Bergsveinn Birgisson. La Lettre à Helga. Traduit de l’islandais par Catherine Eyjófsson. Zulma. 2010/2013. 131p.
Un vieil homme répond, beaucoup trop tard, à Helga, l’amour de sa vie - amour déçu, dans une vie gâchée ? La vie d’un éleveur - contrôleur de fourrage, qui aime la fermière d’à côté, mais qui ne parvient pas à assumer cet amour. C’est un beau roman d’amour triste, et c’est un livre qui parle de l’Islande d’aujourd’hui ou presque, apparemment peu différente de celle d’hier. Avec plusieurs choses intéressantes (représentatives ou non) : l’importance de la littérature et de la poésie (combien de références ?), omniprésence de la nature, avec sa beauté et sa dureté (combien d’histoires de morts au-dehors ?). Question de l’identité : rapport aux lieux, enracinement (dois-je quitter ma terre pour vivre mon amour ?). Un très beau livre à mes yeux.
Bill Bryson. Promenons-nous dans les bois. Traduit de l’Anglais (États Unis) par Karine Chaunac. Voyageurs Payot, Avril 2012. 352 pages.
Bill Bryson décide de faire la mythique Appalachian Trail, sentier de 3500 kilomètres de long parcourant l’ensemble des Appalaches du sud au nord. Il se dégote Katz, un comparse encore moins sportif et plus enrobé que lui, et les voilà partis. On découvre que ces petites Appalaches, que les Européens hypnotisés par l’Ouest sauvage méprisent un peu, ne sont pas méprisables ; elles sont vastes, très boisées, parcourues par des ours et autres animaux. Encore plus sauvages dans le nord (le Maine) qu’au sud. Hantées par des tueurs ruraux plus ou moins dérangés (ici se passe l’action du film Délivrance !) – voilà une différence entre les randonnées françaises et américaines semble-t-il. Et beaucoup plus pauvres en magasins que les plus sauvages de nos montagnes, obligeant les marcheurs à se farcir 20 kilos ou plus. Des étangs à traverser à gué, des coups de blues, des rencontres improbables. A peu près aucun paysage – un pays absent littérairement… dommage. Je retiendrai toutefois l’histoire de ces villes désertées parce que posées sur un filon de charbon en combustion permanente… assez hallucinant.
C’est très facile à lire, plutôt plaisant, un peu souriant… mais en aucun cas au point que la quatrième de couv’ (et Robert Redford par la même occasion) voudrait le faire croire. On peut rêver de ce qu’aurait donné cette épopée sous la plume de Gerald Durell…
Coloane Francisco. Le dernier mousse. Points Phébus. 118p. traduit par François Gaudry. 1941/1996.
Un livre tout simple à la gloire d’un vrai navire « qui forma tant de génération de marins chiliens », un grand bateau école à voiles et vapeur, où le petit Alejandro s’embarque clandestinement et apprend le métier de marin lors du dernier voyage du Baquedano. Il part à l’aventure, retrouver la vie de son père mort en mer, et à la recherche de son frère disparu loin au sud. Il découvre des histoires vraies de tempêtes et de baleines dans la nuit, et des histoires fantastiques de navires hantés. Et visite des mers terribles, des canaux du bout du monde… jusqu’à un miraculeux « paradis des loutres » entre montagne, mer et glaciers où je donnerais cher pour aller naviguer !
Un livre tout simple qui m’a tellement bien embarqué… chapeau, l’artiste !
Slobodan Despot. Le miel. NRF, Gallimard. 2013. 126p.
Véra, une drôle d’herboriste fumeuse, sauve plus ou moins un vieil homme puis recueille le récit de son fils, Vesko le Teigneux. Et on se trouve embarqué dans un road trip formidable entre Serbie et Croatie en passant par la Hongrie et la Slovénie, à la recherche du père oublié dans la Krajina reconquise par les Croates. La guerre vue du côté serbe, ce n’est pas habituel comme point de vue, et c’est passionnant, simplement pour savoir que l’on ne sait pas grand-chose. C’est un livre très géographique, qui me renvoie des images fortes (bien que très évanescentes – peu de descriptions) des grises banlieues communistes et des hameaux des montagnes perdues. Et puis c’est une apologie du Miel, produit miraculeux qui soigne, corrompt, ouvre toutes les portes… (même les soldats ont femmes et enfants et sont heureux de leur offrir ce nectar magique). Vraiment très chouette.
Sue Hubbell. Une année à la campagne. Gallimard. Trad. de l’anglais (États-Unis) par Janine Hérisson. Préface de J. M. G. Le Clézio. 252p. 1988/ 1994.
Sue Hubbell, biologiste, décide de partir vivre à la campagne avec son mari ; elle s’installe dans les monts Ozarks, dans le Missouri, où elle devient apicultrice. Elle raconte sa vie et son pays au fil d’une année, dans de courts récits typiquement Nature Writing : le voisin qui ramène un lynx mort, la lutte contre un projet de barrage, les aléas du commerce du miel, les travaux de réfection du toit du chalet, les bêtes grosses et petites qui vivent autour d’elle (serpents, insectes, oiseaux…). C’est facile à lire et agréable ; ça rend admiratif envers ces sacrés américain(e)s qui savent tout faire (biologie, apiculture, charpente, mécanique auto etc. etc.). J’ai tout de même trouvé ça bien factuel et peu littéraire ; Tinker Creeck est d’une autre tenue !
Ramuz C.F. Montée au Grand Saint-Bernard. Séquences. 1931/1990. 44p.
En juillet 1930, Ramuz et trois amis montent en voiture au col du Grand Saint-Bernard, perché à près de 2500 m entre Valais et val d’Aoste italien. Ce court récit, simple et alerte, est assez remarquable à bien des titres. Il raconte un voyage géographique, sur un parcours et dans une région, où l’on passe très vite « de l’Italie au Groenland », des bords du Rhône aux déserts alpins. Il raconte aussi un voyage dans le temps. Le col était un lieu de passage vital et dangereux, où des religieux (et leurs chiens) aidaient les voyageurs en difficulté ; Napoléon y passe vers sa campagne d’Italie ; il est en 1930 le but d’un pèlerinage d’un nouveau genre : l’excursion touristique, avec son lot de vacuité et de ridicule. On rencontre encore dans ces pages d’autres marques du temps, avec une description du voyage en voiture pleine de la fraîcheur de la découverte d’un moyen de déplacement alors merveilleusement moderne (l’auteur compare la force du Rhône et la puissance du moteur…) ; et quelques signes d’un air du temps moins réjouissant (les gardes frontières fascistes interdisent la prise de photographies d’un lieu jugé stratégique). Et c’est enfin un voyage mental, un « pèlerinage » vers le désert de la montagne.
Vaillant John. L’arbre d’or. Vie et mort d’un géant canadien. Les éditions Noir sur Blanc. Traduit par Valérie Legendre. 2006/2014. 333p.
L’histoire de Grant Hadwin, bûcheron surdoué qui décide un jour de sauver les forêts anciennes de Colombie Britannique… en abattant le Golden Spruce, un épicéa de sitka mutant aux aiguilles dorées, apportant une lumière rare dans les pluvieuses îles de la Reine Charlotte. Les haïdas vouent une haine farouche à cet homme qui a détruit leur fétiche. A la veille de son procès, ce justicier-fou part en mer et on ne retrouvera de lui que les débris de son kayak… alors, enfui au fond des bois, ou broyé par ce terrible océan ?
C’est un livre « de journaliste », basé sur un travail d’enquête que l’on devine gigantesque, riche d’anecdotes, de faits édifiants sur la fin des forêts anciennes du nord-ouest, de rebondissements, de suspens… Dommage que cela manque un peu d’âme – la différence entre l’artisanat et l’art ?