Selon la définition que la langue française lui accorde, la cabane accueille, reçoit quelqu’un. Mais plus encore, la cabane nous renvoie à l’origine de l’humanité. En effet, produite par l’homme, elle nous ramène à nos premières constructions. L’homme a construit sa demeure sur un mode de confiance au monde. La cabane, ancêtre de nos demeures actuelles, est ainsi une structure qui nous permet d’habiter, d’appartenir à un ensemble, en un lieu donné. La cabane se voit donc être le parfait prototype d’une "machine à habiter", comme pourrait le qualifier Le Corbusier. On pourrait même aller jusqu’à dire qu’elle fait corps avec le lieu, avec le monde, avec son habitant ; qu’elle est véritablement un mode de vie.
A propos de l’expérience de Henry David Thoreau au Massachusetts. Gilles A. Tiberghien parle de "quelque chose à l’image du lieu [qu’il] habitait : fragile et provisoire, composite et intime, capable d’abriter des pensées, des remarques, des commentaires (…) " . En effet, en s’installant " hors du monde " durant deux ans, Henry David Thoreau aspirait "à une vie transcendantale dans la nature ". Sa préoccupation essentielle a été de se mettre en résonance avec la nature, et plus largement avec la vie universelle : voir le soleil se lever ou disparaître, vivre au contact des milles et une rencontres des bois, des champs, des cours d’eau, de gens simples (non loin de sa cabane)… Le choix de mode de vie de Thoreau est de vivre chaque moment intensément, comme une nouvelle rencontre. Vivre simplement et en communion avec la nature. La cabane nous tient tout de suite en éveil, en prise avec ce qui nous entoure. " Elle nous dit en effet de vivre avec ce que l’on a, et avec ce qui nous entoure ; que ce soit dans une volonté de se retirer (Le Corbusier), d’évasion (Thoreau), ou d’habiter. Elle est véritablement une porte ouverte sur le monde extérieur.
Ne pourrions-nous pas dire alors que la cabane est une composante culturelle, qu’elle fait gravir autour d’elle toute une constellation de choses, d’événements qui la font appartenir à un ensemble. Prenons pour exemple les igloos de Mario Merz, qui sont des archétypes empruntés à l’architecture rurale du Bassin Méditerranéen : les bories, qui sont des cahutes de pierres construites du XVIIe au XIXe siècle. Elles nous renvoient toujours à quelque chose d’antérieur ayant rapport au savoir-vivre, au savoir-faire, au patrimoine, à la religion…
Il demeure également à travers la cabane un caractère mystérieux, secret ; qui lui provient de son essence : le repli. Elle s’identifie à la façon dont quelqu’un l’habite. Elle devient refuge : endroit où l’on se retire pour échapper à quelque chose, à quelqu’un ; lieu ainsi qui nous protège, nous rassure. Le repli est en effet une forme, à l’intérieur de laquelle on pénètre, on s’enfonce. C’est un espace qui nous protège, qui est intérieur, et que nous ne pouvons envisager sans l’extérieur, sans ce pli qui se déplie dans une continuité, et non une rupture.
Prenons pour exemple les quelques lignes de Georges Spyridaki, qui nous livre à propos de sa maison : "ses murs se condensent et se relâchent suivant mon désir. Parfois, je les serre autour de moi, telle une armure d’isolement … mais parfois je laisse les murs de ma maison s’épanouir dans leur espace propre, qui est l’extensibilité infinie. " La cabane qui nous abrite laisse entrevoir le bien-être.
Et comment pourrait-il en être autrement dans la mesure où elle nous dirige vers nos rêveries d’enfant. Il s’opère un véritable échange entre le monde et le rêveur, entre notre corps, notre esprit et l’immensité de l’univers. C’est un ressenti avec l’extérieur, mais qui se trouve au plus profond de nous, de notre intérieur. C’est ce qui est notamment visible dans l’image du poète René Cazelles, "ma maison, je la voudrais semblable à celle du vent de mer, toute palpitante de mouettes." C’est un regard porté vers soi, non pour s’enfermer, mais au contraire, pour pouvoir ainsi mieux s’extérioriser, s’échapper : "face à l’immensité des grands espaces, se réfugier dans un petit abri formant un cocon, c’est comme interdire aux montagnes de vous étirer hors de vous-même par delà le prochain horizon. "
On voit donc que la cabane est belle et bien la caractéristique de notre enfance. "Ne chassez pas l’homme trop tôt de la cabane où s’est écoulée son enfance" , nous disait Hölderlin, car se souvenir de son enfance, c’est faire ressortir des images aimées, gardées depuis l’enfance dans la mémoire. Ainsi demeure en l’homme l’enfant que nous avons été. Les rêveries tournées vers l’enfance ne sont pas des rêveries de fuite, mais des rêveries d’essor. Elles nous font vivre une enfance, nous font revivre notre enfance : une enfance reconstruite, reconstituée. Cependant l’enfant que l’on était n’est plus, il demeure.
C’est là l’ambivalence qui créait en chacun de nous, l’envie irrésistible de construire ou reconstruire des cabanes. Elles nous invitent à un voyage…