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Manuel de la fourmi volante 

jeudi 20 septembre 2012, par Eric Antoine, Olivia Cham

Les vaisseaux roulent d’abord un long moment, erratiquement, à des vitesses et selon des directions variables avant de prendre leur envol puis d’atterrir. L’art de la fourmi volante consiste à saisir l’instant propice pour s’embarquer, à résister en vol et à quitter le vaisseau sans se faire écraser par un pied ou une roue.
Repérer le terrain de manœuvres. On le reconnaît à ses étendues planes d’orientations diverses, aux rares accidents.
Vous augmenterez vos chances en marchant seule. Les colonnes de fourmis attisent le désir de précision des roues.
Ne jamais stationner sur une ligne dessinée au sol ou sur une arête vive, qui attirent les vaisseaux au décollage et à l’atterrissage. En règle générale, éviter de suivre une ligne droite à découvert.
Sur les escaliers, se déplacer uniquement au creux des contremarches.
Ne jamais s’aventurer sous ou sur une roue (même immobile), ni à l’intérieur d’un roulement à billes.
Pour embarquer, le plus sûr est de suivre un lacet de chaussure (mais peu traînent au sol). Sur un vaisseau à l’arrêt, bloquez préalablement une roue avec un caillou ou une brindille : vous gagnerez quelques secondes au départ.
En vol, se tenir de préférence dans un œillet ou un ourlet.
L’atterrissage est éprouvant. Dès la décélération, quittez l’embarcation au plus vite, sans relâchement. Rien n’est jamais acquis. Attention aux pieds.
Vigilance et rapidité, audace et témérité sont les principales qualités de la fourmi volante. 

Olivia Cham

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Cliquez sur le diaporama pour le voir plein écran.

P.-S.

Eric Antoine a passé 25 années sur un skateboard et 15 derrière un objectif, souvent dans la rue, à travers le monde, au pied des immeubles, au ras du sol, les planches volant autour de lui, les passants râlant pour protéger leur petite propriété. La photographie de skate est une école de technique, d’adaptation, d’analyse de l’architecture et surtout la gestion d’un instant unique, le 1/ cinq centième de seconde choisi dans une action ultra rapide, le seul clic possible,.
Si l’instant est strict, il reste une multitude d’autres données à contrôler. Chaque étape du procédé photographique est le terrain d’expérimentations articulées autour de techniques analogiques, organiques et rarement numériques. Contrairement aux journalistes sportifs, les photographes de skate ne sont pas uniquement à la recherche du sensationnel mais plutôt dans 
la sublimation d’une pratique. Ils se positionnent comme acteurs au même titre que les pratiquants qu’ils photographient à travers le monde. 

Les médias du skateboard sont exigeants en qualité et en originalité, Les premiers photographes de skate ont adapté des techniques d’autres domaines à leur activité et, si les photographes de skate ne sont pas nombreux, une majorité d’entre eux explorent, depuis les débuts de cette activité, les possibilités de la photographie et expérimentent les formats et les techniques pour des images qui ne dépasseront pourtant jamais le format a4.Ils improvisent de véritables studios de rue, se déplacent en skateboard avec du matériel encombrant et onéreux, et s’accoutument de l’effervescence urbaine. Aujourd’hui même si la praticité du numérique a pris le dessus, il reste encore beaucoup de photographies de skateboard prises en argentique avec des appareils moyen format, la plupart des images exposées ici sont de ce type.
La majorité des photographies de skate sont faites en voyage dans des lieux souvent improbables. Toits d’église, caves, coques de bateaux, chantiers etc. Le photographe de skateboard recherche des lieux surtout pratiquables, photogéniques et si possible exclusifs. Maintes contraintes et critères qui réduisent les possibilités et poussent au voyage, même une grande ville n’a parfois qu’une ou deux options de photos. Certaines villes sont même devenues impraticables, comme Montpellier en France qui a adapté toute l’architecture et le mobilier urbain de la ville pour empêcher la pratique du skateboard. 
Un véritable travail d’investigation prend place les premières heures de chaque voyage, beaucoup de déplacement sont vains. L’oeil naïf du passant lambda ne peut pas reperer ce qui intéresse le skater, ni ce qui empêche sa pratique, ça peut être une petite marche, une rainure, une surface trop molle etc... 

Pour parvenir à ses fins, le skater est souvent amené a modifier un espace, en déplaçant certains éléments, une dalle, un plot, lui donnant ainsi un nouvel usage. il est parfois amené à réparer et construire pour pouvoir pratiquer son activité. Récemment, les villes se sont vues modifiées par des groupes d’ouvriers improvisés qui vont rajouter une courbe contre un mur, un muret au milieu d’un parking ou bien refaire le sol sur une surface trop hasardeuse. De véritables merveilles d’architecture illégales émergent. Le skater ne fait pas que profiter de la ville et ses infrastructures, il se positionne alors lui-même en architecte, indépendant et sans moyen comme à son habitude. 

Le photographe de skate participe souvent à ces activités, souvent pratiquant lui même, il prend part à la vie de la communauté de skaters. 
Pour en revenir à la technique, on peut dire que rares sont les activités sportives où le format carré a été utilisé, il est plutôt courant pour le portrait et l’architecture. 

Tous les efforts fournis par le photographe de skate ne seraient pas nécessaires pour montrer l’action, contrairement au photographe de foot, il n’est pas sur la touche, uniquement spectateur mais il intervient sur l’action directement, il peut parfois modifier l’environnement du spot, attendre ou influencer la lumière, il peut modeler l’image de cette action. Le photographe de skate ne fait pas que documenter, il donne de la vie supplémentaire a un bref moment. Plus la complicité photographe/skater est grande, plus la photo sera élaborée.
Malheureusement, la photographie de skate actuelle a tendance a se diriger vers une recherche de sensationnel et d’immédiat. Le numérique a pris le relais sur les gros sacs à roulette qui portent les lourds moyen format et les nombreux flashs. Brutalement, dans un souci principalement pratique et budgétaire, le grain s’efface, et les images contiennent du bruit ; alors prendre les photographies en argentique apparaît plus comme un souci de conservation, conserver une technique traditionnelle, authentique. Garder ce frisson, ce doute sur la photo à peine prise, conserver cette surprise au moment du développement. gérer les déceptions d’une photo ratée ou d’un éclairage trop violent. Garder cette confiance en soi face à une pratique organique et ne pas plonger tête baissée vers la facilité et le plaisir instantané.
Dans une société de l’immédiat, la patience disparaît, l’excellence et l’exigence deviennent marginales et le plaisir s’efface petit à petit, laissant place à l’envie et l’amertume, nous sommes passés de la pratique créative et intransigeante vers l’immédiateté du numérique et le manque d’individualité dans les images. Le photographe cherche souvent la reconnaissance avant la satisfaction personnelle.
Ici aussi, il est nécessaire de prendre son temps.

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