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Incandescence de la linguistique
Je me souviens de Nicolas Ruwet et de Maurice Gross 

ÉVOCATION ET HOMMAGE RENDU PAR UN ANCIEN DOCTORANT A DEUX GRANDES FIGURES DE LA LINGUISTIQUE, NICOLAS RUWET ET MAURICE GROSS, DISPARUS LA MEME ANNÉE, EN 2001.

mercredi 31 octobre 2012, par Jean-Paul Dècle

Incandescence de la linguistique

La montée métonymique installant les malentendus entre l’hérédité et la génétique et la génétique avec le gène, selon une conception finaliste — voir holiste — par les lecteurs des deux derniers livres parus de Noam Chomsky, notamment celui sur la linguistique (l’autre étant sur son engagement, justement cela permet aux adversaires politiques du linguiste de les opposer en termes de théologie), qui ne sont pas encore traduits en français, porte à rappeler que Chomsky ne pourrait pas confondre la carte et le territoire [1] et que la linguistique mathématique est en partie une science des probabilités. Ces ouvrages sont désinformés par la recension comparée (traduite en français dans La RdR) de Hawkes — tout du clin d’œil en faux nom — qui en donne une fausse vision ; mais s’il s’y est livré de mauvaise foi, il n’est pas le seul, d’autres l’ont fait en toute bonne foi [2]... en attendant l’accès aux livres, voici un texte pour mémoire des pionniers en France.
C’est un rappel à la fois sensible — émouvant — et aigu dans sa critique du contexte, en hommage aux linguistes structuralistes Maurice Gross et Nicolas Ruwet, car ce sont eux qui installèrent Noam Chomsky avec Zelig Harris (son professeur) dans l’enseignement de la linguistique en France, en même temps que d’autres installèrent conjointement le corollaire mathématique de cette linguistique scientifique (la linguistique mathématique pas encore tout à fait appréciée dans l’enseignement à ce moment là, bien que puissamment requise par toutes les applications de la recherche, et plus tard dans la recherche elle-même), générative et transformationnelle, avec ses modèles mathématiques dynamiques — et stochastiques... Où nous avions des mathématiciens d’excellence, émergence du groupe Bourbaki via le professeur Claude Chevalley, (un des fondateurs de ce groupe), également fondateur du département de mathématiques de l’université de Vincennes. Tous rassemblés à la faculté de Jussieu avant la création des départements de l’université de Vincennes.
Ruwet et Gross ont disparu prématurément la même année, en 2001 — peut-être parmi les victimes des cancers dus à l’amiante, comme les laboratoires eux-mêmes restèrent à la faculté de Jussieu.
Il s’agit ici d’un témoignage littéraire [3], qui montre bien cette traversée de tout ce qui pouvait fasciner d’entreprendre, et de choisir encore, parmi les possibilités universitaires novatrices à l’époque, quand l’informatique allait bientôt exploser de tous ses moyens experts grâce aux langages mathématiques et à leurs probabilités formelles, appliquées de la linguistique. Et en quoi il put s’agir d’un destin pour les étudiants et les chercheurs qui les informaient, et pour ceux qui se tenaient à leur périphérie, les salariés qui venaient suivre les cours du soir, (et parfois si fatigués qu’ils se contentaient de déclencher leur magnétophone plutôt que prendre des notes, en recevant toutes ces vibrations dont ils n’auraient pas voulu manquer une seule seconde).
Il exista des rencontres pédagogiques fulgurantes, terriblement séduisantes ou captivantes, déchirées ou poétiques elles-mêmes ; à ce moment on parlait du développement fantastique de la linguistique aux États-Unis, sans s’emmêler dans la valorisation idéologique des modèles politique et économique eux-mêmes, qui aurait été soumise sous l’égide de l’admiration scientifique, car ils étaient critiqués par les mêmes personnalités. Cela vous propulsait en puissance de vos désirs au lieu de vous rabattre sur le chemin étroit de la discipline, tout juste libérée — désenclavée des sciences de l’homme par la pluridisciplinarité scientifique. Car l’abstraction libère des contingences naturalistes, loin d’y rabattre sinon rendant tous les mondes possibles (Nelson Goodman). Nos leçons de vie en aventure de la liberté générale dans un monde dialectique en émoi.

Ici nous retrouvons l’univers de l’informatique et les champs sémantiques du web englobants et englobés dans le monde d’aujourd’hui, où l’auteur de ce récit est professionnellement partie prenante de ceux qui travaillent dans le domaine de la linguistique formelle, c’est dire s’il est bien placé pour savoir ce qu’elle est et ce à quoi elle sert.

Tel fut mon contact personnel — quoique sans avenir de ce côté me concernant, — éphémère et ébloui, avec les chercheurs pédagogues d’une linguistique dont pourtant les arbres (les schémas arborescents) et les mathématiques, avaient tout pour m’effrayer. Je peux attester que tout ce qui est dit là sur les affects et les propos des linguistes cités est absolument crédible. En même temps, albatros vulnérables sur le pont et d’autant plus scientifiques à la vue hautement placée, l’un star et l’autre prince, pourtant qui répondaient avec passion et précision à nos questions les plus naïves à bord... Mais nous n’étions pas des matelots nous amusant de leur incongruité passagère, parce que nous savions bien qu’il fallait réagir à les entendre au moment même, ce qui allait nous rendre immédiatement ou durablement intelligents.

(A. G. C.)


 [4]

Maurice Gross
dans les dernières années de sa vie
Photo Jung Eun-jin
(source infolingu.univ-mlv.fr)


Je me souviens de Nicolas Ruwet et de Maurice Gross


A u début des années 70, les maîtres à penser étaient à la mode chez les intellectuels français. Deleuze, Guattari, Derrida, Barthes, Althusser, Lacan, et les autres : chaque parcelle du champ des sciences humaines avait son gourou attitré. En linguistique, la nouvelle vedette s’appelait Noam Chomsky. L’engouement qui accueillit ses travaux allait faire de l’étude des langues la discipline reine de la décennie.
C’est durant mon année de licence de lettres que je découvris l’Introduction à la Grammaire Générative de Nicolas Ruwet. Cette présentation se faisait dans le cadre du cours de philologie et était assurée par notre professeur de stylistique, grand spécialiste de l’œuvre de Marcel Proust. Était-ce dû au fait que cette présentation d’un modèle essentiellement mathématique avait été confiée à un pur littéraire, toujours est-il que cette nouvelle approche de l’étude du langage m’enthousiasma d’emblée. Les notions de compétence et de performance, l’idée de la capacité du locuteur natif à porter des jugements de grammaticalité, l’étude synchronique des faits de langue et puis ces élégantes analyses dont la représentation sous forme d’indicateurs syntagmatiques ajoutait une touche d’esthétique irrésistible. A nous les littéraires qui ne disposions pas d’appareillage formel pour appuyer nos argumentations, et qui avions été formés pour faire appel à l’intuition et à l’invention verbale, le formalisme des transformations tel qu’il était présenté par notre professeur de stylistique avait la beauté des phénomènes irréfutables. Le structuralisme nous avait déjà un peu préparés aux analyses systématiques et rigoureuses, mais l’aspect génératif et transformationnel donnait aux démonstrations ce côté dynamique qui tranchait avec les recensements statiques des structuralistes. Et quand nous dérivions une phrase de surface à partir d’une structure profonde, nous avions le sentiment de voir éclore la source même du langage humain.
Mes collègues de cette faculté des Lettres et Sciences Humaines de province ne partageaient guère mon enthousiasme. L’anti-américanisme était virulent à cette époque [5], surtout dans le monde universitaire. Comment un linguiste américain pouvait-il prétendre donner des leçons de grammaire française à des étudiants qui connaissaient leur Guillaume et leur Tesnière sur le bout des doigts ? C’est des maths ! me disait-on d’un air dégoûté lorsque je manifestais mon enthousiasme pour cette approche révolutionnaire.

L ’année suivante, pour mon mémoire de maîtrise, je choisissais de faire une étude du langage parlé par les élèves du collège où j’enseignais comme maître-auxiliaire. J’utiliserais et testerais ainsi le formalisme de la grammaire générative pour ce travail sur la performance. Je découvris l’ouvrage de Maurice Gross : Grammaire transformationnelle du français : le verbe, livre qui ne se contentait pas de décrire d’une façon éblouissante des propriétés syntaxiques du verbe français mais qui faisait également une large part à des explications sur les formalismes et à de précieuses réflexions sur les méthodes d’analyse syntaxique. Deux choses m’avaient intrigué dans cet ouvrage : on ne parlait plus de grammaire générative mais de grammaire transformationnelle. Et le livre ne comportait aucun arbre syntaxique ! J’ai tout de suite eu l’impression d’un travail fondamental, débarrassé du jeu aux règles floues qui nous permettait de faire dériver n’importe quoi à partir de transformations ad hoc, au gré de notre fantaisie.

A u cours de cette année de maîtrise, j’avais écrit à plusieurs reprises à Nicolas Ruwet pour lui demander son avis sur telle ou telle description que je proposais dans mon mémoire. Je n’ai jamais obtenu la moindre réponse. Aussi, lorsqu’une fois ma maîtrise obtenue, on me proposa une bourse qui me permettait d’abandonner mon poste de maître-auxiliaire pour me consacrer à plein temps à un doctorat de troisième cycle, c’est à Maurice Gross que je demandais par courrier de bien vouloir diriger ma thèse. Ce qu’il accepta immédiatement, à ma plus grande joie.

L es premiers mois que je passais en tant que doctorant furent idylliques. Je suivais assidûment les cours de Nicolas Ruwet et de Maurice Gross à Vincennes, ainsi que ceux d’Antoine Culioli à l’Institut d’anglais Charles V. Même si j’étais toujours sensible à l’élégance du formalisme chomskyen et à l’esthétique des ouvrages tels que Cross-over Phenomena de Paul Postal ou Irregularity in Syntax de George Lakoff, et généralement à celle des ouvrages de linguistique de l’éditeur new-yorkais Holt, Rinehart and Winston, l’enseignement de Maurice m’éloignait de plus en plus des représentations chomskyennes telles qu’on les pratiquait encore à l’époque à l’Université de Vincennes.

L e renouvellement de ma bourse d’étude étant subordonné à l’avis favorable de mon directeur de thèse, il me fallait soumettre à Maurice un rapport d’étape qui lui permettrait de juger de l’avancement et de la valeur de mes travaux. A mi-parcours, je rédigeais donc avec enthousiasme un mémoire sur mon travail de recherche que je donnai le cœur battant à Maurice. Un silence glacial suivit la remise de mon document. Il faut dire que j’avais commis l’erreur (parmi bien d’autres !) d’illustrer mes réflexions par des exemples compliqués (à la mode de ce que faisait Nicolas Ruwet qui n’hésitait jamais à faire intervenir Nicki Lauda ou Georges Pompidou dans ses exemples), ce qui brouillait les interprétations et masquait inutilement les phénomènes à observer.
De plus, j’avais mal choisi mon sujet de thèse. Celui-ci ne se prêtait guère à l’identification de propriétés syntaxiques, encore moins à leur représentation sous forme de matrices binaires. Il était trop tard pour changer de sujet. Ah !, me disais-je alors, découragé, si seulement j’avais parlé le portugais, le finlandais ou le grec ! J’aurais pu tranquillement mettre mes pas dans les siens en proposant à Maurice de décrire ma langue à l’aide de sa grille d’analyse -comme lui-même l’avait fait pour sa thèse de doctorat de 3ème cycle en comparant les complétives en français et en anglais-, ce qui me permettrait de montrer la pertinence et l’universalité des propriétés syntaxiques qu’il avait relevées pour le français.
Ma bourse ne serait certainement pas renouvelée. Mon piteux échec donnerait raison à mon entourage qui ne cessait de me demander ce que j’allais faire dans cette galère et sur quelle profession pouvait bien déboucher ce méli-mélo de grammaire et d’informatique qui me dévorait corps et âme. J’allais certainement devoir retrouver mon poste de maître-auxiliaire dès l’année suivante. Une belle carrière de linguiste avortée !

A rriverai-je, avec ma formation littéraire, à me mettre au niveau souhaité ? Les textes d’analyse linguistique dont j’avais été jusqu’alors nourri étaient du style : On sait que l’article un est une tension progressant de l’universel au singulier, c’est-à-dire inscrite entre deux coupes transversales d’une certaine activité de pensée se propageant du large à l’étroit, et que cette tension, en discours, fait l’objet d’une coupe transversale, précoce ou tardive, qui assigne à l’article sa valeur d’emploi (Gustave Guillaume). Il allait falloir maintenant s’habituer à une littérature tout à fait différente, du genre : Le fait que l’état S° ne trouve pas, dans cette grammaire, son équivalent en terme de mot auxiliaire, explique que le langage produit autorise m=0, ce qui n’était pas le cas pour la production de l’automate (Michel Hughes). Esprit de finesse, esprit de géométrie ! J’avais parfois l’impression d’être revenu au temps de Turing et que ma mission était d’établir le modèle mathématique qui permettrait de casser le code de la machine Enigma. Le saut épistémologique était vertigineux. J’avais pris conscience que c’était bien de mathématiques qu’il s’agissait et que l’étude du langage avait ici quitté le champ des sciences humaines pour celui des sciences de l’ingénieur. Il me fallait ni plus ni moins apprendre un nouveau métier.

N éanmoins, j’étais bien décidé à me rattraper. Je me lançais à corps perdu dans un travail de fond. Je me plongeais dans les Notions sur les grammaires formelles. Je me mis à lire tous les manuels d’algèbre combinatoire, livres et articles sur la théorie des automates qui me tombaient sous la main. En même temps, je commençais une formation supérieure en informatique à l’Institut de Programmation de Paris-6. J’arrivais ainsi à mieux comprendre la problématique et les concepts qui sous-tendaient les travaux de Harris. Cette remise à niveau fut parfaitement efficace. Je jetais au panier le travail déjà fait sur ma thèse et recommençais à zéro un nouveau rapport de recherche. L’enseignement de Maurice nous encourageait à nous en tenir à l’observation des faits, sans nous perdre dans des interprétations philosophiques. Il ne faut pas trop lire, avait-il l’habitude de répondre lorsqu’on le questionnait sur tel ou tel point byzantin de la théorie tranformationnelle. Cette fois, dans mes exemples, Max, Léa et Luc avaient pris la place de Nicki Lauda et de Pompidou ! Et lorsque je remis le rapport de fin d’année à Maurice, l’accueil fut beaucoup plus chaleureux que la première fois.

J ’ avais l’impression d’avoir un peu regagné de son estime. J’allais de temps à autre discuter avec lui dans son bureau au neuvième étage de la Tour Centrale de Jussieu. J’aimais beaucoup sa personnalité, son humour et sa lumineuse intelligence. C’était émouvant de voir avec quel bonheur gourmand et quasi enfantin il pratiquait son activité de linguiste.
Il se laissait aller parfois à quelques remarques faussement désabusées du genre : Il faut avoir la tête solide, ou Il faut bien gagner son pain. Un jour, il me parla de sa formation et des difficultés qu’il avait eues à changer d’orientation professionnelle. Il semblait s’inquiéter sur ce que j’allais faire après mon doctorat. Il me dit (ce qui n’était pas pour me rassurer sur mon avenir !) Tu auras les mêmes problèmes que moi. Venant de la part d’un polytechnicien, scientifique justement renommé et directeur de recherche au CNRS, la comparaison était hors de propos. Plaisantait-il ? Il n’était pourtant pas du genre à se moquer de ses interlocuteurs.

I l y aurait beaucoup à dire sur l’équilibre physique et mental du travailleur intellectuel. Mon programme de remise à niveau m’avait entièrement vidé. Moi qui avais toujours beaucoup lu, écouté de la musique, participé aux événements politiques et culturels, j’étais devenu comme étranger au monde extérieur et à moi-même. Ma personnalité était mise entre parenthèses. J’étais devenu complètement monomaniaque au point d’emmener partout avec moi l’énorme ouvrage de Harris Mathematical structures of language et de me mettre à en lire des pages, quel que soit l’endroit où je me trouvais. Ma solitude était grande. A cette époque, dans le milieu qui était le mien, l’idéologie pesait son poids et le dogmatisme tenait souvent lieu de réflexion. On me reprochait d’avoir trahi en tournant le dos à mes études littéraires pour rejoindre le camp de mathématiciens ou, plus grave encore, celui des informaticiens. A cette époque, le mot informatique n’évoquait pas un Mac Intosh mais des hommes blafards en blouse blanche évoluant dans des locaux aseptisés. Les ordinateurs n’étaient utilisés que par l’armée et la grande industrie. Avant 1984, Big Brother était une menace encore crédible.
Mon entourage me menait la vie dure pour que je reprenne une activité professionnelle normale. La découverte, trois jours après sa mort, du corps d’Émile Benveniste, décédé seul dans une chambre d’hôtel du Quartier Latin sans que personne apparemment ne se souciât de son absence, me montrait le destin qui m’était promis si je continuais à faire ainsi le vide autour de moi [6].
Je décidai de terminer rapidement mon doctorat de troisième cycle et passai ma thèse avec succès. Après avoir obtenu mon diplôme en informatique, je m’éloignai provisoirement de toute activité de recherche.

M aurice avait vu juste. Ma vie professionnelle a pris une orientation pour le moins non conventionnelle. Après mon doctorat de troisième cycle, j’ai travaillé à la télévision. Je suis parti ensuite à l’Université de Californie de Los Angeles pour finir ma formation sur l’écriture cinématographique et démarrer un projet de grammaire du film. J’ai eu l’occasion d’y rencontrer Coppola qui m’a donné le meilleur conseil qui soit : Go your own way !

L a linguistique était ma passion. Et ma déception fut amère d’avoir dû renoncer à l’exercer. J’ai longtemps réfléchi sur les raisons de ma décision. Ma formation littéraire me faisait envisager avec réticence ce que je pensais être le travail besogneux et ingrat du scientifique. Maurice a passé sa vie à bâtir une architecture méthodologique dans laquelle je n’aurais pas pu inscrire avec bonheur l’activité du linguiste adulte, libre et inventif que j’aurais voulu être. Les chercheurs ne sont-ils pas comme les artistes ? Leur ambition première est de faire œuvre originale et d’associer leur nom au progrès de l’humanité. C’est bien là le moteur de toute activité scientifique d’envergure. Aucun chercheur authentique n’a pour objectif secret d’être le tâcheron zélé d’un maître, aussi prestigieux soit-il. Le meurtre du père est souvent salutaire.

I l serait ridicule de ma part d’émettre le moindre jugement de valeur sur le gigantesque travail de classification effectué par Maurice et son équipe. J’ignore si les lexiques-grammaires seront réellement à l’origine d’applications majeures et quelle sera leur postérité. L’histoire des sciences nous oblige à la prudence. Les chercheurs en linguistique me font parfois penser à cet étudiant intervenant à un congrès sur le traitement automatique du langage auquel je participais récemment. Ce thésard protestait avec véhémence contre la présentation d’un moteur de recherche. Il mettait en doute, compte-tenu de l’état de la connaissance dans le domaine, la possibilité de faire une recherche en texte libre et criait à la supercherie parce qu’on osait présenter cette réalisation alors que les linguistes n’avaient pas encore réussi à se mettre d’accord sur la définition de ce qu’était un mot. S’il avait fallu attendre que les spécialistes du traitement automatique du langage aient terminé leurs descriptions exhaustives, nous ne bénéficierions aujourd’hui ni du traitement de texte, ni des hyperliens, ni d’Internet, ni de la reconnaissance vocale, ni de Google, ni de XML !

C es dernières années, j’ai eu l’occasion de revenir à Jussieu où l’on m’avait chargé de donner quelques cours d’initiation à la linguistique formelle.
Un soir, à la sortie de ma salle, j’eus la surprise de rencontrer Maurice. Sachant que j’étais dans les locaux, il avait eu la délicatesse de faire le déplacement pour venir me serrer la main. Vingt ans après, il avait peu changé. Son regard pétillait toujours de la même flamme d’intelligence et de malice. Et cette façon de parler doucement en rentrant régulièrement la tête dans les épaules ! À ma totale stupéfaction, il me demanda de l’excuser de n’avoir pas pu m’accorder tout le soutien qu’il aurait fallu à l’époque de mon doctorat. Cette remarque m’a bouleversé. Il avait déjà tant fait pour moi en m’encourageant et en me prodiguant ses conseils, sans parler des multiples interventions qu’il fit afin d’obtenir le prolongement de ma bourse !

À chaque fois que je traversais à pied le Pont d’Austerlitz, mes regards se dirigeaient vers les fenêtres du neuvième étage de la Tour Centrale de l’Université de Jussieu. Imaginer que Maurice était là, à son bureau croulant sous les papiers et les notes, avait quelque chose de réconfortant. Le grand scientifique qu’il était m’a appris l’exigence intellectuelle et l’humilité. Cet homme passionnant, chaleureux et profondément humain m’a montré qu’il fallait toujours aller au bout de ses ambitions. Il fait partie de ces êtres dont la rencontre compte dans la vie d’un homme.

S a disparition m’attriste considérablement.

Jean-Paul Dècle


CC BY-NC-ND 2.0 (FR), 2009.

Source Internet archive.

La version originale de cet article a paru sous pseudonyme dans la revue L’Être, en 2006 :
http://www.letre.fr.

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- Une bio-bibliographie complète de Maurice Gross dans le site du département de linguistique (rattaché au CNRS) de l’université de Marne-La-Vallée. Cette bibliographie complète est publiée dans le cadre des actes du colloque en hommage qui eut lieu les 3 et 4 juin 2002, au Ministère de la Recherche, dans l’ancien site de l’École Polytechnique (où Maurice Gross intégra probablement cette école, alors dans Paris même, au moment de sa promotion), 1 rue Descartes, au quartier latin.
Une journée d’études fut également organisée peu avant (le 15 mai 2002) en hommage, à l’Université de Venise, dont le programme est accessible en téléchargement pdf dans les pages de l’Université de Marne-La-Vallée consacrées au linguiste.
L’affiche du colloque (suivre le lien).

- In memoriam, Nicolas Ruwet (1933-2001), par Marc Dominicy (avec une bibliographie et des notes détaillées) ; Travaux de linguistique n°46, III. in memoriam, éd. De Boerk Supérieur et universitaire (BE), janvier 2003.


P.-S.

Le logo provient de l’article Verbes « à montée » et auxiliaires dans une grammaire d’arbres adjoints de Anne Abeillé, dans la revue Linx (revue des linguistes de l’université Paris Ouest Nanterre La Défense).

Les liens suivants sont ceux proposés par Jean-Paul Dècle à la page de la publication de son texte sur archive.org (il en existe de nombreux autres sur Internet pour rendre hommage aux deux linguistes français) :

- Hommage à Nicolas Ruwet (pdf), par Michel Arrivé, Le Monde, 27 novembre 2001 [7]

- Maurice Gross un grand linguiste, par Jean-Claude Chevalier, Le Monde, 12 décembre 2001 [8].

- Oibtuary, Maurice Gross, par Laurence Danlos.

- Obituary, Maurice Gross, par Amr Helmy IBRAHIM.

- Maurice Gross : une refondation de la linguistique au crible de l’analyse automatique, (pdf)
par Amr Helmy IBRAHIM.

- A blank stare at the sunset of the shortest day of the year (pdf)
par Ray C. Dougherty.

D’autres liens :

- Maurice Gross (1934-2001), par Béatrice Lamiroy, publication dans la revue Travaux de linguistique N°46, 01-2003.

- L’annonce de la mort de Nicolas Ruwet par John A. Goldsmith et les dédicaces d’hommage de ses amis linguistes, dans le site des Sciences humaines de l’Université de Chicago.

Notes

[1Il s’agit de l’adage de Alfred Korzybski fondateur de la sémantique générale (inspiré par la théorie de la relativité de Einstein), qui confère d’autre part l’arbitraire du signe dans la linguistique de Saussure.

[2Par exemple, au début de son article (lié) John Gliedman rapportant son Interview de Chomsky l’interprète ; mais plus loin on voit bien dans les propos de Chomsky cités que ce n’est pas exactement le sens donné par ce dernier. Au moins est-il cité dans son contexte. Par contre l’interview est intéressante où Chomsky situe son engagement politique par rapport à son statut de chercheur, en quelque sorte réponse anticipée aux attaques qui lui sont portées par Hawkes selon lesquelles il y aurait entre ces deux pensées une aporie. Pour situer la linguistique de Chomsky, il existe une page historique et épistémologique sur la linguistique dans les site du laboratoire des langues du CNRS.

[3Le titre de Jean-Paul Dècle s’inspire du let-motiv littéraire et performatif d’un recueil de Georges Perec, paru par fragments depuis 1973 dans des revues ou énoncés au cours d’ateliers de création radiophoniques pour France Culture, puis rassemblés sous le même titre, Je me souviens, en 1978 chez Hachette ; ce fut un let-motiv culte au cœur des ritournelles mélancoliques ou caricaturales de la fin de la postmodernité, d’autant plus que le célèbre auteur oulipien mourut jeune (à 46 ans), en 1982. Perec lui-même plagiait presque en temps réel des publications de l’artiste du mouvement underground new-yorkais Joe Brainard (1941-1994), en les adaptant en France comme dans un travail sous licence libre, notamment I remember, titre et série de fragments auto-biographiques performatifs de l’artiste couvrant les périodes depuis la fin de ses années 1940 dans l’Oklahoma à ses années 1970 à New York, en cassant non seulement le continuum littéraire des autobiographies mais encore le rythme des publications en séries et leur mono-discipline, et dont les principaux fragments parurent entre 1970 et 1975. Sur les diverses apparitions de ce leit-motiv en chaîne par différents traducteurs et auteurs, en plusieurs langues, voir l’article Memory Work.

[4NdLaRdR : Nous avons contacté Jean-Paul Dècle pour l’informer de notre publication et lui transmettre notre présentation (afin de vérifier qu’elle ne contint pas de contresens), voici un extrait de sa réponse : « [ ... ] Oui, Maurice Gross était une star ! Mais c’était avant tout, pour nous, une personnalité passionnante, un aîné toujours à l’écoute de ses étudiants, un scientifique tout entier dévoué à la réussite de son travail de recherche, à ce projet unique, exigeant, radical, ambitieux, visionnaire dont l’objectif final était la description exhaustive des propriétés syntaxiques des verbes français.
Maurice Gross n’a pas pu voir les perspectives nouvelles que l’évolution technologique de ces dernières années ouvraient à ses classifications
[ ... ] »

[5NdLaRdR : La guerre du Viêt Nam n’était pas finie, ce qui ne rendait pas sympathique l’État américain ; mais Chomsky venait de se désolidariser de la recherche militaire du MIT dont les applications intervenaient dans les bombardements au Viêt-Nam, ce qui lui valait une aura et le rendait d’autant plus apprécié parmi les étudiants progressistes ou avant-gardistes en France, face aux académies nationales auto-centrées ; de surcroît Chomsky et Harris étaient transmis par le mouvement structuraliste, dont on peut dire qu’il fut la base et la cheville ouvrière du recrutement des professeurs, de l’organisation des départements, et de leur interdisciplinarité réciproque, à l’origine de l’innovation de l’Université de Vincennes.

[6NdLaRdR :Émile Benveniste tomba en 1969 et pendant plusieurs années au-delà il demeura en incapacité jusqu’à sa mort ; sa disparition publique restant inexpliquée alimenta des rumeurs. Jean-Paul Dècle n’arriva à Paris qu’au début des années 70, ce qui explique le travail des imaginations qui lui transmirent cette interprétation, au moment où le plus grand secret était respecté auprès des étudiants par les enseignants sur le silence du linguiste (disparu de fait sans qu’on puisse annoncer sa mort, mais par déférence pas davantage l’état dans lequel il se trouvait durablement). Les étudiants des générations successives qui auraient pu être informés en 1969 et au pire en 1970 de la commotion cérébrale de Benveniste étaient déjà trop avancées dans leur cursus — avec une étanchéité de fait entre les niveaux d’étude, — pour le transmettre. Les véritables conditions de la mort d’Émile Benveniste, qui tenait la chaire de grammaire comparée au Collège de France depuis 1937 (avec une interruption pendant les années de guerre), sont rappelées dans la publication récente de ses Dernières leçons, Collège de France (1968-1969), col. Hautes Études, éd. du Seuil, (avril 2012). Cette édition est établie et présentée par les linguistes Jean-Claude Coquet et Irène Fenoglio, avec une préface de Julia Kristeva et une postface de Tzvetan Todorov, édition qui s’accompagne de quelques documents inédits : une biographie de Benveniste, une présentation de ses archives conservées à la Bibliothèque nationale de France et des photographies des notes préparatoires de ses cours... On peut y apprendre ou bien trouver une confirmation qu’il vécût alors à Paris, et qu’en sortant d’un restaurant, le 6 décembre 1969, en présence d’autres personnes, il fut frappé par « l’ « attaque » qui le laissa définitivement hémiplégique et aphasique » (je cite Michel Arrivé qui nous a signalé l’ouvrage). « Mais les personnes, nombreuses, qui lui ont rendu visite à l’hôpital où il était soigné attestent toutes qu’il comprenait ce qu’on lui disait. Certaines mêmes disent qu’il restait apte à écrire quelques mots. C’est finalement le 3 octobre 1976 qu’il est mort, sauf erreur, à l’hôpital de Versailles »... Il est vrai qu’on se demande alors pourquoi, s’il vivait à Paris, il serait mort — ou fut hospitalisé — à l’hôpital de Versailles (?)... Michel Arrivé n’avait pas sous la main l’ouvrage pour aller vérifier avec certitude le lieu de la mort. Nous le remercions pour ces informations complémentaires, qui au-delà des questions de biographie encouragent à se procurer ce livre.

[7NdLaRdR : malheureusement le site correspondant au lien sur le document n’est plus alimenté aujourd’hui ; c’est pourquoi nous proposons en note le texte in extenso de cet hommage, paru dans la colonne « Disparitions » du journal Le Monde du 27 novembre 2001 :

 Spectateur et acteur des sciences du langage

 NICOLAS RUWET se plaignait parfois, dans un demi-sourire, d’être né, en 1932, le 31 décembre : ces quelques heures d’avance que le destin lui avait fait prendre le vieillissaient d’un an... Mort mercredi 14 novembre, il a fortement marqué l’histoire des sciences du langage en France - et dans les pays francophones - pendant le demi-siècle qui vient de s’achever.
 Après des études à Liège (il était belge de naissance), puis à Paris et au MIT - où il rencontre Chomsky et Halle -, Nicolas Ruwet entre comme « aspirant » au Fonds national belge de la recherche scientifique. C’est la brève aurore du non moins bref « triomphe du structuralisme ». Il publie, dans Esprit (en 1963), puis dans les Archives européennes de sociologie (en 1964), deux beaux articles sur le statut de la linguistique dans les sciences humaines : vaste panorama parfaitement informé - seul absent : Lacan - de la fonction de « sciencepilote » qu’avait alors la linguistique.
 C’est aussi en 1963 que Ruwet traduit et préface, pour les Editions de Minuit, les Essais de linguistique générale de Roman Jakobson. Il faut insister sur un point : c’est Ruwet qui est l’auteur, au sens fort du terme, du concept d’« embrayeur », que Jakobson, à la suite de Jespersen, dénomme en anglais shifter. C’est que la métaphore est toute différente. Le shifter se contente de changer de référent selon les circonstances de l’énonciation. Accédant au statut d’embrayeur, il met en relation l’instance de l’énonciation et le discours : ainsi le mot « je » désigne dans l’énoncé la personne qui le profère. En français, l’embrayeur s’est substitué à toute autre désignation, par exemple le fugitif « indicateur » de Benveniste.

 UN REGARD AMUSÉ
 Survient en 1967 la publication, chez Plon, de l’ Introduction à la grammaire générative : excellente présentation technique des théories chomskyennes, alors fort mal connues en France, même chez les linguistes, mais aussi ample réflexion historique et épistémologique sur l’évolution de la linguistique. Sur le modèle de Jakobson, Ruwet s’intéresse à la poétique. Il publie quelques articles théoriques et de nombreuses analyses de poèmes ou, parfois, de segments de poèmes : ainsi le vers de Baudelaire « Le navire glissant sur les gouffres amers ». Certaines de ces contributions seront reprises, en 1972, au Seuil, dans Langage, musique, poésie. Car Ruwet, musicologue, s’interrogeait aussi, non sans quelque perplexité, sur ce que la « sémantique musicale gagnerait à s’inspirer de la linguistique ».
 Nicolas Ruwet ne s’est pas contenté d’introduire ou de traduire les théories des autres. Sa Grammaire des insultes et autres études (Seuil, 1982) réunit des études de syntaxe française d’une extrême subtilité. Et son ouvrage en anglais Syntax and human experience (Chicago, 1991) revient aux préoccupations générales de ses premiers travaux. Nicolas Ruwet promenait sur le spectacle de la linguistique - et, semble-t-il, sur tout spectacle humain - un regard à la fois informé, amusé et légèrement distant.
 Professeur à l’université Paris-VIII-Vincennes jusqu’à 1999, il consacrait une part non négligeable de son temps à des travaux de « patalinguistique » pas toujours très obligeants - quoique jamais méchants - à l’égard de ses bons collègues. Les Recherches linguistiques de Vincennes comportent dans presque tous leurs fascicules des articles signés de noms bizarres : Traï Zattab, Gérard Zamioune, Minamoto no Nisho, Norbert Rastreins, etc. Selon certains murmures, quelques-uns de ces noms pourraient masquer celui de Nicolas Ruwet.

 Michel Arrivé

 (voir l’article éponyme Michel Arrivé dans fr.wikipédia)

Comités de Recherches Linguistiques de Vincennes, « revue fondée sous les auspices de Nicolas Ruwet ».

[8Maurice Gross, un grand linguiste

 LE MONDE | 12.12.01 | 11h26

 DANS L’IMMENSE révolution d’idées qui marque l’avant-1968, on voit surgir deux jeunes gens qui vont renouveler complètement le domaine linguistique français et bien au-delà : Nicolas Ruwet et Maurice Gross. Ils ne sont ni l’un ni l’autre des professionnels : Ruwet est musicien, critique littéraire, ouvert à toutes les sciences de l’homme ; Gross, scientifique, informaticien surtout. Tous les deux deviendront de grands linguistes. Ils viennent de disparaître à quelques semaines d’intervalle, Nicolas Ruwet le 14 novembre (Le Monde du 27 novembre) et Maurice Gross samedi 8 décembre, à Paris, des suites d’un cancer.
 Né le 21 juillet 1934 à Sedan, Maurice Gross entre, dès sa sortie de l’Ecole polytechnique (promo 1955), comme ingénieur de l’Armement, au Centre de calcul dirigé par Aimé Sestier. Le Centre est surtout chargé de fonder un laboratoire français pour la traduction automatique. Le modèle est américain. Maurice Gross dépouille d’innombrables grammaires, pour le français et l’anglais - et l’allemand, sa spécialité ; pour le russe, en traduction anglaise. Aucune ne le satisfait ; mais il entre en contact avec de vrais linguistes, Kuno, Klima.
 Il rêve d’inventorier la langue et de mettre de l’ordre dans les grammaires en trouvant des règles. Il profite d’une bourse de l’Unesco pour aller à Harvard en 1961 et fréquente le MIT, dont il gardera un souvenir ébloui : un laboratoire de recherches en électronique tous azimuts, qui formait en deux ans des équipes de spécialistes ; et particulièrement en acoustique phonétique. Noam Chomsky était là, en mathématiques et en phonétique. Il était aidé, dans ses formalisations, par un Français, Marcel-Paul Schutzenberger, spécialisé en biologie informatique.
 Maurice Gross suit des cours de mathématiques, apprend à programmer et rédige un analyseur syntaxique qui peut servir à l’intelligence artificielle. A la fin de l’année, il revient à Paris pour apprendre que le Centre de calcul va fermer. On renonce à la traduction automatique. Mais le mouvement a fait connaître les nouvelles grammaires, comme les Structures syntaxiques de Chomsky (1957). Gross entre au Laboratoire de calcul Blaise-Pascal du CNRS et travaille avec Schutzenberger à établir des grammaires formelles, des problèmes de combinatoire. Il se prend encore pour un informaticien, pas pour un linguiste. Pas encore. Au Centre Henri-Poincaré, fondé en 1960, il fait des cours avec les nouveaux linguistes comme Pottier et Greimas ; il forme des élèves, et publie. Ainsi les Notions sur les grammaires formelles (1967) avec André Lentin, gendre du linguiste Marcel Cohen.

 LA LANGUE À BRAS-LE-CORPS
 Gross admire toujours Chomsky, mais il s’est un peu éloigné et se méfie de sa virtuosité ; l’empirique qu’il est est rétif aux systèmes trop fermés. Schutzenberger est là, une nouvelle fois : son ami Zellig Harris, maître de Chomsky, cherche un mathématicien pour ses formalisations à Philadelphie. Harris invite Gross ; c’est tout de suite l’entente parfaite. Gross prend la langue à bras-le-corps, la phonologie, la syntaxe, trie, classe et écrit des grammaires en français et en anglais. Il en retire deux thèses soutenues en France qui lui permettent d’abord d’enseigner à Aix, recruté par l’épistémologue Gilles-Gaston Granger, puis d’être la vedette, en 1967, avec Ruwet et Jean Dubois, du fabuleux sémi- naire d’été de Nancy, organisé par Antoine Culioli, où se constitue une grande équipe moderne qui aboutit à la fondation du Centre expérimental de Vincennes en 1969. Maurice Gross est de l’aventure.
 Les livres se succèdent, d’une qualité exceptionnelle, sur la syntaxe du verbe, de l’adverbe, etc., sous le label Grammaire transformationnelle, explicité dans un texte théorique : Méthodes en syntaxe. Il prend la tête du Laboratoire d’automatique documentaire et linguistique (LADL-CNRS), à Paris-VII, qui multiplie dépouillements informatisés, dictionnaires automatiques, correcteurs de fautes, etc., et forme des tribus d’élèves, portés par le charisme d’un maître doué d’une intense séduction. Maurice Gross était un de ces hommes rares dont l’exigence intellectuelle et l’esprit d’invention auront bouleversé les cadres anciens. Son ouvre était encore en développement. Elle s’est brusquement arrêtée avec la mort.

 Jean-Claude Chevalier

 (voir l’article éponyme Jean-Claude Chevalier dans wikipedia).

4 Messages

  • Mais où diable, cher Jean-Paul Dècle, avez-vous appris que le grand linguiste Émile Benveniste est mort dans les conditions que vous décrivez ? Vous écrivez en effet ceci :

    « La découverte, trois jours après sa mort, du corps d’Émile Benveniste, décédé seul dans une chambre d’hôtel du Quartier Latin sans que personne apparemment ne se souciât de son absence, me montrait le destin qui m’était promis si je continuais à faire ainsi le vide autour de moi. »

    C’est faux, et je m’étonne que personne n’ai songé à vous le dire lors de la première publication de votre texte. Émile Benveniste, qui était hémiplégique et aphasique depuis une « attaque » survenue en décembre 1969, est mort le 3 octobre 1976 à l’hôpital de Versailles.

    Michel Arrivé

    • Je me souviens de Nicolas Ruwet et de Maurice Gross 1er novembre 2012 22:20, par Aliette G. Certhoux

      Cher Michel Arrivé, en attendant le retour de l’auteur, pour me dire ce qu’il souhaite que je fasse (effacer ce passage ou l’annoter), finalement j’ai supprimé mes commentaires ici et ajouté dans le texte, à la fin de la phrase posant problème, une note de la rédaction de la revue, la note n°4, (en citant la publication récente de la dernière année des conférences de Émile Benveniste au Collège de France). Merci très sincèrement pour votre commentaire et ces informations.

    • Cher Michel Arrivé,
      Merci pour votre message et pour cette mise au point concernant Emile Benveniste.
      En fait, si je me souviens bien, lorsque les rumeurs sur les circonstances de sa disparition commencèrent
      à circuler dans notre petit groupe de jeunes linguistes, nous ne cherchâmes pas à démêler le vrai du
      faux.
      A l’époque, la version déformée des faits (celle que je reprends dans mon texte sur Maurice Gross) nous
      convenait.
      Probablement parce-qu’elle reflétait notre propre angoisse devant l’avenir et alimentait nos doutes sur le
      sens d’une vie que nous imaginions entièrement vouée à la recherche et à l’étude.
      Bien cordialement,
      Jean-Paul Dècle

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