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Esquisse biographique de Marcel Schwob 

novembre 2002, par Bernard Gauthier

1867 : naissance de Marcel Schwob à Chaville le 23 août.

Son père, George Schwob, avait fait partie d’un cercle littéraire comprenant Théodore de Banville et Théophile Gautier, participé au Corsaire Satan de Baudelaire, et signé avec Jules Verne une pièce de théâtre ; mêlé au mouvement fouriériste, il vécut dix ans en Egypte comme chef du cabinet du ministre des affaires étrangères.
Sa mère, Mathilde Cahun, était issue d’une famille faisant remonter sa lignée légendaire jusqu’à saint Louis (Caym de Sainte-Menehould, que Joinville avait emmené outremer).

1876 : la famille se fixe à Nantes, où George Schwob acquiert le Phare de la Loire, principal journal républicain de la région. Les parents donnent à leurs enfants gouvernantes anglaises et précepteurs allemands : Marcel manifeste une étonnante précocité, maîtrise l’allemand et l’anglais dès l’âge de dix ans. Très bon élève, il publie à onze ans dans le journal de son père son premier article, consacré à Un capitaine de quinze ans de Jules Verne.

1881-1882 : Marcel Schwob étudie à Paris, et réside chez son oncle Léon Cahun à la Bibliothèque Mazarine.

Léon Cahun était bibliothécaire en chef de la Mazarine ; il avait beaucoup voyagé, en Asie Mineure, en Syrie et sur les bords de l’Euphrate, et s’était intéressé à l’histoire des peuples d’Asie centrale et du Turkestan. Il écrivit des romans historiques et d’aventures documentés : Les aventures du capitaine Magon, La bannière bleue, Les pilotes d’Ango, Les mercenaires, Hassan le Janissaire. Passionné par l’oeuvre de Villon et de Rabelais, il exerce sur son neveu une influence déterminante.

Schwob suit les cours au Lycée Louis-Le-Grand, où il se distingue en latin, en anglais et en allemand. Il fait la connaissance de Léon Daudet, et de Paul Claudel qui demeurera son fidèle ami.

Léon Daudet : "il parlait couramment l’anglais et l’allemand en sa qualité de juif polyglotte, et lisait Emmanuel Kant dans le texte" ; "déjà érudit mais dédaigneux du programme".

1883-1884 : il étudie la philologie et le sanscrit à l’Ecole des Hautes Etudes. Il est recalé au baccalauréat en juillet 1884.

Il rédige de nombreux poèmes ; il entreprend deux grands projets poétiques (Faust et Prométhée), qu’il finira par abandonner. Il détruira la plus grande partie des milliers de vers qu’il avait écrits - et n’aimera pas qu’on les lui rappelle.

Il effectue par ailleurs des recherches sur la Rome antique, ses bas-fonds, sa pègre et sa prostitution, préparant un roman qui deviendra Poupa, scènes de la vie latine, son premier conte important. Il rédige de nombreux contes, les uns durs et réalistes, les autres plus féeriques et tendres.

Il découvre l’oeuvre de Stevenson (Treasure Island).

1885-1886 : après avoir obtenu le baccalauréat, il effectue son service militaire à Vannes, au 35e régiment d’artillerie ; cette expérience le marque profondément. Au contact de jeunes gens issus de milieux populaires, il s’intéresse à l’argot ; il rédigera même des poèmes en argot, s’inspirant de Vidocq, de Lacenaire, du Jargon réformé.

1887-1889 : il échoue au concours d’entrée de l’Ecole normale supérieure, mais est reçu à la licence. Il commence à publier des contes dans le journal de son père.

Il suit à l’Ecole des Hautes Etudes les cours des linguistes Ferdinand de Saussure et de Michel Bréal, et semble s’orienter à cette époque vers des recherches historiques et linguistiques. Il rédige une Etude sur l’argot français avec son ami Georges Guieysse. Dans cette étude Schwob développe l’idée que l’argot est le contraire d’une langue spontanée, mais une langue artificielle, destinées à n’être comprise que de certains. Il s’intéresse tout particulièrement à l’élucidation de l’oeuvre de François Villon, qui demeurera sa grande passion, et dont la personnalité mystérieuse le fascine.

L’Etude sur l’argot français est achevée en mai 1889 ; quelques jours plus tard Georges Guieysse se suicide.

Schwob publie dans le Phare de la Loire une série de "notes sur Paris" (sur la chanson populaire, l’argot, les bals publics, la vie de brasserie), et des articles critiques, en particulier sur Robert Louis Stevenson avec qui il entame une correspondance.

1890 : Schwob effectue des recherches aux Archives Nationales sur les documents du XVe siècle ; on regarde parfois ce jeune lettré juif comme un intrus s’introduisant dans le dépôt des secrets de la vieille France, sans même être passé par l’Ecole des chartes ! Il correspond avec l’érudit hollandais Byvanck, et découvre avec l’historien Auguste Longnon des documents essentiels sur la vie de Villon. Cette recherche aboutit en 1892 à la publication dans la Revue des deux mondes d’une importante biographie de François Villon.

Il s’installe rue de l’Université, dans un entresol encombré de livres, avec une armoire, une table, un divan-lit, donnant sur une cour obscure.

Il collabore bientôt à différents journaux : à Nantes le Phare (et le Petit Phare), auxquels il adresse des contes, des portraits, mais aussi, plusieurs fois par semaine, de petits éditoriaux sur les événements du jour ; et surtout à Paris, à l’Echo de Paris, dirigé par Catulle Mendès, où publient Jean Lorrain, Octave Mirbeau, Remy de Gourmont, Guy de Maupassant, Jules Renard, Anatole France...

1891-93 : il dirige le supplément littéraire de l’Echo de Paris et devient un personnage important du monde littéraire parisien ; il publie des contes et des articles qu’il rassemblera ensuite dans ses recueils. Il rencontre Jules Renard.

Publication de Coeur double (1891), dédié à Stevenson, puis du Roi au masque d’or (1892).

"Marcel Schwob lit ses contes dans la petite chambre de la rue de l’Université, d’un ton péremptoire, d’une voix blanche ; ses auditeurs demeurent sous le magnétisme du regard illuminant le front de ce gros petit homme, à la figure douce et poupine, virgulée par la moustache chinoise qu’il portait alors" (P. Champion).

Dans Coeur double se retrouvent des souvenirs de sa vie militaire à Vannes, de ses compagnons modestes et des récits qu’il a alors entendus ; mais d’autres contes puisent à la lecture de textes antiques, à la consultation d’archives judiciaires et de chroniques anciennes, ou se situent dans la filiation d’auteurs tels que Mark Twain ou Edgar Allan Poe.

Le Roi au masque d’or rassemble des nouvelles réalistes et des contes symbolistes, comme le premier qui donne son titre au recueil, inspiré de la légende de Bouddha ; Schwob de nouveau puise dans des récits historiques et des chroniques, des archives judiciaires et des récits populaires, détourne et transforme des auteurs anciens ; un conte, le Pays Bleu, dédié à Oscar Wilde, annonce Monelle.

Les écrivains qui influencent Schwob sont surtout anglo-saxons : Robert Louis Stevenson, Edgar Allan Poe, Walt Whitman, Marc Twain, Daniel Defoe.

Parmi les écrivains français il préfère Rabelais et Villon ; il admire Paul Verlaine, auquel il consacre un article.

En compagnie de Byvanck il rencontre Rodin, Catulle Mendès, Allais, Aristide Bruant, Verlaine, Renard, Manet, Barrès. De cette série d’entretiens naît Un Hollandais à Paris en 1891, publié en avril 1892 et préfacé par Anatole France.

Mort de George Schwob.

Schwob fréquente André Gide, Jean Lorrain, Georges Courteline, Octave Mirbeau, Oscar Wilde qu’il accompagne dans les salons parisiens. Il défend la première pièce de Claudel, Tête d’or, fait publier l’Ecornifleur de Renard.

Jules Renard l’évoque souvent dans son Journal : "Hier soir, Schwob et moi, nous étions désespérés, et j’ai cru que nous allions nous envoler comme deux chauves-souris. Nous ne pouvons faire ni du roman, ni du journalisme. Le succès que nous méritons, nous l’avons eu. Est-ce que nous allons recommencer éternellement de l’avoir ?... est-ce que nous piétinerons jusqu’à quatre-vingts ans ? Nos paroles nous donnaient une fièvre noire. Schwob se leva et dit qu’il voulait s’en aller. Il dit aussi que ce qu’il y a de plus rare au monde, c’est la bonté..." (10 octobre 1893).

1893-94 : Schwob s’intéresse au théâtre et notamment à l’oeuvre d’Henrik Ibsen, sur laquelle il prononce plusieurs conférences. Il participe au Mercure de France, corrige Salomé d’Oscar Wilde et Pelleas et Mélisande de Maeterlinck. Il publie Mimes, un recueil de poèmes en prose inspirés de textes de l’antiquité grecque ; mais il est écarté de l’Echo de Paris, dont le supplément littéraire disparaît.

Il fréquente le salon de Mallarmé, et rencontre Paul Valéry. Il fait la connaissance de Colette, qui devient une amie proche.

Peu avant 1891, Schwob avait rencontré Louise, une ouvrière à l’esprit enfantin, qui se prostituait parfois. "J’ai pour maîtresse une toute petite fille qui est bien bête, mais si gentiment" (Journal de Jules Renard, 17 mars 1891).

Louise était minée par la tuberculose ; Schwob la soigna, mais elle mourut, le 7 décembre 1893, à l’âge de 25 ans. "Schwob va vers la mort, et lui parti, je reprends mes soucis journaliers, ma vie puérile" ; "et nous égoïstes, nous étions agacés par cette façon de souffrir si longtemps à cause d’une morte" (Journal de Jules Renard, 6 mars et 30 mai 1894).

Le Livre de Monelle paraît à l’été 1894. Ce texte inclassable, évangile de pitié et manuel de nihilisme, mêlant contes, aphorismes et poèmes en prose, reflète aussi le climat anarchiste de l’époque. Les Paroles de Monelle eurent un retentissement considérable et durable, que Schwob n’apprécia pas toujours.

Se manifestent à cette époque les premiers symptômes d’une maladie stomacale et intestinale, peut-être liée à l’usage des drogues (opium et éther).

Schwob se consacre notamment à la traduction d’auteurs anglais qu’il admire depuis l’enfance. Chez ses amis à dîner il apporte "son plat à lui", un livre anglais qu’il ouvre et traduit devant eux : un roman inconnu de Daniel Defoe, Moll Flanders.

1894-1895 : Schwob voyage avec Léon Daudet en Hollande et en Angleterre, où ils rencontrent l’écrivain George Meredith. A son retour il s’établit rue Vaneau, lisant jour et nuit, en particulier des histoires de flibustiers et de corsaires.

En juillet 1894 il commence la publication dans le Journal de la "vie de certains poètes, dieux, assassins et pirates ainsi que de plusieurs princesses et dames galantes..."

En novembre il prononce une conférence sur Annabella et Giovanni, une pièce du dramaturge élisabéthain John Ford qu’il a fait redécouvrir, et qui est représentée au Théâtre de l’oeuvre dans une traduction de Maeterlinck.

Il rencontre la jeune actrice Marguerite Moreno, dont il tombe éperdument amoureux.

Publication de la traduction de Moll Flanders. Dans le Journal paraissent, parallèlement aux Vies, les textes qui formeront la Croisade des enfants. Mais la santé de Schwob se dégrade.

1896 : alors que paraissent en volumes la Croisade des enfants et les Vies imaginaires, Schwob est hospitalisé dans la clinique du docteur Albarran. Il est opéré pour la première fois d’un mal mystérieux, qui sera diversement diagnostiqué. Il devra subir cinq opérations successives, qui le laisseront dans l’état d’un grand blessé, d’un "chien vivisectionné", impuissant, pour lui octroyer dix années de vie supplémentaire, intermittente, sous l’emprise de la souffrance et de la morphine.

La Croisade des enfants se présente comme un conte à voix multiples, inspiré d’une légende médiévale et de quelques phrases d’une chronique ; ce texte sera plus tard adapté musicalement par le compositeur Pierné.

Les Vies imaginaires rassemblent les vingt-deux vies données au Journal, précédées d’une préface :

"L’art du biographe consiste justement dans le choix. Il n’a pas à se préoccuper d’être vrai ; il doit créer dans un chaos de traits humains. Leibnitz dit que pour faire un monde, Dieu a choisi le meilleur parmi les possibles. Le biographe, comme une divinité inférieure, sait choisir parmi les possibles humains, celui qui est unique. Il ne doit pas plus se tromper sur l’art que Dieu ne s’est trompé sur la bonté. Il est nécessaire que leur instinct à tous deux soit infaillible. De patients démiurges ont assemblé pour le biographe des idées, des mouvements de physionomie, des événements. Leur oeuvre se trouve dans les chroniques, les mémoires, les correspondances ou les scolies. Au milieu de cette grossière réunion le biographe trie de quoi composer une forme qui ne ressemble à aucune autre. Il n’est pas utile qu’elle soit pareille à celle qui fut créée jadis par un dieu supérieur, pourvu qu’elle soit unique, comme toute autre création."

Les critiques saluent un héritier du Nerval des Illuminés et du Flaubert de Salamnbô et de la Tentation.
Schwob publie également un recueil de ses principaux articles, Spicilège, et fait publier au Mercure de France Ubu roi de Jarry, qui lui est dédié.

1896-1902 : Schwob déménage à de nombreuses reprises ; il vit en reclus, soutenu par l’amour de Marguerite, et travaille surtout pour le théâtre. Il traduit avec Eugène Morand Hamlet de Shakespeare : la pièce est jouée en 1899 par Sarah Bernhardt. Il entreprend également avec Morand une pièce de théâtre, Jane Shore, qui ne sera jamais jouée. Il s’éloigne d’André Gide après la parution des Nourritures terrestres, lui reprochant d’avoir plagié le Livre de Monelle. Il ne publie plus de conte, à l’exception de l’Etoile de bois. Il s’engage en faveur de Dreyfus, ce qui entraîne la rupture avec Valéry. Il se lie avec Francis Jammes.

Il séjourne en Angleterre, où il épouse Marguerite Moreno à Londres, en septembre 1900. Chez lui, un chinois lettré, Ting-Tse-Ying, qu’il a recueilli à la fermeture du pavillon chinois de l’Exposition universelle, lui sert de domestique.

Il reprend son projet d’un grand livre sur François Villon, qu’interrompt une nouvelle fois la maladie.
Après des séjours pénible à Jersey, à Uriage, il s’embarque en octobre 1901 pour les mers australes et Samoa, sur les traces de Stevenson qui y était mort en juillet 1894 ; il passe par Suez et Port-Saïd, Aden, Ceylan, l’Australie, adressant des lettres à Marguerite qui forment un véritable journal de voyage. Il parvient en décembre à Samoa, où il devient sous le nom de "Maselo" un "tulafale", un conteur public autour duquel s’assemblent les Samoans. Mais en janvier il manque de mourir, et rembarque bientôt.

Dernières années : à son retour il participe de nouveau à la vie parisienne. Marguerite Moreno, en tournée, est souvent absente. Il traduit Macbeth, de Shakespeare, et Francesca da Rimini, de Francis Marion Crawford, à la demande de Sarah Bernhardt.

Il publie en mai 1903 une satire du langage journalistique, Moeurs des diurnales.

Il s’installe rue Saint-Louis-en-l’Isle, et tient une sorte de salon littéraire ; Paul Léautaud se propose pour être son secrétaire.

En 1904 il séjourne au Portugal, en Espagne et en Italie, puis en Suisse ; sa détresse physique ne cesse de s’accroître.

Il reprend son "grand livre" sur François Villon, et en décembre 1904 commence un cours à l’Ecole des Hautes Etudes.

"Je revois la petite salle étroite, ayant pour tout mobilier une table de bois blanc et quelques chaises. Au dernier moment, on allume un fourneau à gaz. Marcel Schwob entre, blanc comme un cadavre. On lui met, sous les pieds, une bouillotte d’eau chaude ; il boit une gorgée d’eau, et d’une voix douce, si basse qu’elle ne dépasse guère les premiers rangs des chaises occupées une demi-heure à l’avance par ses admirateurs, il évoque Paris et Villon..." (J. Clarétie)

Parution de ses derniers textes littéraires, où il évoque ses lectures d’enfance.

Il meurt le 26 février 1905, à l’âge de 37 ans. Sur son lit de mort on ne parvient pas à lui fermer les yeux.

"Et quelques années plus tard, on trouva Paolo Uccello mort d’épuisement sur son grabat. Son visage était rayonnant de rides. Ses yeux étaient fixés sur le mystère révélé. Il tenait dans sa main strictement refermée un petit rond de parchemin couvert d’entrelacements qui allaient du centre à la circonférence et qui retournaient de la circonférence au centre." (Paolo Uccello, peintre, Vies imaginaires).

 

 

P.-S.

On peut consulter :

Pierre Champion, Marcel Schwob et son temps, Paris, Grasset, 1927 (non réédité).

Sylvain Goudemare, Marcel Schwob ou les vies imaginaires, Paris, Cherche midi, 2000.

A compléter avec un (remarquable) volume collectif d’études : Marcel Schwob, d’hier à aujourd’hui, sous la direction de Christian Berg et Yves Vadé, Champ Vallon, 2002.

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