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C’est quoi d’être belle, grand-mère ? / Sur une photographie de Sanja Knežević 

mercredi 16 février 2011, par Mariana Naydova, Sanja Knezevic

Regarde-moi, maman ! Je danse ! Ne sois pas méchante ! Le travail n’est pas un lièvre. Je vais, je vais aller ! Là-bas, devant l’hôpital, les gens arrêtent de me voir et me donnent de l’argent. Je pense que ce n’est pas comme la mendicité dans les grands magasins. Mendier dans l’hôpital me plaît. Voilà ce que j’aime. Sinon, les gens ne me regardent pas dans les yeux, en me jetant une pièce de monnaie. Peut-être c’est à cause de la honte que je sois pincée par le froid, et ceux qui sont en face de moi paient parce qu’ils se sont rendus coupables, tandis que la femme, à laquelle j’ai parlé hier, était malade, je l’ai vue. Elle sentait bon, j’ai ressenti l’humidité de ses cheveux qui étaient encore mouillés par la douche, mais du fond d’elle-même sourdait une odeur mauvaise, maladive. Peut-être que c’est pour cela que les gens s’arrêtent à côté de moi, surtout ceux qui sont malades, qu’ ils pensent que le Dieu du tableau est derrière moi et va les guérir s’ils me donnent un sou ou un billet. Mais je me demande comment ce serait possible, grand-mère, qu’une représentation de Dieu puisse guérir. Les riches sont stupides, grand-mère. Cette femme, je lui ai dit que tu connais tout sur les herbes, et sur sa maladie, mais elle ne m’a pas cru. J’ai regardé sa main et j’ai vu que sa ligne de vie, que tu m’as appris à reconnaître, était devenue fine et incurvée, en rigoles, mais elle atteint quand même ce lieu où bat le cœur. L’herbe de la ravine, elle seule peut rendre le fleuve de sa ligne profonde, mais la femme ne me croyait pas, grand-mère. Elle pensait que je disais ça pour de l’argent… pas pour l’aider. Et pourquoi pas pour de l’argent ? Après tout, quand quelqu’un travaille pour nous aider, on doit payer pour son travail. Mais cette femme ne croit pas que l’herbe soit connue, juste par toi et moi. J’ ai vu son autre ligne, celle de son cœur. Un homme se trouvait là, un homme, grand-mère, qui anéantissait sa force. Elle a ri et son visage s’est couvert de rides quand je lui ai dit qu’elle devait échapper à cet ennemi, ce vrai vampire qui était assis sur elle, et éteignait sa flamme. Bon, je vais aller, grand-mère. J’espère la rencontrer encore, lui donner de l’herbe. Je ne vais pas prendre son argent, pour qu’elle ait foi en moi. Elle m’a dit que j’étais belle. C’est quoi d’être belle, grand-mère ? Milan me regarde avec un œil gourmand. Quand je sors dehors pour étendre le linge, il est toujours là, comme une plante devant moi. Cela me fait rire. Il me dit qu’il va me voler, ou voler un cheval pour m’acheter à mon père. Et je ris, mais de ce rire naît quelque chose de chaud qui commence à bouger dans mon estomac. C’est ce qu’on dit que d’être belle, grand-mère, je le sais déjà, car je coûte environ un cheval ! Pauvre femme de l’hôpital. Elle était belle, mais personne ne va payer même un chevreau pour elle ! Bon, grand-mère, je vais aller et dis à Milan que papa ne me donnera pas à lui, même pour deux chevaux !

P.-S.

Uprooted community Sanja Knezevic

My story is about life of Roma in Belgrade. The first Roma settlement I visited was in the neighborhood where I grew up. Everyone was avoiding the Roma settlement, and we were told not to go there because it’s dangerous. The Roma children who attended my school were discriminated against by both teachers and their peers. Due to their bad social position and such treatment in the school, they were frequently repeating grades, so most of them haven’t finished primary school. And many more Roma children were never allowed by their parents to start in the first place.
I recently decided to revisit that “dangerous” place everyone avoided, and to try and see for myself what life is like for the Roma in their ghettos.
To my surprise, what I saw there broke all my preconceptions about them. Although they are still living in poverty in poorly built cardboard homes, without water or bathrooms, working lowest paid jobs, collecting secondary materials for recycling, they keep their spirit and find happiness in everyday life. Worst, many children still don’t go to school, spending their days in the street. But even besides that, I have found laughter, play and hope for the future.
Every time I’d go back to the settlement I brought pictures for them, which is how I earned their trust and allowed me to go deeper into their lives. Through spending a lot of time with them, sometimes whole days, they accepted me as a friend and brought me inside their community and behind closed doors. Kids liked me the most, as soon as they saw me, they yelled “pictures, pictures !” in hope I had brought them prints.
One of the settlements I spent most time at is “Gazela”, located in the center of Belgrade, under the bridge of the same name. This settlement has existed for over two decades, and was a shame of the city. Over 900 people lived there, in poor hand-made cardboard houses, without running water or sewage, surrounded by garbage which was the cause of many diseases. Due to the appalling conditions it was necessary to solve this problem, and the city decided to move the residents to new areas and destroy the settlement itself. Many Roma were against the re-settlement because they feared being moved far from the city center, where they find most of the secondary materials and resources (cardboards, newspapers, metal…) which they sell to recyclers for meager sums.
Despite their hesitations the Roma were forced to move at the end of August. The day of the “operation” was very touching and disturbing. Families gathered their belongings in a big rush to load on to government trucks while bulldozers moved in to crush their homes. They left the settlement in slow lines and tears toward a fleet of buses heading for all corners of the city and country.
Many lucky families began new lives in settlements on the outskirts of Belgrade. They now live in small metal containers. Although conditions in which they live are still poor, what gives some hope in their future are children who have finally started school.

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