Le Département de la Police de Los Angeles frappe d’inculpation de lynchage un manifestant de OWS mollesté pour avoir essayé de libérer sa compagne des mains des policiers, le 16 janvier 2012, lors de la Marche de l’Art du mouvement Occupez Los Angeles.
{} {} {} Ce matin j’ai lu qu’un ardent défenseur du mouvement Occupez Los Angeles avait été arrêté et inculpé de lynchage. Vous pourriez penser que le protestataire Sergio Ballesteros ait attaqué et pendu quelqu’un. Par-dessus tout, la loi anti-lynchage en Californie fut conçue pour protéger du lynchage par des foules constituées en auto-défense des prévenus minoritaires sous la garde de la police. Non pour que la police utilisât la loi qui définit le lynchage comme « s’emparant au moyen d’une émeute de n’importe quelle personne sous la garde légale de n’importe quel agent de la paix », afin d’inculper un activiste non violent du prétendu crime d’essayer d’empêcher un compagnon d’être arrêté.
Je me répands en ironie. D’abord, étant donné l’histoire des relations inter-raciales troubles en Californie du Sud, et l’institutionnalisation à long terme du racisme au fait du Département de la Police de Los Angeles [2], je soupçonne que la ville eut sa part du lynchage aux 19ème et dans la première partie du 20ème siècles, et que cette loi n’eut pratiquement fourni aux victimes aucune protection, parce que la police ne la mit pas en application. En second, étant donné le pacifisme héroïque du Mouvement « Occupez », face à la montée de violence de la police, je doute que n’importe quel flic tenant les manifestants sous sa garde pût légitimement être appelé « agent de la paix ». Finalement, autant que je puisse dire d’après les vidéos [3], les émeutiers c’était la police, pas les manifestants.
Mais alors, de nouveau, est-il vraiment surprenant qu’une loi conçue pour protéger l’opprimé doive connaître son sens retourné, pour être employée à l’encontre de ceux qui se rebellent contre leurs oppresseurs ? Je suis sûr que ce n’est pas une nouvelle pour les gens d’OWS dont le slogan de principe est « nous sommes les 99 % ». Comme la loi contre le lynchage, le 14ème Amendement a été conçu pour aider les esclaves fraîchement libérés. Aujourd’hui, son but principal est cependant perverti pour protéger la "personne" des créatures d’entreprise du 1%.
J’ai écrit ici, au début du mois de novembre : « il n’est pas surprenant qu’OWS soit devenu intolérable pour les autorités que le mouvement refuse de reconnaître. Une telle désignation publique du capitalisme en ennemi public numéro un ne peut pas être approuvée... Si le mouvement persiste et grandit, comme j’espère qu’il le fasse, il est certain que les attaques contre lui vont s’intensifier. »
Cette nouvelle inculpation de crime est la démonstration d’une telle intensification. J’ai bon espoir que la communauté se rallie à la défense de Ballesteros. La police a choisi une cible qu’elle pourrait regretter. Quand Ballesteros n’est pas en train d’occuper Los Angeles il construit des maisons pour « Habitat for Humanity », s’engage comme volontaire de colonies de vacances pour des enfants en Appalachie [4], étudie l’éducation urbaine à UCLA, et rééduque des enfants de la zone de Los Angeles. Seulement convaincre Sergio de culpabilité ne peut pas être le but principal du procureur. Cette inculpation de crime est conçue pour faire peur à ceux qui pourraient s’engager. Néanmoins les tactiques brutales ne semblent pas intimider la famille OWS. J’espère que cette agression aura l’effet inverse et qu’elle attirera encore plus de personnes vers le « mouvement des 99 % ».
À Easthampton, MA, le 20 janvier 2012
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{} Robert Meeropol
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Billie Holliday chante Strange Fruit (pour mémoire) :
Source : Occupy Wall Street Protester Guilty of Lynching ?, Robert Meeropol, Out on a Limb Together Blog. Traduction en français par Louise Desrenards : Un manifestant de Occupez Wall Street coupable de lynchage ?
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Occupy Wall Street, autres articles dans le Blog de la Fondation Rosenberg pour les Enfants.
Adresse de syndication du Feed RSS du Blog de Robert Meeropol dans le site de la Fondation Rosenberg pour les enfants : http://www.rfc.org/blog/feed.
P.-S.
En solidarité pour le mouvement d’occupation Robert Meeropol a fait réaliser en décembre des boutons à l’effigie du 99% et réitère d’en informer pour mémoire ; il sont accessibles chez le fabricant spécialisé dans les objets promotionnels pour les causes progressistes http://donnellycolt.com/ :
C’est le bon moment pour répéter que j’avais fait faire 250 boutons "99 %" en décembre ; 125 me furent expédiés. J’en ai deux ou trois douzaines à gauche que je distribue gratuitement. Le fabricant des boutons, « Donnelly/Colt : ressources promotionnelles progressistes » a réservé les 125 autres, ainsi il peut directement répondre à des commandes. Tous ont le label syndical. Le fabricant ne facturera pas les boutons mais il facturera l’emballage et l’expédition. Ainsi : un bouton, 1 dollar 84 ; deux, 2 dollars 30 ; trois, 2 dollars 76 ; quatre, 3 dollars 22 ; cinq, 4 dollars 41 ; et dix, 6 dollars 38.
Si vous en voulez, vous pouvez vous adresser à : Donnelly/Colt, PO Box 188, Hampton, CT 06247 (téléphone 860-455-9621 & fax 800-553-0006).
L’afiche française du film de Fritz Lang FURIE (Fury)
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Notes
[1] N.dLaRdR :
- AVERTISSEMENT : Cette longue note peut être utile pour comprendre le texte de Robert Meeropol en France, car il contient de nombreux points implicites réputés connus et partagés entre les américains, sur un plan social, historique, et culturel, y compris le passé de l’auteur, à plus forte raison parmi les communautés de progrès et les mouvements en lutte tel OWS — mais pas seulement (à cause du métissage des cultures, et les droits civiques n’étant acquis que depuis la fin du XXè siècle leur histoire se transmet encore). Par contre, les nouvelles générations européennes et particulièrement dans le pays où nous vivons, où l’isolement de notre langue ne permet pas de compenser nos lacunes en lisant le net principalement anglophone, tandis que le vieux fond commun de la culture populaire critique disparaît avec les partis et les syndicats qui le transmettaient sans le dissocier de leurs luttes, ignorent souvent, sauf dans les milieux activistes informés, les références qui habitent les ellipses auxquelles Robert Meeropol nous soumet. D’autant plus que sa fonction exige une réserve mais sans rendre son engagement ambigu, son texte est subtil.
Pour autant, la contextualisation par cette note [1], visant à faire comprendre la complexité historique qui cadre la répression actuelle aux États-Unis, à propos de laquelle Robert Meeropol intervient en termes d’éthique, informe l’histoire et l’actualité selon notre sensibilité et nos interprétations personnelles, qui ne pourraient donc être prêtées aux intentions de l’auteur présenté.
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– Sur le lynchage des Noirs aux USA — jusque dans les années 1960 et même encore au début des années 70. On cite un dernier lynchage en 1981, celui du jeune Michael Donald, étudiant dans une école de commerce et linotypiste à mi-temps pour la Presse, à Mobile (Alabama) ; raflé arbitrairement dans la rue comme otage d’un jugement rendu par le tribunal qui déplaisait au Ku Klux Klan, son lynchage entraîna pour la première fois depuis 1913 la condamnation à mort d’un blanc pour le meurtre d’un noir. Ce fut l’origine d’un jugement central du KKK de l’Alabama suite au procès fait par la mère de la victime, qui se solda par une amende telle qu’elle ruina le Klan pour un temps, après que l’activiste des droits civiques Jesse Jackson fut venu organiser une marche de protestation contre la police locale, et l’intervention du FBI face à l’attentisme policier pour trouver les assassins ; sur les deux assassins, James Knowles et Henry Francis Hayes, seul Hayes fut condamné à mort et finalement exécuté en 1994. Mais le Klan a poursuivi de fonctionner à travers des attentats à la bombe. En 1998 on cite encore le lynchage par Shawn Berry, Lawrence Russell Brewer et John King du jeune handicapé James Byrd, Jr traîné derrière une voiture jusqu’à la mort, meurtre atroce qui sera à l’origine de la loi de prévention des crimes racistes au Texas. La réalité historique du lynchage est telle qu’un miraculé du lynchage de l’Indiana en 1930, ultérieurement devenu activiste des droits civiques, James Cameron, créât en 1988 l’America’s Black Holocaust Museum, à Milwaukee (Wisconsin) — alors âgé de 16 ans il avait été sauvé à la dernière minute grâce à la jeune femme du couple agressé dans sa voiture et dont on retrouva l’homme mort dans une autre rue ; elle-même n’ayant été violée par personne (elle le dira plus tard), indiqua à son oncle que ce petit cireur, connu dans la ville, avait immédiatement fui sans avoir participé à l’agression.
– Après la mort de Cameron, en 2006, le musée atteint par la chute des donations due à la crise financière ferma ses portes en 2008 ; il n’a pas réouvert depuis. Il existe sur Internet un site mémorial de l’iconographie du lynchage : http://withoutsanctuary.org/). Se reporter également au post-scriptum de la rédaction sous l’article de Robert Meeropol Pourquoi la Fondation Rosenberg pour les Enfants, dans La RdR.
– En quoi cela concerne-t-il collectivement et particulièrement Robert Meeropol, au point qu’il s’exprimât le jour même sur le renversement de la loi pénale appliquée à Sergio Ballesteros ?
– Le père adoptif des deux enfants de Ethel et Julius Rosenberg est Abel Meeropol, qui donna son nom à Michael ainsi qu’à Robert pour les protéger socialement. Il est l’auteur de la chanson Strange Fruit contre le lynchage, écrite en 1937 après qu’il ait vu la photo du lynchage du 7 août 1930 à Marion (Indiana), réalisée par Lawrence Beitler (un photographe local), dans laquelle le maire de la ville fut identifié, et auquel des agents de police participèrent, après qu’un groupe d’auto-défense se soit emparé des victimes, au commissariat. La photo fut largement reproduite aux États-Unis y compris en format de carte postale (comme d’autres photos de lynchage), durant les années suivantes.
La chanson fut reprise par Bilie Holliday, qui en 1939 l’enregistra pour en faire un disque immédiatement vendu à des milliers d’exemplaires, la rendant célèbre avec elle, et elle la chanta rituellement à la fin de tous ses concerts, pour combattre ces meurtres atroces qui frappaient majoritairement les noirs.
– Le lynchage existait également contre des blancs dans les États qui ne connaissaient pas ou presque pas la population afro-américaine, et les marginaux ou les itinérants tels les hobos en furent aussi les victimes. Mais ce sont surtout les lynchages des syndicalistes par des agents de l’agence Pinkerton, par des membres du Ku Kuw Klan, ou par des policiers dans les prisons mêmes, aux ordres des entreprises ou des maires et couverts par des procureurs, qui dominent l’histoire du lynchage des blancs, dans un pays où le syndicalisme révolutionnaire anarchiste et communiste fédéré par le IWW (Industrial Workers of the World) affilié à la première internationale et à l’internationale des travailleurs, compta de nombreux assassinés, de différentes façons (parfois condamnés à mort dans le cadre de procès truqués ou de fausses accusations) avant d’être interdit. Parmi les lynchés on cite les wobblies (permanents ou itinérants du IWW), tels Franck Little le leader de la grève des mines de cuivre du Montana en 1917, le 1er août, par les membres d’un comité de vigilance local avec des agents de Pinkerton, et le 11 novembre 1919, et Wesley Everest (livré par les gardiens de prison aux lyncheurs puis remis mort dans sa cellule), militant anarchiste internationaliste et vétéran de la première guerre mondiale qui avait fait un service local comme objecteur de conscience.
– Cette sorte de justice violente et déviante était tellement tolérée, et pas seulement dans les États où le KKK avançait masqué, que le cinéaste allemand, Fritz Lang, arrivant dans ce pays en 1934 après un bref séjour en France, pour fuir l’Allemagne nazi — le succès de son film M. Le Maudit contre les tribunaux populaires et les manipulateurs d’opinion lui ayant étrangement valu que Goebbels lui proposât de diriger le cinéma d’Hitler, — fut horrifié de découvrir les ravages de la justice populaire dans la plus grande démocratie du monde. Trop souvent, dans les petites villes ou les villes moyennes, les habitants se livraient à trouver des boucs émissaires de la délinquance en pleine crise économique pour les torturer, battre, lacérer, mutiler ou plus spécifiquement castrer, brûler, avant finalement de les pendre aux branches des arbres, ou encore d’attacher ces victimes vivantes en suspension contre des troncs, pour les brûler. Après cet accomplissement radical du racisme contre les noirs les flambeurs communiquaient le plus largement possible les images de leurs exploits. Aussi, il n’est pas surprenant que le premier film américain de Fritz Lang fût un réquisitoire contre le lynchage d’un blanc ; il n’aurait pu le consacrer au lynchage d’un noir, à cause du racisme en vigueur dans la société américaine et les noirs étant mis à l’écart dans l’industrie hollywoodienne de l’époque ; mais le principe même du lynchage était ainsi dénoncé. Ce film s’intitule : Fury, (1936).
– Ce qui vient de se produire à Los Angeles, le retournement de la loi contre un manifestant désarmé cherchant à secourir une compagne battue par la police, est à l’acte même de la justice (élue) un révisionnisme institutionnel de la criminalité collective des meurtres populaires commis aux États-Unis et en Californie, censés être empêchés et/ou réprimés par cette sorte de loi. Que celle-ci advienne soudain en lynchage judiciaire, par la décision d’un procureur à la demande de la police, dénote plus qu’une infamie, une menace consommée de la démocratie de droit, qui se manifeste arbitrairement contre un citoyen isolé, dans un négationnisme de l’histoire sociale violente et raciste contextuelle, à l’acte de la loi. Ce qui dénote un basculement néo-fasciste des institutions chargées de faire appliquer les droits.
– Les lynchages n’étaient pas toujours le fait d’émeutiers arrachant leurs victimes à la police, bien au contraire, dans certaines conditions, un lynchage pouvait être le résultat d’une capture à l’air libre et prendre l’aspect d’une foire publique, avec des habitants endimanchés en bonne société, en présence des femmes et des enfants — les documents photographiques en attestent, et on y découvre des notables et des policiers parties prenantes dans l’assemblée ou parmi les protagonistes du lynchage, et des gens souriants, comme dans la photo prise à Marion. Parfois le lynchage avait lieu du fait de la police dans la prison même, puis maquillé en meurtre à l’extérieur.
– Il est aussi utile de savoir que très peu d’États ont directement légiféré contre le lynchage, et que jamais le Congrès n’a pu se mettre d’accord pour édicter un interdit fédéral. C’est-à dire qu’il n’existe toujours pas de loi fédérale anti-lynchage aux USA de nos jours.
– En convoquant le fond de référence populaire des crimes du racisme, toujours actif parmi les larges masses américaines, Susan Sontag fit une lecture des tortures d’Abu Graïb sous l’éclairage du lynchage aux États-Unis, notamment l’obscénité du spectacle photographique, étant la coutume de les photographier pour les contempler, les immortaliser, élargir la portée publique de l’exploit raciste. Ce fut son dernier réquisitoire politique, accablant pour les États-Unis (et subséquemment pour le monde occidental voyeur), à propos des images publiques de la cruauté : Regarding the Torture of Others. L’essai publié dans The New York Times du 23 mai 2004 sera inclus dans le dernier livre de l’auteur, Regarding the Pain of Others, publié juste avant sa mort en décembre 2004.
– En 1965, Bob Dylan créa une chanson critique des classes moyennes qui commence par deux versets explicites sur les cartes postales du lynchage, et les suivants sur les émeutes et leur répression ; c’est la première strophe, elle introduit le reste à l’avenant. Après avoir été appréciée par malentendu dans son propre pays, elle finit par y faire scandale ; c’est Desolation Row. L’ensemble est dédié aux pauvres, à l’isolement social, et à leurs conséquences ; l’auteur y évoque la misère et la violence urbaines, en dénonçant l’exclusion et la folie meurtrière de la population majoritaire officielle, et de ses gardiens. De nos jours Bob Dylan poursuit de la chanter au cours de ses tournées. Voici cette première strophe, extraite de bobdylan.com/songs/) :
– - - - -
– They’re selling postcards of the hanging
They’re painting the passports brown
The beauty parlor is filled with sailors
The circus is in town
Here comes the blind commissioner
They’ve got him in a trance
One hand is tied to the tight-rope walker
The other is in his pants
And the riot squad they’re restless
They need somewhere to go
As Lady and I look out tonight
From Desolation Row
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– " Ils vendent les cartes postales de la pendaison / Ils peignent les passeports avec du brun / Le salon de beauté est rempli de marins / Le cirque est en ville / Voici le commissaire aveugle / Ils l’ont mis en transe / Une main liée au danseur de corde / L’autre dans son pantalon / Et la brigade anti-émeute s’agite / Elle doit aller quelque part / Ainsi la vierge et moi nous nous cherchons ce soir / depuis la querelle de la Désolation ".
– - - - -
– Lorsque Dylan donna la première interprétation publique de Desolation Row, c’était au Forest Hills Stadium de New York, le 28 août 1965, et le public eut un comportement surprenant, ne cessant de s’esclaffer et de rire en applaudissant, comme s’il s’enthousiasmait pour une performance comique, se méprenant sur le sens tragique et critique des versets.
Pourtant, Malcolm X venait d’être assassiné en plein Manhattan (le 21 février), les émeutes sanglantes de Watts venaient d’avoir lieu à Los Angeles (à peine plus d’une semaine avant) — 6 jours de combats et de répression violents : 35 morts, 1100 blessés, et 35 millions de dollars de dégâts matériels, — et à New York encore, l’année précédente, une émeute déclarée dans le quartier de Harlem avait débordé vers Brooklyn, après qu’un jeune noir eût été assassiné par un policier blanc qui n’était pas en service... Depuis un an, c’était à Selma (Alabama), le Dimanche sanglant, puis, après une manifestation victorieuse le 21 mars 1965, l’assassinat par le KKK de la militante blanche des droits civiques Viola Liuzzo qui était venue de Detroit pour défiler avec les marcheurs noirs, tandis qu’elle en reconduisait quelques en voiture, après la démonstration ; et si le président Johnson avait pris la parole à la télévision pour annoncer que les coupables étaient arrêtés, puis signé le Voting Act avec les leaders des minorités le 6 août, la résolution de la pauvreté restait à promettre le plus mauvais jour de l’homme au discours du Lincoln Memorial, I have a dream, qui avait singulièrement marqué la marche sur Washington pour le travail et les libertés, le 28 août 1963.
–Desolation Row ne tardera pas à être comprise à la fois dans sa beauté poétique et dans son engagement critique, en pleine flambée des révoltes dans les quartiers pauvres des villes industrielles, dont celle de Detroit en 1967 restera un sommet de violence politique (voir dans le site rebellyon.info une recension des émeutes à partir de 1964), en plein déploiement de la guerre du Viet Nam, en pleine politisation du mouvement afro-américain avec le Black Power, au terme des brimades et des meurtres subis en dépit de la conquête citoyenne du vote, et en 1968, au moment de la grève pacifique des éboueurs de Memphis réclamant leur juste droit au long de plusieurs semaines de block out, quand Martin Luther King, l’apôtre de la non violence en personne, venu les soutenir alors qu’il avait lancé quelques mois auparavant La campagne des pauvres gens, sera assassiné dans cette ville même, le 4 avril, par le FBI craignant une renaissance sociale du syndicalisme de classe aux USA.
– Il existe une œuvre encadrée d’un tirage argentique de la photographie de Lawrence Beitler, avec une mèche de cheveux d’un des lynchés coincée sous le verre à gauche, sans doute celui attribuable à l’homme qui regarde l’objectif pointant le doigt sur l’un des pendus pour en revendiquer le meurtre, si l’on en croit l’annotation d’un membre du Klan de Joplin (Missouri), sur la marie-louise qui centre la photo : « Bo, désignant son nègre »
– En janvier 2012, Michelle Obama dans une réaction d’indépendance personnelle intervint à la télévision (sur CBS) et dans la Presse américaine contre un article et un ouvrage de Jodi Kantor, The Obamas ; journaliste du New York Times, l’auteur n’avait pas rencontré le couple présidentiel en dépit qu’il fut la source de ses propos cités par d’autres, et par conséquent la journaliste se fondait sur des rumeurs d’initiés, pas sur des preuves. Michelle O. voulut se défendre d’être « une femme noire en colère », dominant son époux et s’imposant dans les meetings politiques de la Maison Blanche, au point de s’être opposée à d’anciens membres du Département d’État qui finalement avaient été remplacés. D’abord, de notoriété publique, avant même qu’Obama fut élu, elle était de ses consultants partisans, politisée, en même temps qu’avocate d’affaire chevronnée, maîtrisant les dossiers, et d’ailleurs plus diplômée que lui ; ensuite, ce qui justifia cette intervention fut la conséquence de l’attaque centrée sur un clin d’œil complice entre hommes noirs machistes sur le matriarcat des femmes noires, plaisanterie infra-communautaire qu’aurait utilisée à son propos son mari. Or cette petite phrase détournée de son intimité afin d’en juger, par la journaliste blanche en mal de scoop, rendit l’allégation publiée éminemment raciste, dans une Amérique moyenne l’étant encore globalement, en outre d’être misogyne, et en outre d’être partie prenante d’une tendance de la Maison blanche voulant mettre à distance l’épouse présidentielle en partenaire de centre gauche, par rapport à des dossiers politiques sensibles (Israël et la Palestine, la communication, la pauvreté, l’avortement, etc.), en pleine période électorale d’un second mandat. Michelle Obama pour sa défense recourut à des phrases clé du genre « je sais qu’en tant que femme noire ma tâche d’épouse présidentielle demande que je sois plus exemplaire que toute autre », ou encore « j’essaie simplement que mes filles sortent indemnes de cette expérience ». Elle savait bien à quel monde elle s’adressait, et aussi que son mari, au moins, est un homme (l’attaquer en tant que noir ne pouvait donc se faire qu’à travers sa femme). Cela nous renvoie au milieu du siècle dernier, au commencement de la guerre froide...
– Mettre femme juive communiste à la place de femme noire fait basculer dans un effroyable retour en arrière : Ethel Rosenberg fut maltraitée dans la Presse de son temps, comme par les procureurs, les jurés, et le président des États-Unis lui-même, dans un effet de misogynie cumulée avec un antisémitisme populaire rampant et inavouable, après les camps nazis, et visant à discréditer l’internationalisme communiste par le biais d’une xénophobie patriotique à l’égide de l’exploit sacrificiel des soldats américains qui avaient débarqué en force majeure des alliés en Normandie, y mourant par milliers, pour sauver l’Europe. Afin de manipuler l’opinion américaine, pour justifier l’inculpation d’espionnage d’Ethel fondée sur des faux témoignages, elle fut publiquement accablée d’être le "mentor" de son mari, redoublée d’une "mauvaise mère" (un comble d’infamie pour une femme juive généralement considérée comme une mère abusive), et enfin, sous la plume du président Eisenhower lui-même, écrivant à son propre fils en Corée, comme « ménagère », auquel titre il ne l’avait pas graciée, car (je paraphrase) : cela aurait donné aux soviétiques un exemple d’ingérence facile, au-dessus de tout soupçon, concernant leurs futurs recrues pour le renseignement...
– Lorsque Sam Roberts, l’auteur du livre The Brother, enquêta sur David Greenglass, le frère d’Ethel qui accusa sa sœur et dénonça son beau-frère pour se sauver et sauver sa propre épouse, (le couple Greenglass étant à lui seul le double protagoniste des faits reprochés aux autres), l’ancien secrétaire de la Maison Blanche lui déclara qu’ils n’avaient pas eu l’intention d’exécuter les Rosenberg, car ils savaient que les dépositions des témoins à charge ne tenaient pas ; Roberts insista — alors, pourquoi les avaient-ils exécutés finalement, où était l’erreur ? — et le secrétaire général répondit : « Parce qu’Ethel n’a pas voulu croire à notre coup de bluff ! » Ce qui laissa le journaliste perplexe quant à la démonstration exemplaire d’une double exécution, jugée dans un procès civil représentatif de la justice américaine. On en sait davantage aujourd’hui, notamment après la publication des actes du Grand Jury en 2008, après celle du projet VENONA pour décoder le renseignement — d’abord nazi, puis soviétique — en 1995 (et pourrait-il avoir été désinformé par les services secret tant de l’est que de l’ouest, on poursuit d’y référer), après celle des archives soviétiques secrètes et scientifiques, et de quelques déclarations et ouvrages des responsables de ces services (Boris V. Brokhovich en 1989, Alexander Feklisov en 2008 — si crédible aux USA qu’il fut l’intermédiaire soviétique grâce auquel l’affaire des missiles à Cuba put être désamorcée avec les Kennedy, et d’autres), et par leurs recoupements, qu’Ethel n’était pas une espionne, et que le réseau de renseignement de Julius ne concernait pas l’espionnage de l’atome. De surcroît, peu avant les faits incriminés, Julius avait été mis à l’écart par le chef du renseignement soviétique aux États-Unis, le jugeant trop surveillé par le FBI, après qu’il fut licencié par l’entreprise d’équipements militaires où il était ingénieur. Enfin, le Grand Jury des Rosenberg eut lieu en 1950, au commencement de la guerre froide, pour des faits remontant à la fin de la deuxième guerre mondiale, quand les soviétiques étaient encore des alliés des États-Unis (durant l’année 1945).
– On peut conclure au grand dam de l’historien français Kaspi, qui publia en 2008 un livre désinformé dans ses conclusions, car écrit avant la publication ou au déni des actes du Grand Jury publiés trop tard par rapport à la sortie du livre la même année, que si Ethel fut délibérément envoyée innocente à la chaise électrique, Julius y fut délibérément envoyé pour des actes qu’il n’avait pas commis — les siens n’auraient du lui valoir que la prison, dans les pires conditions historiques du jugement, mais en tout état de cause ils n’étaient pas connus au moment du jugement...
Ils furent inculpés pour " Conspiration d’espionnage pour transmettre des secrets atomiques à l’URSS ", autant dire si les preuves réelles des actes censés justifier leur condamnation étaient inexistantes dans le dossier. Alors, l’idée que nous nous trouvions face à une forme spécifique, nationale, du lynchage, ne peut manquer de surgir à l’esprit. Quand Robert Meeropol dans un autre article s’alerte sur l’accusation de "conspiration d’espionnage" attribuée à Julian Assange pour Wikileaks, il sait mieux que tout autre, encore une fois, de quoi il parle.
– Pour mémoire, le journaliste et militant afro-américain Mumia Abu-Jamal, arbitrairement accusé du crime du policier Daniel Faulkner, le 9 décembre 1981, a connu sa condamnation à mort — dont les irrégularités de l’enquête ont finalement pu être prouvées — injustement commuée en peine de prison à perpétuité, confirmée par le Tribunal suprême en 2011. Son cas soulevant le problème de la peine de mort avait convoqué une mobilisation internationale contre la peine de mort, dans les mouvements associatifs communistes, et notamment en France, du mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples.
– Le cœur d’Ethel résista aux décharges électriques, les bourreaux s’y reprirent à trois fois.
– Ce seraient toujours les mêmes protocoles institutionnels virant au délire, quand l’enjeu de la guerre de domination internationale devient l’axe essentiel du pouvoir comme celui national d’empêcher la montée progressiste des protestataires et des pauvres, et ce serait plus fort que tout, peut-être une fois encore aujourd’hui. Rien n’aurait changé dans les ressources profondes de l’exclusion à n’importe quel prix face aux crises, où certains États maintiennent encore la peine capitale au déni que des exécutés n’aient cessé de clamer leur innocence jusqu’à leur mort, même à savoir que la plupart de ceux qui clamèrent d’être innocents l’étaient vraiment. Tels le cas d’Ethel Rosenberg, et celui de son mari, qui en révèlent d’autres...
La loi ne fait pas dans le détail dans la plupart des pays du grand État. Et dans les autres, il semble que la loi elle-même puisse être manipulée pour arranger le pouvoir local, et les faux témoins à charge n’attendent qu’à être inspirés par la police selon le moment, comme en 1950. Et pourquoi pas, on le voit pour Ballesteros, la police elle-même comme faux témoin (on connaît cela ici) inspirée par le procureur (on ne connaît pas encore cela ici excepté dans des périodes de dictature ou de collaboration). Attendons de voir si le procureur maintiendra l’inculpation après ses premières investigations, pour comprendre d’où vient la faute.
– Les inculpations de conspiration, de lynchage, requis contre des activistes progressistes sont des signes qui ne prédisent pas la meilleure histoire des États-Unis ni aujourd’hui de celle qu’ils appliquent au reste du monde.
– (L.D.)
[2] Robert Meeropol évoque probablement les abus répressifs notoires sur des noirs et d’autres gens de couleur pouvant aller jusqu’au meurtre commis individuellement par des policiers du LAPD lors de tournées de routine, dans un récent passé, mais encore les exactions racistes provoquant des émeutes telles les grandes émeutes de Watts en 1965, déclenchées par des violences policières au moment où les noirs commençaient à obtenir le droit de vote dans plusieurs États, et plus récemment celles de 1992, déclenchées par une défaillance judiciaire après le passage à tabac (filmé par un habitant depuis chez lui) d’un automobiliste noir attrapé après un excès de vitesse par une brigade de policiers qui furent acquittés, et qui feront 50 morts et 2 300 blessés ainsi que des dégâts matériels n’ayant rien à envier à ceux causés par un bombardement sur un quartier — finalement les policiers rejugés l’année suivante par un tribunal fédéral seront condamnés à 30 mois de prison.
[4] Appalachie — Appalachia — est le nom culturel donné à une région à l’est des USA qui traverse plusieurs États entre New York et le Mississippi ; ce n’est pas la région des montagnes Appalache partagées plus au nord entre le Canada et l’Alabama.
Merci de nous rappeler ou de nous faire prendre conscience dans cet article, ses notes et ses liens des étranges répétitions où les processus s’inversant en viennent à détruire ce qu’ils sont censés protéger.
"Strange fruit" de Billie Holiday permet de recontextualiser d’une drôle de façon ce qui s’est passé à Occupy Los Angeles...
Semper eadem sed aliter
A propos de Dylan, tout le monde aura également songé au destin surprenant de sa chanson Hurricane (paroles ici : http://www.bobdylan-fr.com/trad/hurricane.html) dont l’(in)exactitude factuelle fut sujette à polémique (Dylan dut réenregistrer la chanson) alors que la vérité d’une situation sociale y éclatait grâce au talent de Dylan — ce qui fut tellement bien compris que Hurricane devint un des single hits de la décennie !