Mohamed Kacimi
LA GUERRE EN REPLAY
Dans cette histoire syrienne, tout le monde semble avoir la mémoire courte, chacun remonte à l’épisode de la guerre de 2003, et on oublie que tout a commencé en fait en 1991 quand Saddam Hussein, assuré de la neutralité des Américains par la voix de leur ambassadrice, envahit le Koweït.
À l’échelle planétaire ce fut la consternation et en France nous avons vécu l’hallali. J’en garde un souvenir d’appels à la Croisade et Mitterrand avait l’accent du Pape Urbain II haranguant les évêques à Clermont.
À la veille de l’entrée en guerre de la coalition internationale, Jean-François Bizot me demande de sauter dans le premier avion et de me rendre à la Mecque pour un « papier d’ambiance » pour Actuel. La veille, le Conseil supérieur islamique sollicité par le Roi d’Arabie pour savoir s’il était licite d’autoriser le stationnement de troupes occidentales sur le sol d’Arabie avait eu cette réponse religieuse : « Tout Musulman a le droit d’acquérir un chien pour défendre sa maison, donc le royaume d’Arabie peut faire appel à des troupes occidentales ». Durant une semaine, enfermé dans un hôtel à la Mecque, je n’ai vu aucun « chien » car la télévision saoudienne coupait la transmission chaque fois qu’un soldat américain entrait dans le champ des caméras.
De cette guerre insensée, il ne nous reste que le souvenir des écrans vidéos des avions et un papier historique de Baudrillard La Guerre du Golfe n’aura pas lieu [1].
Au retour de mon séjour d’Arabie, je croise l’un des grands reporters de guerre qui rentrait de Bagdad. Il avait été un fervent de l’intervention contre Saddam. Il était défait :
— La veille de l’entrée des troupes américaine au Koweït, Saddam ordonne l’expulsion de toutes les télés étrangères, à l’exception de CNN qui occupe la terrasse de l’Hôtel international Al Rachid. Vers deux heures du matin, quand les bombardements commencent sur Bagdad, je sors de ma chambre pour chercher de l’eau et je tombe nez à nez avec Saddam qui se baladait tranquille dans les couloirs de l’Hôtel. Avec CNN sur le toit, il savait qu’il était dans l’endroit le plus sûr de la planète.
— Tu vas publier ton récit ?
— Non, je quitte pour de bon la Presse.
Il a tenu parole. L’opération Tempête du désert suivie par l’embargo voté par les Nations Unies, vont transformer en quelques mois l’un des plus grand pays arabes en poussières de tribus qui se shootent à la dynamite et au Coran.
Les Américains gardent Saddam à la tête de l’Irak le temps que tout le monde pille le pays avec l’opération « pétrole contre nourriture ». Un hold up caractérisé dans lequel sont impliqués des centaines de personnalités internationales, depuis le Secrétaire Général des Nations Unies jusqu’au Ministre français de l’Intérieur et qui laisse sur le carreau 1,5 millions de cadavres irakiens. Passons !
Arrive la guerre de 2003. Comme disait Marx, l’histoire se répète toujours deux fois,la première en tragédie et la seconde en farce. Pour une farce, c’en est une, mais tragique. Pour se venger des attentats du 11 septembre, Bush demande à ses conseillers de lui choisir une cible conséquente, tout le monde s’accorde sur l’Afghanistan mais là, il n’y a rien à bombarder. L’Irak s’impose avec ses infrastructures et sa « garde républicaine » légendaire. La machine à fabuler américaine se met en marche. il fallait absolument faire croire à tout le monde que Saddam détenait des « ADM » alors que son armée crevait la dalle depuis 13 ans. Qu’à cela ne tienne. Collin Powell exhibe du haut de la tribune Unies un flacon, de la taille d’un mégot, et jure que c’est une arme de destruction massive. Toute l’assemblée crie au crime contre l’humanité. Quelques heures plus tôt il avait présenté son argument à Lewis S. Libby, Secrétaire Général du Vice-Président Dick Cheney, ce dernier l’avait rejeté en disant : « C’est de la merde, rien ne se tient ».
Justement, ce qu’il ignorait c’est que les hommes aiment la merde, c’est à dire la guerre. Aussitôt 48 nations se rangent derrière la bannière étoilée. Du Japon aux Îles Marshall et du Royaume Uni aux Tonga. Le bilan de l’intervention on le connaît : 9 ans de guerre, 1,5 million de morts côté irakien ; 10 000 morts et 130 000 blessés côté américain. Les experts estiment que cette guerre a coûté aux États Unis 3 000 milliards de dollars. Pourquoi faire ? Transformer l’Irak en pépinière internationale d’Islamistes.
Dans le bouleversant documentaire Guerre Mensonge et vidéo de François Bringer, on interroge un des responsables des services américains sur les raisons de cette guerre absurde et celui-ci de répondre : « On voulait peut-être prouver au monde que nos rêves peuvent devenir un évènement ».
Venons en maintenant à la Syrie. J’ai connu ce pays pour la première fois en 1980, au début de la révolte de Hama [2], ce qui m’a immunisé pour de bon contre toute rêverie orientale. Mais je ne comprends pas cette brusque diabolisation d’un dirigeant que l’on fait passer sans transition de la tribune d’honneur des Champs Elysées au château des Carpates et qu’on continue à appeler par son prénom « Bachar ». Imagine-t-on Churchill tancer Joseph ou Roosevelt menacer Adolf ? Et dans cette histoire, comme dans les précédentes, cela sent la merde, tout est caricatural, on dépeint la Syrie comme un pays dominé par une minorité de « méchants alaouites » qui oppriment une majorité de « gentils sunnites » oubliant qu’historiquement ces mêmes sunnites ne se sont jamais privés de laminer, de persécuter et d’exterminer les minorités ou les autres confessions, juifs et chrétiens, depuis quinze siècles. Pour avoir travaillé dans les théâtres syriens, je peux dire qu’on y trouvait plus d’espace de libertés que dans la Tunisie de Ben Ali ou le Maroc de Hassan II. Je ne parle pas de l’Arabie Saoudite, royaume exempté de démocratie à vie, pour raisons financières. Il est vrai que le régime du Baath est une dictature, monstrueuse, complexe et qui tient non par l’oppression des communautés mais par un subtil marchandage entre les unes et les autres. Faut-il pour autant répéter les mêmes erreurs, rejouer le même scénario, raser Damas et quelques mois plus tard, lever comme un lièvre et en direct Bachar, hagard dans une bouche d’égout ou dans un trou à Palmyre ou à Lattaquié avant de le livrer à des rebelles qui le découperont en morceaux, devant les caméras de CNN et de la Voix des Islamistes : l’inévitable Al Jazeera. La dictature n’est pas soluble dans le phosphore. La liberté ne pousse pas sur les décombres. Comme à Kaboul, comme à Bagdad, comme à Tripoli, comme à Mogadiscio, ce ne sont pas les démocrates qui sortiront de terre, une fois passé, mais les islamistes qui s’empresseront de hisser sur les mosquées et les églises de Damas le drapeau noir de la République Islamiste de Syrie. C’est devenu un théorème : depuis l’Éthiopie jusqu’à l’Irak, passant par l’Afghanistan et la Libye, tout pays qui subit l’intervention américaine reçoit une poussée de haut en bas, égale au nombre de Marines déplacés.
Le 11 septembre 2013
M. K.
Avec l’aimable autorisation de l’auteur
© Mohamed Kacimi
Mohamed Kacimi est dramaturge et écrivain — derniers ouvrages parus, L’Orient après l’amour (Actes Sud 2008), et La Confession d’Abraham (Gallimard Folio 2012).