« Duras survit sans difficulté. Elle n’a guère connu de purgatoire – puisque c’est ainsi qu’on désigne la période d’inattention, parfois même d’oubli complet qui suit la mort des écrivains et précède, dans le meilleur des cas, leur transformation en classiques. » C’est ainsi que Dominique Noguez débute son essai sur Marguerite Duras, expliquant que cette survie extraordinaire a été pour lui une vive incitation à l’écriture de cet ouvrage. Notons avec regret que les textes composant cet ensemble ont déjà, pour la plupart, été publiés sous forme de préface ou de conférences, et que seuls deux d’entre eux sont totalement inédits. Il s’agit néanmoins d’un essai parfaitement documenté, celui d’un spécialiste de Duras qui a visité avec assiduité les archives déposées à l’IMEC, qui s’est abîmé les yeux sur les manuscrits, cherchant par exemple à déterminer la validité de deux écrits récemment attribués à l’auteure de L’Amant, deux romans cachés : Les Heures chaudes et Caprice.
Le premier serait un ouvrage collectif que Marguerite Duras aurait rédigé avec « une bande de jeunes ». Le second semble avoir particulièrement retenu l’attention du spécialiste, en raison notamment de ses liens avec la biographie durassienne mais surtout par le style : « Dès les premiers mots le lecteur familier de l’œuvre de Marguerite Duras reconnaît Caprice comme une œuvre d’elle. De façon suffocante, émerveillée, absolue. » Mais comme le dit si justement Dominique Noguez, une impression ne suffit pas, il faut des preuves et il en donne d’incontestables en relevant des procédés narratifs et des traits stylistiques typiques du style de Duras. Il est convaincant. On le croit.
Il rappelle ensuite combien Duras était l’écrivain de l’amour, à quel point elle l’a recherché, vécu, célébré, décrit, écrit, mis en scène et filmé tout au long de sa vie, et aboutit fatalement à ce paradoxe : comment une femme ayant construit une œuvre constamment tournée vers l’amour a-t-elle pu engendrer tant de haine ? Suit un florilège déjà connu que l’auteur aurait pu nous épargner.
Plus intéressante est son étude méticuleuse, précise et pertinente du « cas Lol », de la genèse du roman et la dimension voyeuriste de toute l’œuvre de Duras.
C’est en spécialiste et en ami de Marguerite Duras que Dominique Noguez a conçu cet essai, structuré, précis, parfois captivant. Le ton n’est jamais pédant et on est loin ici de l’hagiographie de certains critiques durassiens. Mais Duras, toujours est avant tout une marque d’admiration indéfectible, sans cesse renouvelée, comme l’atteste la lettre posthume que Dominique Noguez adresse à Marguerite Duras à la fin du livre. Car, même si cette lettre sans concession est pleine de reproches pour celle qui était capable d’écarter de son cercle des amis de longue date avec une méchanceté proverbiale, (« Mais de l’amour, justement, toi qui en avais tant manqué dans ton enfance et qui en avais tant parlé, tu n’en avais pas pour tout le monde. Aimant, mais pas universellement. Amante, mais pas sainte. Amoureuse, mais peu charitable – en particulier pour les confrères, même les plus grands, surtout les plus grands. »), même si le ton est celui de la moquerie ou parfois celui de la colère, à la fin il ne reste que l’enchantement au souvenir des lectures et un éloge toujours recommencé.