De l’Antiquité jusqu’au début de l’ère d’Edo (1600-1868), la piraterie infesta les mers du Japon. Les archives japonaises l’évoquent très tôt. En 934, le célèbre poète japonais Ki no Tsurayuki relate, lors de son voyage sur la « mer intérieure » les précautions du capitaine pour éviter ces pirates, qui avaient l’embarras du choix pour se rendre invisibles grâce aux multiples îlots et chenaux d’où guetter leurs proies. Le terme wakô qui les désigne est formé des caractères wa = Japonais, et kô = ennemi ou invasion. Composés à l’origine de marins nippons, les équipages deviendront composites, avec l’intégration d’éléments chinois et coréens.
Dans la mer Intérieure du Japon, le long de la côte d’Ise et de la Tôkaidô (Route de la Mer Orientale), des groupes de marins guerriers, qui pratiquaient aussi la pêche et le transport maritime, prélevaient des droits de passage, tels les seigneurs au passage d’un gué, d’un pont, sur les marchés. En cas de refus, on recourait à la force. Ces pirates étaient souvent des flibustiers, dont les terres étaient proches de la mer intérieure ou des rives du Kyûshû, la grande île du Sud. Souvent il n’y avait pas de claire distinction entre la piraterie et le commerce légal et la plupart des seigneurs guerriers de l’Ouest avaient des intérêts dans le trafic maritime. Face à cette piraterie endémique, le shôgunat de Kamakura créa des patrouilles de mer, suigin, qui garantissaient la sécurité des lignes commerciales des navires marchands jusqu’à la Chine des Song. Mais cette piraterie cessa avec la période des invasions mongoles car le shôgun stationna des troupes dans l’île de Kyûshû au sud de l’archipel, point stratégique en ce contexte tendu et utilisa nombre de marins à des fins de transport de troupes ou dans l’attaque des envahisseurs mongols. Après l’échec de ces invasions en 1281, ces territoires délaissés et les marins désoeuvrés, la piraterie y reprit de plus belle. Le nombre de pirates se multiplia et ils jouèrent un rôle important dans la guerre entre les deux cours, rendant notamment de précieux services aux commandants de l’armée de Go Daigo, l’empereur de la cour du Sud, lors du schisme impérial qui dura jusqu’en 1392. Les pirates qui ne participaient pas à la guerre s’aventurèrent aussi au large et pillèrent systématiquement les côtes coréennes puis celles de la Chine avec une première attaque mentionnée en 1302.
Les chroniques coréennes disent l’importance de ces raids : cent navires de pirates japonais wakô attaquèrent les côtes méridionales de la péninsule en 1350 et revinrent encore quatre fois la même année. Les raids se firent incessants avec des centaines de bateaux et des milliers d’hommes à bord. Objectif : le pillage des greniers, des produits de récoltes, des redevances paysannes, via l’attaque des navires coréens. Les wakô s’emparèrent des populations locales, les ramenèrent en esclaves au Japon ou en tirèrent rançon.
Devant l’épuisement des ressources côtières, tels les Vikings qui remontaient la Seine et brûlèrent Paris - les wakô s’enfoncèrent à l’intérieur des terres. C’était des opérations militaires qui engageaient des centaines de cavaliers et des milliers d’hommes à pied. Face aux ravages opérés, certains Coréens n’avaient d’autre voie que de rejoindre ces pirates. Les équipages d’abord formés de Japonais se recomposèrent par intégration de Coréens puis de Chinois. Dès 1361, le roi Kongmingwang envoya à Tsushima une première ambassade afin d’obtenir l’aide du Japon pour faire cesser les pillages, puis plusieurs autres missions, mais en vain. En dépit de certaines victoires, notamment celle du général coréen Yi Songgye qui captura plus de 1.600 chevaux en 1380, la piraterie ne cessa pas. Ce même Yi Songgye prit le pouvoir, fonda une nouvelle dynastie en 1392 et s’empressa d’adresser une lettre personnelle à Ashikaga Yoshimitsu pour juguler la piraterie japonaise. Cette correspondance permit aux deux pays de renouer leurs relations après les tentatives d’invasions mongoles qui avaient pris la Corée pour base arrière. Yi Songgye réorganisa l’armée navale, fortifia les défenses côtières, accorda des faveurs aux pirates japonais. En récompense de leur soumission et en échange de la cessation des raids qui menaçaient l‘économie du royaume, ils étaient vêtus, nourris, logés, pourvus de terres, de fonctions à la cour, de privilèges commerciaux. Mais la piraterie ne cessa pas. En 1419, une force armée coréenne attaqua l’île de Tsushima, base arrière des pirates - incident connu dans l’histoire japonaise sous le nom d’« invasion des étrangers sous l’ère Oei » (Oei no gaikô).
Outre la Corée, les wakô se tournent vers la riche Chine des Ming. Entre le Japon et la Chine, les relations diplomatiques et le commerce avaient repris au lendemain des tentatives d’invasion mongoles. Les pirates se jetèrent sur les côtes. Les messages envoyés à la cour du Japon, tel celui de l‘empereur Ming en 1370, insistaient sur les avantages de liens pacifiques et les dangers de la poursuite de la piraterie japonaise. On y mesure à quel point le gouvernement chinois tenait à nouer un accord avec le Japon pour résoudre le problème. Cette piraterie japonaise comptait parmi elle maint Chinois au fait de la topographie côtière de la Chine. Certaines populations du sud et de l’est chinois, habitués à la pêche et à la navigation, écrasées par les taxes de l’empire Ming, avaient rejoint les wakô pour sortir de leur misère et étaient devenus majoritaires dans les équipages qui, ainsi formés de Japonais du Kyûshû, d’Izumi (près d’Osaka), de Coréens, de Chinois, devinrent internationaux. Les relations entre Japon et Chine n’étaient pas toujours au beau fixe, loin s’en faut, de sorte que leur cessation obligea notamment l’empereur Ming à limiter le trafic des navires chinois et à envisager le retrait forcé des populations côtières à l’intérieur des terres, là où les razzias ne seraient plus à craindre. En fait, la faute en revenait en partie aux Chinois, parfois hostiles au commerce étranger que le Japon souhaitait développer, mais le Bakufu, pas toujours convaincu non plus des desseins pacifiques de la Chine, ne s’empressait guère d’éradiquer la piraterie, tenant un peu ces wakô comme Elisabeth Ière tenait Francis Drake, tantôt pour des flibustiers, tantôt pour des capitaines de marine sur qui s’appuyer en cas de guerres ou d’escarmouches.
En 1400, lorsque Yoshimitsu assit quelque peu son pouvoir au Japon, il s’attaqua aussitôt à la piraterie dans l’archipel et au-delà, ordonnant aux commissaires des provinces de l’Ouest de punir sévèrement tout acte de pillage. Il ne manqua pas d’envoyer des expéditions contre leurs bases dans les îles d’Iki et de Tsushima. Les Japonais s’engagèrent à éliminer la piraterie, et les Chinois en contrepartie à leur faciliter le commerce, à légaliser un échange indépendant du système du tribut.
Cela en dit encore long sur les dégâts causés par les pirates en Chine. Avec ces nouvelles dispositions diplomatiques, les pirates faits prisonniers par le Japon furent envoyés en cadeaux à l’empereur de Chine, puis renvoyés au Japon où on les bouillit vifs. Dans un rescrit de 1406, l’empereur de Chine Yongle reconnut avec gratitude l’efficacité des mesures de Yoshimitsu. La piraterie ne disparut pas pour autant, tant elle était profitable. Elle s’accéléra même au XVIe siècle, sans doute à la suite des guerres civiles incessantes (sengoku jidai) dans l’archipel qui eurent pour corollaire le délitement de l’autorité centrale et, dans ces temps très durs, l’accroissement du nombre de déracinés et de marginaux. À cette époque les puissantes flottes de pirates, avec des équipages parfois à dominante chinoise, pillèrent régulièrement des villes comme Shanghai et remontaient le cours du Yangtsé. En 1563, les wakô mirent à sac Nankin sans tenir compte des châtiments encourus ni des traités diplomatiques et économiques bilatéraux entre les deux pays, dont ils ne concevaient d’ailleurs même pas l’idée. L’île de Taiwan devint à cette époque une grande base d’opération des pirates. Lorsque les premiers missionnaires Jésuites s’installèrent en Chine du Sud en 1583, les côtes chinoises étaient étroitement surveillées surtout à cause des risques permanents de piraterie et du souvenir qu’on gardait des terribles incursions des pirates sino-japonais du milieu du XVIe siècle.
Vers la fin du XVIe siècle, des flibustiers portugais rejoignirent même les rangs des wakô, lesquels passèrent alors de la piraterie à des activités marchandes tout à fait légales. Contrairement aux périodes précédentes, il s’agissait maintenant de commercialiser le butin de soie, d’objets d’art, de monnaie etc. Les pirates empruntaient donc les mêmes routes de commerce que les bateaux affrétés par les marchands qui souvent s’alliaient à eux : désormais les pirates s’aventuraient sur les routes de commerce, vers l’Asie du Sud-est, en longeant les côtes de la Thaïlande et du Vietnam.
C’est finalement Hideyoshi, le deuxième des grands unificateurs de l’archipel, qui porta par deux mesures un coup fatal à la piraterie. D’abord la confiscation des armes (hataganari, « la chasse aux sabres » en 1588) des paysans et des daimyôs (seigneurs féodaux), dont la loyauté était remise en cause par Hideyoshi. Puis l’interdiction faite aux daimyôs d’avoir aucune relation avec les wakô sous peine de la confiscation de leur han (fief). L’arrivée des Portugais à Macao joua également contre les wakô. En effet, Portugais et Chinois s’entendirent pour les éradiquer : un document de 1564 parle d’une attaque conjointe dans le delta des perles. Dans son rêve de stabilité et d’unité, Hideyoshi ne pouvait laisser planer sur les mers et les terres cette insécurité due à des pirates qui échapperaient à son contrôle. Sans armes donc, sans relais politique, les wakô se trouvèrent rapidement en difficulté. Certains revinrent alors à des activités légales, tandis que d’autres se mirent au service de souverains étrangers, jusqu’en Birmanie. La chape de plomb qui, après la victoire de Sekigahara en 1600, s’abattit sur l’archipel avec la dictature militaire des Tokugawa, signa la fin de la piraterie à partir des bases japonaises.
Longtemps sous-estimée dans l’historiographie, la piraterie compta sans doute bien plus que la mer et l’insularité comme l’un des vecteurs de l’isolement de l’archipel : une vraie frontière en somme. [1] Un isolement que les Tokugawa, qui mirent fin à cette piraterie, remplacèrent par la fermeture de l’archipel (sakoku) durant près de 250 ans. Elle fut aussi l’une des causes des mauvaises relations endémiques que le Japon entretint avec la Corée et la Chine et qui allaient se poursuivre tout au long de l’histoire.