La Revue des Ressources

Correspondance littéraire 

lundi 31 octobre 2005, par Roland Pradalier

L’éditeur à l’auteur :

Cher monsieur, Paris le 24/06/2005

Ayant pris connaissance du manuscrit que vous m’avez envoyé, et de la préface que vous lui avez adjoint, je me permet aujourd’hui de vous écrire pour vous demander la suite du texte, puisqu’il s’interrompt au troisième chapitre et que les 120 pages qui terminent le manuscrit ne contiennent que le mot « merde » répétés ad libitum.
J’ai beaucoup aimé votre livre, mais mon expérience me dicte d’éviter l’enthousiasme tant que je n’en aurais pas lu l’intégralité. Vous vous différenciez de la moyenne.
Dans la lettre d’accompagnement, vous ne prévenez pas que votre roman est inachevé, mais vous laissez entendre que vous l’avez au contraire relu et corrigé en perfectionniste, et que les dernières 120 pages sont celles qui vous ont demandé le plus grand effort. J’apprécie cette forme d’humour et je suis habitué aux caprices des auteurs, mais je vous demande, s’il vous plaît et très instamment de m’envoyer au plus vite la fin.
Ne soyez pas de ceux qui restent prometteurs, j’ai vu trop d’auteurs n’être jamais que des espoirs.
Bien à vous. Mes sincères salutations.

L’auteur à l’éditeur.

Monsieur, Paris le 27/06/2005

Vous me voyez ravi et surpris par votre demande empressée, mais je me vois contraint de vous décevoir. J’ai relu mon livre hier, il est encore trop imparfait pour je désire le livrer.
Le parcourant, j’ai eu l’impression très nette de n’avoir travaillé qu’en touriste. Des pages sont mal agencées, des idées manquent et des liaisons sont absentes. De plus, j’ai perdu le goût de me faire connaître. Je regrette de vous avoir dérangé, je ne veux plus publier, et je vais cesser d’écrire pour partir m’installer à l’étranger, où des amis me proposent un poste de vacataire dans l’industrie des biscuits apéritifs.
Ecrire m’ennuie, je suis fatigué, j’ai envie de changement et d’air neuf. Vous pardonnerez ce caprice.
De vous à moi, nous nous serons vaguement compris, voilà qui me suffit et m’encourage à partir sans remord. Je garde néanmoins votre adresse et votre nom, il se peut que dans six mois, mon avis s’étant modifié sous l’action des nouveaux climats, je sois repris du désir d’avoir mon nom en haut d’un petit volume anodin.
Bien à vous.

Le lecteur à l’auteur :

Monsieur, Paris le 1/07/2005

J’espère que cette lettre vous arrivera avant votre départ. Par nos bureaux, j’ai des contacts à l’étranger, et je voudrais vous aider dans votre nouvelle vie, vous faire connaître des personnes éduquées et curieuses, qui vous montreront les plaisirs de la société. Ne soyez pas fuyant avec ceux qui vous sont favorables, vous risquez de leur paraître puéril et manquer de discernement.
Je vous en prie, prenez du temps et relisez-vous, puis envoyez-moi le roman terminé.
Bien à vous.

L’auteur à l’éditeur :

Monsieur, Montevideo le 15/07/2005

Je me suis installé en Uruguay depuis quelques jours, on m’a fait parvenir votre lettre par retour du courrier. Je travaille désormais à la biscuiterie « Croquettes et chips au bacon » et j’ai renoncé à la littérature. Nos assortiments apéritifs sont finement dorés à l’ancienne, et nous sélectionnons le cœur de la pomme de terre.
Vous pouvez jeter mon manuscrit, l’apprendre par cœur, vous en servir pour emballer le poisson, comme il vous plaira. A moins, que vous ne désiriez le terminer à ma place, auquel cas je vous donne le droit de le publier sous mon nom, sans même me l’avoir fait parvenir au préalable.
Désolé pour le dérangement et merci de votre amabilité, mais restons en là.
Bien à vous.

L’éditeur à l’auteur

Monsieur, Paris le 20/07/2005

Je ne sais pas si vous êtes fou ou si l’idiotie, vous fait vous croire drôle. La lettre que m’avez fait parvenir d’Uruguay, a été composté par la poste de Paris 75009, qui est située en face de votre logement.
J’ai appelé chez vous et votre femme m’a répondu que vous étiez sorti prendre une bière.
Je ne m’attendais pas à cette supercherie ridicule et je suis désormais persuadé que vous n’avez pas terminé votre roman, que vous cherchez à gagner du temps.
Je n’ai rien dit à votre femme de notre petit problème. Pensez à elle, soyez raisonnable.

L’auteur à l’éditeur :

Monsieur, Paris le 23/07/2005

Vous avez brillamment franchi l’épreuve, je vous félicite. Vous êtes pour moi un exemple de constance et un roc de patience. Je vous en estime beaucoup.
Pour récompenser votre ténacité, je vous fais parvenir à mes frais (2,50 euros) l’intégralité du roman auquel vous semblez tenir.
Bien à vous.

PS : Veuillez retourner le manuscrit si vous ne désirez plus le sortir dans votre collection.

L’éditeur à l’auteur :

Paris le 10/07/2005

Monsieur,

Votre livre est admirable et il a beaucoup gagné à ce que les 120 pages de jurons soient remplacées par des phrases. Je désire le publier.
Je veux vous aider de mon mieux. Pourquoi ne viendriez-vous pas dîner la semaine prochaine ? Nous aurions l’occasion de faire connaissance et d’approfondir notre relation.
A bientôt.

L’auteur à l’éditeur.

Paris le 12/07/2005

C’est entendu, je viendrais mardi à 20H. Je porterais un costume sombre et vous pourrez ainsi me reconnaître quand je sonnerai à votre porte.
Je pense que c’est le début d’une merveilleuse amitié.
Merci.

PS : N’achetez pas n’importe quel vin. Je ne supporte pas la vinasse.

© la revue des ressources : Sauf mention particulière | SPIP | Contact | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0 | La Revue des Ressources sur facebook & twitter