Commentant une nouvelle photographie censée représenter Rimbaud à Aden sur le perron d’un hôtel, Jean-Jacques Lefrère qui l’a examinée affirme qu’il s’agit bien de l’auteur du Bateau ivre. Quels sont ses arguments ?
Comme il a mis en ligne ses commentaires il est aisé de les consulter. On les trouve à cette adresse, Jean-Jacques Lefrère nous dit notamment :
« La photographie montre à l’évidence des habitués du lieu, appartenant au premier cercle des relations de Suel dans la ville. Or, la minuscule communauté française d’Aden n’excédait pas la quinzaine de personnes, dont les noms nous sont connus par leurs correspondances de cette époque. »
Que Rimbaud connaisse l’Hôtel de l’Univers à Aden et son patron M. Suel, c’est un fait. Mais peut-on prétendre que cette photographie représente une partie des personnes qui constituaient la minuscule communauté française d’Aden ? On ne sait rien des personnes qui entourent « Rimbaud ». Il faut savoir qu’Aden était une étape obligatoire sur la route du canal de Suez pour les bateaux qui se rechargeaient en charbon. Les Anglais avaient ce monopole et les Français ne possédaient pas encore Djibouti. Dès lors, l’Hôtel de l’Univers recevait un grand nombre de voyageurs. Rien ne permet d’affirmer que les personnages représentés soient les Français résidents à Aden. C’est déjà un premier point.
Pour ce qui est de la ressemblance M. Lefrère précise :
« S’il ne s’agit pas de Rimbaud sur la photographie, il faut que ce soit un compatriote évoluant comme lui dans l’Aden des années 1880, dans l’entourage de Suel et de Bardey. Un compatriote qui lui ressemblerait, trait pour trait, comme un quasi jumeau, et aurait une allure aussi particulière que la sienne »
Lorsque que M. Lefrère avait identifié Rimbaud dans une autre photographie prise à Aden qui a été révélée il y a quelques années, il employa exactement les mêmes arguments dans sa biographie de Rimbaud :
« S’il ne s’agit pas de lui, c’est en tout cas le sosie du Rimbaud qui apparaît sur le plus net des trois autoportraits photographiques pris à Harrar en 1883 : même posture, même carrure, même implantation de chevelure, et par-dessus tout, même expression dure et fermée [...] »( A.R. p.856)
Le problème, ce coup-ci, est que la comparaison qui s’impose avec le portrait de 1883 ne marche plus : jugez d’ailleurs en observant les deux portraits ci-dessous. Que devient ici l’argument donné comme le plus important : « par-dessus tout, même expression dure et fermée » ?
Le portrait de droite est l’autoportrait authentique décrit par Rimbaud lui-même dans sa correspondance et retrouvé dans les archives de sa famille. Que dire de l’expression du pseudo Rimbaud située à gauche ? A coup sûr elle n’est ni dure ni fermée. Alors Monsieur Lefrère qui se rend compte qu’il ne vaut mieux pas rapprocher ces deux portraits aura recours à une comparaison avec la seconde photographie de Carjat où Rimbaud paraît très jeune. Bien entendu, la comparaison avec deux portraits à des âges très différents est discutable. Néanmoins, Jean-Jacques Lefrère en déduit que le Rimbaud du portrait nouvellement présenté est un quasi jumeau du portrait de Rimbaud (lequel ?) et qu’il a la même allure. Ne serait-il pas plus raisonnable de dire qu’il s’agit, tout au plus, d’un portrait présumé de Rimbaud ?