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Impromptus (3) 

lundi 5 décembre 2005, par Alexandra Bougé

L’AMOUREUX

Elle revenait de ses courses sur le chemin du village d’à côté qui longeait le champ. Elle se pencha pour compter le nombre de ses sacs. Un garçon pissait au bord de la route. Il referma sa braguette, s’arrêta en apercevant la jeune fille et marcha en appuyant sur elle son regard. “ Bonjour ! ” fit-elle, surprise par cette rencontre. “ Ca va ? “ lui lance-t-il sur un ton înabusit. “ C’est pas trop lourd ? ”. Il regarda ses provisions puis ses yeux, son sourire, (la poussa, elle tomba dans le fossé, sortit un poignard) la poussa violemment, elle tomba dans le fossé. Pendant que dans ses bras domolita par ses caresses il lui murmurait des mots abaissants à l’oreille, sa sincérité donnait prises à ses paroles. Il se tournait vers elle quand il sentait son éloignement, lorsque ce terrain propice à ses phantasmes, cette faiblesse qu’il a travaillée de ses mains se dévoile à sa vue en quelques mots, quand les liens qui m’accrochent à lui traduisent ce type de rapport, lorsqu’il active de ses mots, cette surface participante de l’acte sadique qu’il a créé de toutes pièces.

 înabusit. : en roumain se prononce “ inabouchitte” : étouffé

 domolita : en roumain se prononce “ domolita” : apaisée

SON DEPART

Tu as laissé en partant une valise emplie de fringues. Les préparatifs de départ ont duré environ quelques jours. Tu partais pour l’inconnu, sans connaître la durée de ton voyage. Les jours se suivaient et mon appréhension devenait plus forte, revenait sans cesse (à mon esprit, lua înfatisarea) : “ Combien de temps allais-je vivre sans toi ? ” Tu étais plus tendre avec moi, abritais le moindre de mes gestes de tes paumes larges dans lesquelles ma alintam comme un enfant (nouveau-né). Ton visage exprimait la souffrance, mais ta décision était sans appel.
Je te donnai un coup de main pour les bagages, choisis tes effets de toilette, les costumes que je rangeai un à un, lorgnant au fond de la valise un tiroir (double-fond) secret, dans lequel ils disparaîtraient (s’évaporeraient) comme un mauvais rêve. Je te prévenais au fur et à mesure pour que tu me dises ce qu’il manque, je voulais les imprégner de mon odeur. Le jour de la séparation, d’un commun accord pour éviter les effusions, je me réfugiai dans un café. Je restais là jusqu’au soir, dans un état de prostration, à fumer cigarette sur cigarette. Lorsque je franchis le seuil de notre appartement, à jeun, ametita si abatuta, une valise était (laissée, restée) ouverte au milieu de la pièce, dont dépassaient tes chemises et pantalons. Je asternea (couvris le sol) de tes vêtements sur le tapis et m’allongeai, la tête blottie contre la valise.
(Le lendemain, je la rangeai sous mon bureau de mes doigts de pied, je serrai de mes pieds les bouts de tissu, pendant que j’allais à mon travail.)

 lua înfatisarea : en roumain se prononce “ loua inefatzicharéa” : prit l’apparence

 ma alintam : en roumain se prononce “ ma alinetame” : me faisais cajoler

 ametita si abatuta  : en roumain se prononce “ amétzita chi abatouta” : étourdie et abattue

 asternea : en roumain se prononce “ achetérnéa” : posais, recouvrais

CHEZ LA PSYCHOLOGUE

Elle pénétra en hoquetant (secouée de hoquets) qui mâchent sa peine dans le hall devant sa psy qui lui emboîtait le pas, se sprijini contre un mur en détournant son visage masque mortuaire, înecat dans une mare (flaque) de déchets, effluent qu’elle évacue dans son usine (machinerie) organique (corporelle) qui (digère) expulse, à laquelle elle laisse le soin de (trier), filtrer, jeter, et s’extraire (donnant, produisant, créant) d’où elle extrait une nymphe balayant son corps. La psychologue nous offre un visage rayonnant, le corps excité tourne sur lui-même, (elle) rejoint la salle des médecins, se faufile (fait demi-tour) dans le hall gardant (déglutition) en bouche un bol alimentaire, culpabilité et dégoût (mépris), leva le bras (main sur son bras), effleura son bras. Madame X va vous recevoir (s’occuper de vous). À travers la porte vitrée, elle abhorre (affiche) un sourire.

 se sprijini  : en roumain se prononce “ sé sprïjînï ” : s’adossa

 înecat : en roumain se prononce “ inequate” : noyé

LE TRAVAIL

Je m’appelle un comptoir d’achat. J’achète à bas prix. Pouvons-nous passer (nous vous ferons une proposition, les murs gris de la pièce dans laquelle je suis, sont d’un gris translucide à travers desquels se dessine une nébuleuse collant à ma peau) nous ferons une estimation sur place, brouillant mes idées, qui suis-je donc ? Je décroche, à l’autre bout (de la ligne) ce n’est pas moi ; je n’ai aucun moyen de m’identifier à mon interlocuteur ; on raccroche et je décroche à nouveau. La patronne m’apprend continuellement le métier.

 Comment pouvez-vous faire une estimation à vue d’œil ? Ce que vous faites est illégal.
J’ai envie de vomir.

 Qu’est-ce qu’il a dit ? demande la patronne.

 Qu’il n’avait pas confiance.

 Tu n’as rien dit pour le contrecarrer. Cela fait plus d’un an que tu travailles ici (et) tu n’es pas (devrais) être professionnelle.

L’INTERROGATOIRE

Assis sur une chaise dans la pièce jumelle, je l’observais par le miroir sans tain. Il détourna violemment la tête à la vue du miroir opaque.

 Une fois dehors vous oubliez notre existence. Le chimiste chargé de cette tâche mourut lors d’une de ses premières expériences (expérimentations).

 Ils s’approchèrent de lui tenant dans la main un cleste încins et le marquèrent au visage. Accident de voiture. Nous savons de source sûre que vous maîtrisez parfaitement votre métier.
Je vis ses mains s’accrocher puissamment à la chaise et (l’imaginais) en train de se délecter de son sang pointant (suintant) goutte par goutte de ses plaies.

 Je n’exerce pas dans cette branche de la chimie.

 On a mis au point des vents délicieux. Vous m’en direz des nouvelles.
Ils effectuèrent deux incisions au bistouri au niveau des incisives dans lesquelles ils enfoncèrent (glissèrent) deux gélules. Une odeur de vomi mêlée à des excréments pénétra dans son organisme, développant un parcours (circuit) jumeau à la circulation (à celui) de son sang qu’il neutralisa (absorba) (mettre un produit qui vont rendre l’autre inefficace, sans effets) pour effectuer le parcours (mener la course) prévu (délimitée, inscrite) par son inventeur (concepteur). Il toussa avec des hoquets étranglés dans la gorge. J’étirais mes membres en le regardant (voyant) nager dans l’odeur de pisse de ses larmes qui s’écoulaient instantanément du système oculaire (ou Je l’aperçus nager dans l’odeur de pisse de ses larmes qui s’écoulaient instantanément du système oculaire et j’étirai mes membres.) (Le voyant nager dans, A la vue de son visage nageant)

 Je ne suis pas en mesure de vous fournir des informations concernant la fabrication de ce produit.
Il pencha sa tête, cessée d’être soutenu par sa colonne vertébrale, (se pencha) lentement vers l’avant, fixant le plancher afin de (pour) simuler sa peur. Le colosse debout devant lui regarder debout de ses yeux vides le jouet désarticulé, dépecé qu’il avait en face de lui.

 Laissez-le se reposer.
Ils quittèrent la pièce. Je me rezema confortablement contre le dossier de la chaise, posais mes pieds sur la table et bus paresseusement (lentement) le quart de vin rouge.

 un cleste încins : en roumain se prononce “ oune clechté înetchinesse” : une tenaille brûlante

 rezema : en roumain se prononce “ sé rézéma ” : s’appuya, s’adossa

UN VISAGE

Par un soir d’automne pluvieux, en voyant passer ces têtes inconnues, je me suis mise à penser à l’une d’entre elles, calme, heureuse, la tête dans les nuages, que la vie avait comblé l’espace d’un instant ou bien pour un temps îndelungat. Les ourlets de sa jupe formaient un colac autour de ses mollets, ses chaussures noires, à talons, vernis, brillaient, c’était pour moi la seule manière de l’apercevoir dans la foule. Au cou, un foulard tressé avec des fils de matase qu’elle amenait au sommet du crâne pour faire tenir ses cheveux.

 îndelungat : en roumain se prononce “ înedélouneguate” : prolongé

 matase : en roumain se prononce “ matassé” : soie

AU PLACARD

La solitude : n’être peuplée que par ses propres voix, converser avec soi-même, le mur s’éloigne et s’effiloche pour laisser venir à soi des personnages, construire sa propre histoire. Une femme s’approche de moi et me chuchota à l’oreille, “ casses-toi ! ”. Devant moi se tenait un vagin dans lequel je glissais par à coups. La solitude se fait bouche béante.
Fîsia de trottoir se surpa et m’enterre. Des images reluisantes. Elle prit son éventail et le remua. Sur la balançoire au soleil. Je t’amène demain le voir, il aura des yeux de plomb, le nez carré, long, des genoux comme deux citrons giclant leur jus savoureux sur le sol. Elle s’amena.., quelqu’un aspirait son sang, le fil branché à la prise. Derrière elle, vêtue d’un uniforme, debout. Elle l’amena (rejoignit) devant sa chef qui débrancha le fil et l’instigua à l’isoloir.

- Fîsia de : en roumain se prononce “ fîchia dé” : le tronçon
- se surpa : en roumain se prononce “ sé sourepa” : s’effondre

STEPHANE

Stéphane avait les mains liées, les poignets attachés, les organes jaillis de l’estomac, comme les fils d’un cadavre de télé que je trouvais l’autre jour dans la rue et que je mis sur ma penderie de cort. Les fils éjectaient la tête de Stéphane, devant laquelle au premier plan ses mains frêles, malléables suivaient l’ordonnancement des particules d’air, membranes dont il en tailladait les contours (les circonférences), tirant le trait (teapan) noueux, rompu, glissant, semblable à une rivière sortie de son cru du boîtier qui le révélait (izbi l’air), entouré d’un personnage dans la cour (ou dans la rue), une clope au bec parlant à un de ses potes.

- de cort : en roumain se prononce “ dé quorete” : de tente
- teapan : en roumain se prononce “ tzéapane” : raide
- izbi : en roumain se prononce “ izebi” : heurtait, cognait

SANS TITRE

Sur quelle planète vous êtes-vous connectée, limpide comme le cristal, dangereuse comme un guet-apens. L’ouverture était masquée, mais dedans vivaient des serpents qui se încolaceau în jurul gîtului, te sugrumau. Tu me l’avais dit qu’à moitié, l’autre s’est recroquevillée, fermée sur elle-même, stérile dans un coin de son cerveau.

- se încolaceau în jurul gîtului, te sugrumau : en roumain se prononce “ sé înequolatchéaou ine jouroule guitoulouï, té sougueroumaou ” : s’enroulaient autour du cou, t’étranglaient

LE SQUARE

J’aimerai que de nos mains jointes s’envole un papillon aux bouts des ailes rouges, maintenu droit à l’aide d’un bâton fin en bois que j’essaye de maintenir droit en équilibre sur ma main. J’aimerai que de nos mains aux doigts entrelacés ne se dégage la moindre particule (souffle) d’air écrasant sous nos pas les feuilles au bruit de voix énervée, nous nous échappâmes dans une bulle d’air ténébreuse, d’un noir épais et dense. Un promeneur vit (planer au-dessus du sol) un couple aux membres enjoués et disparates passer (s’élancer) dans une poche d’air noire et transparente et quitter ainsi le square.

SANS TITRE

Je passais et repassais pour repérer, vérifier, pour ne pas m’échapper, printr-o vîltoare qui de toutes parts m’a pris, j’ai éclaboussé l’espace, je vais traire le temps pour qu’il m’appartienne quelques instants, et imiter le pet de la vache pour vous.

- printr-o vîltoare : en roumain se prononce “ prinetro viletoaré” : par un tourbillon

LE VAGIN

J’ai un vagin à bulles qui éclatent indéfiniment, on entend le bruit, le clip clap des bulles qui se projettent dans l’air vide, vertical. Que me dis-tu mon chéri ? Un infini qu’on a sondé toi et moi, sans vraiment le savoir d’avance, celui qui s’est projeté est l’enfant malade duquel on a accouché toi et moi, appelle-le comme tu voudras, c’est toi sa matrice, qui me renvoie son image comme mienne.

INCISIONS

Je me suis mis à me faire du mal, j’ai mis sur la peau de mon visage des crevasses (taillades), j’ai pris mon visage et je l’ai enterré. Les tâches que le sang a mises sur ma peau se sont étendues et se sont écoulées par mes yeux. Je ne saurais le dire autrement que par taillades successives. Hier, elle est partie dans un territoire stapînit d’un néant destructeur, ou l’on se înstrainam de soi-même. J’aimerais cacher des mots qui sont autres que ceux par lesquels les gens s’expriment dans ce pays.

- stapînit : en roumain se prononce “ stapinite ” : conduit
- se înstrainam : en roumain se prononce “ sé inestraïname ” : je m’éloignais, m’exilais

LE PLAN

Je lâche l’affaire, me dit-il. Pas assez pour moi. Des combines à deux balles, non merci, pas pour moi.
- J’aimerais qu’on en discute, veux-tu. J’en ai parlé aux autres, tu es déjà impliqué. J’ai mis du fric en jeu.
- C’est un plan d’une semaine. On a tout prévu. Il est trop tard pour trouver un homme aujourd’hui. Ca va se passer Mercredi à dix-huit heures, on est Samedi.

 Pas assez pour moi. Je mise à partir de 10000. Tu me fais perdre mon temps. A un de ces jours - il lui raccrocha au nez.
- J’ai mis du fric en jeu. Tu m’écoute quand je te parle, criait-il dans le vide.
Il se leva de sa chaise, prit son calepin sur la cheminée et téléphona în sir à tous ses potes leur crachant nerveusement un résumé de l’affaire (du coup) de son business. Se leva, tourna en rond dans le salon, trouva la clef et descendit au café du coin, commanda une bière, debout près de la fenêtre, lâcha un regard dans le vide, sachant l’instant proche où il allait se faire lyncher.
- Je mettrai les petits plats dans les grands pour quand tu vas rentrer mon chéri, lâcha sa copine en fin d’après-midi.
Il la regarda bêtement, visa son cul et se dit qu’il a au moins ca pour maintenant (le moment).

 în sir : en roumain se prononce “ îne chire ” : à la file

SANS TITRE

J’absolvais les deux années de fac avec succès, méditant avec sérieux sur la suite à donner à ma carrière. Dans les plats dulcegi, amarui, în care îmi framîntam gîndurile, une fois digérés, ma înstrainam de ele pentru à atterrir pe tarîmuri necunoscute, din care la plupart du temps nu ieseam, în tesutul pe care mi-l fabricam drept rezistenta era însusi cel în care traiam, mai drept spus c’était toujours ma peau, mes ongles qui transmettaient aux autres cellules qui respingeau, refuzau orice colaborare, se faisaient toutes petites et simulaient des maladies comme des grossesses nerveuses. Le temps dilatait ces faux-semblants jusqu’à ce que je décide de passer outre sa force d’exécution et reprenais le fil, depuis le départ.

- dulcegi, amarui, în care îmi framîntam gîndurile : en roumain se prononce “ doulchetgi, amarouï, ine quaré imi framinetame ginedourilé ” : âcres, dans lesquels je pétrissait mes pensées
- ma înstrainam de ele pentru : en roumain se prononce “ ma inestrainame de élé penetrou ” : je m’éloignais d’elles, m’en exilais
- pe tarîmuri necunoscute, din care : en roumain se prononce “ pé tarîmourï néqounosseqouté dine quaré ” : sur des territoires inconnus, d’où
- nu ieseam, în tesutul pe care mi-l fabricam drept rezistenta era însusi cel în care traiam, mai drept spus : en roumain se prononce “ nou iechéame, ine tzéssoutoule pé quaré mile fabriquame drepete rezissetenetza era inesouchi tchel ine quaré traiame, maï drepete spousse ” : je ne sortais pas du tissu que je m’étais fabriquée comme résistance était celui dans lequel je vivais, ou plutôt celui
- respingeau, refuzau orice colaborare : en roumain se prononce “ ressepinetchéau, refouzaou oritché quolaboraré ” : repoussaient, refusaient toute collaboration

LA ROUMAINE


 Ca jacte en roumain.
- C’est sa langue, il paraît que ca existe.
- Elle a une drôle de tête. Marron, foncée. Elle a un problème, la tête enfermée dans un bocal empli de liquide opaque.
- Tu la vois, toi ?
- Non.
- Pourquoi elle est là ?
- Donne lui à bouffer, elle ne mange pas.
La tête emplie de cheveux noirs, le nez long touche le dessus de la table, essaye de se faire petite, a mis un mur devant son visage, elle se cache, et si le don (traverser les murs) elle aurait tourné la tête pour bouger dans la pièce à côté où s’enferme, se contracte, rides et ridules noires gonflent son visage comme une bulle qui, portée par le vent, glissait sur les courants d’air (entraînée par les mouvements de l’air disparaît par la fenêtre leganata d’alvéole en alvéole par les courants atmosphériques s’échappe (veut s’échapper, Faire le mur) par l’ouverture (sur le seuil) de la fenêtre.

- leganata : en roumain se prononce “ léguanata ” : baignée

LE CHAT

La sentant arriver, il déguerpit, comme une vague poussée par le courant, un fantôme qui s’est dissipé, absorbé dans l’atmosphère pour réfléchir. Au loin, il présageait de se laisser emporter par le courant d’une mer du sud, stagnante, turbulente, visqueuse, noire dans les profondeurs, tourbillonnante, qui jette des restes sur la plage, une petite bouche que j’absorbe, à qui je dis des mots doux, comme celle du chat qui appelait de sa corbeille de ses petites pattes que je sois auprès d’elle avant de mourir.

LA VILLE

Je vivais dans des cartons au bord de l’autoroute. Je me suis laissée, après le CES, celui à l’armée ou n’importe où. Quand cela s’est-il passé ? Ont-ils réellement voulu me tuer ? Ils l’ont fait. Puis je me suis laissée, lassée, j’ai fui. Au tournoi de ping-pong de cette année, qui a gagné, t’en souviens-tu ?
Des restes d’êtres humains étaient assis à mes côtés, au Centre Social ou à l’ANPE. J’ai plaqué sur les cartons des grilles au tissage dense, pour que ça tienne le coup au passage de l’hiver. Je me suis installée ici parce que j’étais à bout, près d’une décharge où je fais mes courses. L’ailleurs m’a pris de court en allant le rejoindre, dans la ville la nourriture doit être plus fraîche.

LA FEMME

La lune est encerclée de noir ainsi que les yeux,
les lèvres finement dessinées
le teint lilial

les yeux noirs
parsouflés de rose
le teint grège

un homme arrive, il est blond, le visage fripé
la peau grise, les yeux fermés, cerclés de glaire

LE CHEMIN

Je ne fais pas attention à un tronc au milieu de la route
La lumière cinglante au sol
L’air brumeux
Mes mains agrippent les mèches d’eau
Aussitôt absorbées au sol.

LE CHEMIN

Un abur plutea sur le sir de calatori, ils s’accrochent à genoux, les mains ensanglantés de sang et de terre, iesit din pamînt, ils avancent sur le chemin boueux, ils forment des boucles et l’on entend le son des fers împrejur qui s’entrechoquent, dealuri cultivés, ils ferment les lanturi et bouchent le passage, ils s’arrêtent ; ils les repede et leur ordonne de passer sur la gauche, neclintit attend un ordre pour repartir, sur le chemin au bout il y a la mort ; ou : se trouve le chemin qui mène à la mort ; ou : qui les mènent sur le chemin de mort (des morts) ; leurs pas poudroient le sol, ils serrent les lanturi

 Un abur plutea  : en roumain se prononce “ oune aboure ploutéa” : de la vapeur flottait

 sir de calatori  : en roumain se prononce “ chire dé qualatorï” : sur la file des voyageurs

 neclintit  : en roumain se prononce “ nequelinetite” : immobile

 lanturi  : en roumain se prononce “ lanetzourï” : fers

LE CHEMIN DE RETOUR

Dans la rue, au demeurant vide, se tenaient deux hommes, l’un habillé en femme, jupe en daim aux motifs léopard, l’autre mestesugar de métier, aux mains osseuses, grandes à la peau des doigts carrés, fripée. Ils se connaissaient depuis quelques heures, avaient pris leur déjeuner ensemble, lui s’était réveillé à six heures du matin, aux horaires d’ouverture de l’usine et réveillé son compagnon bouffi par la fatigue, bezmetic pensant être en plein milieu de la nuit, vit les meubles arrondis, la poitrine légèrement saillante de l’homme, son regard doux et ses traits se détendirent et laissèrent échapper des bouches un “ Bonjour ! ”
Il se leva pour lui préparer le p’tit dej. On était Samedi, moi je revenais d’une garde de nuit. Dans le métro, des flics contrôlaient des papiers des étrangers et j’étais complètement éclatée. Le couple avançait vers moi, main dans la main, j’imaginais leur regard posé, tâche de lumière derrière mon nez, entre mes deux yeux, inconsciemment je ralentis le rythme de mes pas, traversai ce pont en toute quiétude.

- mestesugar  : en roumain se prononce “ mechtechouguare” : artisan
- bezmetic  : en roumain se prononce “ bezemétique” : étourdi

LE BOULOT

Assis sur une chaise, le miroir lui renvoyait des orbites rougies, gonflées par la sollicitation des larmes, il avait remué le buste de bas en haut pour détruire en lui ce quoi l’avait empêché de continuer son travail et de pouvoir subvenir à ses besoins, qui l’amena à rompre des attaches internes à son être, dont le point géodésique se trouvait dans son origine. De bas en haut et de haut en bas, de bas en haut, de haut en bas ; avant il avait pensé à se suicider. Sa mère était tout près. Les moments vécus se perdaient en elle comme dans une casserole sans fond. Le temps vécu n’apportait aucun relief à son quotidien tombait dans un abîme comme s’il n’avait de prise sur elle, un temps éphémère, sans suite, écrasant.

LE BANC

Elle lui fit la réflexion de se barrer au plus vite, de n’être rien d’autre que l’individu fonctionnant d’après les repères que son statut social lui indiquait. Les trottoirs dans une lumière noire, strabatuta d’enseignes lumineuses et panneaux aux noms des boutiques, aux lettres picurînd (laissant s’écouler) sur le rideau à la couleur délayée par le tissu lâche des gouttes de pluie (pénétrés dans les fibres, absorbées par le tissu) qui à travers les gouttes de pluie laissait sa piqûre. J’étais à trois pas de lui, il ne me reconnaissait pas, je me retins de le jeter dans les caniveaux (rigoles), de reproduire le moment où il me poussa violemment sur le banc.

 strabatuta  : en langue roumaine se prononce “ strabatouta ” : traversée

LA GARE

La marche des trains était déréglée. “ J’ai pas peur de vous ” semblait-elle lui dire. Lancinant spectacle des marionnettes aux peaux de serpents. Son torticolis la reprit. L’anesthésie fait son effet. Elle se tait. Condensée dans une boule, sous pression, nue, sous sa peau trempait des babouchkas le linge sale. Les trains commençaient à fonctionner sur de rails jumelés ; lui était déjà parti, au loin, sans nouvelles, le cœur s’était refermé après toutes ces années sur le chagrin (l’amertume) de la séparation. Elle se mirait dans une glace sans tain.

Peut-être pensait-il ne rien leur devoir. Peut-être ils s’étaient à demi trompés sur leur compte, peut-être son parti pris lui a joué un tour. En tout cas il était là, les yeux cernés en attendant la couverture sociale.

Dans sa vie, elle eût deux amours, l’un était le double de l’autre, le concret, celui qui existait vraiment, en chair et en os et l’autre était celui subred, qui depuis tant d’années restait un mystère pour elle.

 subred  : en langue roumaine se prononce “ choubrede ” : frêle

LE CHOMAGE

La chaise en bois récupérée lors de son déménagement le cueillit dès l’entrée. Ses mots, filtrés par son inconscient afin qu’il en soit conditionné s-au prins sur ses mots à lui, l’ont pêché, remonté dans la cale du bateau puis vidé. Des lettres jumelles se sont couplées dessinant un tracé effiloché et coupant, dégageant des leurs traits la puanteur de pourriture du surplus du quota des besoins du consommateur ; ses mots revêtirent ainsi la forme des siens, opérant par vagues successives des scissions mêlées d’enfermement.

 s-au prins  : en roumain se prononce “ saou prinnesse” : se sont accrochés, se sont fixés

LA MAISON

Il pénétra dans la maison vide, la fenêtre ouverte un garçon est appuyé, jambes contre lui au mur, à un mur, il se lève et fuit, ca pue.......ca pue, la porte reste ouverte, le garçon s’allonge sur le côté, en chien de fusil, ca sent le brûlé d’en bas, de la courette, de la suie imprègne les fenêtres.

Un homme tout à l’heure, a dit que les gens qui avaient des maisons, avaient aussi des noms à coucher dehors :bllll. Et aussi la peau et il a montré la sienne de la main, Et il a dit que c’était à cause d’eux... ou de ca qu’il n’a pas (pu obtenir) d’HLM,

TETE DE TURC

L’expression de son visage lui avait été confisqué par des petits miroirs qui, posés sous un certain angle, servaient à voir ce qui était invisible. Des voyageurs en sortirent. Il appelait dans son sommeil des gens qu’il avait întrezarit dans la journée. La plupart lui faisaient du mal et il se mettait à crier. Sa mère le bordait. Un homme était caché dans l’armoire. Il n’en sortait jamais sauf quand on se prenait en main pour lui donner à manger. Ils étaient immensément riches et ils l’écrasaient du haut de leurs richesses. Seule la petite fille le regardait. Inconsciemment elle souffrait de le voir dans cet état. Il lui était interdit de s’en approcher sauf pour lui donner des corvées.

 întrezarit  : en roumain se prononce “ înetrézarite ” : aperçu

L’ADMINISTRATION

Leurs peaux tombent. Des rictus sur le visage, des grimaces figées de la folie, des monstres sont nés. Ils tremblent, piétinent, des muscles de leurs visages sont morts, il n’y a pas d’influx nerveux ou de volonté de les bouger. Ils parlent seuls et rient. Ils s’amusent dans la folie, c’est un autre monde. Si je leur parle, je suis foutue. Je me sens agressée. Chacun d’entre eux en est atteint, ils forment les bras d’une pieuvre. Il est venu me dire que ca ne va pas, il n’était plus en lui-même. Il ne restait de lui qu’une peau morte, il était devenu tout petit, la vie l’a quitté, son sourire était juste un mouvement des mandibules.

UNE CRISE

Les fibres par lesquelles passaient ses émotions se sont désintégrées et ont créé un kyste dans lequel sont allés s’engouffrer ses cris, ces fibres avaient été disloquées et elle avait perdu les mots pour eux, pour les redéfinir et se frappa la tête contre les murs en se disant qu’elle en était incapable ; la forme de ses yeux, ses paupières s’étaient déformées comme sous l’effet d’une modification apportée à leur ordonnancement... Je les appelle les liens affectifs. Un besoin intérieur de leurs réflexes interactifs provoqua dans leur muette paralysie le dérèglement du système nerveux, accrochés comme à des fils ténus, de mots, à des absences qui appelaient le raccord. La coupure a effacé le suivi des traits, cousus comme des restes sur le visage tuméfié.

LE SOMMEIL

Sous les ténèbres, la nuit fait de ses cadavres une lente agonie. On entend le son sans fin, lugubre, long et évasif, un râle profond et subred qui glisse sur mon ventre et monte, absorbé par endroits, sous le long cou qui, au fur et à mesure, disparaît dans la chair, leurs ongles s’enfonçaient à cet endroit de la peau sous la tête tassée, aux plis du visage voilant les yeux, où les pupilles demeuraient absentes une fois leur voile ôté.

 subred  : en roumain se prononce “ choubrédé ” : fragile

LA FIN

Le temps de m’apercevoir que ce courant qui emporta toutes les têtes avait l’odeur de décomposition (souffre) qui se dégageait des cadavres, imperceptiblement m’emporta. J’étais sous les rails d’un express qui volait (circulait) à toute vitesse, l’enfant que je portais mourût vite (au bout de quelques minutes).
Au cours du reportage que j’avais réalisé avec les moyens du bord en compagnie de quelques amis, ceux-ci ont lié connaissance avec les personnages que je désirais filmer et sont partis chacun de son côté en couple. La moitié de mon équipe manquante, je me mis à observer longuement l’attitude des gens autour de moi.

LE TETON

Il m’a été transmis au cours des journées pendant lesquelles je travaillais à mon aboutissement qu’ils faisaient d’une pierre deux coups dans le cul pour précipiter mon départ imminent vers un autre pays. Destination au choix ! Puis l’un (d’entre) eux se blottit en mon sein et suça par les deux bouts mes tétons pe care le adulmeca d’abord pour l’inscrire dans son souvenir de toutes les filles qu’il aima d’un instant à l’autre. Détourna le regard à plusieurs reprises vers d’autres lieux et l’odeur croissant (grandissant, augmentant, levant) en boule se glissa au bout de sa langue.

- pe care le adulmeca : en langue roumaine se prononce “ pé quaré lé adouleméqua” : qu’elle flaira

SANS TITRE

Un jour je lui dirai de ne plus sa ma masoare de haut en bas, miroir déformant l’image de soi. Ses yeux bleus-noirs derrière la glace se voyaient mi-étonnés, mi-blasés sur le quai du métro, un miroir posé là pour les filles qui passent, on pense à nous... Puis elle prit ses cliques et ses claques, adieu, énervée. “ On faisait la queue à l’ombre des platanes, mon chéri. Te souviens-tu de la nuit bleue ? Quand je t’ai pris par la main comme un enfant et je t’ai embrassé sur les deux yeux pour te dire au-revoir. ”
La barrière fut frînta et me retrouvais poussée malgré moi sur une route parallèle. (Mes mots étaient censurés à l’époque) et le sourire aguichant, à l’abri des regards indiscrets, d’un homme âgé m’amenèrent vers une lointaine peuplade à l’autre bout de la planète.

 sa ma masoare : en langue roumaine se prononce “ sa ma massoaré” : me lorgner

 frînta : en langue roumaine se prononce “ frineta” : brisée

LE TRAIN

Elle prit la position du clown triste. L’homme la fixe du regard. La marche des trains était déréglée. "J’ai pas peur de vous", semblait-elle lui dire. Lancinant spectacle des marionnettes aux peaux de serpents. Son torticolis la reprit. L’anesthésie fait son effet. Elle se tait. Condensée dans une boule, sous pression, nue, sous sa peau trempait des babouchkas le linge sale. Elle ne fit pas la fine bouche. Les trains commençaient à fonctionner sur des rails jumelés. Sa mère priait. Pour moi, pour toi, lui était déjà parti, au loin, sans nouvelles, le cœur s’était refermé après toutes ces années sur le chagrin (l’amertume) de la séparation. Elle se mirait dans une glace sans teint. On l’épiait, lui tricotait un tapis dans lequel se tressaient (s’entrecroisaient, s’entrelaçaient) des pensées.

LA PLACE

Au bout de la place était posté un homme en tenue militaire. Il scrutait de son air de boeuf înfipt aux premières lueurs du matin les alentours de la place. Ça la faisait penser à un pantin. Il calculait des mesures sur le béton, au pas, se préparait à une marche.
Elle devait lui amener un pli et se demandait à quel moment elle allait intervenir car son intervention allait certainement perturber sa séance de prises de mesures. Des pigeons lui entraient dans les pattes et il leur donnait nerveusement des ordres. Elle finit son croissant tout en regardant l’archi ornementée des immeubles surplombant la place.
Son air imperturbable n’était sollicité que par les cacas des pigeons qui s’amassaient sur le cadrage tel qu’il l’avait prévu. Il les enlevait à caque fois du périmètre de son territoire avec son talon.
Lorsqu’il s’arrêta pour revoir son dessin, elle en profita pour aller le voir. Son visage se coinça comme à l’approche d’un de ses supérieurs, mais avec elle il prit un air digne, mit sa lettre dans sa poche et fonça dans le sens opposé à la recherche d’on ne sait quoi. Curieuse, elle attendait. Il fit demi-tour au bout de quelques mètres (revint vers elle) contrarié (et énervée) qu’elle soit encore là. Catherine demeura bouche bée (interloquée), le salua et repartit au boulot.

 înfipt  : en langue roumaine se prononce “ înefipete ” : fiché

Lui n’était vraiment pas là, peut-être pensait-il ne rien leur devoir. Peut-être ils s’étaient à demi trompé sur leur compte, peut-être, son parti pris lui à joué un tour. En tout cas il était là, les yeux cernés en attendant la couverture sociale.

L’ACCENT

Il s’agissait de quelque chose dont on n’avait jamais parlé qui faisait écho dans sa bouche. Elle reprit le boulot le lendemain. Elle ne lui avait pas tout dit de ce qui nécessitait des lamuriri. Des histoires qui s’amalgamaient tel un rayon de miel tissant une toile parfaite dans laquelle n’importe quelle mouche s’y prenait.
Une histoire commençait par un “ r ”, celui dont tout le monde avait entendu parler, le “ r ” d’une histoire qui sortait d’un trou noir, d’une personne qui n’existait pas, qui ne voulait pas exister, qui avait tordu sa langue et son larynx pour s’essayer aux sons de la langue française, pour sortir le “ r ” tant désiré, înfundat si gretos.
L’histoire avait mis un temps pour se développer. Un temps coupé par fragments, corroborant ses dires à elle, de personnages survenus d’un passé lointain, de derrière l’image, qui se confronte avec elle. Elle l’a rattrapée, l’image, lui avait fait la peau, dirait-on. Le temps de crever un peu, dont la mesure a été prise sur un cadavre inhumé ces jours-ci, dans le cimetière près duquel j’habite.

 lamuriri : en langue roumaine se prononce “ lamouriri ” : explications

 înfudat : en langue roumaine se prononce “ înefounedate ” : étouffé

 si : en langue roumaine se prononce “ chi ” : et

 gretos : en langue roumaine se prononce “ grétzosse ” : écœurant

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