Si la modernité a été portée par l’Histoire, par quoi la postmodernité l’est-elle — qui a pu être définie comme l’ère de la fin des grands récits : Histoire, religions, mythe du Progrès ?
Il y a plus d’un siècle, Friedrich Nietzsche avançait au bord de l’abîme temporel de l’éternel retour et y sombrait.
La dimension spatiale — ou topologique — de la pensée l’emporta tout de même sur la dimension temporelle chez Nietzsche et Rimbaud. La question est moins de se pencher sur les abîmes du temps que d’ouvrir des espaces pour l’action, la pensée, la vie...
Dans le bel entretien intitulé « Une cosmologie de l’énergie » que Laurent Brunet a eu avec le poète Kenneth White pour la revue Lisières, sont bien sûr retracées les étapes du grand chemin du scoto-français installé en Bretagne depuis 1983, mais il s’agit surtout de comprendre son apport à la réflexion contemporaine autour des notions de nomadisme intellectuel et de géopoétique.
Illustré de photographies prises dans son atelier atlantique et d’autres extraites des archives personnelles de l’auteur, ce numéro de la revue Lisières navigue entre ordre et anarchie, chaos et cosmologie et, à l’heure où la géographie envahit de plus en plus les lettres (ou vice-versa ?), il explore une géographie de l’esprit qui ne se limite pas à coller un substantif à l’autre.
A bientôt soixante-dix-neuf ans, Kenneth White fait toujours vibrer un large champ d’énergie, et là où beaucoup se seraient tus ou se répéteraient, il poursuit son exploration en reconfigurant les amers de sa pensée et en poussant plus loin. Cet entretien intervient au moment où son œuvre complète ouverte en est à son quatrième volume en Écosse [1], au moment où sa pensée influence la politique écossaise [2], et où les éditions Le mot et le reste et Wildproject (toutes deux à Marseille) publient de nouveaux essais et des récits [3], et enfin où White a pris la co-direction d’une collection consacrée à la géopoétique, Carnets de la grande ERRance, dont le premier volume est un Panorama géopoétique consacré aux rapports de la pensée (surtout contemporaine) avec l’espace.
En peu de pages, l’itinéraire intellectuel d’un des esprits les plus intempestifs d’une époque déboussolée est parcouru avec une logique « à sauts et à gambades » des plus dynamiques. C’est, pour ceux qui connaissent Kenneth White, l’occasion de ressaisir, chez lui, dans cet « espace en dehors des codes », la grande exigence de celui dans les premiers écrits duquel André Breton avait aperçu un « haut accent de nouveauté » ; pour ceux qui ne le connaissent pas, ce sera un grand souffle vivifiant : « Corps, mouvement, espace. Éros, logos, cosmos. Espace, énergie, écriture. »
NB : pour commander le numéro en ligne suivre ce lien : Lisières.