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Comment je suis devenu un écrivain juif  

mardi 20 janvier 2015, par Mohamed Kacimi

Au cœur de la tourmente française de janvier 2015 voici pour mémoire un court récit à la fois auto-biographique et de réalité fiction édifiant de Mohamed Kacimi, aux dispositions de libre penseur francophone qui ne l’empêchent pas d’avoir une grande sensibilité de la culture et de la religion musulmanes, qu’il maîtrise et critique, ainsi que de la langue arabe (auxquelles son œuvre écrite et dramaturgique est dédiée pour une grande part). Étant d’une famille algérienne de théologiens soufis – dont son père, inspecteur de l’Éducation Nationale, – sa propre éducation commence dans une école coranique avant qu’il intègre l’école française en Algérie et finisse ses études supérieures en France, tout en étant journaliste. Il n’hésite pas à se confronter aux enfants dans les écoles des quartiers misérables où les effets de la déculturation forgent des opinions et des convictions étranges ou déviantes, et parmi lesquelles il anime des débats ou des ateliers de lecture et d’écriture ou de création, non seulement en région parisienne mais encore un peu partout en France et à l’étranger. Ainsi que dans les prisons. Ce qui le convie ce n’est pas la morale pour réprimer mais la générosité de partager et l’attention à autrui — entendre tout pour comprendre, afin de pouvoir restaurer les chemins de la connaissance. (A. G-C.)


J’ai reçu un jour une lettre émouvante d’une institutrice : « Cher monsieur, je suis instit dans une école située dans l’une des banlieues sinistrées et déshéritées du Nord Pas de Calais. J’ai une classe de CM2, composée essentiellement d’enfants dont les familles sont originaires du Maghreb et de la Turquie. Ces familles sont toutes sur le carreau depuis des années. J’ai présenté vos deux albums Cléopâtre et la Reine de Saba à mes élèves en leur expliquant votre parcours, que je trouve exemplaire. Les enfants ont refusé de me croire, selon eux, il est impossible qu’une personne d’origine étrangère puisse réussir en France et surtout si elle porte votre prénom. J’irai plus loin, ils sont persuadés que vous n’existez pas ou que vous ne pouvez pas exister. Pouvez-vous venir les voir ? Notre établissement n’a aucun crédit ni pour votre transport ni pour votre intervention. Je vous propose juste de vous héberger et de partager notre dîner ». J’ai appelé de suite l’institutrice pour lui dire que je voulais bien payer mon billet et rencontrer ces enfants pour leur prouver mon existence. J’ai donc pris le train. La dame m’attendait à la gare. C’était l’hiver. Un paysage dévasté. De la tristesse à flots. Une misère qui se voyait même sur les troncs des arbres. Quelque chose de noir qui me faisait penser aux mois passés à Dreux pour faire du théâtre ! Les enfants étaient là qui m’attendaient. Ils ont tenu à me serrer un par un la main. Puis ils m’ont demandé de leur montrer mes papiers, ma carte de séjour ou mon passeport. Je leur ai dit que je ne porte jamais de papiers sur moi, ce qui est vrai, car je n’ai pas à les montrer. Mais qu’est-ce que vous faites si vous êtes contrôlé ? J’ai répondu qu’en trente ans de vie en France, je n’ai jamais été contrôlé, et ce qui est vrai aussi. Les enfants étaient autour de moi. Je sentais qu’ils étaient partagés entre la joie et l’inquiétude. Ils m’ont demandé alors de leur dire, de leur écrire quelque chose en arabe. J’ai écrit au tableau le nom de la reine de Saba. J’ai senti dans leurs regards beaucoup de fierté, même si personne parmi eux ne comprenait cette langue. Ils se sont levés pour applaudir. La journée touchait à sa fin. J’ai remarqué que les élèves somnolaient, certains piquaient même du nez. Je leur ai demandé si ma présence les endormait. Non, me répondent-ils, nous faisons le ramadan, monsieur.
— Le ramadan, à votre âge ?
— Oui, monsieur, l’imam nous a dit qu’on gagnait 3000 points de bonus pour le paradis, chaque jour.

Les filles lèvent le doigt :

— Nous, c’est 5000 points de bonus pour le Hijab.

J’essaye de calmer cette cohue :

— Mais à votre âge, ça ne se fait pas.
— Non, monsieur, nous sommes des hommes, on a pas peur de pas manger de pas boire.

Les filles enchaînent :

— Nous on est pas des hommes, mais on le fait aussi.

Des enfants de 10 ans !
Je ne sais pas comment, mais j’ai piqué une grande colère :

— Ecoutez, dans la religion, en Islam, aucun enfant n’est obligé de faire le ramadan, il faut attendre la puberté, c’est écrit, c’est comme ça, c’est la loi religieuse , et si quelqu’un vous dit de le faire, dites lui que c’est criminel, c’est inhumain d’obliger des enfants qui n’ont pas de quoi manger à faire le ramadan.

Il y a eu un grand silence dans la classe. Les élèves qui ne souriaient plus ont levé la main :

— Madame, on vous l’avait bien dit, c’est pas un vrai arabe, pas un vrai musulman, il dit du mal de l’Islam madame, il critique l’imam, on vous l’avait dit madame, votre écrivain est un juif... Un vrai juif, madame.


Avec l’aimable autorisation de l’auteur

© Mohamed Kacimi


Source Facebook

P.-S.


En logo, la couverture de l’album de Mohamed Kacimi La reine de Saba, avec des dessins d’Alex Godard ; coll. Albums, éd. Milan Jeunesse, Toulouse, 2006. Source amazon. Plus d’infos dans la librairie en ligne de Decitre.


Mohamed Kacimi Cléopâtre reine d’Égypte
Avec les dessins de Claude Cachin
Coll. Albums. Milan Jeunesse, Toulouse,
(2007) Source amazon


LIENS

 La liste des ouvrages de l’auteur disponibles dans la librairie en ligne Decitre.

 Mohamed Kacimi El Hassani, À la tête d’une grande Zaouïa en 1897 Lalla Zineb, l’insoumise, dzactiviste.info, source El Wattan. (Sur l’ascendance de l’auteur).


La zaouïa Rahmaniya à El Hamel
Source fr.wikipedia


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