Exergue
LE VEAU D’OR
C’est ce qui m’amène, à la fin de la leçon d’aujourd’hui, à introduire ceci, qui paraîtra peut-être paradoxal, que la métonymie est à proprement parler le lieu où nous devons situer la dimension, primordiale et essentielle dans le langage humain, qui est à l’opposé de la dimension du sens - à savoir la dimension de la valeur.
La dimension de la valeur s’impose en contraste avec la dimension du sens. Elle est un autre versant, un autre registre. Elle se rapporte à la diversité des objets déjà constitués par le langage, où s’introduit le champ magnétique du besoin de chacun avec ses contradictions.
Certains d’entre vous sont assez familiers, je crois, avec Das Kapital. Je ne parle pas de l’ouvrage tout entier - qui a lu Le Capital ! - mais du premier livre, que tout le monde en général a lu. Prodigieux premier livre, surabondant, qui montre, chose rare, quelqu’un qui tient un discours philosophique articulé. Je vous prie de vous reporter à la page où Marx, au niveau de la formulation de ladite théorie de la forme particulière de la valeur de la marchandise, se révèle dans une note être un précurseur du stade du miroir.
Dans cette page, Marx fait cette proposition, que rien ne peut s’instaurer des rapports quantitatifs de la valeur sans l’institution préalable d’une équivalence générale. Il ne s’agit pas simplement d’une égalité entre tant d’aunes de toiles, c’est l’équivalence toile-vêtement qui doit se structurer, à savoir que des vêtements peuvent représenter la valeur de la toile. Il ne s’agit donc plus du vêtement que vous pouvez porter, mais du fait que le vêtement peut devenir le signifiant de la valeur de la toile. En d’autres termes, l’équivalence nécessaire au départ même de l’analyse, et sur quoi repose ce qui s’appelle la valeur, suppose de la part des deux termes enjeu, l’abandon d’une partie très importante de leur sens.
C’est dans cette dimension que se situe l’effet de sens de la ligne métonymique.
Nous verrons dans la suite à quoi sert la mise enjeu de l’effet de sens dans les deux registres de la métaphore et de la métonymie. Tous deux se rapportent à une dimension essentielle qui nous permet de rejoindre le plan de l’inconscient - la dimension de l’Autre, à quoi il est nécessaire que nous fassions appel en tant que l’Autre est le lieu, le récepteur, le point-pivot du trait d’esprit.
C’est ce que nous ferons la prochaine fois.
27 novembre 1957
Jacques Lacan, Le séminaire V ; IV, Le veau d’or, p.81 ; extrait ; Paris, éd. Du Seuil, 1998.
Tombeau de la république révolutionnaire
La singularité républicaine n’est pas dans le dispositif parlementaire, qui l’a anticipée, mais dans la capacité d’autodétermination individuelle de s’insoumettre, et cette éducation, considérées comme choses publiques utiles à gouverner en politique, par les pouvoirs légitimes même autoritaires qu’elle a instaurés. En France, la république, dans tous ses aspects institutionnels est une stratégie autocritique, instruite à la source de la fondation révolutionnaire par le renversement du pouvoir de droit divin (la monarchie), et par celui des dictatures modernes, après la Terreur. La république a lieu une fois pour toutes, rien ne peut la remplacer ; de sorte qu’en disparaissant, elle ne cesse d’exister. Au long de son histoire, depuis les Lumières, son développement et sa postérité accumulent une forme atypique du pacte civique, lié au suffrage universel, dans un effet au-delà de lui-même, rétro utopique, qui n’a jamais donné lieu de projet social ni même écrit, sinon dans les consciences insurrectionnelles fondatrices. Ce second pacte républicain est imaginaire, en ellipse, celui d’une revanche perpétuelle du fédéralisme des minorités régionales (les girondins), floué par le centralisme de la majorité “montagnard” constituée en parti uni, qui a emporté le principe perpétuel de la majorité au pouvoir légitime. Ici, le règne de la majorité représentative prend place sous l’autorisation discriminante des minorités perdantes, constituées en majorité silencieuse par le suffrage universel, qui leur attribue un potentiel d’unification sans doute aléatoire, néanmoins missionné le renversement. Ainsi naît le pouvoir politique ordinaire de l’opposition. Sous cette forme symbolique, c’est le premier régime de la dialectique dans la politique moderne, dynamique par constitution. Pour plus d’énigme, c’est encore l’installation du droit de réserve loin de la désaffection du pouvoir, une façon de le tenir en respect. Dans la meilleure présentation du suffrage universel, le vote blanc admis comme un suffrage exprimé, le paradoxe de l’abstention est d’autant plus critique qu’elle notifie son retrait sans recours au vote blanc ; ce qui manifeste une contestation radicale du partage électoral par une partie de la société civile, pour mémoire des révolutions insatisfaites et à titre d’avertissement.
Dans le détail, le pouvoir républicain “en lui-même” et “par ailleurs”. “Le pouvoir par ailleurs” : son sens n’appartient pas à sa représentation propre ni à sa majorité notoire, il lui est signifié par l’autre divers, c’est-à-dire la majorité silencieuse du suffrage direct, celle hypothétique qui ne peut s’annoncer unie, qui apparaît plutôt désunie, qui ne peut réaliser son événement ensemble que dans une disposition statistique improbable, pourtant théoriquement éligible à son tour ; ou encore diverse, celle qui ayant perdu le pouvoir devient minorité ; ou encore la minorité réduite à l’unique, quand celui-ci refuse à la fois d’attribuer la majorité ou la minorité... Où l’on découvre le rôle majeur de ne pas détenir le pouvoir représentatif en république, acteur du pouvoir par absence sans laquelle il n’y aurait de république que simulée ou dévoyée. Les majorités silencieuses comme les abstentionnistes ne sont pas agissants, mais hasardeux, en quoi ils tiennent leur importance déterminante. “Le pouvoir en lui-même” : cela tient à la structure du pouvoir autocritique dans la forme des trois pouvoirs séparés (judiciaire, législatif, exécutif), respectivement garants de l’indivisibilité des trois principes de liberté, d’égalité, de fraternité ; la contradiction entre l’indivisibilité des principes et la séparation des pouvoirs est une garantie républicaine contre l’abus de pouvoir de l’un d’entre eux ; suit la garantie ultime, infaillible, du recours à la grâce sous l’autorité de l’exécutif suprême ; le jeu du miroir critique rebondit avec le devoir d’insoumission “devant l’infamie”, qui est aussi un simple droit inscrit à la déclaration universelle des droits de l’homme, en 1793. Contrepartie individuelle du pouvoir de la grâce, cette exception qui confirme la règle peut être exercée sans délai dans les cas limites, directement par le citoyen ou tout missionnaire de l’État, y compris de fait solidaire. Par conséquent, le délit de non assistance à personne en danger connote le devoir de solidarité par celui de s’insoumettre aux situations, comme au pouvoir.
En république on ne se résigne pas, on ne capitule pas : chacun et tous sont fondés à l’héroïsme par la révolte primitive, qu’à tout instant ils sont autorisés à répéter. La république est un système des responsabilités autonomes, non hiérarchisées, dialectiques de celles du pouvoir hiérarchique, et lui-même pourvu de l’autodétermination de sa responsabilité à travers celle de chacun de ses représentants, en tant que citoyens. Car tout républicain du haut en bas de la hiérarchie politique ou sociale est d’abord un citoyen. Comme elle admet son pourcentage d’erreur, la république inaugure l’amnistie politique. Si l’insoumission collective est réprimée, l’exécutif peut instruire l’amnistie qui installe la paix civile, comme la grâce répare l’erreur judiciaire préjudiciable à la vie individuelle ; non la force du pouvoir, mais la tolérance réciproque sous l’autorité de l’État, après ses propres erreurs ou après les conflits civils entre citoyens, ou même après les guerres. L’amnistie n’est ni la permission ni l’amnésie.
Exemplaire de l’esprit des Lumières qui met en place la séparation des savoirs, la république met en place la séparation des pouvoirs où le peuple représenté comme le citoyen connaissent chacun le leur. La chose publique, software et hardware, ce sont les lois, le patrimoine, l’éducation, la santé, la défense, la redevance, les services, dont la propriété en commun est attribuée non à l’État mais au peuple. Elle distingue les univers privés en se tenant à l’extérieur de leur intimité respective. La république ne donne la laïcité comme un dogme, c’est le cadeau de la neutralité commune pour les différentes communautés qui composent la société républicaine (séparation des églises et de l’État), afin d’assurer l’égalité du partage de la chose publique. La république n’est pas économique, mais délibérément coûteuse et dépensière.
Ce ne sont ni la règle ni le nombre relevable des suffrages exprimés, ni la fusion des minorités dans la majorité silencieuse, ni même la loi dans les cas extrêmes, mais une réserve de la conscience qui anime le modèle de la république dans chacun de ses traits. Ce système qui conçoit la minorité d’opposition radicale résumée par l’acte d’un seul, en dehors des urnes, entrevoit l’exception légitime d’un hors-la-loi qui ouvre la porte à l’altérité, au lieu de prétendre l’intégrer. C’est le régime du risque “1” à chaque niveau d’intervention de la loi, et de la réponse qui peut lui être apportée, inclus le corps matériel du citoyen.
Qu’il s’agisse du citoyen ou de ses représentants politiques élus, le modèle républicain moderne admet les convenances individuelles plutôt que l’organisation intégrée des communautés démonstratives, qu’il voue à la discrétion du privé, mais il se réserve de juger des ingérences du privé dans la chose publique. Il prédit sa part inappréciable de besoins qualitatifs singuliers, autant que la responsabilité politique engagée des pouvoirs devant leurs électeurs, fondée par l’exécution capitale du roi Louis XVI (non le régicide mais la justice proclamée). Personne ne doit faire confiance à la république, c’est un dispositif de vigilance qui appelle la vigilance pour mémoire de ses excès, sans paranoïa ni menace. En toute insouciance, la conscience sans exclusion de l’inconscience.
Ces choses étant dites n’en vont pas toujours de façon idéale. Mais ce n’est pas la raison pour laquelle, avant de disparaître tout à fait, la république française reste peu imitée ; quoique elle inspire beaucoup, comme elle demeure d’autant plus exemplaire que cherchant toujours à être perfectible elle n’a jamais existé dans la perfection de son modèle posthume après la Grèce ancienne. D’ailleurs la république ne contient pas la totalité, c’est à la fois son inconvénient et son subtil avantage.
S’il est notoire que le régime majoritaire soit l’entropie de la démocratie dans la république, il reste qu’à l’horizon post démocratique de la performance du marché, la république disparaisse de toutes façons. Alors, comme l’avenir du ballon dirigeable au moment où l’aviation civile lui succède, en réalité plus performante pour la guerre, la république fonde sa culture mémorable. Comme le ballon dirigeable, la république brûle mais demeure, après la fin des démocraties en même temps que la sienne, l’imaginaire incontournable, le symbolique populaire de référence, d’une jouissance ultime de la liberté dans la forme réglée, cultivée, de l’insoumission ; l’ancêtre défunt qui veille. Tel est le tombeau radioactif de la république.
L’abolition des droits de l’homme
Sous le règne d’Henri VIII au pays de la Magna Carta, le Grand Échiquier et ami d’Érasme, Thomas More, dans un ouvrage à la fois matérialiste et transcendantal intitulé en latin Utopia : « L’utopie, ou Le Traité de la meilleure forme de gouvernement » (1516) invente la démocratie et le communisme notamment à propos de l’enclosure, mouvement de délimitation des propriétés pour l’exploitation des moutons, qui exproprie les paysans de leur droit d’usage. En miroir de la critique des gouvernements de son temps, l’auteur décrit une île idéale inspirée à la fois par La république de Platon et par La cité de Dieu de Saint Augustin (la vie sur terre avant le péché originel à l’image du paradis). Puis il est décapité, non pour ses idées politiques avancées mais pour sa loyauté catholique envers le pape de Rome, contradictoirement de l’indépendance de son Prince.
L’inspiration utopiste forme la pensée libérale en même temps que la pensée révolutionnaire dans l’événement des Lumières, particulièrement la pensée libérale du fait de juristes, d’administrateurs, de comptables honorables étant aussi des philosophes - autre singularité de l’Angleterre - vers la quête d’autonomie et le juste progrès, utiles au développement du rayaume par le droit commun. Manifestement, la quantité et le dénombrement sont significatifs des origines du commerce et de la forme de gouvernement électif du libéralisme, la démocratie, rendue exemplaire par sa fondation américaine avant la Révolution française ; pas seulement l’abondance des biens annoncée par l’industrie naissante, mais d’emblée la représentation de la majorité incontestée, par là qui légitime son pouvoir sur les autres sans contrepartie et, sous son autorité, l’équitable, quoique inégale, attribution et la distribution des ressources pour tout le monde. Moindre abus qu’un seul être ou outil édictant en place de majorité pour celle-ci. Pour compte des qualités, les minorités sont attribuées sans préjudice aux hiérarchies, avec un moindre préjudice aux communautés, et le reste est sans qualité, parmi lequel les pauvres incapables de subvenir à leurs besoins sont voués au panoptique, ce qui leur confère le privilège du panoptique : dispositif d’auto organisation des ressources par le travail sous surveillance, pour les pauvres incapables d’autonomie, le panoptique, inventé par Jeremy Bentham, encourt le risque d’être envié par les paresseux d’entreprendre par eux-mêmes, aussi doit-il rester caché. En somme, le marginal est pire que le pauvre dans cette société mais qui ne peut en contenir, puisqu’elle s’attribue la règle exhaustive qui présuppose la totalité. Ce monde d’innovation associé à l’esprit de réforme solidaire ignorant l’autre, non de révolution fraternelle, ressort de l’économie de la juste société qui instaure la légalité de l’autonomie réglée, plutôt que l’autonomie critique du pouvoir aux fondements des républiques révolutionnaires, dans une semblable stratégie individuelle et collective de la propriété. Avec la nouvelle accession propriétaire qui accompagne la montée de l’industrie (ses moyens de production, sa régie commerciale et la société qui lui correspond pour réaliser les profits escomptés), le système social du marché et des banques s’installe, au XVIIIe siècle.
John Locke a une conception de l’homme prédateur, qui le fonde en défenseur du concept de liberté sous le contrôle de la loi. Puis Adam Smith attribue l’utopie libérale d’une vertu solidaire naturelle, dans une disposition particulière de l’alliance du marché et de la morale sociale, le marché vu comme transcendance des contradictions sous le règne du concept supra social de « la main invisible » (intégration du dispositif aléatoire providentiel et intuition du cognitivisme). Les innovations de l’économie politique sont en tout communes d’une représentation de la dialectique première entre Dieu et les hommes abandonnés à leur destin sur terre (ou bien entre la stratégie aléatoire des événements et les hommes) ; où le travail du peuple utile pour environner de richesses est d’abord nécessaire pour qu’il se nourrisse, et de plus rédempteur. Rappeler que les peuples éduqués sous le jour de l’autonomie par le travail se trouvent désemparés ou captifs quand le dispositif économique ne leur en procure pas, et intimement humiliés de devoir être aidés, c’est dire le facteur d’insurrection et de révolution qui accompagne la difficulté de subsister contre laquelle les citoyens humanistes s’insoumettent toujours, visant à créer les conditions propres de leurs ressources et de l’organisation sociale pour y parvenir, ou réclamant au pouvoir qui les représente des réformes pour le partage équitable des biens.
Par l’effet d’une conception rousseauiste de l’homme opposée à celle de Locke, le français Alexis de Tocqueville, dans ses réflexions sur la démocratie américaine à propos de l’autonomie citoyenne et de la démocratie idéale, imagine la nécessité pour l’État de disparaître sinon comme gouvernement du moins comme pouvoir. Ce qui prédit non comme une défaillance, mais comme un projet, la disparition des responsabilités politiques dans les post-démocraties néo-libérales, telles que nous les éprouvons aujourd’hui.
Le statut de la connaissance lié au développement de la technique pour le progrès social vers la libération des individus et des peuples par le travail, producteur de richesses, qu’il s’agisse de la chose privée ou de la chose publique et du travail propriétaire contractuellement soumis ou coopératif, ou libre de se vendre (ce qui est considéré depuis le Moyen Âge comme une avancée sociale) ou de s’attribuer, caractérise jusqu’au XXe siècle la modernité et la post-modernité éclairées contre l’esclavage, y compris chez les abolitionnistes marxistes de la propriété privée. L’éducation non seulement est celle utile au respect du droit commun, mais encore celle des savoirs requis par les travailleurs potentiels adaptables à chaque stade du développement de la production. [parmi les abolitionnistes de la propriété privée seuls les anarchistes ne placent pas le travail au centre des moyens de réaliser le projet social, mais la connaissance, qui préside au changement perpétuel des sociétés, pour le progrès de l’autonomie intelligente et solidaire des hommes - Pierre Joseph Proudhon, Paul Lafargue, Michel Bakounine]
Ainsi montent les nations, citoyens sous plusieurs particularités communes liées au territoire, qui donnent lieu au peuple (parfois en conflit interne du système), les peuples ayant droit de disposer d’eux-mêmes, comme l’individu. L’internationalisme de la critique de l’économie politique et sa dialectique des forces dans le mode de production capitaliste, ou en voie de résolution sous l’autorité socialiste du mode de production par le peuple (le peuple se donnant la structure collective de se produire comme pouvoir aux fins de produire pour lui-même), accomplit une même vision du progrès organisé, lorsque le manifeste du parti communiste donne lieu à la révolution russe. Tel Lénine allant à la révolution d’octobre, opportunément avec les anarchistes qui fondent les premiers soviets républicains pour l’autonomie, puis avec Trotski les réduisant pour installer la dictature bolchevique de l’Union, exécution radicale du centralisme de la production et du mode de répartition des biens ; il proclame la majorité du parti unique par la guerre contre sa propre alliance, dans un même mouvement de l’armée bolchevique, instruite par la théorie de Clausewitz, pour lutter contre l’armée des blancs (soutenue par l’étranger). Cela, moins d’un siècle après la Révolution française, les soldats de l’an II au chant de La Marseillaise marchant contre les Prussiens, quand elle installe la guerre civile au nom de vaincre les pressions contre-révolutionnaires à l’intérieur comme à l’extérieur, forcément alliées, en proclamant la dictature de la Terreur par l’échafaud ; ce qui lui permet de promulguer « la loi du maximum général » contre la misère (limitation des prix et des salaires), considérée comme une avancée révolutionnaire de la fraternité et de l’égalité (à défaut de liberté), sous le régime de la propriété.
C’est toujours le même progrès des sociétés des grandes nations qui justifie le colonialisme, ou encore dans son versant dialectique de l’autonomie qui justifie les luttes anti-colonialistes et les guerres populaires des peuples qui se libèrent, toujours formant nation y compris de l’internationale anti-impérialiste. C’est toujours le même élan dans la société de consommation, quand les prolétaires syndiqués la renforcent par la lutte des classes pour l’élévation de leur niveau de vie, dans les républiques modernes qui n’ont pas intégré l’économie socialiste, après la seconde guerre mondiale.
À la fin du second millénaire, le rapport de force de « la guerre froide » entre l’URSS et les Etats-Unis cesse avec l’effondrement soviétique du pacte de Varsovie ; c’est encore l’humanisme moderne et universaliste des Lumières qui commémore la phase ultime du libéralisme mondial dans le néo-libéralisme sans force d’altérité ; toutes nations confondues se donnent alors l’événement commun méta gouvernemental des organisations supra nationales, missionnées pour le gouvernement de l’économie planétaire loin du suffrage universel. Ces organisations déjà en place sont annoncées comme un événement des populations de l’ère nouvelle de la fraternité universelle, à l’occasion des cérémonies du bicentenaire de la révolution française, en 1989, à Paris. Un signe concourant n’attire pas la méfiance : le droit de désobéissance, inscrit aux droits de l’homme en annexe de la constitution de la Ve république, est confisqué à la population française, pour l’uniformisation des droits adoptés par l’Europe. Les droits de la Charte des Nations Unies selon madame Roosevelt, adoptés en 1948, ne prévoient pas le droit de désobéissance, malgré l’histoire récente de la Résistance contre l’Allemagne nazi ; ce qui autorise la version suivante, la plus réactionnaire de toutes, adoptée à Rome par les pays européens, à l’issue de leur collaboration avec les nazis, en 1955. Cette version ethno centrée, répressive et punitive, reprise par la Communauté européenne en 1989, est sans contradiction majeure avec le Patriot Act, sous l’influence sécuritaire duquel les pays de la Communauté se trouvent conventionnés, aujourd’hui. Le problème d’Eleanor Roosevelt, grande démocrate devant l’Éternel et apôtre des majorités déclarées, tient au défaut majeur qu’elle ait ignoré, malgré la leçon de la répression ethnique puis politique de l’histoire américaine qui la précède, que la démocratie puisse se tromper... parce que c’est la démocratie elle-même qui l’ignore depuis ses origines en Angleterre.
L’internationalisme désormais n’est plus communiste mais néo-libéral, le pacte offensif en nom défensif de l’armée de l’alliance n’est plus qu’Atlantique. La marginalité n’est pas reconnue dans le système totalitaire néo libéral plus qu’elle ne l’était dans le système tautologique libéral, elle ne peut donc être qu’ignorée, ou combattue si elles manifeste l’échec du système qui prétend les contenir, ou attribuée à la destruction nécessaire de l’ennemi radical, si elle résiste même au titre de la différence symbolique.
La loi monétaire de l’équivalence générale de la valeur dégagée de l’étalon or, et le marché qu’elle gage désormais sans frontières, peuvent exercer radicalement leur abstraction financière pour la plus grande stratégie quantitative de la multiplication des profits, loin de la politique. À ceci près que les organisations mondiales, administrées par les grands commis du capital maître des flux financiers, doivent être séparées du pacte matériel avec les sociétés humanistes (redevables d’une partie des bénéfices du capital). Le capital doit se débarrasser des rapports de production, en quoi consiste son contrat organique avec le monde moderne du régime propriétaire. L’idée géniale est de remiser l’humanisme avec son attirail de droits au grenier nommé Nations Unies (comme son nom l’indique, cette organisation remonte au temps révolu de l’autonomie des nations). L’opération réalise la libéralisation absolue du capital pour le marché universel, ainsi délié du pacte symbolique du code de la production, qui constituait son pacte humaniste avec les sociétés modernes matérialistes de l’ère industrielle, sa redevance, son contre don. Système sans gage symbolique avec le monde, comme ses parties liées, devenus soudain insensés au monde.
Mais il y a une autre façon de le comprendre : le marché libre se réalise comme équivalent universel du code de la production, en place de celui-ci ; soit le remplacement du code de la production par le code universel du marché (qui réinstalle l’économie de la production dans une autre façon, strictement comptable, à distance des nécessités humaines qualitatives). En réalité, l’innovation tient au marché lui-même, qui se réalise en équivalence universelle de toute valeur, dans le dispositif de l’équivalence générale de la valeur : le système de l’équivalence universelle relègue l’équivalence générale à la réciprocité de la double équivalence. C’est la métonymie qui opère le nouveau sens du monde, dans un cadre comptable d’équilibre et de déséquilibre loin de la production de la valeur. Celle qui accomplit la puissance irrévocable du capital contre le pouvoir symbolique des sociétés modernes. Le règne de la double équivalence qui absorbe l’auto organisation contradictoire, la règle organique post dialectique succédant à l’ordre de la nature, suprématie magistrale du pouvoir abstrait sur le monde.
Fin de l’économie politique et du code social de la valeur dans les sociétés. Fin de la production sociale de la valeur. Les pouvoirs élus dans le vide raisonnable deviennent l’objet raisonné, convoité, des experts et des lobbies de l’intérêt mercantile universel (quand ils n’en sont pas eux-mêmes) ; ils relaient la pression arbitraire du remboursement de la dette, inégalement exercée sur les pays (les Etats Unis ont la dette la plus élevée du monde sans nécessité de la rembourser et jouent sur des dévaluations du dollar pour l’absorber aux dépens des pays créditeurs, ou pour affaiblir les pays émergents alter mondialistes) ; en fait, la pression du remboursement de la dette accélère la vente des ressources naturelles essentielles, de l’énergie et du patrimoine et des services publics, sources de richesses considérables du grand marché qui appauvrit les populations en rendant sans alternative leurs vies dépendantes des appareils internationaux, ou des mouvements boursiers. C’est partout la désinformation totale des réformes locales contre le partage humaniste et contre la vérité des mandats.
Quant aux corps humain propre. Loin du projet humaniste original des démocraties et des républiques, les démocraties mondialisées post-humanistes ne se contentent pas de se débarrasser des biens publics pour leur faire rejoindre l’horizon du marché, ni de priver les populations de produire de la plus value pour en jouir elles-mêmes ; la nouvelle organisation du monde consomme jusqu’à leurs ultimes moyens d’autonomie en leur interdisant de les reproduire, par exemple la santé et l’éducation, qui dans leurs formes de marchandises et de services rejoignent les nouvelles sources du marché, tandis que les équipements se vident. Mieux les biens circulent plus les flux humains doivent être immobilisés pour réaliser les nouveaux modes de distribution, du nouveau mode comptable post-humaniste de la production. Assurer le service minimum et la raréfaction des services gratuits, selon un plan prédéfini des populations appelées à disparaître, en même temps que les territoires fonctionnels de la nouvelle répartition du monde se constituent, c’est le danger de l’humanité centraliste trans solidaire... Selon le niveau d’intérêt financier des sociétés à protéger ou à laisser mourir d’elles-mêmes, le marché se protège surtout des peuples désertés par la production mémorable de la valeur, particulièrement dans les anciens pays rayonnant des Lumières, en instituant non seulement des plafonds élevés, inaccessibles avec les ressources ordinaires, mais encore des interdictions et la répression des comportements civiques hérités. Ce qui instaure et communique une guérilla idéologique permanente de la désinformation de la culture et de la raréfaction matérielle du partage ; ce n’est plus l‘idéologie comme poursuite de la politique par d’autres moyens, mais l’apolitisme économique comme idéologie dont le dessein ne peut être énoncé. Tout mouvement se réduit à l’émeute et la répression des exclus sera sauvage, parce qu’il n’est de révolte qu’injuste contre la règle qui n’a pas à se déclarer, sinon telle qu’elle n’est plus.
Une fois encore,l’exception confirme la règle : la post démocratie américaine résultant en super nation exclusive de toute autre État nation, après la prescription des nations. Où est l’erreur ? Loin de chercher l’explication enfouie sous la multiplicité des messages, on s’en remet aux actes. Après le pacte de Varsovie, les nations sacrifiées au marché universel des États ne font pas en sorte de se mettre d’accord pour clore le pacte Atlantique, gagé sur la force militaire post nationale la plus puissante du monde : la Défense des Etats-Unis. De sorte que le pouvoir de la plus grande post démocratie, comme toute autre déliée de son code symbolique, se retrouve garant sans conteste de la nouvelle loi d’ingérence des anciennes Nations, au nom du pacte Atlantique devenu vassal (à peine les pays du pacte de Varsovie libérés de l’autre vassalité), des États nations de l’autonomie révolus : eux-mêmes soumis à la menace civile violente, sinon guerrière du moins séditieuse du réseau infiltré, en cas de séparation d’intérêt ou de désobéissance aux ordres généraux.
Ce n’est plus l’armée des conscrits pour défendre leur peuple et leur territoire, c’est l’armée professionnelle des engagés volontaires affamés par le chômage, recrutés selon des avantages salariaux qui ne se refusent pas, dans leur cas, pour rejoindre les mercenaires et les milices dans les autres territoires. Après les guerres impérialistes du statu quo politique de la guerre froide, l’émergence monstrueuse du système post national n’est pas vraiment accidentelle : la superpuissance militaire, totalitaire faute d’opposition alter militaire, malgré la crise de la production, au moment du GATT, arrache les ouvertures de marché qui correspondent le mieux aux attentes de ses lobbies, parmi lesquels l’agro alimentaire (dont les céréales et les protéines de substitution), les boissons dérivées (qui supposent des réserves d’eaux), le pétrole (excepté le pétrole du Moyen Orient) etc. qu’elle a décidé de réaliser totalement, à n’importe quel coût humain de l’extension de ses privilèges, avec les revendications d’appropriations supplémentaires, forcément légitimes, contre les États concurrents du monde qui ne lui ressemble pas. Alors, dans sa tradition pionnière, elle perpétue sa raison dialectique et sa cause internationales disparues, en inventant le nouvel axe du mal, et elle planifie un programme guerrier impliquant l’alliance (le pacte Atlantique mondial) en place des Nations Unies, à sa propre tribune.
Peut-être qu’il faut quelque chose, quelque chose de spectaculairement violent, contre le peuple des peuples humanistes aux yeux du monde, pour déshumaniser les Nations Unies définitivement, un événement pour communiquer l’horreur de la perte sociale définitive du code de la valeur, dans une simulation ultime réalisant des sacrifices ultimes - en fait, le prix à l’avance de ceux qui vont suivre - sur le sol même de la liberté incarnée. 11 septembre 2001. Judas commun aux trois monothéismes assiste à la Cène pour accomplir la prophétie : qui l’ignore ? Quand des pouvoirs imitent Dieu en le mettant en scène, c’est que Dieu n’est plus au rendez-vous du pouvoir ni du dollar. Métaphore de la domination absolue par la guerre, colossale punition du monde par l’homme contre l’homme privé de la production de la valeur, après la société de production. La guerre dialectique substituée par la guerre de la terreur instruit les régimes terroristes qu’elle exploite, n’étant plus qu’une forme de terrorisme majeur elle-même, d’autant plus destructrice qu’elle est au-delà de la politique comme valeur : ce n’est plus la façon de poursuivre la politique par d’autres moyens, c’est la guerre performance de l’éradication totale, à la place de la performance de la production totale, à la fois la guerre pour en finir avec les sociétés politiques, celle qui réalisant ses propres marchés les étend, celle qui dilapide corps et biens le produit guerrier en guise de chose publique, la guerre pour en finir avec le symbolique, comme moyen ordinaire de gouverner le monde. La guerre désinformée, totale et infinie, de l’oubli de l’histoire moderne.
Il reste étrange d’observer le peu de distance qui sépare la prédiction logique de la disparition du pouvoir dans le gouvernement des démocraties idéales chez Tocqueville, celle de la main invisible qui mène naturellement à la répartition universelle équitable chez Smith, et celle du dépérissement de l’État qui rassure la dictature du prolétariat chez Marx, quand il prédit sa disparition d’elle-même au terme du progrès vers l’événement social du communisme (l’utopie matérialiste du paradis sans Dieu, enfin réalisée par les hommes éduqués loin de la propriété privée sur terre). Non moins étrange est la tournure sociale et matérielle désastreuse de la fin de la surproduction de l’Union soviétique, au lieu de la réalisation de l’utopie annoncée, de même que la perte des responsabilités politiques assumée par les élus et les mandataires des anciennes représentations collectives de la liberté (les démocraties et les républiques électives), car loin de livrer les citoyens à la maturité de leur décision, comme Tocqueville l’avait imaginé, ils passent la main au méta pouvoir délocalisé loin des confrontations populaires, ils attribuent ses organisations supérieures du pouvoir suprême d’ordonner un monde inhumain, au lieu d’appeler à inaugurer le non humain.
Anthropophage des petites choses publiques du passé ainsi devenues infra minoritaires, la gestion technique et rentable du parc humain, administré par la loi unique supra nationale, tend à la généralisation rationnelle du modèle aux performances rendues notoire par Albert Speer, ancien ministre de l’Équipement et du Plan de Hitler, dans son ouvrage écrit en captivité, Au coeur du 3e Reich. Où il annonce lui-même la prédiction de ses pages, sans délai après lui.
Locke s’est donc trompé, ce n’est pas l’homme qui est un loup mais la loi. La prédation du horla par la règle de l’économie universelle humaniste est advenue jusqu’au cannibalisme de son univers politique propre. Dans un pragmatisme de la paix par la loi de l’équivalence générale sans prédiction de l’autre par structure, la loi universelle de la gestion des hommes préside à l’ouvrage de l’inégalité, de l’esclavage, de la division et de la barbarie, sans contestation possible ou l’extermination de l’autre (dans toute présentation de celui-ci).
Marx ne s’est pas trompé, le dépérissement de l’État s’est produit notamment en URSS au point que le régime soviétique ait du cesser. Ce qu’il n’a pas prévu à propos de la dictature du prolétariat, ni Lénine qui l’a innovée, c’est que la fin de la dictature soviétique, loin de réaliser le communisme, allait connaître un effondrement mafieux dans un environnement libéral unique ; et de plus, univers finissant par tendre globalement à la totalité de l’injustice, et à la perte générale de l’autonomie (aussi bien collective qu’individuelle), sous la forme universelle du néo-libéralisme supra national, comme règle imposée aux minorités comme aux majorités, après l’économie politique.
Cependant, les marginaux imprévus de la règle primitive s’accroissent, faméliques, dans les rues après la production et ils entendent l’avertissement, de plus en plus proche, de l’armée post dialectique de l’humanité intégrale, éberluée, qui hacke à coups de boucher les cités sauvages de l’île désenchantée. Autant de codes sources sur les pages que les fragments de chair qui s’égrainent en charpie sanguinolente sans un cri, faces hilares visitant les débris avant d’avoir la gorge tranchée dans les cristaux liquides, tandis que le corps de la résistance se met dans la bombe mystique pour exploser avec sa cible.
Il n’y plus d’exil après le politique. Partout l’homme est traqué, localement et planétairement observé. Sauf dans un endroit peut-être : nulle part. Ou dans les livres. Le règne absolu de l’humanisme parvenu à son terme néo libéral dans le mode de la guerre totale et infinie contre la singularité de l’existence propre, comme environnement propre, informe l’obscénité de la mort pour preuve de l’inutilité de la vie dans un monde sans partage. Ce n’est rien d’autre que le parcours régulier et exclusif des Lumières, quand elles achèvent leur cycle comptable du savoir et des hommes par le stock 0 cadenassé de la nature promise, dans la violence pornographique des armes létales / non létales et l’appétit de leurs résultats. Ce n’est pas tant qu’on le dit le champ matériel du monde qui se réduit, mais le champ virtuel du partage abstrait de la monnaie qui réduit les nouvelles possibilités matérielles du monde. Tension des flux supra propriétaires des ressources de l’humanité comme sanctuaires. Les polices en arme veillent sur l’intolérance et le sectarisme phosphorescents. Les armées et les milices font exploser le droit suicidé par le sang, soustraient la chair par fusion, assassinent le trop plein d’humanité sans effusion : bébé Coca-Cola addict, démission éducation, plat du jour aux dioxines, parfum de cheminée à la Benzédrine, enfant de muesli concentré de Ritaline et nique ta mer.
Cette généralisation rétro révolutionnaire radicale du néolibéralisme comprend à terme l’amnésie intermédiaire de toutes les autres formes historiques ou banales, générales ou particulières, d’organisations humaines différentes : qu’elles soient ou aient été moins performantes d’elles-mêmes (à cause de l’adage selon lequel la fin justifie les moyens, elles n’auraient pas pris garde de se donner les moyens prédisant leur fin déclarée), ou échouant dans leur territoire d’expérience loin de leurs espérances et de leurs ambitions (dans un environnement ignoré), ou qu’elles aient été davantage protectionnistes (donc moins ouvertes que les concurrences pour absorber le monde), ou encore trop coercitives pour devenir finalement exemplaires (donc restant inimitables), voire plus attaquées et moins armées donc vaincues, ou encore qu’elles n’aient jamais existé.
Après l’humanisme, le déluge : qu’il emporte la queue néo-libérale de la comète humaniste hideuse et réjouissons-nous d’en pleurer plutôt que chercher la morale. Fin de la déclaration universelle des droits de l’homme.
La déclaration plurivers des droits de l’autre* c’est ici et maintenant là et partout et sans majuscule. L’au-delà de l’humain / non humain qui ne pose plus la question de l’inhumain. Par delà le mal et le bien se trouve une qualité singulière du particulier et du général que tout être et objet, étant en commun autre chose, ne puisse soustraire à un autre d’exister ici et ailleurs, tout le temps ou jamais. Tu sais pas, je le dis ; je sais pas, tu le dis ; tu dis rien ; je vois. Voyons l’autre. Moi / non moi je suis pour toi / non toi l’autre / non l’autre, ici / non ici à la fois là / non là, tandis que loin de sombrer dans la folie j’adviens de l’énigme pluriverselle, ma joie de vivre bientôt retrouvée, sans lénifier, sur la terre comme tout autre mutée, mon autre toi onearth...
Ainsi va la vie surterre.
Louise Desrenards (Aliette Guibert Certhoux ?), avril 2006.