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Esquisses (2) 

jeudi 29 juin 2006, par Alexandra Bougé

LE MEURTRE

Un voile violet tombait jusqu’aux chevilles, elle s’y accrochait en marchant.
- Eh, regarde cui-là, il lit des poèmes.
Éternuant à plusieurs reprises comme pris soudain de froid, il mit son mouchoir sur son visage et se moucha violemment, d’un coup sec de ramasite d’eau de pluie, care s-au adunat en flaques sur le pas de la porte. Le tissu violet s’est déchiré en plusieurs morceaux qui s’envolèrent comme des aimants vers les murs du café. Le monsieur posa son mouchoir, monta sur la table et déclama des poèmes, puis tomba ivre dans les bras de sa maîtresse, une fille qui avait la moitié de son âge, elle le recueillit dans ses bras absents de la fête, accrochés aux épaules du garçon qu’elle venait de rencontrer.
Il sortit un couteau de cuisine et frappa son corps à plusieurs reprises. Cette dernière n’eut aucune conscience de ce qu’il avait prévu de faire jusqu’au moment où elle lui fit don d’elle-même, où son âme, touchée par l’air violet, effleura sa peau.

- ramasite : en roumain se prononce “ ramachïté ” : résidus

- care s-au adunat : en roumain se prononce “ quaré saou adounatte ” : qui se sont amassés

MICAELA

Une moitié avait la peau transparente, sous laquelle des fils en plastique, rouges et bleus, conducteurs d’énergie formaient un appareil. Par-dessus, l’autre moitié s’envolait dès qu’un objet aimanté entrait en contact avec elle. Parallèles, fermées l’une sur l’autre, pas d’échange, un mur.
Je l’ai remarquée elle en premier, aux cheveux naissant sur la pente raide du crâne, au long cou, au bassin dessiné en creux sur son tronc corps, jambes racines. L’autre aux yeux bébés poissons hyper vifs en amande, dont la queue commençait à la base du nez, aux pommettes saillantes, dont la charpente du corps, château de cartes, fébrile et tesutoasa, composée de mèches osseuses posées l’une sur la moitié de l’autre et ainsi de suite pour former le squelette, était sur le qui-vive, à l’affût.
Elle prit naissance en moi au jour le jour, à la manière d’un coup de vent, une baffe. Marquant de mes pieds le sable, je regardais du haut de mes 4m50 les traces de mes empreintes, surfaces scoase în relief, en creux et au repoussé, du sable închegat qui s’étendait subrepticement, insidieusement, par les minces filets dus au passage des insectes sur la plage.

- tesutoasa  : en roumain se prononce “ tesoutoasa ” : ayant l’aspect d’un tissu cellulaire

- scoase în relief  : en roumain se prononce “ squoasé în rélief ” : en bas-relief

- închegat  : en roumain se prononce “ înnequégatte ” : consolidé, affermi, solidifié, élevé, bâti

LA RUE

Quelques mèches de cheveux naissants par endroits sur le crâne chauve, les paupières lourdes, disposées par deux, trois couches superposées, baissées sur les yeux d’un bleu délavé, le corps interrompu dans sa dezvoltare, s’amenuisant vers le bas, vieux, aux membres figés dans une position courbée, à la peau profonde et lisse, aux lèvres abritées par une pellicule mince qui faisait apparaître deux surfaces gélatineuses rosacées strapunse de dents blanches. Elle humait l’air frais du matin. Le ciel était bleu outremer. Des petits yeux noirs en amande, fureteurs, qui occultaient un corps mince, frêle se faufilaient parmi les gens, en les interrogeant du regard. Les corps troncs aux bouches crevassées, surmontées des yeux vifs enfoncés dans les chairs se déplaçaient lentement avec leurs longs pieds plats.

- dezvoltare : en roumain se prononce “ dézvoltaré ” : croissance

- strapuns  : en roumain se prononce “ strapounnesse ” : percé

LA FUITE

Pensant le dominer elle s’est cassé les dents là-dessus, a quitté l’endroit avec le trou au milieu du parquet et a fait des kilomètres à pied, seule, le vent la poussait dans le dos qui s’est fendu comme une pastèque. Elle cracha sur un sol blanc, aseptisé, mince pellicule transparente laissant entrevoir des bouts de corps entremêlés, ses pieds avaient accroché l’asphalte et bougeaient au ralenti sur le sol carrelé, lyophilisé, putride.
Elle s’est séparée en deux. La terre crachait des jours entiers, pendant que l’autre continua son chemin, tête basse, peau grillée, en fait elle avait dès le premier jour pris la direction des nuages qui se sont largement entrouverts à sa rencontre et l’ont gardée.

NICOLAS

Elle l’avait cueilli par hasard. Nicolas marchait sur la feuille d’une fleur de la petite cour de l’immeuble, dans laquelle étaient enterrés les hommes mâles violents des pièces alentour, un espace blanc, vierge de toute trace, protégé et couvert d’une mousse salie de terre qui une fois nettoyée, nous servait pour décorer les appartements.
Il s’était couché plutôt qu’elle, avec les poules, avait sommeillé toute la journée, enterré entre ses quatre murs d’HLM, la déprime quoi, livide la bouche, la tête bouffie comme un poisson qui flotte ventre à l’air dans son aquarium. Elle le questionna pour en savoir plus son spleen, en fin d’après-midi, revenant de la cuisine, elle s’assied sur le fauteuil, face au canapé, dans lequel il gisait, mit sa tête entre ses mains.
- Qu’est-ce qui se passe ?
Pendant ce temps, dans la pièce à côté, elle amena la bestiole, cachée parmi les figues, dans sa chambre. Elle avança sur le meuble sur lequel étaient posées des cassettes à bijoux, les bibelots, un peigne et quelques babioles posés sur le buffet et glissa doucement jusqu’au tapis touffu aux motifs concentriques en forme de losange, s’arrêta quelques instants pour reprendre son souffle entre des poils drus, raides, avec lesquels il avait à se confronter à chaque pas, puis avança sûr de lui, vers le pot en métal, flanqué d’une étiquette violette, placé sous la fenêtre, en haut duquel il s’assoupit, pattes en l’air, comme gîdilat par le couvercle en plastique mou et chaud. Chez elle, il était bien.
Deux individus se mirent à frapper à la porte d’à côté. L’un d’entre eux laissa tomber en voyant que ça ne s’ouvrait pas, reprit sa ballade (sans but précis) dans les rues de la ville, matant les gonzesses et les sifflant sur un ton désobligeant, habillé d’un ticheurte noir et d’un jean moulant, allait vite, de plus en plus vite, criait presque à la fin, s’était emballé seul, peut-être en manque, comme une toupie, des obscénités, des gros mots dopés de silence, lourds, pesants. Je le matais, du café, en train de siroter mon jus, me demandant ce qu’il allait faire.
Sa bouche prenait les mots des rues, des passants, dans tous les sens, n’importe comment, fouillis, les absorbait comme une éponge, dont quelques-uns se izbirent facînd un trou dans ma tête crevée, lasse.
Je me levais du café pour rentrer. Il siffla ma chatte, mon cul par derrière, par le côté, dans l’entrejambe, influx révoltant mes neurones fatigués de la semaine. En le regardant avec plus d’attention, je reconnus le frère d’un copain avec lequel j’étais très amie à l’université.
J’aurais voulu que tu sois en moi tous les jours, collé à ma chair et ne pas bouger une éternité.

- gîdilat : en roumain se prononce “ giudilate ” : chatouillé

- se izbirent facînd : en roumain se prononce “ izebirent, faquinnede ” : se heurtaient, faisant

LE COUPLE

Lorsqu’il rentra le soir du travail, il ne lui raconta que l’écume de sa journée. Chris l’écouta tranquillement, voulait tout savoir, scrutait le moindre de ses mots pour y déceler un sentiment qu’il n’aurait pas exprimé. Son ami était épuisé, elle était en pleine forme. Le repas était prêt. Il s’allongea dans l’autre pièce, la télé était allumée. Absent des mots de la télévision, il vagabondait sur une terre sèche, un chemin aride désert, sous un ciel de plomb ; Chris devint son compagnon d’aventure, la terre prenait la couleur du ciel. Ils avançaient pour déchiffrer, dans les lueurs lointaines l’arbrisseau, la dune, les brins d’herbe couleur pétrole. Son ami s’endormit. Elle se leva, éteignit la télé et se mit à penser au lendemain d’une journée vide.

L’ENFERMEMENT

Au fond de sa cellule, Chris dormait, recroquevillé en chien de fusil. On entendait des cris de la cellule voisine. Jean a dû piquer sa crise. Il avait mal à un bras. Il avait mal dormi la nuit, tenta de se lever, s’assit sur la chaise. Les cris cessèrent quelques minutes. C’était l’heure du déjeuner. Le temps d’enfermement était réglé comme une horloge, pas le temps de s’ennuyer. Les hurlements reprirent de plus belle, quand il s’est agi de sortir pour manger. Alignés comme des fils, ils suivirent les ordres du geôlier. Racnete sous forme de blagues emplissaient le local :
- Et toi, le sidaïque pédé, j’vais te niquer à mort ! Tire-toi.
Jean se positionna à l’écart des autres et se parlait. Chris le regardait, énervé, il se sentait plus seul que lui. Le geôlier s’arrêta devant lui et annonça une visite. L’étonnement avec lequel Jean accueillit la nouvelle lui semblait feint.
Il se leva, bras ballants, puant et suivit en traînant ses jambes, le geôlier. Chris retourna à sa place pour être tranquille, et sirotait le pipi de chat. Une remarque désobligeante l’obligea à se défendre.

- racnete : en roumain, se prononce “ raquenété ” : hurlements, rugissements

LA BRAQUEUSE

Vic était au repos, le doigt sur la détente. Le vroum d’une voiture la fit se déplacer d’un pas sur le pavé. Son estomac crachait du feu. Elle était ivre. Sa nuit chez Maud l’avait mise hors d’état de fonctionner. Un garçon plantait des arbres sur la pelouse. Il lui jeta un coup d’œil furtif. Elle mijotait des fragments de mots. En haut de la rue, un homme la regardait depuis tout à l’heure. Vic le vit approcher et allongea le pas. La rue était vide. L’homme était pâle, sa peau du caoutchouc mouillé, c’était une ombre du lampadaire. Elle n’avait rien avalé depuis plusieurs jours et se sentait défaillir. Vic braqua son flingue, arracha son porte-monnaie et prit la fuite en hurlant comme une cinglée.

LA TABLE

Lorsqu’elle lui posa la question de savoir
Au milieu du repas
Si au début de la cuisson
La viande était fraîche
Elle répondit que non.
L’avait fait flamber pour pas sentir son goût
La roula, la desfasura, lui planta des coups de couteaux rapides et nombreux comme des piqûres d’abeille
Elle prit le couteau ; la fourchette ne voulait pas de sa main
Se planqua sous la table
En train de marmonner : mais qui suis-je, qui suis-je
Pour qu’on me tâche avec du sang dilué, cuit, sali de sel, poivre et je ne sais plus quoi, sorti des flacons tenus par la main qui se faufile transparente, inconnue, aux doigts osseux, pâles comme une vedenie, comme toutes les mains posées sur cette table qui vont m’employer au cours de leur funeste repas.

- desfasura : en roumain se prononce “ dessefachoura” : la déplia

- vedenie  : en roumain se prononce “ védénïé” : une vision

L’HISTOIRE

Une histoire planante, de celles qu’on raconte à corps perdu, une histoire des plus sacrées qui remonte à des temps mîncate de catre viermi cei mai nesuferiti, que je chantais cu note stricate une ascension sans but véritable, au fond des quelques vérités brutes qui vont apparaître à la lumière vite. Une histoire qui remonte à la nuit des temps qui prendra effet et fin lorsque des jours blancs, aveuglants mîncate de timpuri vont célébrer des contacts légèrement sanguinolents (à gouttes de sang) qui ne pourront et vont se disperser comme une vase noire et baveuse sur les futures variantes ; des senteurs mîncate de timpuri, une victoire des plus acharnées contre des évènements malgré eux confus, une histoire vivant des calamités à bout de ce qui paraît être une éternité.

- mîncate de catre viermi cei mai nesuferiti  : en roumain se prononce “ mînnequaté dé quatré vïermï tceï maï nesouféritzï” : bouffés par les vers les plus immondes, vils

- cu note stricate  : en roumain se prononce “ qou noté striquaté” : avec de fausses notes

- mîncate de timpuri : en roumain se prononce “ mînnequaté dé timepourï” : mangés, rongés par le temps

À LA CNAM

Prabusit pe un cot, maintenu contre la rampe de l’escalier, il observait d’un œil le va et vient des employés en attendant son tour au guichet numéro deux. La semaine d’avant, il avait prévu de consacrer une matinée au renouvellement de ses papiers santé. Ses pensées se adunau autour d’une pile de Curriculum Vitae qu’il devait envoyer. Les intervalles qui participaient de la décontraction à la suite de son activité ennuyeuse et fastidieuse se înfundau dans des coquilles aux parois fendues (brisées) dans cette atmosphère oppressante.

- Prabusit pe un cot : en roumain se prononce “ prabouchitte pé oune quotte” : avachi sur un coude

- se adunau : en roumain se prononce “ sé adounaou” : s’amassaient

- se înfundau : en roumain se prononce “ sé înnefounnedaou” : s’enfoncaient

LE VAGIN

Vagin à bulles écrasé sur un trottoir mouillé de ton sperme (salive), au départ vagin gauche, virtuel, puis petit à petit pétri de tes mains, écrasé entre tes doigts couleur pâte de verre. Vagin mouillé de ta salive, au départ gauche, livide, vénéneux puis paroi lisse, pulvérisé au contacte de mes yeux, vagin à bulles écrasé sur le trottoir empreint de tes pas, un territoire avide à cactus plantés sur la colline tout près du ciel bleu qui baigne mon visage de ses nuages. Au départ gauche, livide, empreint de tes pas sur les nuages sans consistance, verre pâteux transparaissent les petits hommes, en colonnes emmitouflés dans des manteaux noirs, aux chapeaux en forme de “ C ”, au dos încovoiat, couvert de chapeaux de nonne. Etroit le chemin qui les sépare sur le sol blanc, neigeux, se meuvent comme des tremuris, d’aucuns tombent, puis vers les longues terres vertes au bout duquel se tient un homme nu, au chapeau de paille, à l’allure grotesque et hallucinée qui me fait signe de ne pas bouger, de rester neclintita à ma place.

- încovoia : en roumain se prononce “ innequovoïa” : courbé

- tremuris  : en roumain se prononce “ trémouriche” : bruissement

- neclintita : en roumain se prononce “ nequelinnetita” : immobile

MANIPULATION

Deuxième peau constituée de ses émetteurs, compresse le temps et l’espace impalpables pour la première, la travestit, absorbe sa sève et la rend flétrie comme elle, o înlocuieste, blesse le sexe sans pores (télécommandée) enferme, écrase et surveille, terreau de mes vilains maux, opaque ma transparence. S’arguant de mes peurs implants, qui exsudent ma culpabilité pour exister et télécommandée (enferme, écrase et surveille) pose la dépendance, la desfasoara comme apprentissage de la peur et de l’obéissance, l’épelle “ hôte ”, dirige te couvre son action .

- o înlocuieste : en roumain se prononce “ o inneloqouïecheté” : la remplace

- desfasoara : en roumain se prononce “ dessefachoara” : la déroule, déplie

LA VISITE

Je lui ai dit de fermer sa gueule et de continuer à vivre dans ses délires puisque c’est ce qu’il veut. Je serai partie plutôt s’il n’avait été mignon à croquer. Des sîmburi d’abricots. Je m’assis en face de lui, dit deux, trois mots, pris ses mains longues, frêles, des mains de jeune fille et j’avais envie de faire n’importe quoi pour qu’il se lève et me regarde. J’étais effectivement une ombre, un fantôme. Il partit se laver les mains dans la salle de bains, passa près des murs garnis de strates d’affiches mangés par le temps, éraflés, égratignés, aux tons fatigués, aux bouts de tissus bouchant des trous, et des billets marquant des rendez-vous manqués et des attentes. Il se dirigea ensuite vers la fenêtre, mesura la longueur des toits et reprit sa position initiale, accroupi sur le lit. J’allais certainement y retourner, entre deux rendez-vous à la recherche de n’importe quoi qu’il ne pouvait me donner. Maigre, grand, un pilier à l’ossature frêle, creuse, qu’on ne pouvait bouger qu’en arrivant en retard, faisait les quatre cents pas et surpris de voir quelqu’un, se calmait, s’assoupissait de nouveau en pliant légèrement les paupières, ourlets d’une glace sans tain sur le mur d’une pièce à l’air dense, encombrée de toutes parts (jusqu’au plafond), fixant, l’air hagard, les papiers de son bureau. Je m’assois sur le fauteuil, repris mon souffle, j’avais couru de peur qu’il ne soit parti manger.
- Casse-toi maintenant !
Je disparus sans laisser de trace.

- sîmburi  : en roumain se prononce “ simmebourï” : des noyaux

LA SEPARATION

Elle s’est prinsa de el, avait prins cuib în ea, elle est partie en rase campagne pour s’en débarrasser “ Ici la forme Unitreva ”. L’air était vaporeux, opaque, elle tâtonnait, (bîjbîia) s-a într-un filet agatat din întîmplare. “ C’est moi ”, criait-elle, puis s-a vindecat, repede, repede, il l’a avalée tout entière, par terre misunau des serpents (des couleuvres), je l’ai aperçu de loin, oublié, embourbé, entre les plantes et les fleurs, fruits, troncs des arbres, un coup d’œil et repris mon chemin. J’avais autre chose à faire.. Il a commandé deux bières pour nous deux.
- Ne quittez pas s’il vous plaît.
- Ça va toi ?

- prinsa de el  : en roumain se prononce “ prinnessa dé elle ” : s’est accrochée à lui

- prins cuib în ea : en roumain se prononce “ prinnessa qouïbe inne éa” : s’est nichée en lui

- s-a într-un filet agatat din întîmplare : en roumain se prononce “ prinnessa dé elle ” : dans un filet elle s’est accrochée par inadvertance

- s-a vindecat, repede, repede : en roumain se prononce “ sa vinnedéquatte, répédé, répédé” : a guéri, vite, vite

- misunau : en roumain se prononce “ michounaou” : rampaient


SANS TITRE

Je passais, et repassais pour repérer, vérifier, pour ne pas échapper, printr-o vîltoare qui de toutes parts m’a pris, j’ai éclaboussé l’espace, je vais traire le temps pour qu’il m’appartienne quelques instants, et imiter le pet de la vache pour vous.

- printr-o vîltoare : en roumain se prononce “ prinnetro villetoaré” : par un tourbillon

LE CHAT

O auziti cum plînge ?
Elle était là il y a quelques instants
Maintenant la maison est vide
Je l’entends respirer quand je travaille, juste derrière moi le souffle rauque de ses derniers jours de maladie, elle tend à guérir, qui va s’éclaircir, juste derrière moi.
La maison est vide le soir quand je rentre, son souffle niché en toute chose me laisse étrangère ici.
Elle était tout près de nous après m’avoir laissé son corps dans mes bras puis sans doute a suivi la voie qui était sienne, et me rend visite lorsque je sais qu’à ses côtés j’ai parcouru la moitié de ma vie.
Mon double qui me couvait de son regard amoureux, un petit bout qui était ma conscience, qui sculptait mes idées dans son ventre, qui me suivait pas à pas pour pas que j’oublie que quelqu’un m’aime comme ça, que je ne vis pas que pour moi.
La maison est vide, mais maintenant que je sens son odeur, je sais qu’elle est tout près de moi.

- O auziti cum plînge : en roumain se prononce “ o aouzïtzï qoume plînetgé ” : vous l’entendez comme elle pleure

LA SEPARATION

Verre prune, vert comme le coucher du soleil, vers comme les versets, vert liant le bleu au jaune, vers toi, vers ceux qui sont en toi, que je découvre, que je feuillette, que j’éparpille, pour qu’il ne reste que moi à ta place, face à face, que creuse un trou innommable, dont je malaxe în nestire, le vide où mes mains enfermées, stressées dans des prothèses dans l’incapacité de se mouvoir blessent les murs de cette cavité à la chair tendre, dont les morceaux expédiés dans des valises carrées, vertes seront déposés à l’entrée de tous les immeubles de la ville, sur la mince couche de glace de l’océan du Pôle Nord, dans les ventres des baleines, petits bouts que tu fixeras sur une pellicule, NEANT au film autodégradable.

- în nestire : en roumain se prononce “ îne néchtiré ” : inconsciemment

LE COUPLE

Je l’ai vu, entr’aperçu
Mon grand amour,
Mon petit enfermé dans un bocal en verre posé sur l’armoire, formolisé, amidonné, lyophilisé, poussière que j’envoie, du vent
Tu m’avais vu, entr’aperçu
Silhouette brumeuse, vacante, dont l’aura légère, translucide s’est posée sur ma peau
Puis j’ai pissé du sang
Bleu comme le ciel froid et austère qui enveloppe les pics des montagnes
Vert comme l’oiseau qui s’est posé un instant sur ton épaule,
Rouge comme une tâche informe absorbée par la terre humide après la pluie.

DORUL
Où est passée celle qui
Tout près de moi avait fait son nid ?
L’odeur de mort est déposée sur ma peau
Où est passée celle qui du haut de ses dix centimètres
Avait mis mon quotidien dans sa besace qu’elle avait tissée de son affection ?
Où est passée celle qui
Me disaient des mots de ses yeux,
Se strecura dans mes rêves
Et les yeux mi-fermés
Protégeait la chair (elle me porte) dont elle en fait partie ?
Où est passée celle qui
De nos souffles réunis
S’en est allée la première ?
Et mon esprit vagabonde à sa recherche

- dorul  : en roumain se prononce “doroul ” : se languir de

- se strecura : en roumain se prononce “sé stréqoura ” : se faufilait

LE DIRECTEUR

Au début de la nuit,
Lorsqu’il pensait passer le seuil du jour
Il vint, empaillé depuis des siècles
Son crâne troué de la taille d’un tuyau au milieu
Lui dit qu’elle n’avait point sa place ici.
Elle combla l’espace vide de son crâne de ses yeux
Elle le vit de nouveau cette fois son cou long, une petite tête perchée dessus, les yeux comme deux billes.
Glissa le long du cou, engloba sa tête de son regard,
Descendit à la naissance du cou
Et fixa une ligne d’horizon.
Il revint, son torse imberbe percé,
Elle se mit de côté pour pas recevoir
Des balles qui lui avaient fait la peau.

À L’ARMEE

Du fond de la nuit, il traversa la pièce,
Lui jeta un coup d’œil
Et leva ses troupes
Pour elle et pour d’autres qui portaient les mêmes trasaturi.
De l’autre bout de la ville
Il vint, ramassant des troupes
Care mai de care mai entreprenant,
Pour mener à bout une entreprise qui lui était nécessaire à lui pour vivre
Au bout de la nuit
Se trouvait une faux qui lui barrait le chemin
Il avait fait un carnage dans la ville le premier jour
À la va vite
Puis les choses furent mises sur pied, ordonnées, triées, distribuées, insufflées, le système était clos, les règles admises et applicables.
Le petit matin enleva sur la rosée qui s’évapora au fur et à mesure le sang des survivants, ordonnés, triés par sexe, âge, hauteur
Au bout des nuits marchait, paumé, le dos courbé
Jésus. Il avait mis laolalta ses conseillers pour traverser le parcours nuptial, long, des années probablement (avec comme seul bagage quelques provisions) jusqu’à l’autre bout, celui du terminus, de la lumière et des ombres mises bout à bout dans un cortège les vainqueurs.

- trasaturi  : en roumain se prononce “trassaturi ” : linéament

- Care mai de care mai : en roumain se prononce “quaré maï dé quaré ” : les uns plus entreprenants que les autres

- laolalta  : en roumain se prononce “laolaleta” : ensemble

TOI

Lorsque vivant en quiétude
Marchant dans ton ombre.
Vivant à l’écart de toi
Je me suis vue pousser les ailes de l’ennui
La mer était en bas
En haut la poussière de la ville à l’approche de la nuit
Tavalita par les pas et le bruit.
Marchant vis-à-vis
De toi,
Je vis ton ombre
Collée au macadam
Les bouts mis côte à côte
Quand j’avançais
Sertis de clous qui laissèrent à tes côtés
Une tâche de sang sur le macadam.

- tavalita : en roumain se prononce “tavalita ” : traînée par terre

LE COUPLE (numéro 1)

J’aurais voulu te dire des mots doux que tu inhales. J’aurais voulu que de cet ailleurs tu fasses un rêve d’histoires ininterrompues, à jamais finies.
J’aurais voulu que de tes mots coulent la direction de mes pas
Je t’envoie un petit paquet d’os marqués au stabylo noir.

À L’ARMEE

Vivant dans la crainte de ne pas oublier
Nos enfants morts
Sertis de bijoux, de toute part brillants
Comme une pomme huilée pour la rendre appétissante et belle
Le vin leur aura tourné la tête
Les aura désorientés dans leur parcours tout tracé

À LA PISCINE

Sévir contre service
Ils vinrent jusqu’à elle
À quoi vous vous shootez ?
À qui vous vous montrez ?
Nous vivions (dans l’ombre)
À l’écart
O calauza. Non. Un embryon ? Non.
Umbre împerecheate, desperecheate, mais unies en une seule qui se reflète sur le panorama
(Où était-ce déjà ?)
À la piscine. Sur le ponton, juste au début de la surface rectangulaire.
- Vous avancez, lui hurla-t-on derrière.
Le bassin est vide.
Din zece tot cade unu,
Pas moyen de reculer, sauf de tomber dans ses bras poilus, carnivore avant l’heure.
Les ombres parcouraient à toute vitesse les murs de la piscine.

- O calauza : en roumain se prononce “o qualaouza” : un guide

- Umbre împerecheate, desperecheate : en roumain se prononce “oumebré îmepéréquéaté, dessepéréquéaté” : des ombres appareillées, dépareillées

- Din zece tot cade unu : en roumain se prononce “dine zetché taute quadé ounoule” : entre dix y en aura toujours un qui va tomber

LE COUPLE (numéro 2)

Je ne serais pas tombée si les étoiles dans le ciel étaient blanches comme lui,
Je ne serais pas tombée si toi tu m’avais dit pendant ce laps de temps "je vis pour toi"
Le temps d’illustrer mes poèmes,
Le temps de mesurer la portion d’espace sur laquelle je marchais à quatre pattes comme un chien flairant de loin ton souffle,
Le temps de peser entre mes mains menues, ta poitrine souple comme l’élastique
Je l’ai vu par le trou de la serrure, il courait, forcené avait cassé une fenêtre, avait pris ses cliques et claques une chemise à carreaux, un slip couleur miel, une rose kitsch qui s’est coincée dans sa poitrine.

LE MEURTRE

J’ai pris soin de l’emmurer
D’en faire ma chose,
Mon dû
Dilapidée, fondue,
Mon avoir
Mon précieux bijou, mon amour.
J’ai pris soin de t’emmurer
Dans un silence éternel,
Je l’ai vu les yeux percés
Donner seize coups de couteaux
Puis il me prit dans ses bras
Et me raconta une histoire sur notre bébé avorté.
Le sang giclait sur mes mains,
Police secours, venez vite
Mon ami a déliré,
Des entrailles de mon amant il me fit faire le tour de la pièce
Notre beau bébé,
Le combiné est décroché,
Le flic entend,
Le temps qu’ils arrivent
Il a rendu l’âme,
Presse le pas,
pas assez,
Vous allez être jugés,
Gérard est tombé

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