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Fukushima : La Chine se méfie du Japon 

vendredi 1er septembre 2023, par Christian Kessler

Fukushima : La Chine se méfie du Japon

L’interview choc de Nicolas Sarkozy au Figaro magazine du 18 août 2023, appelle réaction. Si j’ai beaucoup de respect et de considération pour notre ancien président, je ne peux m’empêcher de revenir sur ses propos concernant le Tsunami de Fukushima du 11 mars 2011 et du nucléaire au Japon en général. Nicolas Sarkozy avait d’ailleurs, alors président, tenu le même discours à l’ambassade de France le 31 mars 2011 devant nos concitoyens réunis en prenant à témoin le premier ministre du Japon qui s’était dépêché d’acquiescer à un discours si élogieux d’un nucléaire sûr au Japon. Naoto Kan ne s’attendait sans doute pas, face à une opinion publique japonaise particulièrement remontée, à un tel soutient ! À l’époque, avec force geste, Nicolas Sarkozy nous assurait que la catastrophe de Fukushima n’avait rien à voir avec le nucléaire, mais tout avec la vague géante qui avait submergé la centrale. L’ancien président avait alors loué la sécurité dans les centrales japonaises, ce qui lui avait permis d’en faire de même pour la France en saluant la coopération entre Tepco - l’exploitant japonais des centrales - et Areva, les deux géants du nucléaire. Le président français en avait profité pour promouvoir les réacteurs de troisième génération EPR élaboré par Areva. Ces mêmes propos sont donc repris aujourd’hui dans son interview du Figaro, à l’heure où le nucléaire rentre en grâce pour les raisons que l’on sait. S’y ajoute que d’après Sarkozy il n’y aurait eu qu’un seul décès par contamination radioactive ! En vérité personne n’en sait rien, et ce chiffre de 1 mort émane sans surprise du gouvernement japonais, qui a pour habitude de tronquer la réalité et de ne même pas s’en cacher, dans un pays particulièrement dépolitisé où rien n’est fait pour développer le sens critique, bien au contraire.

Certes, sans le tsunami, il n’y aurait pas eu cette catastrophe, c’est une évidence. Mais enfin, s’il n’y avait pas eu de centrale à cet endroit, il n’y aurait aujourd’hui aucun problème concernant le déversement de l’eau contaminée dans le Pacifique, le stockage sur le site étant arrivé à sa limite. Certes encore, l’agence internationale de l’énergie atomique a approuvé le plan de rejet des eaux de la centrale dans le Pacifique, prenant acte des efforts de Tepco qui assure que l’eau rejetée a été à ce point diluée que l’impact serait négligeable sur les poissons et les sédiments. Mais même l’installation dans l’archipel d’un bureau permanent de l’agence internationale de l’énergie atomique visant à surveiller le respect des normes tout le long du processus de décontamination et de rejet de l’eau qui devrait durer une bonne trentaine d’années, ne rassure pas les voisins de l’archipel et cela est compréhensible et même avouons, nécessaire. Pas plus d’ailleurs qu’une vidéo qui tourne en boucle sur les réseaux sociaux, montrant le premier ministre Japonais Kishida, avec trois de ses ministres en train de déguster de la sole, du porc, du riz, des légumes et des fruits de Fukushima, dont le gouvernement s’est d’ailleurs engagé à défendre la réputation.

John Lee, le chef de l’exécutif de Hongkong a décidé, avec effet immédiat, de réduire les importations de certains produits alimentaires en provenance de l’archipel. Si le gouvernement de la Corée du sud se fait discrète et ne regimbe pas trop, malgré une opinion publique plus que méfiante, c’est avant tout parce que les Etats-Unis dans leur politique de containment vis-à-vis de la Chine, cherche un rapprochement entre les deux pays, permettant d’opposer frontalement au géant asiatique un triumvirat stable dans le Pacifique. On peut évidemment toujours déplorer que la Chine profite de la situation pour accuser le Japon, et la réaction exagérée de John Lee en est la preuve comme en est la preuve la campagne de harcèlement téléphonique visant les entreprises japonaises. Ainsi, le service de presse Kyodo indique que les restaurants et les pâtisseries tenus par un homme d’affaire de Fukushima, avaient reçu un total de 1000 appels ; et la mairie pas en reste de 200 appels similaires en deux jours, sans compter les écoles, restaurants et hôtels locaux. Les autorités japonaises se sentent donc obligées de faire des déclarations afin que le gouvernement chinois prenne les responsabilités qui lui incombe pour faire cesser ce chantage. Mais faire confiance au Japon est-il plus louable ? La Chine n’a-t-elle pas le droit de s’inquiéter ? Même au Japon, de nombreuses voix s’élève contre ce rejet de l’eau et pas seulement les pêcheurs qui vivent de la mer. C’est bien le nucléaire qui pose donc aujourd’hui problème dans la tragédie de Fukushima. Le Japon comme la France, a tout misé sur cette énergie alors même que l’archipel ne s’y prête guère. Ajoutons en passant qu’aucun responsable de Tepco n’a été condamné ni même placé en garde à vue pour des manquements sécuritaires avérés dans la tragédie de Fukushima.

Des Tsunami il y en a eu et il y en aura encore au Japon et peut-être de même ampleur. Les tremblements de terre qui émaillent l’histoire de l’archipel – on se remémore aujourd’hui le grand tremblement de terre du Kantô du premier septembre 1923 dont c’est le centenaire, - peuvent à chaque instant toucher une centrale et entraîner une catastrophe aux conséquences inimaginables. S’il y a un pays, qui devrait se retenir de tout miser sur le nucléaire, c’est certainement le Japon, atomisé de surcroît par deux fois en août 1945. La géographie et l’histoire de l’archipel, devraient en persuader plus d’un.

P.-S.

Christian Kessler, historien et journaliste, spécialiste du Japon, professeur à l’Athénée Français et à l’université Musashi de Tokyo. Dernier livre paru : J’étais un kamikaze, Ryuji Nagatsuka, Présentation et notes de Christian Kessler, Perrin/Tempus, 2021.

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