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À propos d’Une biographie intellectuelle : Jean Baudrillard et le Centre Pompidou
... C’est encore beaucoup à nous dire 

lundi 2 décembre 2013, par Aliette G. Certhoux



À propos de l’ouvrage de Valérie Guillaume sur Jean Baudrilllard et le Centre Pompidou, à paraître durant la première semaine de décembre 2013, voici un compte rendu critique non exhaustif, avec quelques idées personnelles (en particulier sur la rupture de Oublier Foucault dans le parcours de son auteur), et ressenti, de l’après-midi du 28 novembre à la BnF consacrée à Jean Baudrillard, lors de laquelle Valérie Guillaume présenta l’ouvrage à paraître. Cette après-midi était organisée par la Bibliothèque Nationale de France, l’association « Cool Memories, les amis de Jean Baudrillard », et par Marine Dupuis Baudrillard, inspiratrice et curatrice d’événements nationaux et internationaux consacrés à Jean Baudrillard, depuis qu’il a disparu : sa compagne, que nous remercions d’appeler à se rassembler, rendant sensible l’œuvre de Baudrillard dans le monde que nous traversons aujourd’hui, et que nous saluons chaleureusement. A. G-C.


H ier la demi journée consacrée à Jean Baudrillard à la BnF [1], Paris, était belle.

Beaucoup de sensibilité autour de Marine Dupuis Baudrillard, qui accompagna la programmation sur la pensée de Baudrillard en intégrant les arts, comme elle le faisait pour saluer Baudrillard de son vivant entre cercle d’amis, aux actes même des artistes qui participèrent à la clôture de l’événement.

Surtout, que de choses Jean Baudrillard a encore à nous faire entendre/comprendre ! Ce n’est pas la déferlante posthume du dévoilement de l’œuvre, comme cela put à la fois servir et desservir, dans un enthousiasme planétaire, un autre philosophe aussi connu que Gilles Deleuze. Non, c’est une réserve du dévoilement qui a lieu par détentes successives et rythmées de fragments, qui nous atteignent comme une déflagration crevant la connaissance que nous croyions en avoir — hier encore, — et nous dévoilent peu à peu la partie immergée de la pensée de Baudrillard sous ses propres mots à notre esprit, — c’est aussi nous qui évoluons entre temps en regard de son texte facétieux — de façon réfléchie, intime, contradictoirement avec chacun de ses articles parus dans Libération qui faisaient tant de bruit. Loin étant que tout soit dit — et pour cause, si c’est constitutionnellement prédit et déclenché depuis l’autonomie stratégique de ses textes.

On a ainsi entendu une conférencière américaine évoquer sa lecture d’un des livres de Baudrillard en admettant qu’après une première lecture elle l’avait refermé se disant quelque chose de simple et qu’elle ne pourrait l’utiliser deux fois, or elle avait été conduite à en faire une seconde lecture dans un autre contexte et alors là... tout s’était signifié autrement à ses yeux. Je ne sais plus quel ouvrage elle citait, sans doute n’y prêtai-je pas d’attention car pour moi tous ses livres sont à double fond sinon à multiple fond, et elle m’apportait simplement à entendre la confirmation que je ne fus pas seule à le lire de cette façon — du moins concernant les ouvrages que j’ai lus car il m’en reste à découvrir (pour ne pas plagier l’hommage du ministre désemparé par la mise au tombeau de Jean Baudrillard : « Maintenant il me reste à le lire » [2]). Parce que chaque intervention admettait une complicité cognitive.

Ce qui m’inquiète, peut-être dû à l’heure tardive, c’est de me demander maintenant si ce n’était pas un propos de la conférencière turque professeure à l’EHSS, Nilüfer Göle, qui évoqua également l’Islam.

En outre, il y a le piège d’une lecture de l’image, dans la conceptualisation lisible des livres de Baudrillard. Pour situer l’absence de réel (ou plutôt le réel comme absence), et le sens de l’illusion contre l’énigme du réel, — ainsi que le non sens du concept de réalité sous cet angle — Jean-Paul Curnier parla de la double fonction simultanée de la photo, archive technique reculant définitivement et à jamais la perception de la situation vivante ou de l’événement concret qui l’a inspirée, et d’autant plus que l’image soit souvent reproduite — l’entropie détruit l’illusion du monde. Sur la question de la « vérité » et de la « mobilité » — la mobilisation, — il cita le cinéma nazi où la masse virtuelle s’adressait à la masse potentielle (la masse sociale altière — inintelligible en tant que réel — appelée à devenir intelligible à travers son soulèvement social par la vision massive du nazisme) — chez Leni Riefenstahl en particulier. C’est aussi la question de la simulation et du simulacre qu’on a souvent prise à tort, chez Baudrillard, pour une imitation du réel — comme si la réalité du réel existait à notre entendement, alors qu’il s’agit du recul de l’illusion (sur quoi porte le contresens de Matrix) [3] ; c’est pourquoi, selon François L’Yvonnet — le médiateur de la table ronde présidée par Marc Guillaume (président de l’association), — conceptuellement parlant il ne peut y avoir de « complotisme » dans la théorie même, (justement sans référent « réaliste » et encore moins « naturaliste » et non systémique), de Baudrillard. S’il exprime le fatal des objets sa théorie ne l’est pas mais « destin ».

Quelques idées précises pour remettre les pendules à l’heure à propos du travail de Baudrillard, mais aussi des contresens malgré eux et malgré nous — le sourire de Baudrillard au-delà. Une analogie de la prédiction des signes ou une métaphore du destin (je ne sais pas exactement) : les photons et leur double qui se parlent au-delà de leur séparation serait-ce à des millions d’années lumière (Marc Guillaume). À moins qu’il ne s’agît d’une pensée « vraie » — mais pas d’une « vérité scientifique », en irait-il d’une foi en la science, quand même ?

Parmi les évocations magiques et pleines d’humour, sur cette notion thématique du destin titrant l’événement, d’apparition et de disparition et concernant l’anamorphose (également située par François Seguret à propos du Prat des brûlés à Montségur), chez Jean Baudrillard, ma préférée fut celle de son traducteur en chinois, Chi-ming Li, venu tout spécialement de Taïwan... Aujourd’hui professeur à l’université de Taïpe, il évoque le moment où il était à Paris pour faire sa thèse à l’EHSS et son intérêt pour les actes et les ouvrages de Jean Baudrillard. Il avait tenté de le rencontrer mais en vain, c’était une époque où Jean Baudrillard voyageait beaucoup et enseignait également à l’Étranger, notamment à San Diego. Finalement il s’était décidé à appeler le secrétariat du département de sociologie à l’université de Nanterre, où on lui avait exprimé que Baudrillard était introuvable, en ces termes : « Il est partout et nulle part ». Puis un jour ce fut une commémoration à la Tour Eiffel (j’ai mal entendu les dates et le nom de la commémoration, car l’accent chinois donnant une musique particulière de notre langue dans des micros plusieurs fois interrompus, dû aux essais de la nouvelle installation des portes de la Bibliothèque — on nous avait pourtant prévenus au début, mais à répétition et de façon prolongée ça installait quand même une drôle d’impression sur le fonctionnement normal de cette grande institution de la culture nationale, où l’exposition Astérix battait son plein avec les enfants des écoles accompagnés par leurs maîtresses et leurs maîtres) ; c’était sur la grande plateforme, où Chi-ming Li avait réussi à être invité, lorsque quelqu’un vint lui dire : « Il est là » ! Alors Chi-ming Li s’avança vers l’apparition magique, il osa l’aborder, ils échangèrent quelques mots puis l’apparition lui dit au revoir et disparut aussitôt dans l’ascenseur, plongeant vers le rez-de chaussée... Plus tard il lui téléphona à plusieurs reprises mais c’était toujours la voix de l’auteur sur le répondeur (c’est vrai, il ne le débranchait jamais qu’après avoir reconnu des voix amies ou attendues). Dix neuf ouvrages sont traduits en chinois et diffusés dans les « trois » Chine ; Baudrillard est l’essayiste le plus traduit et le plus lu de tous les essayistes français en Chine — où il est perçu dans un double rapport d’abstraction de Confucius et de Lao Tseu. Et maintenant Chi-ming Li dirige une équipe à la tâche de traduire les Cool Memories. Bien sûr.

L’autre évocation à la fois émouvante et incongrue fut celle de Katharina Niemeyer, qui avait traduit en allemand le discours de Jean Baudrillard pour la manifestation que lui avait dédiée, à l’occasion de ses soixante quinze ans, le Centre d’art et de technologies des médias de Karlsruhe — ZKM (mais Peter Weibel annoncé fut sans doute excusé par la disette du service public culturel national, devant tant de billets d’avion, ne parlons pas des hôtels en surplus, forçant les organisateurs à faire le choix des personnes les plus éloignées, celles venant des États-Unis — Diane Rubinstein — et de Taiwan — Chi-ming Li), avec l’exposition de ses photographies qui eut lieu sur les lieux de la Documenta, à Cassel, en 2005. Toujours jeune et charmante et auteure du synopsis de la chorégraphie d’Émilie Camacho, qui allait clôturer la partie déroulée dans le petit auditorium (puisqu’une représentation théâtrale était prévue en fin de soirée dans le grand auditorium), avec des pommes offertes d’une main de danseuse. Fruits que chacun put attraper et déguster au long du chemin du nouveau départ, de l’autre côté de la BnF. Elle raconta que lorsqu’elle vint le voir pour la première fois chez lui, un après-midi, elle voulut apporter quelque chose comme on fait toujours en Allemagne dans ce cas, alors elle avait choisi, tout de même avec un sentiment d’absurde d’avoir fait ce choix — une tarte aux fraises... Il avait voulu connaître sa thèse et elle la lui avait envoyée, en Allemand. Quelques années plus tard, lorsque par la voix d’une amie chez laquelle elle était invitée à dîner elle apprit la mort de Jean Baudrillard, le soir même, le dessert prévu par l’hôtesse (qui ignorait les conditions de leur première rencontre) consistait en une tarte aux fraises.

Comme toujours un certain nombre de désinformations, quoique involontaires, fit partie de la manifestation à la table des conférences même. Mais l’inverse ne serait pas une visite parmi les cailloux semés par Baudrillard. Et d’ailleurs, qu’en sais-je sinon ma propre certitude d’avoir autrement suivi son chemin ? Par exemple pour certains, sur l’ambiguité d’avoir fait partie du comité de rédaction de la revue Traverses. Même Virilio qui fut tant important avec Baudrillard dans la seconde édition, celle de 1982-1991, n’aurait osé dénier à Baudrillard qu’il fût le seul d’entre ses proches dans le comité fondateur du premier opus de 1975 à 1982, et selon un concept qui lui avait été demandé par le CCI tout juste formé, alors que Beaubourg n’était pas encore construit. 1977, fit remarquer plus tard Valérie Guillaume, ce fut l’année de l’inauguration du musée Beaubourg, la même que celle de la parution de L’Effet Beaubourg... Quant à l’indifférence — ce qui ne veut pas dire l’indétermination — d’avoir été simplement publié ne serait-ce qu’une fois et sans intrigue dans la revue Traverses, grâce à une invitation de notre ami à participer dans un de ses cadres éditoriaux, cela avait pu m’arriver (alors forcément on ne peut être dupe d’autrui dans ce cas).

Jean Baudrillard était un homme solidaire et un ami loyal — d’engagement à la fois matériel et du cœur — même s’il lui arrivait de jouer et toujours se prouvant qu’il était libre, que l’amitié ne l’exemptât pas de sa liberté en toute chose (minimum consensuel).

Donc cette très bonne nouvelle arriva : Valérie Guillaume, conservatrice en chef du patrimoine du centre Pompidou, venait de boucler l’impression d’un ouvrage (qu’elle nous a exposé dans le menu) lequel à mon avis sera majeur (et coupera l’herbe sous le pied à bien des contrefaçons de la biographie de Baudrillard concernant au moins le rôle dynamique de ce lieu dans l’histoire intellectuelle de ses concepts), Jean Baudrillard et le Centre Pompidou, une biographie intellectuelle, éd. INA, Le bord de l’eau, Centre Pompidou, coll. Tra(ns)verses. Il sortira en décembre cette année 2013, avec une préface d’Umberto Ecco [4]. Si l’on situait traditionnellement la poésie et la critique de la philosophie allemandes dans les références de Jean Baudrillard, ou ceux qui l’inspirèrent de l’autre côté de l’Atlantique, on situera maintenant l’importance de sa pensée contemporaine dans et au voisinage de la critique du design, après la théorie (Le système des objets), ses applications éditoriales concrètes poursuivant la recherche (en quelque sorte la revue Traverses, tant qu’elle dura), tandis qu’il continuait épisodiquement d’envoyer de grands tracts pour Les Cahiers d’Utopie ; on ne situe pas encore assez le mouvement de la revue Utopie, où il était actif au sein d’un groupe qui ne cessait de se défier en camaraderie radicale, — mais tout viendra en son temps. Ce fut probablement un laboratoire concret du débat entre membres du comité de rédaction depuis lequel Baudrillard put maîtriser son influence éditoriale au sein du collectif fondateur non unifié de la revue Traverses, et pour écarter de reproduire ce qui était déjà fait.

Une autre surprise fut la présentation d’un « ami d’enfance » (pas par lui-même) de Jean Baudrillard et que personne de ceux qui fréquentaient l’auteur depuis 1965 n’avait connu dans son environnement intellectuel à ce moment là. Ce que l’ami savait bien, c’était que certains des partenaires anciens de Baudrillard se trouvaient dans la salle ; ils étaient bien placés pour savoir et pour tout dire, s’ils l’avaient voulu, que Jean Baudrillard fût un camarade de groupe autant activiste à Nanterre que dans le cadre de la revue Utopie, où il exerçait avec ses comparses la liberté et la fulgurance de sa pensée. Mais ils restèrent silencieux, personne ne voulant vexer quiconque. Et chacun ajoutant son caillou blanc du paradoxe à ceux laissés par Baudrillard, pour le suivre sur son chemin, il y avait de toutes façons la mémoire de différents moments où les amis les plus récents ne pouvaient pas savoir les amis les plus anciens... car il avait été entièrement avec chacun d’eux en leurs moments partagés. Et il avait eu mille vies.

En fait l’un et l’autre tenaient une cabane dans les Corbières comme d’autres de leurs amis (chargés de cours et assistants de l’Université de Nanterre), une ruine qu’ils avaient « retapée » de leurs propres mains. La génération suivante s’installa plutôt dans les Cévennes (mon cas). « La bergerie » de Baudrillard (il l’évoquait sous ce nom) était en partage avec la mère de ses enfants auxquels il la laissa entièrement. Mais il poursuivait d’aller y vivre une ascèse chaque été, et jusqu’au dernier été avant sa mort. Justement, l’été 2006, l’ami répondant à une demande protectrice d’un tiers l’avait accompagné, et en avait reçu l’immense privilège d’accomplir avec lui le protocole du dernier voyage au Prat dels Cremats (le champ des brûlés), à Montségur. Baudrillard s’y était rendu au moins une fois chaque été, toujours dans de folles circonstances, courses de voiture sauvages pour s’y rendre, etc. La bergerie n’avait toujours pas (délibérément) l’électricité mais la voiture, une Alfa Romeo que lui avait cédée un ami italien, avait toujours de l’essence pour rouler... Ce qu’ils partagèrent aussi ce fut une attention à la pataphysique [5] mais à deux stades différents, et que Jean Baudrillard, enseigné en classe de philosophie à Reims par un pataphysicien n’avait ultérieurement pas recherchée ’institutionnellement, (puisqu’il l’avait finalement — intellectuellement — absorbée), du moins jusqu’à la fin des années 1990. N’aimant pas s’attarder sur son passé généralement ni particulièrement, il fut pourtant intégré au Collège en 2001, comme Satrape [6], égal à Umberto Ecco intronisé Satrape la même année, qu’il avait rencontré à Urbino, — auteur de la préface de l’ouvrage annoncé par Valérie Guillaume, que nous avons déjà cité.

Bref on ne sait plus, mais ce qu’on sait on le sait pour l’avoir partagé ou vécu (donc « l’ami d’enfance » connu, et tout autre inconnu qui le saurait, eux aussi comme nous).

Passons des notions vers les concepts de destin. Choucroute totale de la première intervention donnant une vision systémique du concept de destin chez Baudrillard, qu’heureusement les interventions suivantes corrigèrent (il ne pourrait y avoir de système Baudrillard, le système étant sa principale cible). Celui qui a remis les choses sur pied ce fut, heureusement tout de suite après, Alain Touraine — docte et lent, mais parfaitement intelligible et pourtant ne cautionnant pas Baudrillard sur la question de la perte de sens des droits universels. Pour Touraine, ce qui distingue la pensée de la modernité chez Baudrillard c’est qu’il a investi la seule dimension singulière et exclusive du moment historique de la modernité industrielle à partir du XIXe siècle, étant que société et mode de production y fussent indissociablement liés depuis la production jusqu’à la consommation. Et par conséquent aussi la communication, l’information de l’échange dans ce dispositif. À partir du moment où le capitalisme financier allait prendre le pas sur le capitalisme de la production, c’en était fini des pactes sociaux et la communication comme le capitalisme en seraient libérés pour entrer dans le domaine de l’aléatoire, ce qui prédisait à tous les extrêmes possibles. Et cela Baudrillard l’avait non seulement vu d’emblée, — Tonka nous dit plus tard : « à cause du chapitre 6 du premier tome du Capital [7] » qu’il maîtrisait parfaitement — mais le sachant (prévisiblement), il a entrepris de réfléchir avant tout le monde et durablement ensuite, sur la fragmentation du code de la valeur et et sur ses conséquences possibles en autant d’hypothèses de sa propre pensée du monde — d’un monde en train de se défaire.

Et tout ce qui allait pouvoir manifester la division de la cohérence en séparant chaque ligne de sens irait vers sa révélation critique. La fragmentation du sens (et sa disparition dans la fragmentation), et la rendre manifeste à l’acte même de l’écriture est un impact gnostique chez Baudrillard (pas seulement l’intégration du monde duel — ambivalent et dont la sortie est par conséquent une exécution aléatoire ou arbitraire). Du moins est-ce mon écoute personnelle de ce qui a été dit.

Ce qui permit ensuite de comprendre l’accomplissement organique image/communication dynamographique des concepts (et non pas des effets mais des principes générateurs) chez Baudrillard.

Prescription de la dialectique, parce qu’en amont le code de la valeur ne régit plus le sens : briser les chaînes du sens — qui n’en a plus ; briser les lignes idéologiques liant les objets et les sujets qui ne sont plus qu’un lien signifiant/signifié d’aliénation et de subordination asocial. Et spéculer jusqu’aux hypothèses réversibles, imprescriptibles et possibles. Expérimenter chaque fragment dans sa montée possible aux extrêmes (puisque l’équilibre est rompu). Et par là aussi une critique anticipée des désordres de la monétisation scripturale. Et pour finir, a dit Alain Touraine, la question est toujours de fermer une porte afin d’ouvrir l’autre.

C’est peut-être ça, le destin de Jean Baudrillard, et aussi d’être dit par des soutiens qui le contestent, parce qu’ils veulent encore « croire », donc aujourd’hui encore il est craint.

Cela étant, il n’y avait plus de doute possible sur le système au nom d’un système chez Jean Baudrillard — chez lequel en ’réalité il n’y en a pas. Sinon un dispositif « prédictible » non systémique. D’où sa puissance de réponse « ab-réactionnaire » (utilisé par Tourraine — était-ce méchant ?)... 1977 a marqué l’exécution finale du système des changes fixes et ajustables inaugurant le passage exécutif aux changes flottants (après les accords de Jamaïque qui en 1976 statuèrent juridiquement sur le processus développé depuis 1971), l’année de la décision cohérente en termes de pensée radicale de Jean Baudrillard de ne plus s’engager socialement mais spécifiquement au niveau du texte. Car contrairement à ce qui fut déclaré par plusieurs des conférenciers comme étant entendu, il avait été activiste dans et à la marge du parti communiste puis dans le mouvement critique auquel il apporta de célèbres contributions — la plupart publiées dans les Cahiers d’Utopie — pendant les dix années qui avaient suivi 1965 et un peu plus tard encore [8].

Un litige encore concernant la date du Colloque d’Aspen qui marqua — ô combien — un des premiers voyages de Jean Baudrillard aux USA : était-ce en 1970 (comme il fut dit ce jour) ou en 1971 (comme il est dit dans Wikipedia) ou en 1973 (comme ce même jour Françoise Gaillard [9], qui s’y trouvait aussi, le dit). Or voilà comment les mémoires flanchent, c’était au premier congrès, celui de 1970 [10]). En réalité elle en évoque un autre où Baudrillard se trouvait également, soit en 1971 — alors ce serait Paradox, — ou en 1973 ? Donc personne n’aurait pu être d’accord en cas de discussion (fort heureusement il n’y en a pas eu) — chacun avait raison sans savoir que c’était réciproque.

Un dernier point qui me tient à cœur et que nous avons discuté ensuite avec quelques amis, car il m’avait déjà été reporté il y a deux décennies, est le suivant. C’était durant l’été 1965, à Navarrenx, dans les Pyrénées Atlantiques, dans l’imposante maison de la rue principale dont Henri Lefebvre était le propriétaire, que Jean Baudrillard rassemblé autour de lui avec Hubert Tonka pour discuter de futurs projets, et profitant du calme hors de sa famille, corrigea les épreuves de la traduction par Robert Rovini de l’ouvrage d’Elias Canetti Masse et puissance, dont il supervisait l’édition au titre des essais en langue allemande, et qu’il avait conseillé de publier, chez Gallimard. Le livre parut en 1960 en Allemagne et en 1966 en France. Le cours des projets de traduction des ouvrages d’idées d’Elias Canetti fut interrompu lorsque Michel Foucault imposa le mandarinat du structuralisme chez le même éditeur. On rappelle la suite... après les premiers ouvrages d’auteur de Baudrillard chez Gallimard et pas des moindres, Le Système des objets (1968), La Société de consommation (1970), Pour une critique de l’économie politique du signe (1972), en dépit d’un détour chez Galilée pour Le miroir de la production (1973), ce fut encore L’échange symbolique et la mort dans la Bibliothèque des sciences humaines (1976), où Foucault avait déjà publié L’archéologie du savoir (1969), — cet ouvrage n’avait pu laisser indifférent Baudrillard qui concevait tout autrement la formation de la pensée — et enfin l’année fatidique, toujours 1977 (celle du passage exécutif des changes au cours flottant) : Oublier Foucault, chez Galilée, où une pensée de l’essai non seulement expérimentale mais radicale rompait, aux yeux de tous, ses dernières amarres avec la pensée académique de ses contemporains, et ce fut certainement un acte révolutionnaire, — un destin d’auteur.


Jean Baudrillard
Oublier Foucault
Auvers-sur-Oise
éditions galilée
coll. L’espace critique
1977
Source

Sur un ton particulièrement offensif (sans ironie) : « Baudrillard, faut que ça saigne ! » (Georges Balandier, président du jury de l’habilitation de Jean Baudrillard, inaugurant la séance par un appel au lynchage, à la Sorbonne, puis il cita l’impardonnable injure à ses pairs : Oublier Foucault). Pour un méfait contre l’université à jamais, ce fut sanglant en effet (j’étais dans l’assemblée et comme tout le monde, stupéfaite), et son habilitation loin de lui attribuer une chaire l’écarta définitivement de l’enseignement (pour en finir avec les humiliations autoritaires ou bureaucratiques, il prit délibérément sa retraite anticipée dès qu’il put, s’y préparant durant les deux années suivantes, et finalement le réalisant quatre ans après — après avoir été accueilli à l’Université de Paris-Dauphine, par Marc Guillaume). Ce qui lui permit de se déplacer encore davantage, pour répondre à l’attention internationale qui lui était de plus en plus adressée.

Ce ne furent pas ses seules ruptures. Plusieurs ruptures critiques à l’acte du choix anti-académique — et anti-artistotélicien, — engageant sa propre vie sociale sur une base sacrificielle personnelle, dont les retombées momentanément furent parfois dures à éprouver (pas seulement pour lui mais alentour), et que nous ne pourrions autrement définir qu’en termes de choix symboliques, (d’où une posture éthique dont jamais il ne se départit), sont à l’origine de sa pertinence singulière de théoricien critique, continue, en dépit de sa diversité et de ses changements apparents. C’est la source d’un paradoxe de son œuvre qui fut évoqué, et de devoir ne pas confondre fragments (les lignes brisées, le breaking), avec délitement — à l’évidence l’œuvre de Baudrillard forme un tout, ce tout rendrait-il perplexes certains. Des ruptures signifiant des choix intellectuels il y en a eu tout au long de la vie de Jean Baudrillard, depuis l’interruption de sa khâgne après son année d’hypokhâgne au lycée Henri IV, et nous ne reviendrons pas sur la plupart, quelques unes étant évoquées dans la note biographique incluse au magnifique et volumineux Cahier de l’Herne : Baudrillard (T. 84), bio-bibliographie avec des inédits parue en 2005, sous la direction éditoriale de François L’Yvonnet. Oublier Foucault fut sans doute une rupture majeure car la plus hardie, publiquement, autant dans le mouchoir de poche de la gauche universitaire et éditoriale progressiste, que dans le plus réactionnaire de ce dispositif de l’hexagone, rompant avec l’hégémonie du structuralisme qui se mettait en place dans toutes les disciplines en France après 1968, et par conséquent considéré comme émergent, tandis que son fondateur de référence, Claude Lévi-Strauss, occupait la chaire d’anthropologie sociale du Collège de France depuis 1959 — où il resta jusqu’en 1982. En 1970 Michel Foucault l’y rejoignit (sans venir à travers lui), pour inaugurer la chaire sur mesure qu’il nomma lui-même « Histoire des systèmes de pensée » [11].

Oser cette séparation était partir en guerre contre une actualité solidaire en cours d’installation au pouvoir, contradictoirement soutenue par les activistes d’extrême gauche avec lesquels Foucault avait pris position à l’université de Vincennes, puis milité notamment dans le domaine des prisons et de la santé. Le triomphe académique d’un « progressiste » soutenu par l’extrême-gauche substitua le réformisme aux perspectives révolutionnaires (par ailleurs ce fut un mouvement général, la plupart des anciens activistes gauchistes les plus en vue ralliant le parti socialiste qui fort de ses nouvelles recrues et du front uni du « programme commun » de la gauche allait bientôt arriver au pouvoir). Au contraire, dans le domaine politique ou dans le domaine scientifique, Jean Baudrillard, loin de capituler sur le radicalisme choisit de l’éprouver sans médiation, en le réalisant par une abstraction de l’engagement dans l’écriture de la pensée. Rupture de l’écriture avec le leadership de l’agitation sociale, et que l’on pourrait presque qualifier de « stylistique », puisque le sens la communication la vie et la société s’intègrent dans des formes de l’écriture, à la fois exploratoires et exprimables de tous les possibles.

Avec la montée aux extrêmes déliée des rapports d’équivalence, la pensée radicale à l’acte d’écrire est un engagement sans compromis avec soi-même ni avec autrui. La recherche et les enjeux de Jean Baudrillard étaient nécessairement indépendants de l’engagement social comme de l’objet du pouvoir — ce qui le fit considérer souvent par le pouvoir comme un ennemi ciblé (pouvoir académique, pouvoir de l’État, etc.).

Une autre rupture laissée en ellipse lors de cet événement, tant elle fut citée par diverses personnalités auparavant, mais qui eut pourtant un impact de réseau dans la vie de Jean Baudrillard, fut son intervention sans compromis, lors de la traditionnelle et « prestigieuse » conférence du Whitney sur l’art et la culture américains au XXe siècle, en 1987. Étant invité face à l’avant garde des arts de la critique et des galeries, il démystifia les interprétations à son sujet concernant l’art contemporain, y compris celui le citant et qu’il était susceptible de soutenir (les Simulationnistes), déclarant selon ses concepts à la fois le cas de contresens sur ses textes et l’absence de l’art contemporain comme potentiel symbolique à ses yeux [12]. Fin de la plaisanterie, retour à la philosophie radicale. Lorsque parut la première édition américaine de Amérique, traduite l’année suivante chez Verso Books, d’abord l’ouvrage (toujours re-édité depuis) fut considéré quasiment comme illégitime par la critique [13]. Ainsi, le suicide de Baudrillard sur la question de l’art, (qui lui valut plus tard à New York un jugement retourné contre ses propres photographies), évoqué par Sylvère Lotringer à propos de la soirée performative qu’il lui dédia au Whiskey Pete’s Casino de Stateline, en 1996, fut en premier lieu une cérémonie commémorative des actes de 1987 [14].

C’est-à-dire que la brisure (celle des breakers du hip hop), dans la redécouverte séquentielle, rythmée, des œuvres de Baudrillard telles qu’elles semblent réapparaître maintenant, c’est comme si l’auteur l’avait programmée en amont dans une relation organique de sa vie et de ses livres, chargés de l’énergie de chaque nouveau départ spéculatif, vers un défi collectif renouvelé.

Jean-François Tétu [15], est intervenu avec joie sur ce qui l’avait inspiré après 1968, alors qu’il était un jeune enseignant, chargé de cours à l’université de Nanterre, puis il a évoqué la pertinence continue qu’il trouva, au long de sa propre carrière, dans l’évolution de l’œuvre de Baudrillard, qu’il requit beaucoup — et poursuit de requérir — particulièrement en sciences politiques. Il a commencé par citer les propos scellés par le « nous » (que Jean Baudrillard utilisait toujours et à juste titre lorsqu’il évoquait ces années d’activisme), qui bouleverse davantage aujourd’hui qu’il n’est plus (ainsi que d’autres), sur l’occupation de la Tour de Nanterre : à la fois l’illusion de devoir changer le monde en redescendant, et la prescience de la désillusion de devoir se confronter au monde transformé ensuite, mais toujours en recherche d’une réversibilité possible. Nous étions émus et attentifs.

Chi-ming Li, auquel fut encore posée la question de savoir où il classerait Jean Baudrillard parmi les casiers de la BnF (question bizarrement formulée mais rien ne pouvait plus surprendre), répondit, après avoir présenté plusieurs éventualités du transgenre pluridisciplinaire à dominante ou mineure selon les essais de Baudrillard, que décidément non : il faudrait plutôt créer un espace « La pensée radicale » [16] rien que pour lui (et pour lui donner non des disciples mais des successeurs imprévus — peut-être ?)...

Grâce à un fatras de bricolage raisonné (non rationaliste), hacké des sensibilités participatives inspirées, on commence à approcher le monde de la pensée organique de Baudrillard. Après tout n’est-ce pas avec de semblables outils qu’on finît par réussir à se poser sur la lune (si on n’intègre pas la théorie du complot) ?

Jean Baudrillard a encore une longue route devant lui à travers ses livres, il a beaucoup de choses à nous apprendre que nous n’aurions pu entendre hier ni avant-hier. Avec lui demain exigera toujours l’après-demain et sinon le nôtre du moins celui d’autrui. Sauf accident.

Lisez ou relisez-le...

Merci à tous ceux venus parler pour le réveiller en même temps que nos yeux l’entendaient, comme dirait l’autre.

A. G-C.


N. B. J’ai beaucoup extrapolé — pas tant que ça.

P.-S.


Le portrait en logo de Jean et Marine Baudrillard est inédit et de source personnelle, publié avec l’accord et sous le copyright de © Marine Dupuis Baudrillard.

REMEMBERING BAUDRILLARD.

Une recension actuelle — et d’actualité — du Miroir de la production (réseau de documentation des écologistes activistes).


Valérie Guillaume (dir.)
Jean Baudrillard et le Centre Pompidou
Une Biographie Intellectuelle
Éditions du Bord de l’Eau, INA, Centre Pompidou


- Jean Baudrillard dans le site des éditions Galilée.

- Jean Baudrillard dans le site des éditions Grasset.

- Jean Baudrillard dans le site des éditions Gallimard (comprend les ouvrages des éditions Denoël).

- Jean Baudrillard, Vérité ou radicalité de l’architecture ?, (dernier ouvrage paru chez Sens & Tonka — 28/6/2013). La présentation par Hubert Tonka sur France Culture (9’ de streaming toujours accessible).

- Jean Baudrillard, 94 ouvrages dont chez Sens & Tonka, dans le site de la librairie Decitre. Et dans le site de la librairie Eyrolles.

- Jean Baudrillard, À propos d’Utopie ; Paris, éd. Sens & Tonka, (février 2005).

- Le livre de Jean-Louis Violeau aux éditions Sens & Tonka :
Jean Baudrillard, utopie, 68 et la fonction utopique (@ Librairie Decitre) ; et l’émission éponyme dédiée de France Culture (archive streaming en ligne) :
Jean Baudrillard, Utopie, 68 et la fonction utopique.

- Utopia Deferred : Writings from Utopie (1967–1978) : Jean Baudrillard, traduit par Stuart Kendall, New York, Semiotext(e), octobre 2010.

- Pour souscrire à l’association des amis de Jean Baudrillard, Cool Memories :
http://coolmemories.fr/.

Notes

[1Lire la brève informant l’événement Jean Baudrillard à la BnF le 28 novembre 2013 :
http://www.larevuedesressources.org/+evenement-baudrillard-a-la-bnf-paris-28-novembre-2013,1058+.html.

[3Les simulacres sont des exemplaires reproductibles qui dépeignent des choses crédibles qui n’ont aucune réalité ou des choses qui n’ont plus d’original. La simulation est l’imitation d’un processus ou d’un système du monde réel au long d’un protocole de temps, mais en aucun cas le réel lui-même. Le réel comme concept matérialiste n’existe pas chez Jean Baudrillard, si ce n’est que le monde donné étant altérité est par conséquent inintelligible. Qu’est-ce que le réel sinon l’altérité inintelligible. L’illusion du monde est ce avec quoi compose l’homme — tant que l’illusion reste possible, tant que le monde de la simulation n’envahit pas toute la vision du monde. Quatrième de couverture pour présenter l’ouvrage Simulacres et Simulation (1981) dans le site des éditions Galilée :

PRÉSENTATION

« Aujourd’hui l’abstraction n’est plus celle de la carte, du double, du miroir ou du concept.
La simulation n’est plus celle d’un territoire, d’un être référentiel, d’une substance. Elle est la génération par les modèles d’un réel sans origine ni réalité : hyperréel. Le territoire ne précède plus la carte, ni ne lui survit. C’est désormais la carte qui précède le territoire – précession des simulacres – c’est elle qui engendre le territoire et s’il fallait reprendre la fable, c’est aujourd’hui le territoire dont les lambeaux pourrissent lentement sur l’étendue de la carte.
C’est le réel, et non la carte, dont les vestiges subsistent çà et là, dans les déserts qui ne sont plus ceux de l’Empire, mais le nôtre. Le désert du réel lui-même. » J. B.

SOMMAIRE

La précession des simulacres
L’histoire : un scénario rétro
Holocauste
China Syndrom
Apocalypse Now
L’effet Beaubourg. Implosion et dissuasion
Hypermarché et hypemarchandise
L’implosion du sens dans les media
Publicité absolue, publicité zéro
Clone story
Hologrammes
Crash
Simulacres et science-fiction
Les bêtes. Territoires et métamorphoses
Le reste
Le cadavre en spirale
Le dernier tango de la valeur
Sur le nihilisme
.

[4Cadeau d’étrennes que l’on ne saurait manquer de recommander chaleureusement, étant aussi en partie une histoire des concepts post-modernes alliant l’image et la communication, chez Baudrillard, en temps réel de son activité — 272 p., ISBN : 978-2-35687-2678. http://lectures.revues.org/12759.

[5Voir le tout nouvel ouvrage de François Séguret, Jean Baudrillard, pataphysicien, Paris, éd. Sens & Tonka, sorti le 15 novembre 2013 ; et de Jean Baudrillard lui-même, Pataphysique, éd. Sens & Tonka, du 26 janvier 2002, (avec une photographie par l’auteur en couverture).

[7Karl MARX, Le Capital - Livre premier. Le développement de la production capitaliste. II° section : la transformation de l’argent en capital, Chapitre VI : Achat et vente de la force de travail. Et la suite, chapitres VII, VIII, IX.

[8Voir Jean Baudrillard et la question du pouvoir en 1977 (La RdR, septembre 2010), entretien enregistré en octobre 1976, actualisé par Guy Darol, directeur de la revue Dérive, dans son blog « Rien ne te soit inconnu » peu avant l’hommage international rendu la même année à l’initiative de Jean Nouvel, Traverses, au Musée du quai Branly, à Paris (voir l’annonce en brève, dans La RdR).

[11Le discours inaugural de Michel Foucault s’intitulait L’ordre du discours... à ce moment là, un an après avoir publié L’archéologie du savoir, il caractérisait lui-même un structuralisme qui n’était plus celui des origines, et au titre duquel il put dire ne plus s’y intéresser... Une explication simple du structuralisme que d’aucuns trouveront simpliste mais néanmoins ’historique : au commencement, le structuralisme était une méthodologie scientifique personnelle inventée par l’anthropologue et ethnologue Claude Lévi-Strauss, pour organiser ses projets sur le terrain et classer ses relevés, afin de les exploiter et les comparer ultérieurement, à la fois d’un point de vue chronologique et à des moments différents. Cette méthode fut ressaisie par les linguistes et les linguistes mathématiciens aux États-Unis, où Claude Lévi-Strauss avait enseigné (et/ou aussi bien s’en était-il peut-être inspiré pour créer son outil — il faudrait vérifier les dates) ; à partir du moment où il fut nommé au Collège de France, sa méthode fit des prosélytes dans toutes les sciences humaines, en France, puis s’institua en norme d’études et de recherche, ainsi qu’en norme de construction et d’exposition des comptes-rendus (dans un souci de transparence — relevant aussi de la cohérence moderne), des thèses, et d’un modèle du discours. Sans que son inventeur l’ait si particulièrement recherché.

[12Dr. Leslie S. Curtis, Baudrillard, I Will Personally Guide You through Documenta 12, § 9 : International Journal of Baudrillard Studies, Vol. 4, Number 3 (October, 2007). Special Issue : Remembering Baudrillard. Memorial Colloquium : Jean Baudrillard – Commemorating the Conspiracies of his Art, @ http://www.ubishops.ca/baudrillardstudies/.

[13Inutile d’évoquer dans le texte l’article sur le 11 septembre 2001... car aux dates de 1987 et en 1996 forcément 2001 n’avait pas encore eu lieu. L’article paru dans Le monde du 3 novembre 2001 fut repris un an après sous le titre éponyme, L’esprit du terrorisme, dans la collection « L’espace critique », dirigée par Paul Virilio, aux éditions Galilée, (plutôt que dans Power Inferno, dans la même collection chez le même éditeur, qui parut quelques mois après, en novembre 2002, dans le prolongement du premier ouvrage), mais qui loin d’être complotiste exprima l’événement en sorte de règlement critique avec la plus grande puissance du monde... On peut lire une citation (avec les liens utiles) en 2009, dans la revue Art Press Agency, et une recension en 2013 dans le blog Hermes Clandestin. Par conséquent, avec un tel texte Jean Baudrillard ne rencontra pas même la gauche de la théorie du complot parmi ses amateurs, et fut contesté de toutes parts, sauf exception radicale.

[14Voir le Post Scriptum de l’article "Jean Baudrillard was here" Jean Baudrillard était là, dans le blog de criticalsecret (mars 2012).

[15Voir une bibliographie des articles et des ouvrages de Jean-François Tétu, dans le site de Science-Po Lyon, où il enseigne.

[16Pour en savoir davantage qu’il n’en a été exprimé au long de cet article, le mieux est de se référer au petit ouvrage même de Jean Baudrillard, La pensée radicale, paru aux éditions Sens & Tonka, en 2001.

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