qu’il me manque quelque chose. En googlélisant je me trouve un millier de personnes qui utilisent la citation seulement en faisant référence à Baudrillard - pas l’original.
Est-ce que quelqu’un connaissant l’Ecclésiaste reconnaît cette citation ? Est-ce qu’il l’a inventé ? Je vais bien avec ça ... Je veux juste obtenir les sources directes de mes mes faits.
publié par hybridvigor à Religion & Philosophy (12 réponses au total) 6 utilisateurs ont marqué ceci comme favori :Me voici dans la traduction de l’Ecclésiaste par King James et rien de tel que cette citation n’apparaît à ma lecture rapide
posté par Justinian à 2:26 PM le 10 novembre 2008Le Simulacrum n’a pas l’air très scripturaire. Un passage possible sur la futilité de la sagesse pourrait être dans l’Ecclésiaste 2 : 14-15 :
"Les sages ont les yeux ouverts, le fou marche dans le noir. Sans aucun doute ! Mais je sais aussi qu’un destin les attend tous les deux.
« Depuis le destin du fou », pensais-je, « ce sera aussi mon sort, à quoi bon avoir été sage ? J’ai réalisé que cela aussi était futile."Cela peut ne pas être une pensée très utile, cependant, pour le bien de votre dissertation.
posté par Fiasco da Gama à 14h26 le 10 novembre 2008J’ai lu l"Ecclesiaste quelques fois et je ne la reconnais pas. Mais ça fait un moment. Si vous ne l’avez pas déjà fait, il se peut que vous lisiez cette chose, ce n’est pas très long.
Une autre possibilité est que Baudrillard voulait dire Ecclésiastique, ce qui est différent, et le traducteur français-anglais l’a foiré. Ecclésiastique, je n’ai jamais lu. Vous aurez besoin d’une Bible catholique ou orthodoxe pour le trouver.
posté par eritain à 14:31 le 10 novembre 2008Il y a quelques lignes ici ...
Bien sûr, si c’était une citation de l’Ecclésiaste, ce serait une traduction de l’hébreu. La réponse à cette question doit donc prendre en compte les problèmes de traduction. Est-il possible de faire valoir que c’est la propre traduction, très idiosyncratique de Baudrillard, d’un verset ou d’un autre de l’Ecclésiaste ? Peut être. Mais ce serait un argument assez ténu. Je pense que toute norme habituelle de « précision » vous amènerait à conclure que cette citation n’est pas une interprétation fiable de n’importe quel texte de l’Ecclésiaste.
Cela dit, cela fait écho à l’esprit de l’Ecclésiaste, qui concerne la nature éphémère, transitoire et finalement illusoire de l’expérience humaine.
posté par mr_roboto à 2:33 PM le 10 novembre 2008Le livre s’ouvre sur une citation de l’Ecclésiaste affirmant catégoriquement que "le simulacre est vrai". C’était certainement vrai dans le livre de Baudrillard, mais autrement apocryphe. - Amazon Description du produit de la philosophie de la technologie
Il y a une véritable ironie dans l’accent mis par Baudrillard sur la simulation. Quand j’ai ouvert S & S pour la première fois et que j’ai vu l’épigraphe attribué à l’Ecclésiaste, j’ai senti un lézard, et une enquête de quelques minutes a confirmé mon soupçon que l’attribution était fausse. Puis, en lisant, j’ai supposé que Baudrillard essayait de donner un exemple concret de simulation. Mais je reste perplexe. D’une part, il semble que ce soit une tentative de simulation remarquablement médiocre - personne ne serait même pris au dépourvu par l’Ecclésiaste. Mais d’un autre côté, à en juger par la pléthore de pages de Baudrillard sur le World Wide Web, beaucoup de lecteurs de Baudrillard semblent être dupés par la fausse attribution, ou ne pas s’en soucier d’une façon ou d’une autre. Et c’est peut-être l’argument de Baudrillard : aux « masses », l’Ecclésiaste n’est ni plus ni moins que l’auteur de l’épigraphe. Davantage sur ceci actuellement. - Simulacra et simulation : Baudrillard et la matrice
posté par dhartung à 14h36 le 10 novembre 2008Eric S. Christianson dit que "Baudrillard utilise l’Ecclésiaste, mais d’une manière qui ne peut tout simplement pas répondre aux exigences modernes."
posté par Knappster à 2:36 PM le 10 novembre 2008Eh. Chercher Ecclesiasticus pour la ’vérité’ n’a pas non plus trouvé quelque chose comme ça. Désolé, je n’ai rien.
posté par eritain à 2:37 PM le 10 novembre 2008À partir des notes de bas de page sur cette page :
Jean Baudrillard. Simulations New York : Semiotext (e), 1983 : 1. Baudrillard attribue cette citation à l’Ecclésiaste. Cependant, la citation est une fabrication (voir Jean Baudrillard, Cool Memories III, 1991-95, Londres : Verso, 1997). Note de la rédaction : En Fragments : Conversations avec François L’Yvonnet. New York : Routledge, 2004 : 11, Baudrillard reconnaît cette fabrication "semblable à Borges"."
https://ask.metafilter.com/106459/Is-that-EcclesiastesBaudrillard-quote-accurate
J’ajoute — qu’il soit vrai ou faux que Baudrillard l’ait inventée, qu’importe ? Les hypothèses soulevées en fabriquent des objets (avatars ? non) Cela paraît aller dans le sens des réflexions publiques de Pacôme Thiellement lors de cet événement. (L.D.) ↑