Comme traité, ce texte est un acte politique entre États souverains, issu de compromis parfaitement normaux en la matière. Il marque un moment précis et capital dans l’histoire de l’Union européenne. Il appelle des analyses et des votes, non des bénédictions ni des diabolisations : c’est un texte qui inscrit des raisons humaines dans des temps et des espaces où la Raison ne règne pas. C’est un texte auquel on ne peut pas faire tout dire et duquel on ne peut pas ôter ce qu’il dit.
Dans une histoire ouverte entre les deux guerres mondiales et poursuivie depuis la deuxième, de traité en traité, pendant plus de cinquante ans, il marque le moment où l’attraction de l’Europe peu à peu instituée a suscité dernièrement l’adhésion en une fois de nombreux pays et suscite la demande de nombreux autres, un moment où cette histoire déjà par elle-même probante conduit à un développement proprement politique. Non l’Europe que stigmatisent ses adversaires n’a pas à s’excuser d’être effectivement cet espace de valeurs, de démocratie, de paix et de prospérité qui tient ensemble ou attire si fortement des peuples.
Et, pour ne prendre que quelques exemples qui touchent à notre pays, chacun sait que, sans l’Europe, il n’y aurait plus d’agriculture française, que nos régions excentrées seraient très mal en point et que nos Dom-Tom n’auraient pas été traités par l’Europe comme les territoires de l’un de ses pays. Chacun connaît aussi les recours effectifs que les Cours européennes offrent chaque jour à leurs justiciables. Aucun misérabilisme ne prévaudra contre ces faits-là et contre le désir des peuples européens de partager notre espace commercial, économique, judiciaire, social, sanitaire, politique.
Il faut lire ce traité.
On y trouve écrites des valeurs fondatrices et une charte des droits fondamentaux en matière de dignité, libertés, égalité, solidarité, citoyenneté et justice, des compétences et des institutions (cela codifié de manière sans doute trop minutieuse, mais c’est le propre depuis le début de ce libéralisme européen très réglementé que l’on veut faire passer pour ultralibéral ou sauvage). Partout sont affirmés comme constitutionnels le principe de subsidiarité et la légitimité des « législations et pratiques nationales ». Partout est évoquée la nécessité d’amener tous les pays de l’Union au meilleur niveau des garanties pour ses citoyens et ses travailleurs (par ex. l’art. III-117 sur l’emploi, la protection sociale, l’exclusion sociale, la formation et la santé ou l’art. III-145 qui exclut les pratiques de dumping social ou l’art. III-209).
Et puis il y a le titre V (« L’action extérieure de l’Union ») et le titre VI (« Le fonctionnement de l’Union ») qui ouvrent enfin, en droit positif, un espace politique à l’Europe. Là où notre continent et spécialement notre Union ont montré, à l’occasion de la guerre en Irak, l’incapacité de la première puissance économique du monde à se donner une politique et à l’imposer, le traité trace les voies et les institutions nécessaires. Certes il ne plaira pas à tout le monde que l’Europe entende assumer les responsabilités politiques de sa puissance, mais les tenants du multilatéralisme, qui sont nombreux semble-t-il parmi les partisans du non, pourraient trouver là matière à réflexion.
Il faut savoir écouter les partisans du oui. C’est-à-dire sortir de l’anathème et des procès d’intention, et entrer dans ce que chacun de nous pratique quand il veut comprendre une pensée : dans l’esprit de celle-ci.
Il faut savoir nous écouter, même quand nous mettons en garde les partisans du non contre les conséquences d’une victoire du non. Car chacun de nous, n’est-ce pas, doit voter « de telle sorte que la maxime de son action puisse être érigée en loi universelle ». Ou encore, d’après Max Weber, savoir distinguer l’éthique de la responsabilité de l’éthique de la conviction.
Nous aussi nous avons le goût et le désir de nous engager dans la politique en vue d’une vie bonne pour tous. Le fatalisme écœurant des médias va aussi bien au non qu’au oui, il va toujours à la sensation du moment. Oui, il est des occasions où la médiocrité de l’époque peut s‘effacer devant un projet parfaitement digne, en sa nature politique et en ses termes raisonnés. Il faut s’en saisir.
Le 29 mai, l’un des peuples fondateurs de l’Union se prononcera et sa décision, attendue par tous les autres membres et largement au-delà, constituera de toute façon un événement. Nous souhaitons que ce soit OUI.
Pierre Campion et Serge Meitinger