6000 mots
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Photographie en frontispice
de
Emmanuel Holterbach
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PREMIÈRE SÉRIE — Feu et forme
7 poèmes
&
SECONDE SÉRIE — Le proche et le lointain
7 poèmes
6000 mots
1/3
6000 mots - série 2/3
6000 mots - série 3/3
Quand tu es intense le mot jaillit
quand tu dois tâtonner
vers le mot
c’est le mot
qui donne
forme et consistance
à ce dont il est né
Charles Juliet
— PREMIÈRE SÉRIE —
Feu et forme
✩...
1.
FEU ET FORME
Au dos de cette feuille blanche quelques inscriptions apparaissent
S’il fallait suivre ces lignes
écrire, par exemple, sur de tels fils d’ombre
et plier, plier encore le papier
jusqu’à ce que le sens des mots disparaisse dans le noir de l’encre ainsi accumulée
la page ne redeviendrait-elle pas blanche de cette blancheur du noir le plus profond
devenue foyer de matière incandescente avec lequel, désormais, il serait possible de converser ?
2.
FROISSEMENTS
Des herbes nombreuses prises à ces racines
Marée haute, puis basse
allers-retours naturels, présence d’un astre
La danse, le jeu, le chant de tous les froissements
Cycle perpétuel — un principe, certainement
envers lequel nous ne pouvons rien, dont nous dépendons, c’est un fait
Juste mesure, juste respiration.
3.
L’ÉCHARDE, LA FLÈCHE
Cette contradiction sans cesse renouvelée — et toujours à renouveler — de la relance
Née soit d’une flèche lumineuse
soit de cette attention étrangement accordée à la boue
Glaciale, omniprésente
Qui elle aussi, c’est un fait, dit tout du monde.
4.
SANS FORME
Allongé, toute une nuit — éveillé, endormi ?
5.
MORT DU SUJET
La grammaire, évitée (depuis longtemps)
incomprise, mal apprise
— jugée — inutile ; car inutile en effet lorsqu’elle ne sert que des recettes
inutile lorsque parler ne veut rien dire de vrai
Une mouche se pose sur la page
la papier vibre et rebondit — pour autant, est-il vivant ?
Le besoin de peu, l’intime conviction et les fictions obligées
Comment démêler l’exigence de cette immense pelote qui comme dans un piège fait trébucher ?
Je me remémore le visage sec et clair du vieil indien Cherokkee :
— je n’ai pas peur de la mort, disait-il
en regardant le Capitaine droit dans les yeux.
6.
PETIT SINGE
Je me cache au-dessus, je me cache au-dessous
j’ose, je n’ose pas — mais lorsque l’aiguillon se manifeste, je m’en saisis
À cet instant je me relève
Le corps est un stylo, un mot, une tournure, puis il se fond dans la page
et disparaît
La pluie ? Un poème vertical
L’harmonie des lointains — ici se dépose le frémissement de quelques mots exacts (non pas pour leur qualité
mais pour leur venue, une force, le rythme qui bientôt s’impose)
Le petit singe, sur mon dos, est toujours là
Plaisir et jouissance que cette partie de cache-cache avec l’animal
Je me cache, je me découvre, il se cache
Je serai, tout comme lui, celui à découvert, nu, qui n’a pas peur
Ni du verbe ni du sujet.
&
7.
OMBRE BLANCHE DE RYÔKAN
La fatigue impose lentement son rythme
peu à peu elle prend le dessus
Comment les anciens travaillaient-ils, l’âge venant ?
Se courber, se redresser, se courber
respirer, oui, respirer encore, tout simplement
Il parle de l’immensité, il parle de ces envols
de la nature enneigée
de cette danse
Il sait que l’existence, née de rien, est un nuage bientôt absorbé par le ciel d’été
Un orage s’annonce
Au-delà du conflit un autre conflit apparaît — et au-delà ?
La rapidité des saisons
la multiplication des générations et, surtout
ce paradoxe d’être né éveillé
sans cesse rattrapé, cependant, par le filet piégeant des questions posées.
[1]
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✴︎
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— SECONDE SÉRIE —
Le proche et le lointain
✩...
1.
UNE FLAMME
À l’instant de la parole
la parole a lieu
À l’instant du mot, le mot se délivre
Le poème, quant à lui, est une flamme — transitoire au sein du filet des événements
espace neuf, espace vif
destiné à être là (souffle mille têtes)
effacé, enfin
De lui seul quelque chose survient et délivre, encore une fois, l’existence du lieu où nous sommes.
2.
LE ROCHER
Cette insistance d’une forme
qui émerge, en-deçà de toute expérience, à l’orée d’un temps perçu comme fané
Lorsque les sens fléchissent et qu’il devient possible de dire, en respirant tout simplement : le temps n’existe pas.
3.
RAPACE
Vision noire
1.
Lucidité franche, raison lumineuse sur la hanche — et pour quel cheminement ?
Un pas de côté — le simple écart — l’erreur
la fuite en quelque sorte, aucunement cette occasion d’une frontalité immédiate
Mais aussi : lucidité féconde
à rebours
pour dévier, qui sait, la destinée
Avec en main ce paradoxe
Une flèche sans arc.
2.
Immaturité
Peur
Repli sur soi
Préférer l’absurde, préférer telle ou telle ascèse ou choisir, définitivement
ces lumières courbées qui se disséminent sur la page en suivant la saison annoncée
Préférer, finalement — est-ce véritablement un choix ? — n’être rien de précis
écrire sans grammaire, sans vocabulaire
Et donc sans voix
Le voici donc ce fameux labyrinthe de la vision noire.
&
3.
L’œil se ferme
Le rapace est encore là.
4.
LE PROCHE & LE LOINTAIN
La réalité déserte la réalité, la confusion, dès lors, est consommée
Dans cet air tiède, matinal
Une brise dorée venue des montagnes de l’est
Vie, nuit
Plutôt que d’utiliser cette formule extérieure le temps passe
observer et considérer la transformation d’une flamme, gigantesque, au sein d’un brasier encore plus gigantesque
Ne reposant sur rien
Le temps est
et tout simplement est
Au-delà du vertical, de l’horizontal, du proche et du lointain.
5.
NÉCESSITÉ, COMPLEXITÉ
Le simple fait d’être là, cette transparence à soi, un courant profond (substance et fraîcheur)
le tout associé à la diversité des phénomènes, leur fécondité, leur intensité
De tout ça découle, naturellement, cette nécessité complexe
— parfois dangereuse cependant —
du partage
Œuvrer donc, en aucun cas s’exprimer : œuvrer.
6.
NEIGE
1976
Aurore laiteuse, lumière filtrée, toute la nuit il a neigé — le silence matinal, inhabituel, vibre à l’unisson de cette saison haute
Un goût circule dans la bouche, dans tout le corps
un goût animal qui sait qu’une telle transformation du paysage aura une influence
La traque, la chasse, mais surtout le jeu
J’ouvre la fenêtre
Le froid est là, dehors, face à moi, accompagné de cette formidable bourrasque
Une ouverture, une faille — un impact absolument clair
Et ce désir de peu de mots.
&
7.
FANTÔME
La conscience, enfin
lorsqu’elle comprend qu’il est inutile de s’accrocher comme un pou
au fantôme d’existence. [2]
✴︎
Lionel Marchetti - 6000 mots
(2016/2019)
1/3
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