La Revue des Ressources

Série 

mercredi 19 octobre 2016, par Carol Delage

Gentilly

Les murs de mon enfance prolétaire
Ont la couleur des briques
De Gentilly la rouge, de Gentilly l’ennui
Que traverse la Bièvre, invisible, sous ses terres.

Ville fantôme, dortoir de Paris
Gentilly la rouge, Gentilly l’ennui
Que de nuits d’été à l’écouter
Durant des heures à la fenêtre passées,
Cloîtrée entre deux bâtiments,
Enfermée tout simplement
Dans un modeste appartement.

De Gentilly la rouge, de Gentilly l’ennui,
J’en garde cependant un bonheur unique :
L’odeur de la pluie sur les volets brûlants et métalliques.

La valse des baffes

Bing bam boum paf
Premier paragraphe :
Hey petite touche moi !
Et surtout tais toi !

Bing bam boum paf
Se prendre une baffe
Ni bouger ni parler
Ni même danser

Bing bam boum paf
Fallait faire gaffe
T’es trop naive mamz’elle !
L’amour ça coupe les ailes !

Bing bam boum paf
Voici ton épitaphe :
Le bonheur c’est de la prose
Qui fane comme la rose !

Les choses de ma vie

D’abord,

Enfance dévastée, place à trouver.

Circuit fermé,élan atrophié.

La souffrance est silencieuse.

Ensuite,

Famille créée, aussitôt née

 Aussitôt spoliée

Par le vitriol de la trahison.

Pire qu’un exilàperpétuité :

Perdre en même temps

Son amour le premier,

Le père de ses enfants.

Mouriréveillée.

Âme dans l’abîme.

La déchirure si profonde.

Depuis, 

Si loin de lui

Et tellement près de moi.

Lui : mort et vivantàla fois.

Moi : veuve et neuve avec foi.

Entre ces mots j’évolue.

Je tente de recoller

Les morceaux de mon entité

Déchue.

Enfin,

Tant de chosesàvivre,àvoir etàfaire.

Car demain c’est déjàhier.

J’ai oublié


Maman j’ai oubliéla caresse de tes mains sur mon visage.
J’ai oublié de te dire je t’aime tant de fois.
Je n’y arrivais plus, je n’y arrivais pas.

J’ai oubliéles bonnes choses...
Il a fallu mettre enétat d’hypnose
mes sentiments, mes terreurs, mes meurtrissures ;
m’essayer, cahin-caha,àla couture
pour avancer, pour permettre l’ajustage.

Ce qui devait nous rapprocher,
unécart d’àpeine seize années,
nous a finalement séparé.
Tu fus mère prématurément.
Et moi j’ai compris l’erreuràmes onze ans.

Depuis je ne sais plus ce que veut dire
être la petite de sa maman.
Je le devine dans le regard de mes enfants.

Les rôles ontétéconfondus pour le pire.
Je fus considérée comme tonégale
et avec une once de perversion supplémentaire
peut-être comme une rivale...

Bien souvent je me suis sentie trahie, abandonnée.
Ce qui pourrait expliquer ma solitude contrainte ou recherchée
et cette pensée ancrée que l’autre puisseêtre un potentiel danger.

Maman, ma petite maman, je ne te reproche rien.
Comment aurais-tu pu concevoir l’inconcevable ?
De cela, ni toi ni moi n’avonsànous sentir responsables
Seule la main meurtrière est coupable.

Ainsi est mon chemin et maman c’est tristeàdire mais...
c’est quand tu seras veuve que je retrouverai
dans ton regard inquiet l’enfant que j’étais
et que j’apprendrai peut-êtreàaimer mon pater en tant que père,
celuiàqui j’ai pardonnésans que certains détails n’aient puêtre effacés.

A l’aube de mes quarante-trois ans,
je conclue ainsi le chapitre parce qu’il est temps
en murmurant entre les lignes :’ Je t’aime maman.
Ne t’inquiète pas. J’essaie d’aller bien...’

Je ... nous.

Je regarde mon genou balafré par l’intervention chirurgicale comme on regarde un champ dévastépar les obus.
Une tranchée s’est formée. Pourtant la vie y repousse. De petits poils hirsutes perforent la compresse.
La vie est partout même dans l’absurde, dans l’incongru et l’insolite. Elle résiste, elle prend sa place : les chairs se resserrent.
Cette entaille je l’associeàcette boîte posée sur la table basse : une boîte Valda consommée goûlement durant ma convalescence. Chaque pastille ingurgitée me remémorant celles qu’il m’a fallu avaler.

Questions sur la tombe

 Dis moi mère-grand est-il vrai qu’ avec l’âge les douleurs de l’âme peuvent s’estomper et se fondre dans la masse des horreurs que les hommes sont toujours prompts à perpétuer ?
_ Que les joies se font plus simples ; qu’elles coulent mieux de l’essentiel ? Et qu’on préfère le peu à l’artificiel ?
Que le temps se réduit alors qu’il élargit les voies d’un infini...celles du cosmos ou du néant ?
Est-il vrai qu’ avec l’âge on perd avec effroi un tas de choses mais, pour qui sait le concevoir, partir nettement plus grand ?

 

P.-S.

A mon arrière-grand-mère Odette Hurstel

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