La Revue des Ressources

Abidjan - l’art des mots 

samedi 13 août 2011, par Robin Hunzinger

La fin du voyage approche alors que nous commençons seulement à nous habituer et à aimer nos levers à 6 heures du matin.

Nous avons parcouru la ville. J’aurais bien voulu aller au zoo d’Abidjan mais je connaissais le sentiment que j’aurais sans doute éprouvé en y allant. J’ai filmé il y a quelques années le seul zoo de Palestine.

Ce matin nous sommes allés faire des courses dans le grand marché d’Adjamé. J’ai demandé à Omer de tenir les micros. Et nous voilà partis dans un dédale incroyable de rues. Un type me demande si je travaille pour National Geographique. Je réponds : Non.

J’écoute les filles marchander. J’aime la langue ivoirienne, sa couleur, ses trouvailles.

Adjamé
Adjamé
Adjamé
Adjamé
Adjamé
Adjamé
Adjamé

Depuis l’indépendance, la langue officielle dans toute la Côte d’Ivoire est le français. Mais il existe plus de 60 langues différentes : Le dioula, (sorte de bambara), est la langue indigène la plus parlée. Parmi les autres idiomes usités on note les parlers gur, kru l’abouré, l’abron, l’ adjoukrou et l’avikam...

Concernant le français, il existe le français standard parlé par une petite "élite".

Il y a surtout le français populaire ivoirien, dit français de Moussa : variété parlée par une grande partie de la population. C’est le français effectivement parlé à Abidjan, qui se distingue du français standard par la prononciation et qui le rend quasi inintelligible pour un francophone non ivoirien. Selon Jérémie Kouadio (1993 : 44), « Le français populaire ivoirien est une espèce de sabir franco-ivoirien qui utilise des mots français (phonétiquement déformés) sur des structures syntaxiques des langues ivoiriennes ».

Enfin le dernier type de français est le nouchi qui est un argot dérivé en partie du dioula, parlé à la base par des classes de jeunes des cités et qui est devenu par la suite à la mode parmi l’ensemble de la jeunesse ivoirienne. Il est aussi la langue dans laquelle est écrit le magazine satirique Gbich !.

Le nouchi est vraiment l’argot ivoirien. Il s’est étendu dans toute la sous-région, et même plus loin, porté par des artistes ivoiriens tels que le groupe Magic System ou même la star internationale du reggae, Alpha Blondy.

Les jeunes parlant nouchi sur les campus universitaires donnèrent à la Côte d’Ivoire sa véritable première musique nationale : le zouglou. Le Zouglou est également connu sous le nom de Wôyô et lorsqu’il est pratiqué en acoustique ou en live, sous le nom d’Ambiance Facile. C’est lui qui a donné naissance au coupé-décalé qui lui est né dans la diaspora ivoirienne à Paris.

Dans mon cahier j’ai noté de nouveaux mots :

boucantier : personne frimant avec des marques de luxe ;

couper : voler, escroquer ;

décaler : prendre la fuite, laisser en plan ;

faroter : frimer ; Abidjan farot : l’abidjan de la frime ;

gaou : bouffon, "has been" ;

un guimero : un voyou ;

un noutsi : un bandit ;

un kpôklé : une fille de mœurs légères.

On dit que le Nouchi est au départ une sorte de créole - mélange de mauvais français et de mots tirés de langues locales - utilisé par les jeunes Soussous (originaires de Guinée) qui pullulaient aux abords des cinémas de bas-quartiers. Avec la multiplication des gangs années 70-80, Far-M, Yang System, Ninja Gorgées, Mapless, Youpless, etc. Le nouchi va s’ivoiriser et s’enrichir de mots empruntés aux langues ivoiriennes et d’autres vocables inventés de toutes pièces.

En tout cas cette langue est un vrai poème, et c’est assez incroyable de découvrir chaque jour de nouveaux mots.

Cela donne de très jolies expressions :

« Si tu ne m’arranges pas, faut pas me déranger » se dit pour signifier à une personne qui nous fait perdre notre temps, de s’en aller, de nous laisser tranquille.

« Ce qui est sûr, rien n’est sûr » (remplace peut-être).

« Respectez-vous ! » (arrêtez de mentir).

« Celui qui a peur n’est pas courageux »

« Y a drap dans drap »

« Une multiprise » se dit d’un coureur invétéré de jupons et une fille pas sérieuse est un « cahier de roulement ».

« Fou connaît camion » (chacun connait ses limites)

« Elle est pitiante » (elle fait pitié)

« Deuxième bureau » (une amante)

Je les note au fur et à mesure que je les entends. Je regrette d’ailleurs de ne ne pas avoir pris mon enregistreur pour enregistrer le son d’un dj rue princesse hier soir. En y arrivant j’ai compris que ce n’était pas un lieu pour les enfants et encore moins pour une petite fille de deux mois qui cherche à dormir. La sono des maquis envahissait totalement toute la rue.

Impossible de se parler. Au bout de cinq minutes on a commandé un poulet braisé à emporter et nous avons quitté la rue princesse, pas encore tout à fait remise de la guerre. Beaucoup de maquis fermés et brûlés. Moins de personnes qu’avant. Beaucoup d’hommes en armes.

J’ai éprouvé un certain regret et me suis promis de revenir ici faroter sans femme et sans enfant.

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