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Affaire Hartmann : la revue des ressources publie les pages que le TPIY veut interdire  

mercredi 10 juin 2009, par Rédaction

Notre consœur Florence Hartmann, journaliste et ancienne porte-parole du procureur du Tribunal Pénal pour l’ex-Yougoslavie, va être jugée du 15 au 17 juin prochains par ce même tribunal pour « outrage à la cour », c’est-à-dire pour avoir entravé le cours de la justice.

Elle encourt une peine de 7 ans de prison ou 100 000 euros d’amende.
Le tribunal lui reproche trois pages d’un livre, Paix et Châtiment paru en septembre 2007, dans lesquelles elle rapporte les circonstances dans lesquelles le tribunal a délibérément effacé les passages impliquant le plus clairement l’Etat serbe dans les massacres de civils en Bosnie-Herzégovine durant les années 92-95. L’enjeu ? Ces preuves auraient probablement permis de faire condamner l’Etat serbe pour génocide et ainsi permis aux dizaines de milliers de victimes ou à leurs familles de réclamer à la Serbie des réparations.

POURQUOI FLORENCE HARTMANN ?

Elle est inculpée en août 2008 pour avoir « révélé » dans son livre publié en septembre 2007 l’existence de cet accord datant de 2003 entre le TPIY et l’Etat serbe. Elle est la seule personne inculpée pour avoir dénoncé cet accord. Or, elle n’est ni la seule, ni la première à l’avoir fait. Depuis 3 ans, cet accord relevait du domaine public. Il avait été évoqué dès 2005 par l’Institute of War and Peace Reporting, puis commenté dans le New York Times en 2006 par des journalistes et des spécialistes du droit international. Et en février 2007, lorsque, faute de ces fameuses preuves la Cour Internationale de Justice (qui juge les Etats alors que le Tribunal pénal juge les individus*) disculpe l’Etat serbe de toute responsabilité dans les crimes et massacres en Bosnie, cette décision suscite une véritable controverse publique. C’est seulement en septembre 2007 que sort le livre de Florence Hartmann.

Alors ? Le TPIY accuse la journaliste d’avoir eu accès à ces informations pendant ses fonctions de porte-parole du procureur du tribunal (d’octobre 2000 à fin mars 2006). Si cela avait été le cas, pourquoi ne pas l’inculper pour « violation du droit de réserve » et ne pas s’en prendre à l’ensemble de son livre pour le moins dérangeant sur les relations entre la politique et la justice internationale ? Pourquoi se focaliser sur 3 pages ? Pour une raison à la fois simple et grave : ces 3 pages (dont les sources se situent hors tribunal) révèlent que cet accord n’avait pas de fondement juridique et aurait dû être annulé.

UNE INSTRUCTION ENTACHEE D’IRREGULARITES

Depuis l’inculpation de Florence Hartmann, en août 2008, la défense a vidé une bonne partie du dossier d’accusation. En particulier, elle a prouvé le manque d’impartialité des juges chargés de la juger et obtenu leur limogeage en mars 2009. Le procureur a renoncé à la plupart de ses témoins et ne dispose plus de témoin à charge. Seuls deux témoins experts et indirects seront, semble-t-il, présentés. Parallèlement une mobilisation s’est mise en place, avec des groupes de soutien, des éditoriaux de personnalités du monde juridique, des anciens ministres, des journalistes dont plusieurs sections nationales de l’Association des Journalistes Européens, une pétition internationale regroupant des signataires de plus de 30 pays.

SI FLORENCE HARTMANN Y EST CONDAMNEE ?

Ce sera une grave défaite pour :
.
. L’information : A partir de la condamnation, toute allusion publique aux trois pages du livre de Florence Hartmann sera un délit pénal.

. Le droit : Ce procès est de bout en bout une aberration juridique dénoncée de façon quasi unanime par les spécialistes du droit international. De plus, comment s’expliquer un tel acharnement sur cette journaliste entièrement dévouée à la cause humanitaire alors qu’il y a des urgences autrement cruciales : le TPI ferme ses portes dans deux ans alors qu’il n’a jugé ni Radovan Karadzic, ni Ratko Mladic, ni Jovica Stanisic, principaux responsables des crimes commis en Bosnie-Herzégovine , et que Slobodan Milosevic est mort en prison avant d’avoir été condamné. Interrogé sur France Culture en janvier 2009, voici de ce que disait Robert Badinter sur cette affaire : « Je rappelle encore une fois la mission du TPI : elle n’est pas de veiller à ce que des informations obtenues dans le cadre des fonctions de X ou Y ne soient pas révélées, elle est la poursuite des criminels contre l’humanité. C’est déjà une assez haute mission pour qu’il ne s’en détourne pas ».

. Les victimes. L’interdiction d’utiliser les 3 pages du livre de Florence Hartmann ferme tout recours des victimes (les familles des 150 000 morts, les femmes violées, les hommes détenus dans des camps, etc.) pour contester l’accord litigieux entre la Serbie et le TPI et rouvrir le dossier de la responsabilité de l’Etat serbe. C’est une double peine qui leur est infligée, celle de la souffrance doublée du sentiment d’injustice. Leur demande d’être entendues au procès de notre consœur a été rejetée en mai dernier par les juges du TPIY. Leurs représentants viendront néanmoins à La Haye et s’assiéront avec le public. D’autres manifesteront à Sarajevo lundi 15 juin dans la matinée devant le bâtiment des Nations unies.

* En 1993, l’Etat de Bosnie-Herzégovine avait porté plainte contre l’Etat serbe auprès de la CIJ pour génocide.

La revue des ressources a décidé de publier les trois pages du livre incriminé avant le 17 juin, avant la possible condamnation qui ferait d’une telle publication un délit.

Comment les archives éclairant le rôle de la Serbie de Milosevic dans le génocide en BH ont été soustraites à la connaissance du public

Les juges du TPIY ont soustrait à la connaissance du public des documents cruciaux dans le seul but d’empêcher une éventuelle condamnation de la Serbie devant une autre cour de justice des Nations unies, la Cour internationale de Justice (CIJ).

Plusieurs décisions des juges du TPIY montrent clairement que l’ordre de non-divulgation a été concédé pour ne pas porter préjudice à la Serbie dans le litige l’opposant à la Bosnie-Herzégovine devant la CIJ. Les juges du TPIY y admettent que la divulgation des passages les plus compromettants des archives du CSD pouvait avoir « un impact négatif » sur l’issue de la procédure engagée devant la CIJ. Ils reconnaissent vouloir par leur décision éviter à la Serbie d’être condamnée pour génocide et contrainte de payer des réparations aux victimes. Belgrade a obtenu gain de cause en arguant de « l’intérêt vital national » de l’État serbe.
Les juges en charge de l’affaire Milosevic, le britannique Richard May, le jamaïcain Patrick Robinson et le sud-coréen O-Gon Kwon, ont préféré à l’intérêt de la justice et de la vérité la stabilité supposée d’un pays. Ils se sont ainsi faits complices d’un mensonge. Ils vont cependant faire marche arrière en 2005.

Mi 2005, ils refusent d’accorder à la Serbie une nouvelle demande de non-divulgation qui concernait cette fois des dossiers personnels militaires. Ces documents montraient explicitement que Ratko Mladic ainsi que d’autres généraux de l’armée serbe de Bosnie (VRS) étaient membres de l’armée de Serbie (VJ) et relevaient de l’autorité suprême de Belgrade. Opposée à ce que ces documents deviennent publics, la Serbie avait fait appel de la décision.

La chambre d’appel considéra en septembre 2005 que toutes les décisions relatives à la confidentialité des documents du CSD, rendues jusqu’ici par les juges en charge de l’affaire Milosevic, au motif que leur divulgation pouvait nuire à « l’intérêt vital national » de la Serbie relevait d’ « une erreur de droit » puisqu’il ne s’agissait pas strictement de raisons de « sécurité nationale ». Mais, plutôt que de corriger l’erreur qu’elle venait de constater et de lever le secret sur tous ces documents, la chambre d’appel jugea que les décisions rendues jusqu’à présent avaient créé “une attente légitime” de la Serbie de voir toutes ses requêtes similaires ultérieures satisfaites sur la même base. Les juges d’appel considéraient par conséquent « injuste » de refuser à la Serbie les mesures de confidentialité réclamées pour les dossiers militaires.

Choqués par cette décision, Carla Del Ponte et son équipe du parquet conviennent de saisir les juges dans l’affaire Milosevic et de faire valoir l’invalidation de l’« intérêt vital national » pour demander immédiatement la levée des mesures de confidentialité sur les archives du CSD. Le 6 décembre 2005, les juges Iain Bonomy, le remplaçant de Richard May, et Robinson acceptent, malgré l’opposition du juge Kwon, d’annuler les mesures de protection en vigueur depuis 2003, comprenant que Belgrade ne cherche pas à protéger sa sécurité nationale mais bien à entraver la justice dans sa recherche de la vérité. Belgrade fait aussitôt appel et obtient une suspension provisoire de la décision, empêchant ainsi la Bosnie de soumettre les archives du CSD à la CIJ, avant l’ouverture des audiences consacrées à sa plainte fin février 2006. Le 6 avril 2006, après avoir examiné les arguments du parquet, les cinq juges de la Chambre d’appel, toujours présidée par l’Italien Fausto Pocar, décident de casser la décision du 6 décembre 2005. Les informations impliquant directement l’État serbe dans la guerre en Bosnie et dans les massacres de Srebrenica restent ainsi inaccessibles à la CIJ et au public. Le parquet n’est pas en mesure de dénoncer le scandale publiquement, les juges ayant rendu chacune de leurs décisions avec la mention « confidentielle ».

Florence Hartmann

P.-S.

VOUS POUVEZ FAIRE QUELQUE CHOSE... DE SIMPLE

Si vous êtes un titre de presse écrite, un site internet, publiez les trois pages du livre incriminé avant le 17 juin, avant la possible condamnation qui ferait d’une telle publication un délit.

Si vous êtes nombreux à publier ce texte, il tombera lui aussi en quelque sorte dans le domaine public...

Si vous êtes une radio, lisez ce texte, ou demandez à Florence Hartmann de venir le lire.

Pour en savoir plus, vous trouverez ci-joints :

 Les coordonnées de l’avocat francophone de Florence Hartmann : +31617641785 ou gmettraux@gmail.com

 Des informations complémentaires sur www.place-publique.fr ou sur un site très complet géré depuis l’ex-Yougoslavie : www.caseflorencehartmann.org

 Vous pouvez rejoindre le groupe Facebook « en soutien à la journaliste Florence Hartmann » animé par Béatrice Toulon pour vous tenir au courant de l’évolution du dossier et dialoguer avec les autres soutiens.

 La pétition qui circule sur le web : www.preserverlajusticeinternationale.org

3 Messages

  • Sur l’essentiel, je pourrais être d’accord avec cet article, à ceci près qu’il manque à mes yeux l’essentiel. En effet, dès l’instauration du TPIY, la détermination de l’ONU à ne pas juger l’Etat serbe était évidente puisque fut d’emblée exclu des statuts du TPIY le crime contre la paix (retenu en revanche à Nuremberg, dont on peut rappeler qu’il n’a duré qu’un an et permis, finalement, le travail de mémoire en Allemagne et la réconciliation franco-allemande). En jugeant depuis quinze ans les agresseurs à la même aune que les agressés, cette justice internationale a manqué son objectif. Par ailleurs, vu les documents que j’avais publiés (in "Nous ne Verrons jamais Vukovar", Paris, 2005), relatifs au négationnisme serbe (partagé par une bonne part des démocraties occidentales, ce qui explique sans doute bien des erreurs politiques des démocraties occidentales), j’ai été surprise que Florence Hartmann, qui était en position d’en informer Carla del Ponte, n’ait pas jugé utile de le faire. En effet, seul le négationnisme serbe, solide depuis cinquante ans (et documenté aux Etats-Unis comme en France) pouvait expliquer la répétition génocidaire. Cela supposait toutefois une formation à la fois historique et psychanalytique, et une lecture critique des commentaires occidentaux relatifs à cette guerre. Cette interprétation (acceptée sur le terrain, où mon travail est traduit en croate et en bosniaque, et connu aussi de certaines activistes serbes à Belgrade) reste l’objet, au niveau international, d’une étrange omerta, à laquelle Florence Hartmann elle-même a participé, comme tout le TPIY. Si l’objectif de la Justice est d’obtenir que la Serbie reconnaisse ses crimes (ce qui est en effet le premier pas, essentiel, sans lequel aucune réconciliation jamais ne sera possible), il fallait commencer par reconnaître l’agression contre la Croatie et contre la Bosnie. Quinze ans de travail de cette justice n’ont pas obtenu ce minimum. Résultat : suicides en série en Croatie. Et début de radicalisation en Bosnie. Conclusion : si la Bosnie réimplose, la responsabilité en reviendra au TPIY et à la CIJ (qui a débouté la Bosnie de sa plainte contre la Serbie). Aujourd’hui, l’ambassadeur américain Montgomery propose un référendum en Republika Srpska, pour permettre à cette entité conquise au prix du génocide d’affirmer son indépendance. Si l’Occident et l’Europe consacrent les victoires territoriales de Mladic, que pensez-vous qu’il arrivera ? Il ne faut pas être grand clerc pour le deviner... Cordialement. Louise L. Lambrichs

    Voir en ligne : "Le cas Handke", "L’effet papillon", et "La voix du Grand Tribunal", parmi d’autres textes...

    • Difficile de ne pas être d’accord avec la réponse de Louise L. Lambrichs après l’avoir lue, a fortiori parce qu’elle connaît notoirement le dossier yougoslave et l’ayant observée ou entendue à propos d’autres questions nous savons qu’elle cherche toujours à travailler dans le sens du droit des populations. Ses remarques et sa conclusion paraissent avisées.

      Et il faut bien dire que malheureusement pour l’émotion et le coeur citoyens convaincus la politique est souvent paradoxale ou machiavélique à l’épreuve de conséquences, qui parfois donnent à connaître la bonne sortie depuis une des mauvaises solutions parmi les meilleures qui se présentaient, et semblablement parfois les pires sorties par des effets de retournement des réputées meilleures qui avaient été adoptées.

      Rocard en interview sur TV5 pendant une heure, le soir des européennes, s’est insurgé face à la question : "quelle serait la bonne décision ?" Il a répondu : "D’abord en matière de politique il n’y a pas de bonne decision, car toutes ont des effets pervers !" La réponse serait peut-être de pouvoir faire l’hypothèse des effets pervers des meilleures décisions possibles et des mauvaises au nom du bien et de la justice, et de les comparer avant d’arrêter une décision, en choisissant celle des effets pervers à la baisse, et encore cela n’assurerait pas le tout.

      C’est exactement la question du mal radical en philosophie. Hannah Arendt a soulevé la question exprimée par Heidegger (qui ne l’entend pas tout à fait comme Kant) et elle en a montré la pertinence à propos des minutes du procès de Eichamnn à Jerusalem, dans ses actes pour le New York Times. Myriam Revault d’Allonnes a repris ces idées dans sa trilogie politique parue chez Flammarion assez récemment.

      Pour ce qui concerne directement le sujet il y a deux choses que je puisse dire en tant que néophyte :

      1.

      Sur le comportement de madame Hartmann je serai d’un avis précis face à notre honorable expert, du moins sur le plan symbolique. Je suis d’un âge qui m’a fait intégrer une tradition locale, la version républicaine de la démocratie du suffrage universel, où le devoir d’insoumission possible du citoyen est le contrepoint dialectique de la justice et du pouvoir réductibles à l’unité citoyenne instituante, face à l’organisation sociale, à la loi, et au pouvoir élu institués (et le pouvoir lui même comportant une clause d’insoumission réciproque cadrée par la séparation des pouvoirs).

      Même si ce droit citoyen fut soustrait des droits civiques annexés à la 5è constitution française, lors de l’alignement avec les droits européens en 1989 (merci monsieur Mitterrand), cet engagement du devoir d’insoumission demeure dans les chartes des fonctionnaires du service publique, en souvenir du Préfet Jean Moulin, qui fut un préfet insoumis. Ce devoir — et droit, qui n’est pas à entendre en termes de délation comme le pouvoir sécuritaire actuel voudrait le dévoyer, mais bien d’insubordination et de publication.

      C’est pourquoi je pense quelles que soient les responsabilités antérieures de madame Hartmann face à des propositions pour lesquelles elle ne se serait pas engagée quand elle était en fonction (et son défaut dans un premier temps, pour cette raison peut-être à son corps défendant, s’agissant d’une législation non française mais européenne dans un cadre d’agrément supranational qui ne prévoit pas le cas administratif de pouvoir se dérober aux directives), son retournement ultérieur à l’acte d’une publication critique, depuis des pièces copiées éventuellement pendant son exercice, relève du devoir d’insoumission des hauts fonctionnaires ou commis des hautes administrations, au vu relatif à la loi française.

      Rien que pour mémoire de cette lacune du droit européen, dont elle serait la preuve vivante et la victime si jamais elle était condamnée, madame Hartmann doit être défendue sans réserve me semble-t’il. Et je ne peux imaginer que madame Louise L. Lambrichs n’en soit convaincue elle aussi.

      Parce que s’il n’y avait pas la solution de pouvoir transgresser le secret des sources, dans des cas extrêmes de crime ou d’injustice, alors il n’y aurait jamais d’information publique ni de journalisme d’investigation possibles. Ce qui est une grande part de l’équilibre des droits et de la justice en contrepartie des grandes démocraties (je veux dire grandes en surface géographique) où les flux de communication et d’information sont des conditions nécessaires.
      Insubordination contre le pouvoir des services secrets et de la police en France alliés du pouvoir marocain, sous de Gaulle, le jeune Jean-François Kahn avec un confère dévoilèrent l’assassinat politique de Ben Barka, quand le grand journalisme restait néanmoins protégé par la loi républicaine. Aux Etats-Unis, les plus fameux journalistes d’investigation contribuèrent à fonder l’Etat de droit, puis ils firent les grandes heures du journalisme de guerre mais aussi contre les guerres : par exemple Seymour Hersh depuis la guerre du Viet Nam jusqu’aux guerres de Bush.

      2.

      Sur la question de la colère légitime et les frustrations terribles succédant à la guerre et aux trahisons des promesses au moment de la paix, je vais parler de mon expérience indirecte et directe à propos de situations voisines en Allemagne et en France de l’après guerre au siècle dernier.

      De la génération qui fut enfant à la Libération avec des parents "valises" et médecins de la Résistance de la première heure à la dernière, je parle d’un pays qui en outre d’avoir inventé le devoir d’insoumission en 1993 ne s’est pourtant pas privé par exemple de quelques dictatures, ni surtout d’être particulièrement zélé dans la Collaboration, pendant l’occupation nazi. Encore que sans nos traditions républicaines, pas sûr qu’un général de brigade se fut autorisé de désobéir pour aller se prétendre en toute légitimité représentative à Londres. Car de Gaulle ce n’était pas Napoléon, il n’était pas en conquête mais en défense. Comme s’il ne suffisait pas que le gouvernement de Vichy fut un service collaborateur zélé, raflant et déportant, les miliciens commirent des atrocités sur place contre des citoyens soupçonnés de résistance ou d’opinion contre la collaboration, dans des villes ou des campagnes. Avec des tortures du genre : dénucléer un oeil mettre à la place un hanneton vivant et recoudre la peau. Je le dis pour montrer à nos amis yougoslaves qu’il y a eu des atrocités en France, et bien plus nombreuses qu’on ne le croit en général, sans parler des otages par dizaines de milliers au total et des villages martyrs (il y en a eu bien plus qu’on ose le rappeler : crimes de guerre et crimes contre l’humanité.

      Pourtant, il a bien fallu faire la paix après la guerre, entre français et allemands mais surtout entre anciennes divisions nationales, malgré une population majoritairement solidaire de la collaboration et qui avait soutenu l’activisme milicien. Une faible minorité était restée simplement silencieuse, et une minorité plus faible encore avait résisté. Parfois je pense encore aux récits de mes parents qui me racontaient toutes les couleuvres qu’avaient du avaler les résistants à la Libération, comment eux-mêmes avaient soudain cessé de s’intéresser à la politique une fois la Libération accomplie, car ils réprouvaient les règlements de compte triomphants auxquels on pouvait assister une fois la ville libérée, et aussi souffrant de l’éliminations des résistants révolutionnaires tués par des balles perdues lors de campements de l’armée régulière qu’ils avaient rejointe pour refouler les allemands à l’Est... Que dire de la paix civile pour les délateurs ordinaires de ceux qui revenaient des camps d’extermination et de concentration, les survivants des rafles ou des dénonciations de voisinage, juifs, minorités, résistants, etc.

      Après les guerres civiles il faut toujours en finir par l’amnistie pour toutes les parties ou alors elle ne s’arrête pas dans les consciences, la vengeance poursuivra de l’animer.

      3.

      Pour conclure, on sait bien comme la Yougoslavie est un des trous noirs de la fondation européenne en relation avec les intérêts américains dans la région... et de plus, loin de dissoudre l’OTAN pour répondre à la dissolution du Pacte de Varsovie l’Europe des alliés au lieu de se préparer à se nantir d’une armée simplement européenne, prépara en réalité la réintégration militaire de la France dans l’OTAN, et ça a commencé avec le devoir d’ingérence (proposition française de loi devenue internationale) en Yougoslavie. Même si au début Mitterrand hésita sur les Croates, et même si Chirac tint bon sur l’Irak (sans empêcher l’usage du couloir aérien militaire anglo-américain au dessus de la France, d’ailleurs).

      Alors que faire ? La vengeance d’une population contre une autre d’un Etat contre l’autre et il faudra toujours et toujours se remettre en guerre ?

      Réclamer justice sans réclamer vengeance est très difficile d’un côté. La loi du Talion est-elle vraiment la bonne solution ?

      Rendre justice contre la Serbie actuelle sans réclamer justice contre l’alliance européenne et les Etats-Unis compromis dans la guerre yougoslave d’alors, est encore plus difficile de fait, d’un autre côté, a fortiori quand on s’en remet au droit européen donc étant la référence contradictoire de la situation de fait.

      Il a été question de tout ça dans le remarquable documentaire "Le chagrin et la pitié" de Marcel Ophüls et André Harris en 1969 (ça n’a pas pu se dire avant le mouvement de 1968, s’agissant de prescriptions de la criminalité de la dernière guerre mondiale plus de soixante ans après qu’elle ait eu lieu, c’est pour donner une unité de mesure dans le rapport au temps pour la Yougoslavie), diptyque qu’on devrait voir et revoir tant il est encore porteur d’informations sur ce qui nous concerne dans le monde d’aujourd’hui.

      Il faut savoir en finir avec le mal sans éradiquer le mal, c’est comme le vaccin du BCG.

      • Oui je parle du TPIY comme s’agissant d’une cour européenne... Mais en fait cela revient absolument au même parce que la déclaration universelle des droits de l’homme qui a été adoptée par l’ONU en 1948 est issue d’une proposition de E. Rossevelt qui a présidé la commission qui n’avait pas prévu que les institutions démocratiques pussent se tromper. Donc pas de necessité d’inclure le droit de s’insubordonner. La déclaration des droits adoptés par les pays européens à Rome en 1955, qui s’illustrent pour décrire les situations d’interdits plutôt que celles des droits, s’en justifièrent.

        Voir en ligne : http://www.criticalsecret.com

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