C’est la première fois que je poste depuis un moment, mais je pense que nous sommes dans un moment significatif. Assange et l’ensemble du phénomène WikiLeaks sont si importants qu’il y a besoin d’un peu de théorie.
Récapitulons pour ceux qui ont été inconscients des nouvelles, WikiLeaks est une base de données en ligne sur le mode de Wikipedia, qui lance des coups de sifflets contre des méfaits gouvernementaux associés, en sortant des documents classifiés/contrôlés. À partir de décembre 2010 est sorti un nombre énorme de câbles touchant à la politique étrangère américaine, qui a mis le Premier Monde en panique, particulièrement le Département d’État des États-Unis. Pourquoi ? Parce que les fuites découvrent les États-Unis dans un certain nombre de gaffes, comme qualifier la Russie d’"État mafieux", divulguer des points d’incertitude à propos des leaders du Moyen Orient et de plus d’autres informations non révélées, comme les transferts de technologie d’armes de la Corée du Nord à l’Iran, l’industrie pharmaceutique américaine ciblant des politiciens africains, et cetera. Cette découverte a plongé le Premier Monde dans le chaos diplomatique, avec la politique de la géopolitique se reconfigurant elle-même comme un Cube de Rubik à l’échelle de la planète.
La première grande puissance a été mordue par son propre bébé, ou son propre système émergent tel qu’il est caractérisé par les franchises de science-fiction populaires comme Matrix [1] et Terminator [2]. La puissance de l’info a commencé à devenir autonome de ses racines matérielles (atomiques — atomisées). Au lieu des robots, c’est simplement l’infosphère qui se fait valoir elle-même [ à l’inverse de Skynet ]. Dans La fabrique de Porcelaine [3] Antonio Negri affirme qu’un des trois changements majeurs de la postmodernité est la primauté du capital cognitif/informatique, le plus déterminant pour le nouvel ordre. Comme tel, il concentre la société sur ce flux de capital qui a délocalisé les fondements du pouvoir dans le nouveau millénaire.
Internet a été conçu par l’armée des États-Unis (DARPA) [4] comme un réseau décentralisé pour le partage et le stockage redondant d’informations dans des emplacements multiples, en cas d’attaque nucléaire. Dans un tel cas, un noeud peut être détruit mais malgré cette perte le réseau peut toujours fonctionner. C’est pour cette raison, je crois, que le pouvoir conventionnel/matériel devrait être qualifié d’"atomique", ainsi que les armes nucléaires sont l’extension suprême du rang de la nation, et en guise de métaphore pour la société matérielle nous pouvons aussi redoubler que ce pouvoir se situe dans le monde des atomes. Cependant, cette extension de pouvoir "atomique"/conventionnel s’est développée et distribuée dans un champ concourant du pouvoir hétérogène que j’appellerai le rang de l’information, "rang-info", qui inclut le web, le courrier électronique, et toutes les fonctions des communications en réseau. Bien que les fonctionnaires du pouvoir conventionnel se soient restructurés dans les termes du milieu informationnel, le plus récent ne coïncide pas nécessairement avec le précédent. Internet recouvre la plupart des états physiques, néanmoins il ne réside dans aucun d’eux.
Malgré cela, il y a des zones où le rang des nations a essayé d’assigner à territoire et de limiter le flux du capital cognitif, telles la Turquie et la Chine, mais les pare-feu y restent poreux et glissants. La déterritorialisation du rang-info crée une relation de pouvoir asymétrique qui, en raison de sa nature amorphe, rend problématique pour le rang des nations de s’engager. Le pouvoir conventionnel exige un visage sur lequel concentrer la crainte et la haine, comme Saddam Hussein ou Osama bin Laden. Le pouvoir de l’information est mercurique [ insaisissable ] et morphogénique [ ablation, effondrements, plis, transport et accumulation dynamiques des vastes reliefs en formation, systèmes de l’érosion, concrets ou abstraits ] et quand il est confronté à la nature hiérarchique, centralisée, du pouvoir conventionnel, simplement il s’écarte, se transforme ou se reproduit, en passant au-delà de "l’armée et du général". Cette relation connote le nouvel équilibre des forces entre le rang de la nation et le rang de l’information par la dialectique krokerienne de la panique [5], dans laquelle la capacité de l’un de se rapporter dans les termes de l’autre implose.
Avec l’hémorragie de l’information des contenus matériels (c’est-à-dire les fuites des câbles diplomatiques des États-Unis) jusqu’à l’informatique en rhizome à travers WikiLeaks, le rang-info [ le rang de l’information ] a créé une insurrection asymétrique contre le pouvoir conventionnel. La conception de Negri du capital cognitif comme lieu de pouvoir défie asymétriquement celui du capital matériel. C’est analogue à la mention précédente des événements selon le film Matrix, où l’existant artificiel (informatique) remplace/annule le pouvoir conventionnel incarné. Comme Deleuze puis Agamben affirment que le pouvoir sépare le sujet et sa potentialité, ce qui atténue la révolte, le rang de la nation essaye d’exercer le pouvoir en séparant les moyens d’assistance et la figure de proue de WikiLeaks, mais la cyberguerre asymétrique distribuée par la communauté du net a déjà perturbé des banques, le crédit, et mis des sites en réseau ; elle a même rallié la sous-culture hacker amorphe d’Anonymous [5b] — dernièrement connus pour leurs protestations massives contre l’Église de Scientologie, — pour le soulèvement contre les adversaires de WikiLeaks. Le Réseau, tel le petit fifre de l’armée (pouvoir conventionnel) a commencé à allumer ses chefs, avec des réponses attendues, réfléchies.
Cette réaction réflexe du rang-nation contre le pouvoir asymétrique — opposé au pouvoir conventionnel — est devenue évidente dans le cas de 2001, où des réseaux sociaux physiques décentralisés, "cellulaires", circonvenaient le pouvoir centralisé. Bien que la mention précédente indique un pouvoir physique "décentralisé", c’est simplement une étape intermédiaire vers le développement de l’infopouvoir distribué, asymétrique. Le caractère centralisé, hiérarchique, de l’entreprise matérielle du rang de la nation, a été incapable de contenir le flux décentralisé du pouvoir cellulaire, qui est devenu un infopouvoir innové par l’état d’urgence des réseaux distribués. C’est à voir de nouveau sous l’angle de Matrix Reloaded où, comme dans toute la trilogie Matrix, l’état/corps informatique (Agent Smith) réagirait à l’intervention du pouvoir humain conventionnel (Néo- ou "l’un"), par l’asymétrie en reproductibilité massive des sites WikiLeaks ("plusieurs"). Maintenant le pouvoir conventionnel a un nuage de cibles mobiles en reproduction plutôt qu’une à viser.
Alors le Premier Monde réagit à la contestation en accélérant la diplomatie physique/matérielle d’autant qu’au contraire il aurait fallu normalement de mois, de jours ou de semaines, pour arrêter Assange, et probablement l’extrader aux États-Unis — adresse de son défi. — Mais bien que la "tête" [5c], (l’objet de levier de la force conventionnelle) soit en garde à vue [ ou libéré sous caution mais sans accès au champ de la communication ni de la communication électronique ], le "corps" de WikiLeaks et le reste de son "nuage de calcul dissident" ont déclaré le 7 Décembre (incidemment le jour anniversaire de l’attaque japonaise sur Pearl Harbor), qu’ils continueraient à sortir des renseignements à travers le réseau WikiLeaks. Au lieu de l’anthropomorphisme centralisant l’identité/située dans un seul "visage" des défis à l’hégémonie, (comme pour les reines des films Alien et la pseudo-race des borg dans Star Trek) [6] [7], le vrai visage de l’asymétrie est celui du dissentiment impersonnel et morphogénique. C’est comme essayer de tenir du mercure, parce que, comme le Critical Art Ensemble l’expose, le dissentiment décentralisé peut seulement s’adresser par des moyens décentralisés, et ceci n’est pas la structure du pouvoir conventionnel.
Dans l’ouvrage ECD [6] (Désobéissance civile électronique), le Critical Art Ensemble déclare aussi qu’à l’ère du pouvoir informatique la résistance physique est sévèrement limitée dans son potentiel d’effets, sinon inutile, le protestataire physique étant entièrement confiné et élidé par l’autorité. Les interventionnistes réels, des associations d’électronique grand public (CAE) [9], sont des pirates informatiques d’à peu près vingt ans qui trouent les pare-feu et dévient les flux d’informations, créent des irruptions de redirection, perturbations, et détournement d’infocapital [ le capital informationnel ] à volonté. Le cas de Ricardo Dominguez [10] et du sit-in virtuel du Théâtre de Perturbation Électronique, contre l’Université de Californie, était un cas relativement bénin de perturbation de données en tant qu’acte politique. Mais avec le compromis des pirates informatiques gouvernementaux chinois de Google (comme cela a été révélé par WikiLeaks), l’intervention dans le capital de l’information s’explique à une plus grande échelle, ainsi que des hackers aient infiltré un réacteur iranien. Tout ceci illustre l’idée de Negri selon laquelle le capital/pouvoir postmoderne a changé en celui de l’informatique et des champs cognitifs, et indique un changement primaire de l’équilibre du pouvoir dans le Premier Monde — sinon à l’échelle mondiale.
À la lumière de cette redistribution du pouvoir : quelle solution pour la réinsertion du pouvoir atomique/conventionnel de l’hégémonie ? Cela devrait inclure la hausse du pouvoir de l’informatique par la contention des ressources de distribution. Par les moyens d’une mise sous firewall de la nation entière ou la déconnexion de la ligne principale ou encore la limitation par une désactivation du service d’Internet, ce serait la perturbation de l’infopouvoir [ le pouvoir de l’information ], mais encore la paralysie du flux de capital matériel numérisé, tout aussi bien. C’est au mieux problématique, comme le pouvoir conventionnel et le pouvoir de l’informatique sont en symbiose, le dernier étant plus agile et à un pas en avance de l’ancien, car attaquer un symbiote signifie toujours estropier son associé en même temps. Le résultat logique de telles actions serait l’élimination de la neutralité du net (le flux gratuit et ouvert de données à travers Internet), ou même la séparation des flux d’informations et des typologies à travers les réseaux. L’effet symbiotique est que le capital/pouvoir conventionnel soit aussi entravé — comme le monde physique dépend des mêmes flux d’information distribués à travers les réseaux, — il se mettrait hors de service dans le processus. C’est pour cette raison qu’il n’est pas possible de s’’engager dans la vengeance, puisque ce serait le suicide numérique du rang-nation du Premier monde.
C’est le brio de WikiLeaks — son utilisation d’une infrastructure sur laquelle le pouvoir conventionnel repose à l’identique d’un site de résistance anarchique, prouve la potentialité du pouvoir de l’informatique de rendre impuissant le pouvoir conventionnel. Dans ce cas les bits ont l’atout pour prendre les atomes dans le milieu du réseau. Comme la détente nucléaire a créé "une esthétique de l’inutilité" du nombre de fois ridiculement élevé où les arsenaux nucléaires dans le monde pourraient détruire la Terre, cette réduction potentielle de "l’atomique/atomique" à la nullité esthétique surgit quand le rang de l’information (l’inforang) arrête tout simplement les systèmes de commande du bunker. Moi nation des gophers nucléaires, — [théoriquement] — sans vie dans leurs terriers. [11]
Le pouvoir se reconfigure à la lumière du pouvoir informationnel contre le pouvoir conventionnel, et c’est pourquoi la montée de WikiLeaks est significative, et pourquoi le site-panique géopolitique qu’il crée est un événement singulier. Il suggère que le pouvoir décentralisé rende impuissant le pouvoir conventionnel hiérarchique, signalant le début du paradigme du 21e siècle. Dans l’ouvrage L’Insurrection qui vient, [12] le groupe anarchiste français, le Comité Invisible, pose le principe d’une insurrection communo-anarchique pour renverser le rang conventionnel de la nation. Ce qui le remplacerait serait la création d’un modèle cybernétique proto-industriel de communes en réseau avec une micro production hightech qui serait établie pendant et après une insurrection armée de masse. Il y a une autre vue sur cela. L’insurrection, en tant qu’associations d’électronique grand public (CAE), ne sera pas avec des armes à feu mais avec des octets. Ceci, selon l’affirmation de Negri que le capital ait changé en capital cognitif/information dans le monde postmoderne, tandis que le pouvoir conventionnel marginalise facilement le dissentiment matériel (atomique). Le théâtre réel de l’engagement est l’infosphère, et WikiLeaks a réalisé l’insurrection de l’information, en qualité que le pouvoir réel de la société du Premier monde/numérique soit devenu informatique. L’anarchie en sa formule la plus puissante est maintenant dans la perturbation et la sortie des données refusées par le rang de la nation.
Chicago, Le 11 décembre 2010
Traduction de premier jet, notes et commentaires, Louise Desrenards
Paris, Le 16 décembre 2010
Source originale (anglophone) :
Patrick Lichty to <nettime-l>, on December 11 2010
Digital Anarchy and WikiLeaks. Or, Skynet doesnât look anything like we thought it did.
eyebeam
Source de la version francophone :
Louise Desrenards à [spectre], Thu Dec 16 23:35:29 CET 2010
Ubik et Gopher : "WikiLeaks et l’Anarchie numérique" de Patrick Lichty
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