A l’annonce officielle d’une très mystérieuse menace, la vie de Tara et Patty en Ecosse, de Simon Black en Angleterre et de Sophie à Paris se réorganise. Car tout change de perspective quand la fin se profile pour chacun au même moment. Il s’agit ensuite de croire ou non à l’apocalypse annoncé et si l’on y croit, de choisir ce qu’on fera du temps qui nous en sépare.
Sur ce thème maintes fois exploré, Stéphanie Hochet compose, dans son huitième roman, une polyphonie absolument singulière, tissage fin de ses obsessions, de son appétit pour la langue et la dramaturgie, mais aussi et même surtout, de ses admirations.
Le roman est en effet porté par les ombres bienveillantes d’artistes aimés dont la démarche souvent radicale fascine Hochet, féconde son imaginaire et donne du chien – c’est le cas de le dire – à sa phrase. De chiens, il est question, oui, dans ce roman de quasi-anticipation, élégant et intemporel comme le sont ceux d’un Barjavel ou d’un Bioy Casares. Tara et Patty en élèvent une race particulièrement résistante et féroce, les Dogs, des monstres de cauchemar qui pourtant plieront devant une enfant. Ces chiens-là sont censés nous survivre, idée qui satisfait leurs éleveuses et dit ainsi où peut aller se loger le désir de puissance et de force poussé jusqu’à l’absurde. Tara, la nuit, exerce un autre type de chiennerie : dans une maison bien close et fort sélecte, elle reçoit et malmène à leur très insistante demande des clients hauts placés que la délivrance par la douleur ou l’humiliation – corps et âme corrigés – rend aussi bavards que généreux. Tara la volontaire, l’impitoyable que seule Alice, son amante française miraculeusement retrouvée, adoucit, saura tirer son épingle de ce jeu dangereux. Pendant ce temps, à Londres, Simon Black accueille l’Annonce comme une bénédiction. Il était condamné, le voilà promis au même sort que l’humanité entière. La condamnation est noyée dans l’urgence commune de vivre. Rien d’étonnant, du coup, à ce qu’il fasse La rencontre de sa vie, avec la belle Ecuador au nom tout à la fois belliqueux et ensoleillé, Ecuador ruinée mais portant encore beau, et qui apportera à Simon une réponse à sa quête esthétique et à son infini besoin d’aimer.
Et c’est bien l’amour qui emmène ces pages, qui définit, redéfinit, transcende les quelques existences observées dans un temps compté. L’amour rédemption de Tara pour Alice, l’amour très ordinairement monstre de Sophie pour sa fille Ludivine, l’amour libérateur de Simon pour Ecuador.
Stéphanie Hochet s’était déjà aventurée du côté des désirs troubles et de la cruauté. Jamais auparavant elle n’avait accueilli, avec une jubilation qui se sent à chaque mot, la beauté renversante – dans le sens qu’elle redistribue tout – de la passion amoureuse, sa nécessité.
© Carole Zalberg
Stéphanie Hochet, Les Ephémérides, Rivages, 7 mars 2012.