Fidel Castro, le dernier mot : « El hermano Obama » (Mon frère Obama). 27 mars 2016.
Santiago Alvarez, Mi hermano Fidel (1977)
Remerciements Olivier Hadouchi pour le partage de ce film.
54 ans d’embargo international radical inclus depuis l’abandon de la contre partie soviétique en 1990, quand l’URSS devint la Russie, et sauf l’alcool et les cigares il y a moins de dix ans, toujours ouvrable en dépit du vote contre (sans veto) du 26 octobre 2016 à l’ONU. C’est l’embargo le plus long de l’histoire contemporaine.
Fidel Castro est mort à 90 ans. Un chiffre fatidique pour Cuba. En 1990, un an avant la création de la Russie c’est un préalable radical, l’arrêt des subventions de cinq milliards de dollars versés chaque année par l’URSS, qui laisse l’île caraïbe dépourvue sous l’embargo international implacable imposé par les États Unis, économique, commercial et financier, depuis 1962, avec les menaces incessantes du terrorisme par les fascistes de la diaspora cubaine, installés en Floride. Fidel Castro, pour subvenir aux ressources des familles, laisse la jeunesse cubaine se prostituer en masse auprès des touristes pro-cubains [4], et son gouvernement tout en surveillant la santé de sa jeunesse au travail du sexe et sachant que santé et éducation poursuivent d’être gratuits, ce qui prime sur tout, ferme les yeux sur l’ordinaire de la vie à l’envers et la constitution de petites mafias locales sans désordre avec l’État. Et le rhum cubain mondialement advenu en Pernod Ricard, dans la foulée de l’allègement restreint de l’embargo sur la production locale des alcools et des cigares, coule à flot aussi pour le tourisme au profit de l’île.
Au début ce fut une révolution démocratique plutôt favorisée par le gouvernement des Etats-Unis, concerné par l’exploitation américaine des ressources de l’île, et pensant ainsi éviter le fond d’agitation communiste contre la grande misère et la répression violente subies par les habitants sous l’administration du dictateur fasciste, le Général Fulgencio Batista [5], émule du Général Franco. D’abord la révolution des guérilleros fut reçue favorablement par les officiels américains qui culpabilisaient de leur soutien au dictateur, lequel accueillait les Rencontres des plus grands mafieux de l’Amérique du nord, recherchés par le FBI. Les premiers, ils reconnurent diplomatiquement le nouveau gouvernement. Mais le Président Eisenhower encore réactif à la guerre de Corée (à peine finie) et en pleine guerre froide, après avoir délégué à son Vice-Président Nixon le dialogue avec le valeureux Fidel Castro — pour ne pas s’abaisser à rencontrer en tant qu’ancien militaire un guérillero, — ne tarda pas à voir d’un mauvais œil la nationalisation de la compagnie américaine des fruits cubains, sous le masque d’une société bananière locale, et claqua la porte au nez de l’invité. Fidel Castro aurait pu faire plus, or justement il n’avait pas touché au cobalt. En fait, Eisenhower déclencha ce qu’il craignait, la nationalisation de tous les avoirs étrangers et le virage radicalement communiste de la révolution cubaine.
Bien sûr, il y a eu les prisons politiques, des tribunaux révolutionnaires dans le maquis et plus tard suite aux attentats, des condamnations et des exécutions, et même a-t-on dit des camps de travail et de rééducation décidés et réalisés non par Fidel Castro mais par Ernesto Guevara lui-même — mais aucune torture. Seulement la menace était là, quotidienne, réelle, portant atteinte aux vies populaires et destructrice de leurs ouvrages. Mais dès le début de 1965, le Che qui voulait développer des foyers de guérilla multiples selon la conception révolutionnaire de Trotski, comme le donnait à entendre le mot d’ordre de l’époque, « Un ! deux ! trois ! Viet Nam ! », contrariant la ligne stalinienne du communisme dans un seul État, se fit plus rare à Cuba, voyagea en Afrique, rencontra Laurent-Désiré Kabila à Dar es-Salaam à la demande de celui-ci, pour préparer de rejoindre plus tard le maquis congolais, puis revint à La Havane en passant par Alger, où il fit son dernier discours public à la tribune du Séminaire économique de solidarité afroasiatique, le 24 février, avant de disparaître radicalement de la scène cubaine dès le soir de son retour [6]... Personne n’a davantage oublié l’emprisonnement ou l’incarcération hospitalière — mise en quarantaine — injustement infligée aux sportifs déchus par la drogue, ou aux militaires de retour d’Afrique porteurs du virus du SIDA, dans les années 80, ou encore aux homosexuels infectés par le virus [7], quand la terreur d’un envahissement fulgurant l’île par la drogue et/ou par la maladie porta les autorités à décider abusivement l’isolement des malades, au moment où elles ne savaient pas encore les soigner, durant les dernières années cubaines soviétiques. Un grand froid nous avait traversés.
Puis la médecine cubaine ouvrit les portes de ces prisons « thérapeutiques », au contraire ouvrit des centres d’accueil aux homosexuels en souffrance, et des centres pour aider la transformation des transgenres femmes ou hommes, après avoir créé un complexe de désintoxication et de convalescence également ouvert aux étrangers [8], trouva un des moyens pharmacologiques parmi les plus efficaces pour lutter contre le SIDA (si tant est que cette maladie puisse être radicalement vaincue), et au-delà imposa sa médecine de haut niveau, avec un secteur de recherche unique et reconnu dans le monde entier, sur les maladies actuelles et le cancer. Après avoir secouru les peuples indigènes déshérités et miséreux, avec les médecins cubains, sur deux continents.
Par hasard, je ne suis jamais allée à Cuba, que pourtant je suivais des yeux... Je salue les cinéastes français qui jusqu’au bout auront soutenu et concouru au savoir du talent cinématographique de Cuba libre, suivant l’exemple de Chris Marker et de Joris Ivens : salut à Jacqueline Meppiel [9], disparue il y a cinq ans, qui toujours sillonnait le ciel d’un continent à l’autre mais résidant à Cuba depuis 1984, où ayant épousé l’acteur Adolfo Llauradó elle avait fondé le département de montage de l’école de cinéma de San Antonio de los Baños. Une pensée pour Yann Le Masson et pour sa compagne Catie Aubry enceinte de leur fille quand elle l’accompagna dans l’île insoumise alors qu’à son tour il allait y enseigner... Une pensée pour Tomás Gutiérrez Alea disparu en 1992, fondateur de l’Institut cubain de l’art et de l’industrie cinématographiques (ICAIC), et co-réalisateur du film Fraise et chocolat avec Juan Carlos Tabío (toujours vivant, à La Havane), et pour le Directeur des lumières et de l’image Néstor Almendros, dont la famille s’était exilée à Cuba pour fuir le franquisme, qui alla suivre des études dans différents pays, mais étant revenu à Cuba après la révolution de 1959 en fut banni, après y avoir réalisé deux courts métrages en 1961. En 1960 le gouvernement avait donné un tour d’écrou répressif suite à l’affaire des sabotages dits « opération mangouste » sur les équipements clés, organisée par les services secrets américains, qui s’étaient soldés par deux explosions survenant pendant le déchargement du navire à quai La Coubre, en provenance de Belgique avec une cargaison d’explosifs à bord, laissant une centaine de morts parmi lesquels les dockers et le personnel du port, et dont à ce jour le dossier d’archive n’est pas encore libéré par les Etats-Unis. Tous les activistes du monde connaissent le portrait du Che aux yeux assombris par la peine, le regard lointain, surpris par le photographe Alberto Korda, pendant les funérailles des victimes [10]. La volte-face du gouvernement cubain fut la reprise des nationalisations expropriant des entreprises américaines. 1961 fut l’année non moins terrible des raids de l’aviation militaire américaine sur les aéroports et les installations portuaires, et l’année même du débarquement armé des exilés cubains à la Baie des Cochons, dont la conséquence fut l’alliance militaire irréversible avec l’URSS et la crise des missiles défensifs soviétiques installés l’année suivante. Ce n’est que grâce à un diplomate et espion soviétique retraité, aimant les Etats-Unis où il avait travaillé en bonne intelligence avec les services secrets de Roosevelt (et ami de Julius Rosenberg qu’il défendit dans la publication de ses Mémoires), surgi de l’histoire à Moscou, si l’affaire put se dénouer entre les Kennedy et Khrouchtchev. Toutefois, la même année, les États-Unis imposèrent le commencement d’un embargo économique commercial et financier international quasiment intégral, le plus long de l’époque contemporaine puisqu’il n’est toujours pas prescrit à ce jour, même si le terme est annoncé [11]. Toutes choses entre les violences, les menaces, et les sanctions, faisant de la caraïbe Cuba la martyre des Etats-Unis, pour le prix du combat anti-colonial infini de l’île, depuis Martí [12].
Partir fut aussi le cas nécessaire de l’architecte Ricardo Porro [13], qui après avoir dirigé et réalisé les plus hauts instituts artistiques dut fuir en 1966, suite au renforcement du contrôle idéologique réagissant au Cuban Adjustment Act promulgué par le Président Johnson, qui visait à encourager la fuite des Cubains pour une naturalisation aux États-Unis, ou encore à les encourager plus largement à trouver des conditions d’intégration dans d’autres pays — même cas de quelques autres artistes et intellectuels cubains, la même année et la suivante.
En 1967, deux ans après que la 1ère Tricontinentale fut prévue d’avoir lieu à Cuba avec Mehdi Ben Barka et Ernesto Guevara, mais un an après qu’elle eut lieu sans eux [14], j’eus la chance d’aller avec mes proches [15] visiter l’Exposition Universelle située à Montréal, cette année-là [16]. Une pure merveille du moment le plus ouvert et prometteur de la postmodernité, au temps des premières performances de la conquête de l’espace... Des architectures surprenantes de séduction ou d’étrangeté plastiques, de communication, ou remarquables par leurs innovations techniques, inclus le pavillon soviétique et parmi lesquelles le fameux dôme géodésique de Buckminster Fuller, pour le pavillon américain. Sa carcasse sphérique dresse encore la finesse de sa dentelle géométrique traversée par la brise dans toute sa nue transparence (alors aux facettes de verre), devenue aujourd’hui un musée environnemental régnant sur un grand parc, dans son île Sainte Hélène, tous les autres chef d’œuvres horizontaux ou verticaux ayant complètement disparu de l’île quand nous y retournâmes en 1999. C’était là pour un colloque d’architecture sur Peter Collins [17] auquel mon compagnon était invité à participer — toujours l’objet de l’architecture et l’histoire de l’architecture qui entre autres arts exprimés rythmèrent longtemps la chaîne d’attentions de notre vie.
Déjà, Ben Barka avait été assassiné en France avant la première conférence de la Tricontinentale, et au retour de notre visite à Montréal, ce fut au début de l’automne que Guevara fut assassiné en Bolivie [18]... Déjà, sous la pression stalinienne de Moscou les léninistes et les trotskistes cubains s’étaient divisés, les derniers récalcitrants étant enfermés ou ayant fui et les autres assurant la ligne politique du parti contradictoire avec la ligne du Che. Mais après la mort du Che, sous les augures de l’URSS dans les années 1970, ce ne fut plus plus l’organisation de la guerilla mais l’armée cubaine qui intervint en elle-même dans plusieurs endroits d’Afrique pour soutenir les guerres d’indépendance contre la colonisation, et notamment les colonies portugaises telle l’Angola, où les mouvements indépendantistes étaient sous le feu militaire de l’Afrique du sud de l’apartheid, qui exploitait les ressources minières de Namibie, secourable au Portugal. Les Cubains y périrent nombreux [19].
Mais je ne pense pas que Fidel Castro exempt de la régression au retour de Batista (mort en 1973) et de ses sbires, eut d’autres choix, même si tous ceux qui avaient pu l’admirer en travaillant avec lui eurent de bonnes raisons de dire ailleurs pourquoi ils étaient partis.
De la révolution bolivarienne passant par Cuba aux révolutions chavistes, ce qui s’est dissout dans le socialisme démocratique du sous-continent américain, réalisé sous diverses formes à travers l’avènement des républiques indigènes : c’est le stalinisme. Absorbé dans les nouveaux populismes souverains.
Que vous le vouliez ou non — que je le veuille ou non — Fidel Castro est la figure politique dominante de la Post-modernité mondiale. Le plus grand de tous, dit la Presse — avant de le démolir.
A l’exposition internationale, deux pavillons plus modestes étaient remarquables dans ce qu’ils exposaient, l’événement techno-socio-politique concernant le pavillon Tchèque, naissance des arts virtuels avec des installations numériques interactives, extraordinaires sur grand écran, anticipant le monde de la communication numérique où nous vivons aujourd’hui, et le pavillon cubain dans un emboîtement de cubes telle une gigantesque armoire photographique, supportant sans encadrement les multiples plans des formidables photographes de la révolution, à hauteur des yeux et à hauteur d’homme, du sol au plafond... Nous étions engloutis dans ces univers alors les nôtres, comme ceux de toute notre génération avant-gardiste ou activiste... L’érotisme et la beauté de ces femmes et de ces hommes, aux cigares les plus chers du monde à leur la bouche de travailleurs advenus en guérilleros armés, qui entraient en treillis sur leurs chars, triomphant dans La Havane en liesse. Un défi pour le monde.
Tant de courage et de misère pour les Cubains au terme des décennies d’embargo depuis la fin de l’URSS, un peuple resté toujours fier, héroïque, et loyal à la résistance de son leader, jusqu’au bout.
Cuba, tout ce que tu nous as apporté au dedans comme au dehors... Une énergie planétaire de ciels étoilés surgis d’un mouchoir de poche : l’espoir du tout possible de nos folles années de jeunesse...
Mais notre désespoir. Et passé notre désespoir notre capacité de renaître et d’inventer encore d’autres possibles.
Repose en paix, Fidel Castro, toi qui as su passer la barre sans te renier au bon moment de l’Américain, avant qu’il ne soit trop tard pour que l’idée révolutionnaire soit à jamais protégée de disparaître.
Merci.
Pour conclure, cette information : Raúl Castro souhaitant préserver l’indépendance de l’île en bonne entente avec ses grands voisins, les grands voisins en dépit de leurs accords et signatures et des Unes dans les Informations n’ont toujours pas levé radicalement l’embargo sur Cuba [20]. Le combat continue [21].
Chris Marker, Cuba Si (1961)