Les plus jeunes n’ont peut-être pas connaissance de la célébrité médiatique que Kenneth White a eue dans les années 80. Il est ainsi, à ma connaissance, le seul auteur avoir été reçu à quatre reprises à l’émission télévisée « Apostrophes » de Bernard Pivot, référence dans le paysage littéraire de l’époque.

La transformation de fond de la culture qu’il commençait à mettre en œuvre alors et sa lucidité sur la médiocratie sévissant dans la société, lui ont fait considérer cette notoriété comme une bonne occasion de faire connaître son projet culturel, du nomadisme intellectuel à la géopoétique. Pas plus. Le champ du Grand Travail était ailleurs.

Une des caractéristiques éditoriales de son œuvre, du début à la fin, aura été de confier son travail tant à de grandes maisons d’édition historiques (Mercure de France, Albin Michel, Grasset) qu’à des maisons d’édition émergentes ou résolument artisanales, voire marginales. Loin de vouloir en faire l’analyse ici, j’aimerais juste rappeler comment Kenneth White s’est retrouvé accueilli dans la Revue des ressources, cette revue à la ligne exigeante et éclectique, pionnière de l’internet culturel francophone des années 90.

Au moment de la liquidation de l’atelier d’André Breton, en 2003, Kenneth White a fait paraître dans la Revue des ressources une tribune, « Le grand atelier surréaliste ». C’est à ce moment-là que j’ai proposé à la RdR un article sur Kenneth White, le premier de la revue — un chapitre de ma thèse de littérature comparée qui portait sur l’auteur de L’Esprit nomade. Marie-Claude White l’ayant remarqué, Kenneth White m’a contacté pour me demander si je voudrais participer à un livre collectif. Ce fut fait sur papier : Kenneth White et la géopoétique (2006) — article repris en ligne sur la RdR ultérieurement. En 2011, m’étant rapproché de Kenneth White, j’ai proposé à la RdR (dont j’étais membre depuis 2003) à la fois une Semaine Kenneth White (du 4 au 8 avril) et la création d’un Dossier Kenneth White : six textes de l’auteur et deux articles de ma plume. 2011, c’est aussi l’année où je relançais, avec un compère de l’époque, l’Atelier géopoétique du Rhône. Puis, en 2013, Kenneth White me proposait de lui succéder à la présidence de l’Institut international de géopoétique. Début 2014, la RdR lui consacra derechef une Semaine à la Une. Kenneth et moi eûmes alors l’idée de présenter à Robin Hunzinger, directeur de la revue des ressources et des Éditions du même nom (ERR), l’idée d’une collection intitulée ‘Les Carnets de la Grande Errance’. La proposition fut acceptée. Le premier volume de la collection, qui en compta deux, fut le désormais célèbre Panorama géopoétique — théorie d’une textonique de la Terre (2014, réédité en 2017). Le dossier Kenneth White s’est étoffé tout au long des années, avec des contributions de divers auteurs, jusqu’à l’annonce, en juin dernier, des premières « Rencontres géopoétiques Kenneth White »(15-16 juillet 2023). Elles ont connu un beau succès qui a grandement réjoui le résident de La Maison des marées, quelques semaines avant qu’il ne nous quitte.

Cet hommage posthume à Kenneth White est l’occasion pour moi de remercier tous ceux qui ont contribué, de près ou de loin, à ce que son œuvre soit durablement présente sur la Revue des ressources — en souhaitant qu’elle y soit encore longtemps accueillie.

Régis POULET
_{Septembre 2023}