C’est visiblement avec une délectation toute particulière que Vittorio Frigerio installe son personnage dans la bonne ville d’Halifax, tout entière plongée dans une atmosphère brumeuse et surannée. Gaspard, le héros, va enfin édifier l’œuvre de sa vie : un centre commercial défiant toute tradition architecturale au bord de l’Atlantique. L’œuvre d’un génie ou d’un fou. Mais lorsque l’architecte débarque en ville pour rencontrer le patron de la firme qui lui a commandé le projet, les bureaux sont mystérieusement désertés et il se trouve face à une secrétaire éplorée. Surpris sans être abasourdi, malheureux de voir sombrer tous ses espoirs, il espère que cette mésaventure lui servira de leçon, enfin écrit l’auteur, « il espérait que cela lui apprendrait, parce qu’il n’était pas terriblement sûr de ce que son sixième sens défectueux lui suggérait ». Néanmoins déterminé, il va conduire sa propre enquête afin de connaître les dessous de l’histoire.
Mais Gaspard n’est pas Erlendur, l’inspecteur venu du froid, il ignore tout de la façon de mener une enquête et les ennuis continuent… Parallèlement, il va rencontrer une jeune femme esseulée, Madeleine, et le gourou d’une nouvelle secte qui, voyant en lui rien de moins qu’un roi mage, le presse d’élaborer les plans du temple qui doit assurer le rayonnement de sa chapelle. Mais après tout, pourquoi ne pas croire en ces nouvelles fréquentations ? Certes, il s’agit d’une secte mais après tout « L’Eglise catholique, en gros, fourguait la même camelote : une bonne dose d’espoir enveloppée de grands mots », alors pourquoi hésiter à travailler pour eux ?
L’humour décalé de Vittorio Frigerio est tout à fait délectable, notamment lors des dialogues entre Gaspard et John Wayne, éternel cow-boy qui aide, du haut de son affiche, notre héros à faire le point sur sa vie et l’entraîne dans des débats métaphysiques sans queue ni tête, à l’opposé de ses vaches. Bien entendu, l’auteur ne manque pas d’écrire que l’on pouvait s’attendre à ce que Gaspard soit accompagné… par Melchior et Balthazar ! Dans la prétendue salle de culte où se rend le héros, il remarque deux malabars à la tête carrée qu’il baptise aussitôt Humpty et Dumpty. Humour toujours mais détourné et teinté d’un brin de cynisme quand l’auteur s’amuse à inventer des dictons (« Chaque jour a son addition qu’il faut payer »).
Le romancier excelle également dans la description de ses personnages, il brosse par exemple le portrait de Pete, le grand manitou de la secte, en quelques mouvements de gorge : « Quand il ne parlait pas, Pete toussotait, se raclait la gorge, émettant des rafales ininterrompues de gargarismes suffoqués, se protégeant la bouche par intervalles de sa grosse main noueuse. Il ne cessait de produire ces sonorités excédantes, toujours à la limite et toujours en deçà d’une toux franche, que lorsqu’il reprenait la parole et alors toute impression de congestion disparaissait et ses mots étaient clairs, son ton net, quoique sa voix profonde. Mais dès que quelqu’un d’autre se mettait à parler, mille petits bruits innommables recommençaient à monter du fond de sa trachée en une procession émaillée d’innombrables hésitations, de pétillements, d’explosions, de râles, de hoquets, de reniflements sériels qui lui agitaient le nez comme la truffe d’un lapin. » Portrait jubilatoire d’un orateur hors pair !
Une intrigue captivante, d’insolites trouvailles et un petit rappel d’optimisme. En effet, le héros fera tout pour croire encore en lui-même. Peu importe que le centre commercial se transforme en basilique : « (…) il commençait à ressentir un véritable enthousiasme pour ce travail et, plus le temps passait, plus il avait l’impression d’avoir gagné au change et d’être en voie de réaliser quelque chose qui lui procurerait une satisfaction incomparable. »
Gaspard parviendra-t-il à concrétiser son rêve de cathédrale ? Campbell, le commanditaire du premier projet, est-il mort ? Et si le passé de ville corsaire d’Halifax ressurgissait des profondeurs de l’océan ? Ne vous privez surtout pas du plaisir de le découvrir car La cathédrale sur l’océan, sous ses allures de polar métaphysique, est un roman réjouissant.
Voir un extrait du roman : "La rencontre".