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A mes amis qui ont élu Sarkozy 

lundi 15 décembre 2008, par Gilbert Rignault

Comment des personnes qui se côtoient depuis la faculté, et partagent une culture apparemment commune, peuvent-elles, à l’occasion d’une élection, faire des choix de société totalement divergents ? Par quelle logique, certains d’entre eux qui ont manifesté, en leur temps, pour l’arrêt des guerres d’Algérie, du Vietnam, qui ont participé activement au mouvement de 68, ont-ils pu, quarante ans plus tard, voter pour Sarkozy ? Ce ne sont plus des détails qui séparent les convictions, mais des perceptions inconciliables de la vie car les fondements de la politique correspondent aux idées générales que chacun se forge du monde, des hommes, de la société, de la démocratie, de l’ordre, etc. Se disputer sur des détails tourne vite au dialogue de sourds si l’on oublie sur quelles bases initiales et « fondamentales » chacun appuie ses convictions.

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L’ordre de la nature.

— Alors le Président se lève et clame : « Je suis né hétérosexuel ! » —

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Le ton péremptoire et fier fige les sourires bienveillants des psychiatres en mimiques dubitatives : d’évidence, ils aimeraient bien que le patient poursuive...Quelle mémoire ! Quelle providence ! Et l’humanoïde du XXIe siècle apparaît aux yeux émerveillés de ses électeurs : adulte bébé autoproclamé « hétérosexuel », définitivement immobilisé dans ses langes.

Les adeptes du « tout inné » croient que chaque individu est indépendant de la civilisation dans laquelle il va vivre, sans rapports avec la famille dans laquelle il grandit, avec la qualité du rodage de ses connexions synaptiques bourgeonnantes. En somme, pour « être », l’individu n’aurait que faire des conditions matérielles qui, depuis sa conception, sont le quotidien de son histoire.

On peut estimer que le renouveau de cette conception d’une nature figée depuis la création divine a été initié par Spinoza : « Car les règles que Dieu a établies dans la nature et suivant lesquelles toutes choses naissent et durent sont de telle sorte qu’elles ne peuvent être transgressées ; ainsi, que le plus faible doit céder au plus fort... » Mais ce serait faire fi de la puissance du cerveau des humanoïdes : ainsi, exemple de révolution, par sa concentration mentale, le yogi arrive à inverser le sens de son mouvement péristaltique ! Peut-être est-ce d’ailleurs grâce à un effort de ce type que MM. Gallo, Kouchner, Attali, Lang, Rocard et d’autres ont réussi à inverser le sens de leurs propres histoires.

La nature de l’ordre

— Le prototype de l’ordre, c’est l’alignement des tombes dans un cimetière. —

Au début du XXe siècle, le mathématicien Henri Poincaré a montré que la loi de la gravitation, présentée comme immuable, implacable, archétype d’un ordre universel, n’était en réalité qu’une grossière approximation.
Pourtant, il y a quelques années, Alain Minc nous avait remis sur la bonne voie : « La démocratie n’est pas l’état naturel de la société. Le marché, oui...  ». L’économiste a raison, la démocratie n’est pas un don du ciel mais, on ne sait pourquoi, il n’envisage pas qu’elle puisse être le fruit d’intelligences et d’une culture ! Comme tous les libéraux, il prend le relais de deux économistes britanniques, Adam Smith et Thomas Malthus pour qui la recherche de l’intérêt personnel était la source des richesses et la lutte des êtres pour accéder à des ressources alimentaires tout aussi inéluctable que la misère pour les miséreux. Un peu plus tard, Darwin viendra conforter ces thèses avec sa théorie de l’évolution des espèces. Le capitalisme libéral d’aujourd’hui trouve là sa seule explication et les électeurs ont voté en majorité pour le respect d’un processus naturel d’origine divine et cette conception figée des individus, ils ont voté pour le « tout-inné », contre le social et l’acquis. Reste à ajouter des moyens supplémentaires pour maintenir ce bon ordre.
La notion d’ordre peut donc se résumer ainsi : la société se compose de différentes sous-espèces, les bons, les méchants, les fainéants, les courageux, les forts, les faibles, les suicidaires, etc., tous figés au garde à vous, dès la naissance, devant un destin sans surprises. Le président l’a dit comme le disent les ayatollahs de toutes les églises : « Il faut espérer et avoir foi en l’au-delà... ».

La démocratie dans le désert

— Ne pas fausser les règles de la compétition et de la concurrence. —
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La société doit donc avant tout veiller à ne pas fausser financièrement le libre jeu de la concurrence en pénalisant les meilleurs pour aider les moins bons.

Or, compte tenu des connaissances scientifiques actuelles, une telle conception de la démocratie ne tient plus la route : « Le monde vrai, constate Axel Kahn, n’est pas constitué de gens qui sont constitutionnellement résistants à l’obésité, au cancer et aux malheurs de la vie ». Pour ce chercheur : « Se satisfaire d’une société qui ne soit propice à l’épanouissement que de quelques-uns et s’exonérer par avance de sa responsabilité quant aux accidents qui peuvent survenir chez les autres, ce n’est pas acceptable ».

Depuis l’antiquité, on considère que la société est une entité particulière, qu’elle n’est pas une simple juxtaposition des individus qui la composent, alors il est possible d’en déterminer les rouages spécifiques et d’en infléchir le mouvement pour le bénéfice du groupe, et non au profit de quelques-uns, ce que Durkheim appelle - et, sans doute, les 47% d’électeurs de Ségolène Royal avec lui - la solidarité. Mais cela signifie également, a contrario, qu’avec la maîtrise de certains rouages juridiques de nos démocraties modernes, un sous-groupe pourrait bien accaparer le poste de pilotage du système et en tirer pour les membres qui le composent un profit immédiat au détriment du reste de la société.

Le principe essentiel du Droit administratif français est que tout acte juridique d’autorité publique doit se prévaloir de « l’intérêt général » et éventuellement le démontrer devant un tribunal. Mais la notion présente une faiblesse de taille : elle est tributaire de la conception que s’en fait le législateur. Comme, avec le libéralisme, il est indispensable de ne pas fausser la concurrence, il est légitime que des entreprises, au demeurant bénéficiaires, se délocalisent, jetant à la rue des milliers de travailleurs pour satisfaire les intérêts particuliers des actionnaires. On peut aussi, pour le même motif, privatiser des services publics bien que la mission que la République confiait à ces derniers consista à en permettre l’accès au plus grand nombre, et pas seulement à ceux qui auraient pu en payer le prix s’ils avaient été gérés selon les lois du « marché ». C’est ainsi que la notion d’intérêt général est devenue une astuce de rhétorique, un mot vide de sens.

L’Etat n’est donc là que pour faire appliquer les lois de la nature, animale, aidant les forts, quelques dynasties d’industriels et de financiers à l’ADN si particulier.

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Les hérauts sont fatigués !

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La connaissance du réel est une lumière qui projette toujours, quelque part, des ombres. Alors autant qu’il y en ait le moins possible et Alain Duhamel y avait pourvu en indiquant son choix politique. Le client a su qui disait quoi. De même, deux présentatrices, Béatrice Schönberg et Marie Drucker, pour délit de mariage ou de compagnonnage avec des hommes politiques en fonction dans la campagne électorale, ont été remisées durant ladite. Elles reviendront plus tard, comme Alain Duhamel, redevenues...« neutres » !

Visible comme le nez au milieu de la figure, la neutralité du présentateur saute aux yeux quand il questionne Chirac : « Si la France en est là, n’est-ce pas à cause des rigidités et, notamment, de la barrière du salaire minimum qui bloque l’embauche des jeunes ou des immigrés ? » Si si, c’était une question, pas une perche... le journaliste est « objectif » et la présentation de la question est « neutre » ! Quand le même PPDA pose une question à Strauss-Kahn : « Réduire le temps de travail est une chose. Encore faut-il que les travailleurs acceptent de baisser leurs salaires. Comment espérez-vous les en persuader ? », imaginons que la vedette des journalistes de télévision formule sa demande « neutre » autrement : « Encore faudrait-il que les bénéficiaires des revenus du capital acceptent de réduire leurs rentes qui, toutes les études le montrent, ont fortement progressé depuis quinze ans. Comment espérez-vous les en persuader ? » Là, il serait, à coup sûr, devenu « partisan » !

Un des arguments avancés pour supprimer l’émission « Arrêt sur images » de la 5 fut sa faible audience. Le dimanche à 12h30 ! Supprimer la seule émission du paysage audiovisuel français qui se fonde sur la critique des émissions par les téléspectateurs eux-mêmes, qui décortique l’élaboration de l’information, des images qui l’accompagnent, information sur l’information en quelque sorte, au motif du peu d’audience ? Car il ne suffit pas d’affirmer que TF1 sert la soupe à tel ami de Martin Bouygues, il est utile de le montrer en analysant la mise en scène, les dispositifs. Cela exige le recoupement des informations, une enquête, du travail. Voilà bien un sujet qui doit déranger quelques « bidonneurs » d’images, et la suppression de l’émission ne va pas « favoriser le débat démocratique », ni « contribuer à l’éducation à l’image et aux médias », comme le cahier des charges de la télévision publique y engage les chaînes, sous le regard vigilant du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel ! N’est-ce pas une qualité de la démocratie de faire une place à la minorité (5% d’audience) ? N’est-ce pas là l’objectif de tout service public ?

On se souvient que Patrick Lelay, alors patron de TF1, expliquait très ouvertement le but commercial du système : ...Soyons réaliste : à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca Cola, par exemple, à vendre son produit... [Pour qu’un] message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible, c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à TF1, c’est du temps de cerveau humain disponible. Rien n’est plus difficile que d’obtenir cette disponibilité. »

Henri Jeanson affirmait : « La liberté est une peau de chagrin qui rétrécit au lavage de cerveau.  » Et il est amusant de se rappeler que, lors de l’appel d’offres pour la privatisation de TF1, Bouygues avait été choisi en qualité de « mieux disant culturel » !
Un exemple éclairant de soupe intellectuelle fut donné il y a quelques années par une émission dont le sujet était déjà très évocateur : « La France est-elle inapte au changement ? ». Poser la question signifie que l’on se demande pourquoi la France a du mal à se laisser emporter par la vague des idées modernes (de droite), et pourquoi elle est, en conséquence, rétrograde. Or le changement, en soi, comme le suffrage universel, ne veut rien dire. La Garde des Sceaux croit ainsi justifier le contenu de « sa » réforme de la carte judiciaire : « cette dernière n’a pas évolué depuis trente ans », donc ce changement ne peut être que judicieux, malgré l’opposition circonstanciée des magistrats, des greffiers, des avocats et des usagers. Elle ne semble pas convaincue que l’on peut avancer et foncer dans un mur, que l’on peut bouger... en marche arrière. Dans ce simple titre d’une émission, donc, un tour de passe-passe très caractéristique de la propagande de droite : l’inversion des catégories politiques.

On comprend alors que, dans le contexte de cette bouillie pour les chats, des gens se disant de gauche puissent rejoindre un gouvernement de droite immodérée. Ainsi est-il compréhensible que M. Kouchner se prétende socialiste et solidaire d’un gouvernement qui privatise les Universités, qu’il se revendique « humanitaire », et prépare la guerre.

Dans cette gigue de mots allégés de leurs substances, nous entrons dans le monde de Merlin l’Enchanteur. Comment peut-on offrir de somptueux cadeaux aux dynasties patronales, projeter de privatiser les HLM, et initier, d’un même élan, une politique sociale dans les banlieues ? Comment peut-on proclamer lutter contre le chômage, et reculer, d’un même élan, l’âge de la retraite ?

Laissons donc ces bavards, professionnels diplômés, à leurs manipulations stupides. Qu’ils abaissent la compréhension des citoyens d’aujourd’hui au niveau de la crédulité confuse de l’homme de Cro-Magnon leur importe si peu... Certains savent parfaitement ce qu’ils font, d’autres façonnent complaisamment leurs compétences autour d’idées convenues et la plupart d’entre eux n’ont pas même conscience de leurs responsabilités.

Sur un océan d’eau bénite

« Le christianisme [...] est une doctrine de l’injustice. Il est fondé sur le sacrifice de l’innocent et l’acceptation de ce sacrifice. La justice au contraire [...] ne va pas sans la révolte. » Albert Camus : Actuelles I, Morale et politique.

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M. Jean d’Ormesson, académicien et bon chrétien, estimait, lors d’une récente émission de télévision, qu’il y a beaucoup d’injustices dans la vie sociale et qu’il y en aura toujours. Il ne vînt pas à M. François Hollande, qui lui faisait face et lui même, sans doute, tout aussi chrétien, l’idée de relever qu’il s’agissait bien là d’une différence essentielle entre la droite et la gauche. Les uns, désinvoltes, constatent et, évidemment puisqu’ils en profitent, se satisfont de la situation, les autres projettent de la modifier afin qu’il y en ait le moins possible. L’Occident subit depuis vingt siècles la loi judéo-chrétienne, sans conscience précise des signes de cette contamination. « Toujours » entre dans l’ordre du vocabulaire mystique d’un monde créé par Dieu une fois pour toutes et dans lequel les sociétés humaines ne peuvent et, pour les plus fanatiques, ne doivent pas, évoluer. Le bon saint Pierre, le DRH à la barbe immaculée (Epître 1,18,19), est lui-même d’une grande franchise : « Serviteurs, soyez soumis à vos maîtres, non seulement à ceux qui sont bons et doux, mais aussi à ceux qui sont d’un caractère difficile, car c’est une grâce que de supporter les afflictions par motif de conscience envers Dieu quand on souffre injustement.  ». On croirait entendre Jean d’Ormesson ! Et saint Jean Chrysostome renchérit (De verbis apostolis, 9) : « L’esclave doit se résigner à son sort et, obéissant à son maître, il obéit à Dieu.  » Le canon du concile de Langres de 358 ajoute : «  Si quelqu’un, sous prétexte de piété, enseigne à un esclave à mépriser son maître et à refuser de le servir au lieu de rester un serviteur plein de bonne volonté et de respect, qu’il soit anathème ! » Bien plus tard, en 1931, l’encyclique Quadragesimo anno conclut ainsi sa doctrine « sociale » : « Les ouvriers accepteront sans rancœur la place que la divine Providence leur a assignée. » Hauts les cœurs, les chômeurs ! Les exclus des aciéries de Lorraine, de Michelin et de Vilvord, de Daewoo et de Moulinex, de Sandouville et de partout ailleurs, sont donc, en prime, anathèmes lorsqu’ils ont l’outrecuidance de se révolter !

En ce qui concerne la conscience collective d’une histoire commune, Bossuet estimait : « Il faut laisser le passé dans l’oubli et l’avenir à la Providence. » La phrase du Président : « Il faut que l’on puisse avoir après la mort une perspective d’accomplissement dans l’éternité », est dans la filiation directe.

Jésus-Christ lui-même, obéissant héroïquement à son père, s’est laissé crucifier pour racheter cette faute mystérieuse élaborée spécialement pour convaincre les pauvres hères que sacrifice et obéissance sont les deux piliers de l’humanité... avant de devenir les deux mamelles de l’économie du libre arbitre et de la « pensée unique ».

Tout se passe comme si on avait inventé une notion de « l’au-delà » pour dévaloriser le seul monde qu’il y ait, pour ne plus laisser ni but, ni rime, ni raison, à notre réalité terrestre.

Qui a conscience que les pièces jaunes et toutes les opérations charitables, pour les enfants, les handicapés, les sans logis, servent à compenser l’absence honteuse et jamais dénoncée d’une République offrant ses cadeaux fiscaux aux grandes fortunes et quémandant une petite pièce aux petites gens ? Exemple instructif d’un système bien pensant et... bien pensé. Quant aux restos du cœur, ils servent au moins dix fois plus de repas qu’au moment de leur création : quelle « réussite » dans la multiplication des... miséreux ! Le concertiste essaie de rapprocher le piano du tabouret !

Mais « faudrait-il les laisser mourir ? » questionnent, finaudes, les belles âmes qui tiennent tellement à occulter la question essentielle : « Pourquoi meurent-ils » ? « Parce que Dieu le veut et que Ses desseins...  »

Il faut donc laisser une petite chance à Dieu pour qu’il puisse poursuivre tranquillement ses abominables desseins... et, de temps en temps, laisser croire qu’on tente d’en minimiser les effets ! C’est pourquoi les fondements, les ressorts de la médecine chrétienne ne peuvent pas être préventifs. Et ils ne le sont pas : « Soyez malades, nous vous soignerons ! » Le docteur Kouchner se complaît à le revendiquer : « La santé ne nous intéresse pas, la maladie nous hèle  ! », dit-il. Rude destin décidément : comment être médecin sans les malades et les blessés nécessaires ? Ainsi, le bon docteur regrette-il que la France soit absente lors de l’invasion de l’Irak et des tueries qui continuent d’ensanglanter le pays ! Désormais, vis-à-vis de l’Iran, Se préparer au pire, prendre les mesures pour les cercueils... Comme le note Michel Foucault : « La philosophie antique nous apprenait à accepter notre mort. La philosophie moderne, la mort des autres. » D’évidence, les humanistes ne condamnent pas la politique concrètement créatrice de misère. Au contraire : ils la légitiment ! Les desseins de Dieu sont encore plus impénétrables qu’on le dit.

Ainsi, le slogan « Aimez-vous les uns les autres » continue de se prétendre bien plus réaliste que l’injonction « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! », oubliant que le loup du Petit chaperon rouge « aimait beaucoup » mère-grand...

Pour une nouvelle Résistance

« La politique de la France ne se fait pas à la corbeille ». Ch. de Gaulle.

Pourquoi aimerait-on d’un amour particulier le pays où l’on paie ses impôts ? Comme le disait Desproges : « l’Homme est bon, certes... mais n’exagérons pas : le veau est meilleur. »

Logique que ces bourgeois parvenus tirent l’échelle après eux et ne veuillent y laisser monter personne. Entre 1998 et 2005, les 3.500 foyers « super-riches » de France, n’ont vu leurs revenus augmenter « que » de 42,6%, et la fortune professionnelle de Bernard Arnault n’a, elle, augmenté « que » de cinq milliards d’euros en un an Le yachtman Bolloré faisait figure de pauvre en 2004, ses revenus ne s’élevant qu’à 1,77 milliards d’euros soit, quand même, 110 000 années de Smic ! Des travailleurs modèles qui travaillent tellement plus ! Et ses électeurs approuvent le Président, qui améliore la situation épouvantable des plus privilégiés d’une ombrelle fiscale bienfaitrice et empreinte de compassion humanitaire.

Quelques jolis paquets enrubannés à l’effigie de la République viennent donc alourdir encore la guirlande de cadeaux qui sont offerts depuis plus de trente ans à cette élite pour les récompenser d’avoir tant « travaillé plus » au bénéfice des Français, pour les autres.

On a promis de faciliter l’accession à la propriété de l’habitation principale, comme aux États-Unis avec le résultat que l’on sait, et on s’est bien gardé d’exposer par quels mécanismes le déficit des recettes serait comblé... Quatre mois plus tard, au demeurant, on entendait le Premier Ministre se plaindre parce que la France était en faillite ! Six mois passent encore et cette France exsangue offre, sans contrepartie, quelques milliards d’euros aux banques et aux banquiers qui ont, les premiers, failli, avec les effroyables conséquences sociales que l’on sait. Et entre temps, le nouveau Président était allé se recueillir, à Colombey-les-Deux-Églises sur la sépulture de celui qui avait estimé : « Ce qui a rendu si rares les Français libres, c’est le fait que tant de Français soient propriétaires. Ils avaient à choisir entre leur propriété [...] et la France. Ils ont préféré leur propriété. [...] Ceux qui avaient à choisir entre les biens matériels et l’âme de la France, les biens matériels ont choisi à leur place. Les possédants sont possédés par ce qu’ils possèdent ». (Cité par Alain Peyrefitte, dans C’était De Gaulle, Fayard.)

Aujourd’hui, les opposants sont tout de même 47% ! Ce n’est pas rien, et ces citoyens reviennent de loin : Reagan, Thatcher, le mur, la gauche au pouvoir, les Lois Evin certes, l’augmentation de 10% du Smic, certes, mais aussi le PS seul qui légalise le travail précaire en autorisant la multiplication des sociétés d’intérim, Maastricht, sacralisation du libéralisme pur et dur dont les dispositions en rendent les clauses « irréversibles »... C’est aujourd’hui, seulement, que Mme Guigou estime crucial d’inscrire un modèle social au coeur d’un projet pour les Européens. A elle aussi, la sagacité avait fait défaut du temps où elle chantait les bienfaits de cette Europe là. Responsables mais non coupables ! On se souvient sans doute de l’affaire du sang contaminé et d’un Premier Ministre, pourtant garant de la bonne marche de son Administration, face à des erreurs aussi meurtrières, et qui ne démissionne pas ! Il s’agissait pourtant de caractère et d’honneur. Petits commis, ces couards prétendaient mesurer les valeurs de la République à l’aune de leur moite veulerie. On peut imaginer mieux pour encourager la réflexion et l’engagement politique...

La « cerise », un autre Premier Ministre socialiste la fichait sur le gâteau, déclarant tout de go, lorsque Michelin jetait quelques milliers d’ouvriers à la rue, que l’État ne pouvait rien ! Alors pourquoi, dans ces conditions, s’intéresser à la politique et aller voter ?

Au surplus, avec l’Union européenne, le terme de « nation » est devenu obsolète et, du même coup, la conscience d’être ensemble les héritiers d’une collectivité particulière, de pouvoir compter sur la culture, la conscience collective d’une continuité historique, d’un mode de penser et de vivre, entraient dans le brouillard. Les décisions, dont on serinait qu’elles étaient prises ailleurs suscitaient des sentiments d’impuissance et d’amertume. Peur du vide ? L’esprit de compétition et de concurrence, la perte du sens d’un minimum de solidarité civique, tout pousse à se recroqueviller sur soi et crée, à lui seul ce sentiment d’insécurité diffus. Aujourd’hui, l’affaire semble entendue. La voie tracée se voudrait sans retour. La bouillie intellectuelle, présentée comme une pensée, installe le doute sur l’avenir. On compense les frustrations en adhérant à un club de supporters hystériques d’une équipe de football, « jeu » que ses plus hauts dirigeants, qui en fixent les règles, expliquent que ces dernières doivent correspondre à la vie sociale, faire place aux injustices ! « C’est la vie... » Et dans la vie, il y aura toujours des injustices ! On se tourne également volontiers vers quelque puissance surnaturelle et si possible exotique, qui console par la perspective d’un paradis quelconque. Les jeux de hasard font florès ! Et le ticket gagnant est... « Sarkozy » !

Le leader souriant, bien que souvent « agité », a remplacé le tribun aux effets de menton, mais les programmes des Haider, Fortuyn, Berlusconi, Blocher, et du Président désormais, ne se démarquent guère de ceux des fascistes d’antan. Combien étaient-ils, les citoyens hostiles à Pétain entre 1939 et 1942 ?

Et la crise économique s’étend et enfle...

A quel avenir doit-on rêver ? à celui auquel songeaient Jaurès, Blum, Guy Môquet, réalisé en partie, avec l’aval du général de Gaulle, par le Conseil National de la Résistance en 1945, ou à celui de Thiers, Pétain, Darquier de Pellepoix, de Brice Hortefeux, « Edvige » et Sarkozy ?

En évoquant Guy Môquet, le Président a oublié de préconiser « L’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie [...] une organisation rationnelle de l’économie assurant la subordination des intérêts particuliers à l’intérêt général, le retour à la nation des grands services publics [...] un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État... » Et le programme du CNR concluait : « Ainsi sera fondée une République nouvelle qui balaiera le régime de basse réaction instauré par Vichy (que l’on peut aisément remplacer aujourd’hui par « l’aristocratie de l’argent ») et qui rendra aux institutions démocratiques et populaires l’efficacité que leur avaient fait perdre les entreprises de corruption et de trahison qui ont précédé. Ainsi sera rendue possible une démocratie... » Gageons que les mesures prises pour tenter de résoudre la crise économique actuelle n’iront pas dans ce sens.

Le temps est revenu de la résistance.

Voir le livre de Gilbert Rignault aux éditions Sulliver dont ce texte original est inspiré.

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