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Gaza-Genève-Paris : la force de l’art 

dimanche 8 novembre 2015, par Mohamed Kacimi

Présentation : la force de l’art
Ainsi elles sont venues, elles ont vu, elles ont vaincu ! La nuit qui précéda le départ des jeunes filles, j’appris tout de go par l’une d’elles qu’elles étaient en partance, alors j’ai partagé le stress et le suspense au long de leur voyage aventureux jusqu’à leur arrivée, me rassurant sur leur progrès grâce aux messages au fil des heures. Puis à leur retour. Mais je n’ai pas eu l’honneur ni la chance de les voir. La chance n’était pas faite pour nous, correspondants affectueux ou compatissants, c’était la leur, celle de leur art d’écrire et leur énergie du partage, grâce à la pertinence des organisateurs et de tous ceux qui les soutinrent concrètement en amont et en aval. [1]
En post-scriptum, on trouvera un rappel circonstancié des publications de Mohamed Kacimi, de Ziad Medoukh, et de Huda Abdelrahman al-Sadi, (notamment une adaptation libre sous la forme d’un récit en série, du poème épique original in extenso qu’elle a présenté et qui a remporté la sélection pour le voyage), dans La revue des ressources. (A. G.-C.)


Au travail de lecture des textes de Ghada (assise) et de Huda (inclinée debout) avec un groupe d’étudiants
à la Comédie de Genève, en novembre 2015
(Source Mohamed Kacimi)


E n 2013, j’avais animé à Gaza un atelier de théâtre autour de On ne badine pas avec l’amour d’Alfred de Musset. Cet atelier a eu lieu à l’Institut français de Gaza, dirigé par Anthony Bruno. Il concernait des étudiants des départements de français des Universités d’Al Aqsa et d’Al Azhar, dont le niveau en français est remarquable. Le département d’Al Aqsa est dirigé de main de maître par le poète, Ziad Medoukh, qui a fait de la langue française sa deuxième patrie.

J’ai été rejoint dans cette aventure par Hervé Loichemol, directeur de la Comédie de Genève qui a dirigé à son tour des ateliers de jeu à Gaza avec les étudiants francophones.

Impressionnés par le niveau des étudiants, touchés par le désir de théâtre chez les jeunes dans un territoire où il n’existe ni cinéma, ni théâtre, ni salle de spectacle, nous avons conçu le projet d’inviter des étudiants de Gaza à Genève, pour y découvrir le théâtre… la vie… !

Nous avons alors invité un groupe d’étudiants pour un séjour à Genève, mais le projet est tombé à l’eau à cause de la guerre. Cette année, nous avons relancé le projet. Adel Hakim, directeur du Théâtre des Quartiers d’Ivry s’est joint à nous. Deux étudiantes ont été sélectionnées à partir des textes qui m’ont été soumis : Ghada et Huda. Comme personne ne peut sortir de Gaza, sans l’autorisation de l’armée israélienne, le Comédie de Genève a déposé deux demandes, l’une par l’intermédiaire du Consulat de France, l’autre par la Suisse.

La demande française a été refusée, et la demande suisse acceptée, la veille du départ.

Il faut savoir que les palestiniens habitant la Bande de Gaza ou la Cisjordanie n’ont pas le droit de voyager depuis l’aéroport de Tel Aviv. Ils sont obligés de passer par le pont Allenby pour se rendre en Jordanie d’où ils peuvent embarquer.

Nos deux étudiantes ont reçu le visa israélien la veille de leur départ sur Genève, mais elles avaient essuyé un refus de la part des autorités jordaniennes. Sans se démonter, elles sont sorties par Erez, ont pris un taxi jusqu’à Jéricho et de là jusqu’à Allenby, où elles ont attendu sept heures avant d’avoir un laisser passer jordanien.

Elles sont arrivées à la Comédie de Genève avec deux textes très forts, écrits directement en français. Huda a proposé « La guerre vue du balcon » et Ghada « Phénix ». Les deux textes évoquent l’expérience de la guerre au quotidien, avec sa banalité, ses horreurs et même sa routine. Nos invitées ont 22 ans.

Durant deux journées, Hervé Loichemol, maître d’œuvre de cette opération, a dirigé un groupe d’étudiants Genevois pour la mise en voix de ces deux textes. Ghada et Houda qui ne sont jamais sorties de Gaza découvraient pour la première fois, une ville européenne et surtout la magie du théâtre.

Après cinq jours passés à Genève, les étudiantes ont pris le train pour Paris à l’invitation du Théâtre des Quartiers d’Ivry. Elles ont assisté à la Première de La Double Inconstance de Marivaux, mise en scène par Adel Hakim, c’était la première pièce de leur vie. Pas la dernière.

Huda et Ghada sont rentrées ce soir à Gaza. Nous les attendons pour d’autres Premières…


Avec l’autorisation de l’auteur
M. K.


P.-S.

Source de l’article FB © Mohamed Kacimi, le 6 novembre 2015.

En logo : une photo de plateau de la pièce de Marivaux qui a accueilli les protagonistes du voyage lors de leur étape française :
La double inconstance, réalisée par Adel Hakim,
Théâtre des Quartiers d’Ivry, (jusqu’au 29 novembre 2015)
.
Source Sceneweb.

 Théâtre des Quartiers d’Ivry 
http://www.theatre-quartiers-ivry.com/.

 Comédie de Genève
http://www.comedie.ch/.

 Al-Aqsa University, Gaza
http://www.alaqsa.edu.ps/eng/.

 Al-Azhar University, Gaza
http://www.alazhar.edu.ps/eng/.

 Institut Culturel français de Gaza (Consulat de France). FB de l’Institut. L’institut de Gaza ouvert dans des locaux neufs en 2013 est fermé depuis la fin de 2014, suite à des attentats dont l’origine n’a pas été identifiée ou n’a pas été communiquée.
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Les publications de Huda Abdelrahman al-Sadi dans La RdR (il est possible de la joindre en empruntant le formulaire de message dans la page liée). Parmi lesquelles la série adaptée de La guerre côté balcon.

Les publications de Mohamed Kacimi dans La RdR. Parmi lesquelles, sur son engagement au théâtre, l’évocation de son expérience du Théâtre du Soleil, avec Ariane Mnouchkine, « La découverte du soleil ».

Les publications de Ziad Medoukh dans La RdR (il est possible de la joindre en empruntant le formulaire de message dans la page liée). Les journaliers de Gaza (Palestine Solidarité).

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 Adel Hakim (fr.wikipedia).

 Mohamed Kacimi (fr.wikipedia).

 Hervé Loichemol (fr.wikipedia).

 Ziad Medoukh (claudenicolet.fr). Sa page aux éditions de l’Harmatan.

Notes

[1Épilogue
(...) Après tant et tant de voyages remis, tenus en suspens, puis annulés faute d’autorisation attendue jusqu’à la dernière minute, nous comprenons bien, à lire le récit de cette performance synchrone combinant les efforts des organisateurs et ceux des protagonistes mêmes du voyage, dans les mots précis de Mohamed Kacimi qui en réalité nous apprend l’événement dont nous restions à ignorer l’essentiel, pourquoi non seulement la discrétion de leur part mais encore le devoir ne pas faire d’ingérence pour la nôtre étaient importants dans ce périple. Périple au demeurant bref, mais d’une rare densité en si peu de temps, et dans l’espoir qu’un prochain suivra pour accomplir le talent de ces jeunes filles et l’ouverture qu’elles veulent donner à leur vie. L’avantage helvétique consistant dans un statut de pays neutre est sans doute demeuré utile.
Remerciements solidaires aux organisateurs et à Mohamed Kacimi pour leur persistance au delà de leur premier workshop en art dramatique à Gaza, il y a deux ans. Ils ont rendu possible la réalité à la fois matérielle symbolique et poétique de cette venue créative, par dessus l’horreur permanente de la situation palestinienne. Félicitations aux deux jeunes filles pour leur talent, leur patience, leur ténacité, leur intelligence, leur courage !

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