Michel Tarrier est un homme de convictions, obstiné à défendre envers et contre tous une vision de l’écologie radicale, sans crainte d’endosser le fardeau que les cassandres ont à porter pour nous.
L’écologisme et l’écosophie qu’il promeut visent à éveiller les consciences au danger environnemental et de civilisation en considérant la Terre comme notre seul, unique et précieux habitat, tout en luttant férocement contre ce qu’il appelle l’écotartufferie, qui n’est que de peindre au vernis écologique les panneaux branlants d’un système dévastateur pour la vie sur Terre…
Depuis trois ans, il martèle sur l’enclume médiatique et avec un écho grandissant les mêmes avertissements sur le risque d’une planète invivable dans moins d’un demi-siècle. 2050, Sauve qui peut la Terre (2007) mettait déjà en évidence la responsabilité d’un système mondialisé qui ne pouvait que détruire les habitats nécessaires à la survie de l’espèce humaine. Dans Faire des enfants tue. Eloge de la dénatalité (2008), il s’est attaqué de front à un paramètre essentiel du combat écologique et néanmoins tellement tabou que Michel Tarrier reçut de toutes parts des volées de bois vert. Depuis, l’idée d’une dénatalité fait son chemin, et notre cassandre, amer, de sourire le temps de se relancer pour un autre ouvrage : Nous, peuple dernier – Survivre sera bientôt un luxe (2009). Tissant à nouveau ses fils autour de l’impact de la surnatalité sur les écosystèmes qui nous font vivre, l’écologue Tarrier met en accusation les monothéismes qui ont enjoint à l’homme de dominer la Terre et de l’asservir. Ce printemps 2010, la parution de Dictature verte renoue pour le moins avec les titres provocateurs.
L’auteur laisse planer le doute pendant un certain temps : est-il favorable à l’avènement d’une dictature pour protéger l’environnement ou en annonce-t-il l’inéluctable survenue ? Cette ambiguïté dont il n’abuse pas a cependant le mérite de renvoyer chacun à ses hiérarchies de valeurs.
Fidèle à ses engagements, Michel Tarrier débute son ouvrage par la mise en accusation de l’humanisme (secoué depuis belle lurette) mais sous un angle peu courant, celui du spécisme [1]. Ce qu’il reproche en effet à l’humanisme est d’avoir hypertrophié l’homme sous l’influence des religions monothéistes, certes, mais tout aussi bien du Descartes des animaux-machines, et d’avoir organisé toute son activité autour de lui-même en arraisonnant la Nature (dont le concept lui-même est déjà très révélateur [2]). La protection de l’environnement qui consiste à aménager la nature pour la satisfaction des humains, Tarrier l’appelle environnementalisme – et le combat. Une des sections les plus originales de Dictature verte, par rapport aux ouvrages précédents de l’écologue, est relative à la description des luttes, individuelles ou collectives, contre les abus du système capitaliste tentaculaire : il s’agit des technophobes, des militants du front de libération animale (ALF) et, au sens plus large, d’une guérilla verte qui, face aux frustrations générées par ce « grand dîner de cons » que fut le Grenelle de l’environnement, pourrait trouver un surcroît de sympathie dans la population. Mais le système n’est pas inactif face à ses opposants, et l’auteur rappelle de quelle façon il peut les disqualifier.
Il n’est pas bien difficile ensuite de suivre sa critique de la démocratie dans son rapport à la défense de l’environnement, même si la démocratie en question n’est que de façade, car il n’est pas plus imprévoyant ni inconséquent que le personnel politique qui nous sert d’enclume… D’ici à imaginer que la radicalisation des combattants verts donnera naissance à un écoterrorisme, il n’y a qu’un pas que franchit Michel Tarrier. Pour lui, « l’écoterrorisme fera le lit d’une hégémonie écologique » (p.199) Plutôt que d’insister sur une dictature verte, il avance le concept d’écocratie, qui pourrait émerger d’un Nuremberg de l’écologie :
« Dans la foulée de l’avènement d’une Organisation mondiale de l’environnement (OME) d’essence onusienne, il n’est pas impossible d’envisager que se tiendra un Nuremberg de l’écologie, tribunal international pour juger les écocidaires coupables et inexcusables. L’enquête sera faite ipso facto, les auteurs de crimes écologiques contre l’humanité étant bien connus, voici plus d’un demi-siècle que nous supportons leurs discours fourbes et imposteurs, leur sémantique orwellienne trompeuse, leurs politiques véreuses, leurs trafics économiques délétères et bancaires, leurs manques volontaires de précautions et leurs atteintes à la santé des hommes et de la planète, leur art de décevoir et toute leur conduite pour un futur négatif. Le chef d’accusation d’homicide et écocide volontaires ne sera pas usurpé. Nous disposons déjà des listes exhaustives des agresseurs de la biosphère, tant des grands seigneurs que de leurs seconds couteaux, apôtres profanateurs des ressources vitales et du Vivant. Y seront assimilés pour complicité tous les écotartuffes coupables de blanchiment vert et promoteurs de faux espoirs médiatisés. Les génies de la biotechnologie et leurs agents figureront au premier rang du banc des accusés, pour avoir stérilisé les plantes et les sols, pour s’être approprié le Vivant et en avoir contrarié la fécondation, pour avoir sciemment recouru à un vocabulaire faussaire afin de semer le trouble et maintenir désinformés des milliards de consommateurs à leurs risques et périls, pour avoir utilisé des recettes pathologiques et une logique de mort selon le scénario manichéen d’un vrai terrorisme chimique. » (p. 203)
L’écocratie à laquelle songe Michel Tarrier devrait s’appuyer sur « une instance internationale à essence biocratique (ayant) pour axe de développement un équilibre et un inconditionnel respect du cadre de vie et des espèces compagnes » (p. 205). S’il a bien conscience du caractère utopique de cette proposition, l’auteur propose cependant dans la dernière partie de son ouvrage « Écocratie mode d’emploi » d’aborder les points principaux : la nécessité d’une mobilisation générale de la population, une dénatalité vigoureuse, l’obligation de revoir l’empreinte écologique honteusement anthropocentrique, la sortie de la pétro-addiction, la promotion du végétarisme (rien qu’en tenant compte de l’impact écologique de la consommation de viande), la nécessité de vraiment convertir la société et l’économie à une sauvegarde de la planète Terre sans laquelle nous sommes incapables de survivre.
Ferions-nous même tout cela, tonne Tarrier, quid des deux tiers de l’humanité ? Sauf à continuer à imposer le mode de pensée et de développement occidental au reste du monde, comme l’Occident l’a fait depuis des siècles, ce qui semble désormais impossible – sans s’exprimer sur le plan éthique – les pays émergents, immenses pollueurs, ne feront pas retour à ce qui serait perçu comme une certaine frugalité suscitée, dans un soupçon bien légitime, par un Occident désirant garder les cartes en mains. Alors ?
Rien de très encourageant dans la conclusion de l’ouvrage, qui se veut cependant marqué par un optimisme du cœur. Michel Tarrier sait ce qu’il faudrait faire, mais il ne croit guère que cela se fera, hormis insurrection générale dont on n’a jamais eu d’exemple.
Notre monde interdépendant est très sensible à l’effet papillon selon lequel un événement en apparence anodin peut avoir des répercussions en chaîne et d’ordre planétaire. Néanmoins, il ne faut pas s’en remettre au hasard, la volonté, la multiplication des initiatives individuelles et collectives peut changer les mentalités et les modes de vie. De toute façon, c’est la seule solution car il est évident que le dérèglement climatique est véritable et que nos édiles ont d’autres préoccupations que de permettre la survie de l’espèce – alors les autres…
Ayons de l’imagination et de la persévérance à leur place (mais depuis la nôtre) !